Dans un pli, un recoin, non loin de la flammèche incandescente d'une chandelle brouillonnant la grotte d'ombres fantasmagoriques, la représentante spinoziste était là. Il s'agissait de la dénommée Tzadik Sérésa qui avait fait le chemin d'Anjou suite à l'invitation de son amie Séléna toujours avec son inséparable et inénarrable de mari. Comme il se devait en ces temps difficile, la Tzadik qui avait en charge la protection de la Communauté spinoziste était en arme une épée longue à la ceinture, elle portait des jambières métalliques et était revêtue d'une cotte de mailles seyante et légère.
Elle écouta avec attention les paroles prononcées, les serments prêtés. Elle observa les corps qui se baissent, se lèvent, s'assoient, se dressent. Le regard farouche, la jeune femme serra la poignée de son épée sagement rangé dans son fourreau. Un médaillon rubis et émeraude brillait à son cou, le symbole de la spinozie. Sa chevelure ondoyante reposait sur ses épaules jusque dans le creux du dos...
L'Évêque Cathare menait la cérémonie d'une main de maître. Manifestement, tout avait été préparé comme il fallait. Les invités étaient nombreux et chacun à leur manière était attentif et tous étaient pensifs comme des apprentis Admors écoutant l'enseignement du Livre des Puissances dans une de ces Écoles spinozistes. Les curs étaient unis en un cur battant aux rythmes des mots échangés.
C'était étrange.
Les références à Oane ou Hoane étaient semblables à celle de son propre culte. A ce niveau, le catharisme semblait se rapprocher d'une sorte de retour au source, à un retour à l'histoire cyclique dont la communauté spinoziste était la source même de toutes les religions du Livre. Toutefois, l'état d'esprit de culte semblait être ornementé d'un baroque assemblage imaginaire typique de tout aristotélisme qu'il fut Cathare, Réformé ou Romain.
Sérésa se souvint de ce qu'elle avait dit à l'Évêque cathare dans son propre bureau. : "Il n'y a ni Bien en soi, ni Mal en soi. Voler, mentir, s'enrichir, posséder des titres et même tuer peut-être bon ou mauvais, selon les rapports, les circonstances, le moment..."
C'est le premier principe à appliquer : savoir par soi-même déceler les rapports qui te permettent de faire le choix le plus utile pour soi et pour les autres. Il ne s'agira jamais pour un spinoziste de se soumettre aveuglément à un diktat appris par cur et portant parfois à des aberrations voire des contradictions.
Si sur la route, des brigands surgissent afin de me voler et me casser la caboche, il me sera loisible de réagir au plus tôt avec ma lame de Tolède pour verser leurs tripes sur le chemin.
S'il est nécessaire de faire sortir de ses gonds le menteur qui me calomnie, il me sera loisible de l'insulter et le maudire avec force ruse pour que son mensonge soit dévoilé.
Non, la Raison seule mène à la réalité du divin et le cur hélas a ses raisons qui bien souvent ne sont qu'imaginaires et portent l'humain à se soumettre à des passions qui lui portent préjudice.
Mais z'enfin... bien souvent l'humain préfère qu'on lui dicte ce qu'il à faire plutôt que d'utiliser sa cervelle en laquelle pourtant est la plus fière relation au divin, celle qui mène à sa propre liberté.
Pour les humains, en leur vie quotidienne, mieux vaut forcer le trait et bien arraisonner les ornières, poser les frontières et les murailles d'une morale universelle à ne pas franchir, à ne pas dévier, afin que tous suivent le même chemin... c'est la différence entre une voie religieuse aristotélicienne privilégiant la recherche d'une Vérité divine immuable et celle du spinozisme ouvrant la voie de la Liberté et du dépassement qui est l'essence même du Divin...
Sur ces entrefaites, la cérémonie semblait être à sa fin.
La jeune femme... qui s'était nonchalamment appuyée tout au fond sur la paroi de la grotte une jambe repliée dessus faisant tournoyé de sa main droite le petit médaillon spino... se cambra soudainement puis par petits pas souples se rapprocha des postulants. Elle était venue de loin et voulait au moins saluer dès que possible ses amis. En effet, elle se rendait compte ce jour qu'elle ne partageait rien avec eux sur le plan des principes et de la conception de la vie. Il luttait contre Rome mais au fond partageaient les mêmes idées, c'était à celui qui relèverait le plus de contradictions entre les deux camps et cela ne la regardait que très peu... Toutefois, au-delà de cette lutte vaine, Sérésa savait pertinemment que ses amis cathares avaient grand respect pour elle et ses pairs et cela suffisait nécessairement et amplement.
La tolérance par force et non par faiblesse telle était sa conception d'un monde où tout un chacun reste en son essence éminemment respectable tant qu'il n'empiète pas sur l'existence des autres par la force et la contrainte. Sérésa s'inclina devant les nouveaux baptisés et l'Évêque cathare, le visage apaisé emplit d'un grand sourire bienveillant avec ce quelque chose d'un peu insensé qui vibrait dans ses yeux verts intenses.
C'est ainsi qu'un quidam eut pu la voir solitaire quelques instants plus tard penchée sur l'encolure de sa monture dans la forêt épaisse et presque noire évitant les branches basses, se ressourçant dans le frimas et la vive froidure de la Nature, elle seule connaissait la piste qui la mènera sans se perdre sur la route qu'elle avait décidé de suivre...
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Qui cupit aut metuit liber non erit unquam !
Qui convoite ou craint quelque chose ne sera jamais libre !