Glover
Il court à contresens, écartant la soldatesque qui s'engouffre à travers les brèches du rempart.
Annecy est prise mais il n'en a cure. Le frère de la 3ème compagnie lui a vaguement montré le lieu, d'une main approximative.
Par la bas...
C'est de ce coté en effet qu'a été engagée la troupe. Des débris jonchent le sol.
Fagots de bois destinés à combler les fossés, barrils éventrés, lances à la hampe brisée, chevaux blessés henissants, casques arrachés par la violence des coups. Des corps aussi.
Il va de l'un à l'autre. Un cadavre. Un blessé quémandant de l'eau. Il donne sa gourde mais ne s'attarde pas.
Ses yeux cherchent fiévreusement parmi l'ammoncellement une silhouette familière.
Haletant il s'arrete soudaine. A une vingtaine de pas une forme étendue. Ses longs cheveux roux semblent les pétales d'une fleur tombée.
Il court et s'agenouille.
Pourvu que ce ne soit pas elle murmure t il.
Mais il sait qu'il a trouvé. Il retourne le corps et, malgré la boue sur son visage, la reconnait immédiatement.
Shirine?...Shirine?... Ouvre tes yeux...je t'ai trouvée... Dis moi que tu n'es qu'évanouie...
Son regard va alors du visage de Shirine, étrangement serein, à sa main à lui. Celle qui la tenait. Elle est maculée de sang
Glover
Un instant qui ressemble à l'éternité, ou il ne se passe rien.
Puis un râle qui devient gémissement, et enfin ses lèvres qui laissent sortir des paroles.
Glover respire enfin. Il a l'impression d'être resté en apnée pendant des heures.
Il caresse doucement la joue de Shirine, comme on le fait pour un enfant malade.
N'ais crainte, je suis la... Son regard se porte vers l'épaule et une grimace déforme ses traits. Elle est salement entaillée et saigne abondament.
Shirine, tu m'entends?... C'est ton épaule... Un joli coup... Ce ne sera rien, un bon médicastre te remettra d'aplomb rapidement...Tu sais combien les notres sont réputés
Il dit, mais ses craintes sont revenues. Il a suffisament combattu pour savoir que les fièvres consécutives aux blessures tuent encore plus que les combats eux même.
Ne bouge pas, je vais faire un bandage
Avisant un corps à proximité, il déchire la chemise du malheureux. A la guerre comme à la guerre.
Tout en fixant les paupières closes de Shirine, Glover commence à dégager la blessure pour stopper l'hémorragie
Glover
Bon sang de bonsoir! Elle ne tiendra donc jamais en place? Voila qu'elle essaie de se relever.
Le coeur de Glover, qu'il pensait arreté, se remet à battre la chamade. C'est un coup à ouvrir plus qu'il n'en faut la plaie et à la vider de son sang.
Heureusement, Shirine renonce et laisse aller son corps à même la terre.
Avec un morceau d'étoffe restant, il lui essuie le visage. Celui ci est trés pale. Une blancheur que souligne la couleur de ses cheveux.
Oui, je vais te ramener
Il dit et cherche vainement autour de lui comment la transporter. Il utilisera donc ses bras.
Délicatement, il se penche et passe ses bras sous elle.
Un instant, les visages sont si proches qu'il a toutes les peines du monde à contenir un baiser.
Puis Glover reprend ses esprits : il sait que le temps s'écoule. Soulevant avec précaution son précieux fardeau, comme on porte un enfant qui dort, il emporte Shirine en direction du camp
Glover
La fièvre est déjà la. Mauvais signe.
Glover observe Shirine s'agiter et se débattre.
Préoccupé, il avise le seau d'eau à proximité. Glover y trempe un linge, il sait le bien être qu'apporte la fraicheur lorsque l'on est frappé de fiévre.
L'agitation de la malade s'accroit encore. Puis des paroles énigmatiques
C'est moi...c'est Zoé...
Les yeux s'ouvrent, perdus. Glover se penche sur elle. Soucieux, il lui humidifie le front. Un instant de silence puis.
Shirine... Qui est Zoé?
Glover
Un moment, Glover reste interdit. Visiblement, la rousse esquive le sujet.
Doit il insister et la faire parler d'un sujet visiblement douloureux?
La parole a parfois des effets curatifs. Elle sait refermer les plaies profondes et anciennes.
Mais les longues marches silencieuses à coté de Shirine lui ont aussi appris la vertu du silence. Quand Shirine sera prête, si un jour elle l'est, il pourra être celui qui l'écoute.
Le front soucieux, il l'aide à se relever. Il sourit alors, d'un rictus faux, qu'il veut rassurant
T'aider à enlever ton chemisier? Mais je ne demande pas mieux
Mais sans doute le ton manque t il de conviction. Il défait délicatement le vêtement sale et déchiré, découvrant le buste de sa compagne de route.
Il n'y a pas de pudeur entre eux. Seulement une tendre complicité construite par leur vagabondages côte à côte
C'est une vilaine blessure ma belle. Il va falloir être sage et observer un repos strict.
Il dit, mais il connait la tête de mule qui lui fait face.
A nouveau la pensée taraudante : qui peut bien être Zoé....?
Glover
Affairé et concentré il ne voit pas le regard de Shirine.
De l'alcool? Oui, un vieux truc de soldat. Mais attention, ça brule.
Glover étend la main vers le sac qu'elle a désigné et fouille à l'interieur. Il avise une fiole, s'en saisit et la montre
Voilà!
Puis il s'approche après avoir pris un nouveau linge
Prépare toi, jolie rousse dit il avec un sourire qui se veut rassurant. Lorsque les regards se croisent, Glover a du mal à s'arracher à l'attirance qu'il ressent.
C'est inexplicable pour lui. Il a jusqu'ici beaucoup voyagé, connu de multiples compagnons de route, mais ne s'est jamais lié.
Pourtant, cette jeune femme mystérieuse a su faire tomber ses préventions. D'abord de longues marches silencieuses. Puis ils ont fait connaissance, peu à peu, et il l'a découverte espiègle et volontiers moqueuse.
Et enfin, la tendresse et un sentiment nouveau pour lui. Il le sait, cette fille le marquera à jamais, quelle que soit l'issue de leur aventure.
Il détourne le regard à regret, les mains légèrement tremblantes. Il verse l'alcool sur le linge et sans oser lever la tête lui dit, dans un souffle :
Drôle d'histoire que la notre, n'est ce pas ?
Glover se mord aussitôt les lèvres. Pour la première fois il a osé évoquer leur relation
Glover
La chaleur de sa main est douce et irradie du plaisir sous son épiderme. Glover prolonge l'instant en se gardant bien de bouger, pour ne pas interrompre ce moment qu'il apprecie.
Le Très Haut t'a mis sur mon chemin, et il semble ne pas vouloir que tu me quittes
Un instant les yeux de Glover se perdent dans le vague. Il cherche en lui même a dépasser sa reserve coutumière. A pouvoir exprimer ce qu'il ressent.
Son autre main alors se dirige vers la joue de Shirine en écartant sa chevelure qui lui tombe sur le visage. Il la fixe intensément
Oui Shirine. Le Trés Haut ne laisse rien au hasard. Autant de coincidences, qui nous ont rapproché, ne peuvent se produire sans sa volonté.
Il ne veut pas que je te quitte, en effet....Un temps...Et moi non plus je ne le veux pas.
Je serais là aussi longtemps que tu le désireras