[En vue du port d'Uzès]
Sara jubilait ! Elle avait réussi à amener son navire à bon port ! Et quel port ! Le port d'Uzès ! Contre tout attente, la blonde avait tenu contre l'impossible : remonter à contre-courant un fleuve avec un navire non conçu pour cela.
Son idée première a été d'arraisonner tout foncet que le Sainte Boulasse croiserait afin de transborder hommes, animaux et marchandises dans les petites embarcations et de les obliger à tirer son navire jusqu'à Uzès.
Un plan brillantissime qui ne s'est pas réalisé à cause de la rapacité des propriétaires des-dits foncets ! Sara n'en revenait toujours pas. C'était honteux d'avoir exigé une telle somme pour remorquer le Sainte Boulasse ! Profiter d'une pauvre femme en détresse comme elle l'était, est tout simplement inqualifiable. Ils devaient être honorés de pouvoir venir au secours d'une noble dame. Mais non ! Comme le disait souvent sa vieille Berthe : "tout se pe'd, ma bonn'dam' !"
Oh oui ! Sara pouvait jubiler doublement en prouvant à ces vils gredins qu'elle pouvait se passer de leur service.
A vrai dire, elle devait reconnaître en son for intérieur que c'était un peu par un hasard, heureux dans la circonstance. Dans un moment de colère, elle avait lancé à l'un de ces marins d'eau douce qu'elle pouvait le remplacer à tout moment par une mule, tellement il était borné comme un âne. Pour prouver ses dires, elle avait donné l'ordre à ses hommes de rassembler le plus de chevaux possible afin de tirer le Sainte Boulasse.
C'était peut-être une idée loufoque, voire même absurde, lancée sur un accès de colère. Mais le résultat fut là : des dizaines de chevaux tirant son navire à partir des berges, ses hommes se relayant sans cesse, les uns menant les équidés, les autres manoeuvrant pour profiter du moindre souffle de vent, sans compter ceux qui étaient sur la petite barque qui précédait le Sainte Boulasse, et qui devait sonder la profondeur du Rhône afin d'éviter les bancs de sable.
Oui, utiliser les chevaux trouvés à l'embouchure du Rhône pour tirer son navire jusqu'à Uzès en lieu et place des rames, il fallait y penser et oser le faire ! Elle avait tenu bon, la blonde. Elle avait prouvé qu'elle était plus entêtée qu'eux !
Euh ... cap'taine ? Il faudrait peut-être que l'on demande l'autorisation d'accostage, non ? lui demanda le second.
Sara le regarda du coin de l'oeil. Il savait qu'il venait d'interrompre un moment de pure jouissance ? Quel rabat-joie ! Cependant il n'avait pas tord. Ils n'avaient pas accompli cette prouesse pour rester là. Sara prit une plume pour faire la demande.
De nous, Saradhinatra D.M.B.P, Donà de L'Escura et Capitaine du Sainte Boulasse,
A vous, chef du port d'Uzès,
Par la présente, nous, en tant que capitaine du Sainte Boulasse, demandons l'autorisation pour notre navire de pouvoir mouiller dans le port d'Uzès.
Nous ne pouvons pas donner le motif de notre présence icelieu mais nous pouvons affirmer que nous avons été requise à Uzès en haut lieu.
En dehors de nous même, capitaine du Sainte Boulasse, et de notre équipage, nous comptons un seul passager à bord : le chevalier Celticdom.
Nous restons à votre disposition pour plus amples informations.
Que la Sainte Boulasse vous garde en sa divine grasce.
Faict à bord du Sainte Boulasse, le 18ème jour du mois de décembre de l'an 1458.
Saradhinatra Dict du Mas Blanc de Palafrugell,
Donà de Lescure,
Capitaine du Saint Boulasse
Voilà la demande. Faites le porter à la capitainerie. ordonna-t-elle en tendant le pli à son second.
Une fois ce dernier sorti de sa cabine, Sara laissa éclater sa joie en dansant une gigue endiablée. Elle avait réussi ! Ouiii, elle l'avait fait !
Cependant elle devait reconnaître qu'elle ne s'en serait pas sortie sans l'aide de son équipage et de Celt. Promis, une fois à terre, elle leur paierait à boire jusqu'à ce qu'ils roulent sous les tables.
Mais qu'est-ce que c'est bon ! Surmonter les obstacles, vaincre l'impossible, rendre concret l'inimaginable ! Sara esquissa un sourire. C'est depuis qu'elle avait le Sainte Boulasse qu'elle repoussait à chaque instant les limites du possible. Parfois elle se demandait ce qu'elle serait devenue sans son navire. Ce dernier était devenu sa liberté, une extension d'elle même. Non, elle ne pouvait envisager son avenir sans le Sainte Boulasse.
Assez ! Ce n'est pas le moment de sombrer dans la nostalgie. De plus elle est restée assez longtemps dans sa cabine. Elle devait superviser les manoeuvres. Elle enfila sa tunique avant de sortir.
Sur le pont, elle aperçut Celt aboyant des indications. Elle sourit. Pas de doute, il avait une voix qui portait loin. Elle se dirigea vers lui.
Alors, Celt, tout est en ordre ? Ne lui laissant pas le temps de répondre, elle poursuivit : Tu sais quoi ? Je ne sais pas si j'aurais réussi sans ton aide. Sourire espiègle. Reconnais que je n'ai pas ta carrure de militaire qui en impose. Un hennissement se fit soudain entendre, Sara regarda le troupeau de chevaux sur la berge.
Je me demande ce que l'on va faire de ces chevaux. On ne peut pas les rendre à leur liberté, ils vont saccager les cultures. _________________