Attila_caligula
Le vieux vicomte de Droux, au crépuscule de sa vie, penché sur une feuille de vélin, la plume suspendue au-dessus, essaie de retracer sa vie. Un léger courant dair fait vaciller la flamme de la bougie. Finalement, la plume se pose et le grattement résonne dans la pièce, autrement silencieuse.
Jai trente-quatre ans. Et jen ai passé une vingtaine sur les champs de bataille. Ce qui fait de moi un vieillard. Une relique. Jai sillonné le royaume, et dautres, offrant mon épée au plus riche, pas à la cause la plus noble. Et quoi ? Il faut bien vivre. Et mon talent, cest la guerre. En vingt ans, jen ai vu des atrocités, et jen ai commises pas mal aussi. Je nen éprouve nulle honte, nul remord. Je dors bien assez mal comme cela quand mes anciennes blessures se rappellent à mon bon souvenir. Jai quitté ma compagnie peu avant dêtre dissoute en Champagne. Avec le peu dargent que je navais pas dépensé en vin ou en femme, jai décidé de minstaller. Mais Troyes me rappelait trop mon trop récent passé. Je navais jamais été en Bretagne. Peut-être était-ce le bon endroit où recommencer ma vie. Mais jy ai retrouvé danciens compagnons. Des freluquets qui navaient pas encore été trop pourris par la vie de routier. Jai rapidement quitté Saint-Brieuc pour Murat. Mais je ne me plaisais pas parmi les Auvergnats. Alors, je suis revenu en Marche, mon pays natal. On ne reconnaissait pas en moi le gamin qui était parti un beau matin et qui navait jamais donné de nouvelle. Bourganeuf était une petite ville sympathique. Jy ai retrouvé Allen, un jeune loup aux dents longues que javais connu en Champagne. Il sest rapidement fait un nom et une place. Jai profité de son ascension pour moi-même récolter quelques privilèges. Pendant quelques temps, jai même été son Connétable. Jaffiche au quotidien des préceptes chevaleresques : loyauté, courage, piété. Mais je ne me leurre pas. Je sais quils nexistent que pour mes pairs, et encore. Le pécore nen est pas digne. De toutes façons, ce nest pas cela qui laiderait à creuser la terre pour en soutirer une maigre pitance et faire vivre une famille trop nombreuse. Mais quand je suis appelé pour défendre le Roy, que se soit contre le Berry ou des chevaliers anglais en Artois, je réponds présent. Cest encore à la guerre que je me sens vivre. Alors, oui, pensez que je ne suis pas un gentilhomme. Je naime pas les gens. Jen ai vu ce quils ont de pire et nai guère envie de voir ce quils ont de meilleur. Relisez Timon dAthènes et foutez-moi la paix.
Le vieux vicomte de Droux repose sa plume et relis ce quil venait décrire. Ce nétait pas tout à fait exact, mais cétait ce quil ressentait à certains moments. Tels que ce soir. Il mouche la flamme et va se coucher, espérant que ses vieilles blessures lui permettraient de pouvoir être en forme pour les joutes du lendemain.
Presquun an sest écoulé depuis la dernière fois où le Vicomte de Droux sétait senti le besoin de coucher par écrit ses pensées.
Une nouvelle année vient de passer. Elle a laissé quelques marques sur mon corps vieillissant. Trop dexcès trop fréquents ont rendu mes traits bouffis, et je ne rentre plus dans ma garde-robe. Je la boudine, comme dirait mon oncle, Almedra. Ce quil peut ménerver. Un an. Quai-je fais de cette année ? Je fus un temps Gouverneur de Bourganeuf, mais ça ma vite fatigué. Courir après des soldats trop crétins pour venir deux-mêmes toucher leur solde, ce nest pas fait pour moi. Ah oui, bien sûr... Le Convent des Frères Eclairés de la Nuit dEbène. Encore une idée de mon neveu, Blaise, que vous appelez constamment Bendalf. Ce fut avant tout une affaire de famille, à laquelle on a rajouté des grandes gueules, Icarasht, que des sots associent à mon engeance, Nebisa ou encore Ursin. Pendant presquun an, nous avons tiré dans les pattes de tous les abrutis et autres boursouflés dorgueil du Comté. Et vous voulez connaître le résultat ? Ils nous acclamaient et nous réclamaient ! Alors que nous les insultions et les traînions dans la boue ! Elle nest pas belle, la bêtise ? Et maintenant que nous avons tout lâché, pas un jour, sans que le retour du Convent ne soit demandé. Ils peuvent rêver. Seul Icarasht pense encore le faire vivre. Il faut avouer que cétait loin dêtre le plus malin de la bande. Quoi dautre ? Pas grand-chose. Je recense à Bourganeuf. Qui fait quoi, qui est là ou parti. Sans intérêt. Je sens que je vais aussi lâcher cette fonction. De même que jai abandonné ma charge de Premier Ecuyer du Roy. Déjà que je ne supporte pas les fats du Comté, ce nest pas pour me taper des lieues à supporter ceux de la Cour. Je vais finir par rester sur mes terres à profiter des dernières années quil me reste. Avec ma femme, Dhea, quil falloir que jaille chercher en Provence. Et lui faire un ou deux petits, histoire que lengeance se perpétue. Mais quelle ne me demande pas de laimer, jen suis incapable.
Martial dYsengrin repose la plume, range son journal avant de se saisir du bougeoir et de son livre de chevet : Timon dAthènes.
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Vicomte de St Pardoux, Baron de La Roche Canilhac
Jai trente-quatre ans. Et jen ai passé une vingtaine sur les champs de bataille. Ce qui fait de moi un vieillard. Une relique. Jai sillonné le royaume, et dautres, offrant mon épée au plus riche, pas à la cause la plus noble. Et quoi ? Il faut bien vivre. Et mon talent, cest la guerre. En vingt ans, jen ai vu des atrocités, et jen ai commises pas mal aussi. Je nen éprouve nulle honte, nul remord. Je dors bien assez mal comme cela quand mes anciennes blessures se rappellent à mon bon souvenir. Jai quitté ma compagnie peu avant dêtre dissoute en Champagne. Avec le peu dargent que je navais pas dépensé en vin ou en femme, jai décidé de minstaller. Mais Troyes me rappelait trop mon trop récent passé. Je navais jamais été en Bretagne. Peut-être était-ce le bon endroit où recommencer ma vie. Mais jy ai retrouvé danciens compagnons. Des freluquets qui navaient pas encore été trop pourris par la vie de routier. Jai rapidement quitté Saint-Brieuc pour Murat. Mais je ne me plaisais pas parmi les Auvergnats. Alors, je suis revenu en Marche, mon pays natal. On ne reconnaissait pas en moi le gamin qui était parti un beau matin et qui navait jamais donné de nouvelle. Bourganeuf était une petite ville sympathique. Jy ai retrouvé Allen, un jeune loup aux dents longues que javais connu en Champagne. Il sest rapidement fait un nom et une place. Jai profité de son ascension pour moi-même récolter quelques privilèges. Pendant quelques temps, jai même été son Connétable. Jaffiche au quotidien des préceptes chevaleresques : loyauté, courage, piété. Mais je ne me leurre pas. Je sais quils nexistent que pour mes pairs, et encore. Le pécore nen est pas digne. De toutes façons, ce nest pas cela qui laiderait à creuser la terre pour en soutirer une maigre pitance et faire vivre une famille trop nombreuse. Mais quand je suis appelé pour défendre le Roy, que se soit contre le Berry ou des chevaliers anglais en Artois, je réponds présent. Cest encore à la guerre que je me sens vivre. Alors, oui, pensez que je ne suis pas un gentilhomme. Je naime pas les gens. Jen ai vu ce quils ont de pire et nai guère envie de voir ce quils ont de meilleur. Relisez Timon dAthènes et foutez-moi la paix.
Le vieux vicomte de Droux repose sa plume et relis ce quil venait décrire. Ce nétait pas tout à fait exact, mais cétait ce quil ressentait à certains moments. Tels que ce soir. Il mouche la flamme et va se coucher, espérant que ses vieilles blessures lui permettraient de pouvoir être en forme pour les joutes du lendemain.
Presquun an sest écoulé depuis la dernière fois où le Vicomte de Droux sétait senti le besoin de coucher par écrit ses pensées.
Une nouvelle année vient de passer. Elle a laissé quelques marques sur mon corps vieillissant. Trop dexcès trop fréquents ont rendu mes traits bouffis, et je ne rentre plus dans ma garde-robe. Je la boudine, comme dirait mon oncle, Almedra. Ce quil peut ménerver. Un an. Quai-je fais de cette année ? Je fus un temps Gouverneur de Bourganeuf, mais ça ma vite fatigué. Courir après des soldats trop crétins pour venir deux-mêmes toucher leur solde, ce nest pas fait pour moi. Ah oui, bien sûr... Le Convent des Frères Eclairés de la Nuit dEbène. Encore une idée de mon neveu, Blaise, que vous appelez constamment Bendalf. Ce fut avant tout une affaire de famille, à laquelle on a rajouté des grandes gueules, Icarasht, que des sots associent à mon engeance, Nebisa ou encore Ursin. Pendant presquun an, nous avons tiré dans les pattes de tous les abrutis et autres boursouflés dorgueil du Comté. Et vous voulez connaître le résultat ? Ils nous acclamaient et nous réclamaient ! Alors que nous les insultions et les traînions dans la boue ! Elle nest pas belle, la bêtise ? Et maintenant que nous avons tout lâché, pas un jour, sans que le retour du Convent ne soit demandé. Ils peuvent rêver. Seul Icarasht pense encore le faire vivre. Il faut avouer que cétait loin dêtre le plus malin de la bande. Quoi dautre ? Pas grand-chose. Je recense à Bourganeuf. Qui fait quoi, qui est là ou parti. Sans intérêt. Je sens que je vais aussi lâcher cette fonction. De même que jai abandonné ma charge de Premier Ecuyer du Roy. Déjà que je ne supporte pas les fats du Comté, ce nest pas pour me taper des lieues à supporter ceux de la Cour. Je vais finir par rester sur mes terres à profiter des dernières années quil me reste. Avec ma femme, Dhea, quil falloir que jaille chercher en Provence. Et lui faire un ou deux petits, histoire que lengeance se perpétue. Mais quelle ne me demande pas de laimer, jen suis incapable.
Martial dYsengrin repose la plume, range son journal avant de se saisir du bougeoir et de son livre de chevet : Timon dAthènes.
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Vicomte de St Pardoux, Baron de La Roche Canilhac