Actarius
Ce rp est un rp fermé et le demeurera sauf pour les joueurs qui sont conviés par mes soins à y intervenir avec leur charmante marionnette. Merci de le respecter.
LeGueux... Legueux... celui qu'elle avait voulu détruire, celui qu'elle avait traduit en cour martiale comme un moins que rien. Comment avait-elle osé en faire un argument rhétorique contre celui qui avait été son filleul ? Plus encore, un fils.
La légende voulait que le dragon ne connût point de répit lorsqu'on dérobait, lorsqu'on s'en prenait à ce qui lui était le plus cher jusqu'à ce qu'il épanchât sa rage dans le sang. Le fol qui avait osé l'impensable se retrouvait alors chassé, traqué sans répit tant qu'il voulait fuir. Dès lors qu'il s'arrêtait, le monstre fondait sur lui et lui réservait le plus cruel des sorts.
Bien des années auparavant, un jeune homme, sans titre, avait poursuivi une certaine Charlaine à travers le Languedoc. Par ses menaces, par sa volonté de s'en prendre à la famille du jeune homme, elle avait déclenché une frénésie meurtrière. Le duel eut lieu non loin de Mende, Charlaine fut vaincue, elle fut torturée, puis mise à mort, puis enterrée sur les rives du Lot dans un sursaut d'humanité.
Ce jeune homme s'appelait Actarius d'Euphor.
Le temps avait passé, il avait recouvert d'une fine couche d'oubli la terrible scène de torture à laquelle seule une personne avait assistée. Tout le monde l'ignorait, mais le désormais Vicomte du Tournel, Baron de Florac, Seigneur de Saint-Dionisy et d'Aubemare, avait bâti une partie de son mérite sur une atroce scène d'inhumanité. Chacun possédait une part d'ombre, un cadavre qu'il ne valait mieux pas faire ressurgir des nimbes d'autrefois. Pour celui qu'on appelait le Phénix, ce cadavre était Charlaine. La haine pure, la soif de vengeance inextinguible, la rage infinie et incontrôlable qu'il symbolisait.
Ce cadavre était réveillé.
De la cavalcade qui le mena du Castel de Montpellier à son campement aux abords d'Uzès, retenons que les traits du Vicomte avaient changé. Sa mâchoire était crispée en un rictus inquiétant, dans son regard aux teintes de terre brûlée, le feu de la colère avait élu un bien sombre domicile. La taille particulière de sa barbe lui offrait des allures de démon, de monstre diabolique. Il n'était plus lui même, il était le cristal brut de l'ire.
Dans cet esprit ravagé, de sombres desseins étaient nés. L'empoisonnement ? Trop fin, trop délicat. Le poignard ? Trop rapide, trop inattendu. Le feu ? Certaines âmes ne méritaient pas d'être purifiées. Oui, de bien funestes projets tiraillaient encore ce cavalier lorsqu'il mit pied à terre aux portes d'Uzès. Il n'y eut pas un homme dans le campement, pas un serviteur pour oser interrompre son pas lourd et sentencieux. Il n'y eut personne pour le rappeler à la raison.
Le Phénix avait épousé les traits du dragon.
Quelques verres d'hypocras n'y suffirent pas. La colère était trop profonde, elle formait une boule pesante et infecte dans son estomac. Il vomit. Il vomit ses tripes, ses entrailles, les épices du breuvage, mais cette masse terrible ne l'abandonna pas. La nuit était tout à fait avancée lorsqu'il s'installa sur un siège. Ses grandes mains dissimulaient son visage.
Et là, il repensa à la scène qui l'avait métamorphosé. Comment la Noùmerchat avait utilisé son deuil, sa douleur d'avoir perdu un homme qui avait tant compté, contre lui, dans un débat. Comment celle qui avait tant cherché à le détruire avait prononcé ce nom comme un vulgaire argument. Comment la bouche de cette femme avait bougé à ce moment-là, comment les inflexions avaient marqué sa voix à chaque syllabe. Il se souvenait de chaque détail. Mais là où il aurait pu avoir des regrets de s'être emporté, il fut dévoré par le remord de ne pas lui avoir fait rendre gorge sur place. Il aurait tout perdu, le Languedoc, lui, aurait été libéré de ce fléau. Il s'en mordait la lèvre au point de la rougir de sang.
L'aube le surprit dans la même posture. La fatigue avait rejoint la colère et cela se voyait sur ce visage moribond. Toutefois, un plan avait surgi de cette âme tiraillée. La colère était devenue froide, elle était pire encore, puisqu'elle était désormais raisonnée, canalisée.
La suite, il la pressentait à tord ou à raison. Les querelles allaient à nouveau miner le Languedoc. La volonté réformatrice de la Comtesse en place serait utilisée contre elle, au moindre faux pas, à la moindre brèche, un piège serait tendu. Elle serait annihilée comme l'avait été Ryllas, le libertaire, le félon, celui qui avait eu le tord d'oser. Il en avait eu d'autres évidemment, mais justifiaient-ils vraiment la manière dont il avait été broyé ? Le piège qu'on lui avait tendu pour le félonniser ? Peut-être, peut-être pas...
Il se souvint de la prise du Castel de Montpellier, de la fin du mandat et de la campagne infecte de dénigrement entreprise à l'encontre du comte sortant. Ecraser pour mieux s'élever. S'il y en avait une, selon le Vicomte, qui avait de cette stratégie une manière de vivre, c'était bien Enduril.
Il se souvint de tant de choses que son raisonnement lui parut d'une clarté, d'une logique évidente. Enduril était morte politiquement. Les Languedociens ne voulaient plus d'elle comme comtesse en grande majorité, les étudiants ne voulaient plus d'elle comme rectrice, même son expérience de maire l'avait rendue insupportable à quelques maires. Il lui restait l'ost... l'ost dont elle avait un fief, une possession après avoir évincé Julios, Legueux. Mimi suivrait, à force d'attaques elle serait dégoûtée comme tant de gens avant elle, le sénéchal Enduril placerait alors ses pions. Il redeviendrait général, sans doute après avoir fait passer un nouveau code lui octroyant encore plus de pouvoir.
Si l'opposition entre la Comtesse en place du Languedoc, la capitaine non désirée et l'état major se poursuivait, le sénéchal en profiterait pour ressurgir comme toujours et rebondir une nouvelle fois dans un habit d'intouchable. Folie ? Réalité ? Le Phénix avait pris son parti. Il jugeait cela plus que plausible, il le jugeait à ce point plausible qu'il en vint à craindre un conflit ouvert, une guerre civile.
Il fallait se tenir prêt à combattre le fléau, se préparer au pire. Réunir des personnes de confiance et capables de se mobiliser pour le bien du Languedoc si le danger se présentait, ce dont il ne doutait pas. Mais plus profondément que ce noble projet, il y avait ...
La vengeance ou ce que certains appelleraient peut-être un jour la rage du Phénix. On s'en était pris à ce qu'il avait de plus cher, sa famille, car Legueux avait été comme un père. On avait dérobé sa peine, sa tristesse et son adoration, on l'avait utilisée comme une chose insignifiante, comme une arme de douleur. On avait fait éclater une rage terrible, une soif de vengeance inextinguible. On avait transformé le Phénix en dragon.
Ce "on" portait un nom: Enduril de Noùmerchat. Ce "Phénix" n'était autre que le Vicomte du Tournel. Et malheureusement, la tempête venait seulement de naître.
"Auristre !"
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