Vannes... Il finissait par avoir la nausée. Il rageait, écumait, n'avait plus goût à rien qu'à la mort qui l'obsédait. Il n'arrivait même pas à parler avec Cerdanne. Lui en voulait-il? La haïssait-il? Non... il était fou d'elle mais cette douleur là, parce qu'il sentait qu'il n'avait plus sa place, le rendait tout aussi fou, mais d'une folie bien plus insidieuse, bien plus sournoise.
Oui, il la haïssait autant qu'il l'aimait mais la haine qu'il pouvait voir dans son regard quand elle le regardait lui donnait la nausée. Alors que faire... Il n'avait plus qu'une chose dans sa vie, la seule qui lui donne envie de vivre, de continuer. La seule qui puisse l'apaiser et, peut-être le faire renaître.
Mais pour pouvoir renaître, il fallait se dépouiller de la peau du vieil homme, mourir un peu. Il avait essayé pourtant, mais il s'y prenait mal, bien mal, Cerdanne et lui étaient sur deux barques en péril et dans la brume, elle ne le voyait même plus. Leur amour était mort, il était souffreteux mais il avait fini par mourir avec l'enfant qui aurait pu être leur rédemption.
A force de tourner dans sa chambre comme une cage, d'être insupporté par la haine et le mutisme de Cerdanne, par l'attention amoureuse d'Amy, il avait fini par prendre un premier parchemin. On règle souvent mieux ses comptes par missive.
Vannes, 17 décembre 1458.
A Cerdanne...
Petit chardon,
Cette missive est très douloureuse à t'écrire. Tout d'abord, sache que même si nous passons notre temps à nous déchirer, je ne t'en veux pas, de rien. Ce qui est arrivé devait sans doute arriver, alors voilà, nous avons perdu notre enfant mais je te sais forte, j'espère qu'un jour tu réussiras à t'ouvrir et à en parler sans doute avec un autre que moi...
J'ai compris que tu avais ta vie et que je n'en faisais plus partie, la mort de notre enfant était la seule chose qui pouvait peut-être nous réunir à nouveau, mais là, je sens bien que ma présence ne t'es pas utile.
Amy reste à Vannes, vous pourrez vous retrouver, sans moi. Je ne te tourmenterai plus petit chardon, tu sais combien je t'ai aimé mais sans doute ne sais-tu pas combien aujourd'hui encore je te désire et combien ça peut être douloureux. Alors pour protéger la seule chose qu'il me reste, la seule personne qui veut de moi, je dois m'éloigner de toi. Parce que même si tu ne veux plus de moi, même si tu me repousses, je te voudrai encore.
Sois heureuse ma belle Cerdanne, j'espère que ton marin te rendra plus heureuse que je n'ai su le faire et pardonne-moi de n'avoir pas su, de n'avoir pas été là quand il le fallait et d'avoir failli à mon devoir, à te protéger, à vous protéger.
Quoiqu'il en soit, si un jour tu as besoin de moi, même si je doute que tu aies besoin de qui que ce soit, je serai là, il te suffit de m'envoyer un pigeon et de me dire que tu veux me voir.
Adieu donc, ma femme, mon amour, adieu. Je garde le souvenir de la Cerdanne radieuse que j'ai rencontrée, du petit chardon qui a enchanté ma vie, de celle qui aurait du être la mère de mon enfant.
Prends soin de toi et que les vents veillent.
B.
Il reposa sa plume, la nausée au bord des lèvres. C'est ce qu'il avait à faire de mieux. Amarante s'occuperait bien de Cerdanne, elle était la plus fidèle des femmes en amour mais aussi en amitié et sa capacité d'aimer impressionnait le vieux baroudeur qu'il était. Oui, Amy était l'espoir, elle était la vie.
Une autre missive, plus courte celle-là. Celle qui l'emmenait vers la mort, cette mort dont il avait besoin pour revivre. La main fébrile, presque rageuse, il traçait les mots.
Vannes, le 17 décembre 1458.
A Harpège.
Ma Dame,
Je ne m'éparpillerai pas en tergiversation. Je suis à Vannes, près de votre fille. Il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre que je n'ai plus de place dans sa vie. Elle se remet doucement et Amarante reste auprès d'elle, je suis sûre qu'elle peut lui apporter un peu de paix et de sérénité, au moins de façon temporaire.
N'ayant plus rien à faire à Vannes, je prends la route pour le sud. J'espère que vous me comprendrez, mais avant de mettre un point final à toute cette histoire, avant de pouvoir dire adieu à votre fille la tête haute, il me reste une chose à faire et vous êtes la seule à pouvoir m'aider.
Je veux leur peau. Dussé-je y laisser la mienne. Ce n'est qu'à ce prix que je pourrai espérer vivre à nouveau, même sans Cerdanne. Je fais donc route vers le sud, j'espère vous y retrouver afin que vous puissiez me donner les informations dont j'ai besoin pour pouvoir faire justice.
J'espère que vous pourrez répondre favorablement à ma requête. Après cela, je disparaîtrai de vos vies. Dans l'attente de votre réponse, je vous prie de croire à mes salutations.
Baudouin de Brélidy.
Voilà, il avait fait ce qu'il avait à faire, il ne lui restait plus qu'à dire au revoir à Amy, la rassurer, lui promettre qu'il reviendrai, qu'il lui écrirai, sans trop lui dire. Il ne voulait pas qu'elle s'inquiète outre mesure. Et puis... il reprendrait la route, comme autrefois, vers la vengeance, vers la justice, vers la mort s'il le fallait. Amy serait sa rédemption, plus tard, si le Très-Haut lui laissait la vie._________________