Chère Héloïse,
je recopie la lettre que j'ai scellée pour Véro. La mémoire de ce qui s'est passé dans le fief-tâche-d'encre (la bêtise des hérauts...) ne doit pas se perdre. Je t'aime
Ton amant.
La mémoire:
Bonjour Sardine,
Je me rends compte que je n'ai pas été très correct avec toi et que je te dois quelques explications. Les voici.
Si je t'ai choisi, c'est pour ton génie, nous sommes d'accord. Mais si il survit en ce monde et si tu m'as laissé venir en Provence, m'y encourageant même, me donnant l'assurance qui me manquait, c'est que tu prends ton génie pour une maladie. Je te l'annonce, c'est le contraire, alors cesse tout de suite d'être malheureuse, je te l'interdis.
Ce sont les autres qui sont malades, ceux que tu prends pour des normaux. On a oublié de diagnostiquer leur torpeur. Oui, pas besoin de sous-titre, tu vois de quoi je parle, mais j'explique quand même, tu me pardonneras je l'espère:
Citation:
"La plupart d'entre nous l'ont eu la torpeur. Maladie de vagabond, les symptomes sont l'amnésie, perte partielle de la langue natale, oublie du savoir de base du villageois de notre époque, de sa famille, de ses amis, insensibilité aux grands évènements ou à la mort d'un proche...
Les remèdes: un réapprentissage basique mais nécessaire, des promenades au grand air, hors des villes."
Grâce à l'académie et aux chaires de gardien en province, les tribuns (souvent atteints eux même d'ailleurs) vont s'attaquer à ce fléaux.
Mais hélas, et tu en conviendras j'en suis sûr, cette maladie qui serait bénigne si elle était traitée à temps s'incruste en chacun d'entre nous et laisse des séquelles aux plus grands. Et c'est bien là le sens de l'hommage ancien. Une jeune noblesse imprégnée de la tradition orale est née, à Beausoleil, exempte de toute trace de torpeur, régénérée.
Et ce n'est pas trahir la vieille noblesse, non. Pas depuis que les réformés helvétiques ont su tirer le meilleur parti de la constitution républicaine et libérale qui soutient leur économie.
Comme les grecs anciens aimaient à l'échanger, la démocratie serait le moindre mal. Fi! Régénérons la noblesse, ne laissons pas les scribouillards nous dicter comment planter les choux! Montrons leur qu'on peut trouver un compromis juste et sincère entre les villes franches - quoiqu'en dise les juristes qui veulent nous refaire le sénat romain... - et les fiefs, que les serfs peuvent être accompagnés dans leur rude tâche par le travail d'équipe rodées de journaliers venus des villes franches les plus proches.
Les nobles qui resterons campés sur leur positions ne gouverneront plus que leurs murs et un ou deux valet servile, et ils ne l'auront pas volé, la solution étant sous leurs yeux dorénavant.
Venons-en à mes confidences. Si j'ai délaissé ma première fiancée, c'est qu'elle prenait son génie pour un privilège, et si je suis tombé dans les bras d'Héloïse, c'est qu'elle sait que son génie, c'est simplement la vie. Je suis vivant moi aussi, je ne suis pas malade, chavirante.
Tu as ma parole de noble régénéré que mon soutien t'es acquis pour aujourd'hui et à jamais, que mes sentiments affectueux t'accompagnent et que notre amitié toute fraternelle me réchauffe le coeur à chaque pas.
Si ce n'était ce mauvais mariage qu'Héloïse a contracté, j'irais le coeur léger, grâce à toi notamment, me battre pour Marseille et sa figure de proue.
Armanté, suzerain sans terre.