Le parvis s'était rempli de monde à une vitesse record. En tout cas, il devait déjà y avoir au moins deux fois plus de monde que lors des deux premières messes mensuelles célébrées en ce lieu.... ce qui ne manqua pas de faire soupirer le vicaire archidiocésain, décidément déprimé par la propension des fidèles à "choisir" leurs cérémonies. Enfin, il n'était pas de méchante humeur ! Après tout, l'occasion était aussi une grande occasion, et il voulait être parfait. Tandis que l'Archevêque se faisait très discret, son bras droit habituel était à peine plus loquace, répondant poliment aux gens qui le saluaient. Beaucoup de visages lui étaient d'ailleurs inconnus ! Etait-il resté trop longtemps loin de Poligny ?
Nous passerons sur l'exposé de l'échange d'amabilités qui fut un peu plus long avec Fleur et Leonin, car leur énumération serait inutile et fastidieuse. Tout était fin prêt, les fiancés étaient dans l'expectative, de même que la foule en délire, de l'ami le plus proche au grouillot le plus indifférent.
A vrai dire, Peccatore n'avait jamais célébré de mariages, et sa documentation, quoiqu'offrant le nécessaire liturgique, était fort parcellaire sur l'aspect "tradition". Bah ! on improviserait ! Et le "on", en l'occurrence, c'était lui. Dans la sacristie, peu avant le grand départ, faisant tourner ses méninges aussi promptement que son état (et a fortiori le leur) le lui permettait, il déclara à Fleur:
Ma soeur, voici comment nous allons procéder : je vais commencer par mon blabla habituel... enfin, je veux dire, l'accueil, l'homélie, le credo et tout le bazar. Pendant ce temps, vous m'écouterez bien évidemment, mais de la sacristie. L'acoustique est bonne et la porte poreuse. Au moment du credo, vous sortirez alors de la sacristie par la porte de derrière, ferez le tour de la cathédrale, et entrerez par la grande porte, avec votre témoin.
Oncques ne vit pareille bizarrerie cérémoniale, aurais-je envie de dire. Peu importait, c'était encore relativement crédible. Il eût pu décider tout aussi bien soit de ne pas faire d'effet d'entrée, mais ç'aurait manqué de panache, soit de faire poireauter la Baronne de Quingey à l'extérieur pendant une bonne grosse dizaine de minutes, et risquer ainsi d'avoir une mariée en mauvais état, bleuie par les rigueurs de décembre (quoiqu'il fût plus clément, nous l'avons déjà dit).
Ensuite, dès que vous serez arrivée au niveau de votre fiancé, je demanderai à vos témoins de nous faire savoir ce qu'ils pensent de vous.
Ca promettait d'être drôle.
Et puis la fin...
Peccatore bugga, en quelque sorte, même s'il ne connaissait pas le terme.
Vous verrez bien !
Au fait, les alliances, vous les avez ?
Ayant à peine attendu un acquiescement et le don gracieux desdites alliances, il ressortit pour aller faire un topo à Leonin, après les mêmes banalités d'usage.
Vous viendrez dès le début jusque devant l'autel, avec votre témoin pas trop loin. Assis d'abord, puis vous vous lèverez tous les deux lorsque la (future) mariée entrera.
Et caetera et caetera !
Voilà qui était fait !
Voyant que la foule toujours en délire s'agitait, s'impatientait et menaçait de vandaliser l'édifice saint si les religieux ne faisaient pas fissa, le Lescurien pria le gratin de s'installer à leurs places réservées, et la gueusaille de faire de même, si elle le pouvait, où elle le pourrait.
Ajustant son micro... euh..... sa voix cristalline, et tandis que ce cher vieux Nathanaël prenait place à ses côtés, légèrement en retrait, le bouillant clerc prit la parole :
Bienvenue mes frères, en ce beau dimanche de fiançailles... enfin, de mariage... et de fin d'année !
Nous sommes aujourd'hui réunis pour célébrer l'union devant Dieu d'un homme et d'une femme.
Truisme.
Mon petit doigt me dit que vous mourez d'envie d'entendre ce que Christos a dit, dans sa grande sagesse, sur le mariage.
L'adolescent avait définitivement pété son câble... ou cisaillé sa corde, si on veut faire plus médiéval, et encore...
Faisant fi de la protestation unanime mais silencieuse, il lut donc le sacré Livre des Vertus.
Vita de Christos. Chapitre treizième.
Citation:Natchiachia versa le vin de sa cruche dans la corne de Christos, et lui demanda :
" Maître, je suis en proie à un profond tourment de lâme. Je voudrais te suivre dans tes enseignements, mais jaime un homme qui habite ici et qui se nomme Yhonny, je laime dun amour pur comme le diamant
Que dit Aristote sur cette question que dois-je faire ? "
Christos lui répondit: " Lorsque deux êtres saiment dun amour pur et quils souhaitent perpétuer notre espèce par la procréation, Dieu leur permet, par le sacrement du mariage, de vivre leur amour. Cet amour si pur, vécu dans la vertu, glorifie Dieu, parce quIl est amour et que lamour que les humains partagent est le plus bel hommage qui puisse lui être fait. Mais, comme le baptême, le mariage est un engagement à vie, aussi, Natchiatchia, choisis judicieusement, car une foi que tu auras épousé Yhonny, vous ne pourrez plus vous y soustraire. "
Comme cette dernière parole frappa détonnement lassemblée, car lépoque était à linconstance
Natchiatchia reprit :
" Mais, Maître, serons-nous assez forts pour respecter ce choix et vivre sans pécher ? "
Alors, Christos répondit :
" Sachez que lhumain doute par nature, que lamour quil éprouve pour Dieu et pour son prochain peut connaître autant daléas que la vie comporte dépisodes. Mais la vie vertueuse est un idéal vers lequel lhomme doit tendre. Et, dans son chemin, il peut saider de la prière. La prière peut en effet être le moyen pour tous de renforcer cet amour lorsque cela est nécessaire. Noubliez pas non plus la puissance de la miséricorde, qui est accordée grâce à la repentance. "
Bon, voilà tout est dit dans cet extrait magnifique. Je ne vois rien d'intéressant à rajouter à ce que plus sage et plus saint que moi a limpidement expliqué.
Il songea qu'il n'avait rien donné à faire à son Archevêque. Gasp ! Il verrait plus tard, au moment fatidique par exemple, lorsqu'il aurait besoin de sa grande expérience. Pour le moment, il avait une forme de tous les Princes-démons ! Bizarre pour un chétif adolescent tuberculeux... sans doute un dernier baroud d'honneur avant le Jugement divin !
Credo !
Rendons grâce à Dieu, mes frères !
Puis il se tut ! Enfin ! Et leva ses bras solennels pour demander aux pécores qu'il avait recrutés avec son maigre budget (enfin, celui du diocèse...) d'ouvrir les grandes portes ! Puis il fit signe au Franc-Comte et à son témoin de se lever, et déclara pendant que l'on voyait poindre au loin la future mariée arriver :
Nous allons à présent écouter les témoins dresser le portrait des futurs mariés._________________
Frère Peccatore, vicaire diocésain de Besançon, vicaire de Poligny, nonce apostolique en FC et ami lescurien