[RP] Oùkilé le gros monstre??

Enfin un lac ! Linon cassait les pieds de tout le monde depuis plusieurs jours, surexcitée à l’idée de séjourner dans une ville pourvue d’un lac et de pouvoir enfin pécher. De villes forestières en villes fruitières, elle en était presque venue à douter de l’existence de ces fameux lacs poissonneux, et regardait les brochets et anguilles des marchés d’un air suspicieux . D’où venaient-ils vraiment ? Ils avaient rarement l’air bien frais déjà… preuve qu’ils venaient de loin, de la mer si ça se trouvait…

Pourtant la baronne lui avait longuement écrit de Sarlat pour lui raconter une partie de pêche qui avait failli mal tourner. Linon avait d’abord ri en imaginant la capricieuse de Lignières dans une barque en train de ramer, puis avait froncé les sourcils en comprenant que celle-ci avait failli se noyer à cause d’un poisson… Jo, décidément, se fichait tout le temps dans des situations impossibles, et Linon n’était pas loin de penser que c’était la faute de ce militaire dont elle ne décollait plus… tsss… un homme d’armes… fâcheux choix d’après elle.

Bref, la petite troupe était arrivée à Sarlat et comptait bien y passer quelques jours en attendant des amis et surtout, surtout, que Linon ait le temps de pêcher !

Aussi dès le premier jour et dès potron-minet, la jeune femme et son beau-fils pataugeaient-ils sur la rive du lac pour pousser la barque fournie par Fab’ et la mettre dignement à l’eau.

Tu vas voir mon Marko, on va attraper plein de poissons ! Et tu es fils de marin, il est temps que l’on voit si tu as le pied aussi alerte dans un bateau que dans une taverne!

L’enfant tout en poussant la barque regarda sa belle-mère avec surprise.

Comment ça marin ? Mon père était brigand, pas marin !

Linon manqua s’étrangler en entendant l’enfant affirmer tranquillement le métier de son défunt père.

M’enfin ? vas-tu te taire ? ou au moins baisser la voix ? Il n’est pas bon pour toi Marko de crier ça sur les toits…

Elle vérifia d’un rapide coup d’œil aux alentours que personne ne se trouvait suffisamment proche pour les entendre, puis s’assit à demi sur le plat-bord de la barque pour parler à l’enfant, qui décidément ne savait pas grand-chose de ses origines.

Avant d’arriver ici, ton père était marin…. Il appartenait à l’une des familles de marchands les plus importantes de Raguse. Ils avaient des bateaux et concurrençaient Venise. Au cours d’un de ces voyages marchands, son bateau fit naufrage sur les côtes du Royaume, c’est ainsi que ton père est arrivé…

Linon aurait bien raconté toutes les merveilleuses histoires que Gila lui avait confiées sur Raguse la blanche, reine de l’Adriatique.. mais le soleil commençait à poindre, d’autres pêcheurs s’activaient, bientôt, il n’y aurait plus de poisson !

Dépêchons-nous Marko !

Oui, mais… il avait une barque ? sur un lac ?

Euh non… il avait un grand bateau avec beaucoup de voiles sur la mer… Mais bon… le principe est le même, ça flotte…

Pas très fière de son explication, Linon fit un petit sourire gêné à l’enfant et l’invita à grimper dans la barque qui enfin était à l’eau. Elle poussa l’embarcation et le rejoignit, tous les deux s’escrimèrent à mettre en place les rames puis à essayer de ramer. L’exercice provoqua vite des rires et quelques chamailleries, l’un comme l’autre de mauvaise foi s’accusant mutuellement de ruiner les efforts communs et la nécessaire coordination pour avancer.

Tant bien que mal, ils réussirent à s’éloigner suffisamment de la rive pour que Linon envisage de jeter le filet à l’eau… Ce qui nécessita un long démêlage sous les rires moqueurs de l’enfant.

Une fois le filet à l'eau, la jeune femme ne sachant trop quoi faire après reprit le récit des formidables aventures de Gila dans l'Adriatique... Marko, le menton dans les mains l'écoutait avec passion, quand de violents remous secouèrent la barque. Agrippée à la barque, Linon n'en menait pas large, mais son beau-fils se leva vivement pour chercher du regard l'origine des vagues et se mit à trépigner dans l'embarcation au risque de la faire verser.

Linooooooooooon !! Regarde là-bas ! Une grosse bête !!

La jeune femme peu rassurée attrapa le bras que tendait l'enfant pour l'obliger à se rasseoir tout en suivant du regard la direction qu'il indiquait... et écarquilla des yeux incrédules. A quelques pieds, d'énormes anneaux reptiliens roulaient et surgissaient de l'eau avant d'y replonger, créant les ondes qui faisaient balancer l'embarcation.

Bon...! Ça suffit, on rentre !

Mais c'est quoi?

J'en sais rien du tout Marko, et je ne veux pas m'approcher pour le savoir... Assieds-toi donc, tu vas finir par nous faire chavirer!

Linon remonta fébrilement le filet qui contenait deux poissons, attrapa les rames et rejoignit la rive aussi vite qu'elle put sans quitter des yeux l'étrange masse qui finit par disparaître dans les flots.

Après avoir tiré la barque à peu près au sec, elle traîna un Marko fort déçu jusqu'à la taverne et s'empressa de raconter à ses amis l'effrayante rencontre qu'ils avaient faite.

Une belle journée s’annonçait à Sarlat, le soleil resplendissait et réchauffait la terre, rendant la froideur d’un rude hiver beaucoup plus supportable.

Alphus s’arrêta en haut d’une petite colline d’où l’on dominait la ville, il observa cette cité, jadis passée sous commandement Anglois avant d’être reprise par les François quelques années plus tard.
Elle faisait parti de ces cités discrètes, arborant une architecture très simple faite de petites ruelles et de bâtiments sans prétention, mais cela lui donnait un côté intime et chaleureux. Une ville où l’on pouvait se sentir bien, une ville faite pour vivre de grands moments….

Il esquissa un sourire, car il savait qu’une belle journée se présentait, il allait rejoindre ses amis, qu’il n’avait pas vu depuis fort longtemps, et surtout il allait voir celle, pour qui il avait entrepris ce long et périlleux voyage, celle qui avait fait basculer son cœur un soir d’hiver en taverne.

Il reprit ses esprits, flanqua des coups de talons à Arod et redescendit de la colline au galop.
Depuis qu’il était parti de Rieux, ce cheval ne l’avait pas lâché, il avait galopé à vive allure sans jamais tressaillir, pourtant Arod était un cheval délaissé par son propriétaire. Jugeant que la bête ne pouvait plus lui être d’aucunes utilités, son ancien maître l’avait tout simplement mis aux oubliettes dans un coin de sa ferme en le nourrissant juste ce qu’il fallait pour ne pas qu’il meurt.
Sa musculature frêle n’en faisait pas un cheval prédisposé aux travaux de la ferme. Alphus l’avait négocié sans trop de mal et avait plutôt rendu service à son propriétaire en acceptant de le prendre.
Pendant toute cette chevauchée, le cheval avait montré une force de caractère incroyable et un dévouement total à répondre aux exigences que lui imposait Alphus.

En arrivant sur Sarlat, Alphus décida de s’arrêter au bord du lac, pour y faire boire sa monture et la faire reposer, avant de rentrer en ville.
Le lac était calme, très calme, trop calme au goût d’Alphus…. Pas une barque n’était présente sur le lac, pas un pêcheur en bordure, et chose plus étrange encore, pas un oiseau ne survolait ni ne venait se désaltérer dans le lac.

L’homme mit pied à terre, il prit Arod par la bride et l’emmena au bord du lac….. Le cheval se mit à s’agiter, et refusa d’avancer plus vers l’eau. Alphus tira plus fort sur la bride mais il n’y avait rien à faire….
Bizarre ce comportement.

« Ben alors, pourquoi tu refuses de boire ? Ne me dit pas que t’as pris goût au chouchen de la mère Mada et que maintenant tu refuses l’eau claire et fraîche d’un bon lac ?? »

Alphus caressa l’animal et le poussa pour tenter de l’approcher de l’eau, l’animal donna un violent coup de tête, faisant lâcher sa bride à Alphus puis fit volteface donnant un coup de sabots et se mit à galoper en direction de la ville….Alphus se prit le coup de sabots en plein dans la poitrine, et se retrouva le cul par terre.

Il grommela : « Satané Canasson, pffff, plus têtu qu’une bourrique ! »

Alphus s’approcha de l’eau pour y remplir sa gourde….Puis il décida de se laver, après tout il devait être présentable, que penserait la p’tite brune, s’il empestait la crasse et la transpiration.

Il se déshabilla et entra dans l’eau froide, ses muscles tressaillirent, il se saisit d’un savon qu’il avait chapardé à une lavandière à La Rochelle et se frotta…..
Soudain, la surface du lac se mit à bouger, l’onde à la surface de l’eau se propagea jusqu’à lui, cette onde n’était pas l’œuvre d’un poisson, même le plus gros brochet en pleine chasse ne produisait pas une onde aussi grosse, et surtout cette onde avait été produit sans le moindre bruit.
Puis le calme revint, pas un bruit, pas un mouvement rien……..

Devant l’étrangeté de la scène à laquelle il venait d’assister, Alphus sorti de l’eau, il enfila ses vêtements et se mit en marche direction Sarlat.

Il se retourna une dernière fois en regardant le lac calme, aussi calme qu’à son arrivée, puis reprit sa route…..en pestant :

« Faut qu’j’retrouve le canasson maintenant ! Il n’a pas intérêt à me pourrir cette journée, surtout pas celle là…..sinon j’en fais du saucisson de l’équidé moi ! »

Un gros monstre,

C’est tout juste si Linon ose chuchoter l’nom d’son ennemi intime. Son exaltation faitt trembler l’pêcheur qui sommeille au fond d’l’andalou. Penché sur l’plat-bord de sa barque, lisant la géographie louche des hauts fonds, il fait signe à la chandelle de s’tenir prête. Il désigne la chevelure d’herbe où, majestueux et lymphatique, l’monstre maousse, objet d’tous les cauchemars d’la brunette, vient de passer et de repasser. Dans un infime r’tournement, l’bestiau expose son ventre blanc, ses flancs grisatres porteurs d’points roux, puis retourne à sa statique ordinaire qui n’laisse deviner qu’une ombre au dos foncé.

- T’as raison ‘tite chandelle… il est unique !

Le monstre des vasières glisse dans l’eau dormante. Sa pérégrination méfiante le conduit jusqu’à l’appât immergé la veille : une grosse miche de pain de campagne bien rassis, débarrassée de sa croûte et lesté par une caillasse d’belle taille. Lui préférant quelques débris végétaux, l’poiscaille semble dédaigné c’que la main andalouse lui a envoyé pour sa perte, et paraît prendre un temps de repos dans la fosse limoneuse.

L’taureau soulève imperceptiblement les quelques pieds de sa canne "maison", taillée à coup d’lame dans un noisetier des environs, il s’assure que son esche, un robuste lombric périgourdin, n’se trouve pas à plus de quelques pouces du fond.

- J’suis sûr d’mon matos, marmonne-t-il avec une pointe d’irritation. Faut qu’il s’radine !

Sans s’retourner il fait signe à la chandelle de lui passer un pot qui r’pose derrière eux, sur le banc de nage. Lorsqu’il l’a en sa possession, l’andalou y plonge ses doigts réunis en cuillère et jete sur la place une pincée de malt de brasserie mélangé à de l’argile. L’eau s’trouble.

L’instant d’après, comme Linon heurte l’aviron en se penchant pour choper une boutanche dans sa besace, il lui jette un coup d’œil furibard.

- T’peux pas attendre un peu pour picoler ? est-ce que j’tise moi ?

Devant pareille mauvaise foi, la belette s’contente de lui balancer un grand sourire. Tire tranquillement sur le bouchon qui saute du goulot dans un "plop" typique et taquine son acolyte.

- T’l’auras pas avec ça l’monstre, Fab’ ! l’est trop énooooOOOoooOOooooorme !

- Chuuuuut ! tais-toi ‘tite chandelle ! il bulle ! il r’vient ! il tape sur l’amorce !

Linon hausse les épaules et suit lvol zigzagant et paresseux d’une libellule d’un vrai bleu paon. Après un point fixe au d’ssus du miroitement de l’eau dormante, l’archyptère trace sur l’autre rive, là où les racines des arbres s’mêlent à l’entre lacs d’une luxuriance végétale. Puis, elle r’porte sa vigilance sur l’andalou et est frappée par l’impression d’sérieux inhabituel gravé sur son visage. Le bouchon, récupéré la veille sur l’zinc d’une taule locale, dérive lentement d’vant eux.

- Quand j’te dis qu’il va engamer ! souffle l’taureau. Tendu comme une corde de violon, il gratifie sa partenaire d’un coup d’coude dans les flancs.

Finalement, l’andalou se surprend à aimer c’moment. Tout conspire en sa faveur : le calme, l’aveuglement d’or du soleil, la perruque diaphane des grands saules traînant leurs mèches décaties par l’hiver, les oiseaux chantant des mensonges ; et, caressant le r’flet vert et ondulant de l’esquif, cette route d’eau lente.

On peut comprendre, à r’garder l’visage attentif des pêcheurs et leurs regards concentrés que, même si les signes sont infimes, il se trame du pire à fleur d’eau…

Là !… Au fil tranchant de l’onde, sur le feu vif d’une plage de lumière, le fil de l’andalou vient de gîter puis de se mettre complètement à plat, après avoir accusé une légère touche coulante. On pourrait croire que l’hameçon, vestige d’une épingle à ch’veux de Natt, s’est fourvoyé dans la crinère d’une herbe. Mais non ! Après le coup de r’levage, v’la qu’le bouchon s’enfonce. Là-d’ssous, au fond du miroir mystérieux ; l’monstre broie et avale.

L’poignet andalou s’détend et l’extrémité de la branche de noisetier fouette l’air. L’mosntre est ainsi fait qu’il est extrêmement lourd et mal équilibré. Il perd tout ses moyens sitôt qu’il est r’tourné sur le flanc.

L’prince d’la canne à pêche en noisetier s’dresse aussitôt à demi et parvient à destabiliser l’monstre en changeant l’incidence de sa ligne.

- Viens là, mon joli poiscaille ! Viens, mon monstre des profondeur, ma grosse bestiole !

Et, à l’aide du filet que Linon avait tenu à emporter avec elle, cueille l’bestiau à la surface de l’eau…

L’andalou resplendit alors que la poissonnaille expie par sursauts au fond de la barcasse. En vainqueur, il s’tourne vers la chandelle, l’attire sur son cœur et et s’écrie.

- On lui à mis sa race à ton monstre ‘tite chandelle ! c’est l’couronnement de toute une vie halieutique ! R’garde moi ça comment il fait moins son malin maint’nant !


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