Terwagne_mericourt
Quand on coule, il y a deux possibilités : s'allonger pour ralentir la chute, ou tenter de toucher le fond pour rebondir.
S'allonger, rester immobile, les yeux fermés, le coeur et les sens clos, elle l'avait fait durant pas mal de temps à présent, ne partageant ses heures de conscience qu'avec la nuit et le vent, fuyant la moindre compagnie, y compris celle de celui qui pourtant jamais ne l'avait abandonnée, pas même au plus noir de l'orage, ou plutôt des orages. S'isoler, dormir le jour et vivre la nuit, en se disant que le noir et le silence ont quelque chose de stable, de rassurant, tout comme la solitude... Voila à quoi s'était résumée son existence depuis la fin de son mandat de Gouverneur, le travail et le devoir l'ayant tenue debout pendant celui-ci. Et pour être certaine que personne ne vienne troubler sa chute, elle avait même quitté la demeure de Kernos et prit la route afin d'aller s'isoler dans une taverne du fin fond du Lyonnais-Dauphiné, espérant que personne ne viendrait l'y chercher.
Personne ne vint, en effet... Juste quelques missives de la Cour d'Appel, ainsi que deux ou trois invitations auxquelles elle se rendit en se faisant violence, juste avant de décider de ne plus ouvrir son courrier.
S'allonger pour ralentir la chute? Non, ça n'était pas exactement pour la ralentir, dans son cas, juste pour se donner l'impression de ne pas l'accélérer. Ne pas faire un geste, ne plus dire un mot, ne pas même essayer de sortir la tête de l'eau ou entrouvrir les lèvres quelques secondes, parce qu'au final l'air nous est devenu bien trop écoeurant.
Pour ne pas voir le temps s'éterniser, elle s'était mise en tête de répertorier les quelques affaires personnelles que sans doute on enverrait à sa famille après son décès, un peu comme un noyé se repassant en mémoire les moments-clés de sa vie au fil de sa descente. Sa famille? Mais quelle famille? Elle n'avait plus de nouvelles d'aucun depuis des années, si ce n'était de sa soeur Milyena, et il lui semblait qu'elle aurait encore préféré voir tout s'envoler en poussière avec elle que de finir entre les mains de cette dernière.
C'est lors d'une de ces séances nocturnes de passage en revue de ses effets personnels qu'elle tomba en arrêt devant un très vieux croquis de son blason, croquis fort peu ressemblant il faut bien l'admettre, mais sur lequel figuraient son cry et sa devise. Le "Y a bien pire que mourir" lui donna envie de rire nerveusement, sur le coup, tandis que le "Tout sauf subir" la fit se lever brusquement, comme un miraculé quittant sa couche.
"Tout sauf subir...". Mais elle était pourtant bel et bien en train de subir une chute au lieu de... Elle pourrait au moins ne plus subir, mais bien la provoquer!
A partir de cette nuit-là, elle changea radicalement d'attitude. Finies les journées passées à dormir, finies les nuits passées à attendre... Uniquement des heures passées à ouvrir encore et encore les lèvres, non pas pour s'exprimer, mais bien pour ingurgiter des litres et des litres de calva, se diluer le sang dans l'alcool, accélérer la chute.
L'alcool a des vertus curatives, parait-il, et il faut croire qu'il en eut sur elle au moment où son corps touchait réellement le fond...
L'aube se levait et commençait à promener ses rayons sur le plancher où elle avait passé la nuit à boire, incapable d'encore se lever pour rejoindre sa couche, lorsque le sommeil se décida à l'emporter vers des songes éthyliques, comme chaque matin ou presque. Mais ce jour-là, point de monstres ni de feu dans ses rêves... Juste un homme! Un homme dont longtemps elle se demanderait ce qu'il était venu faire dans son sommeil imbibé, lui qu'elle aurait voulu voir une fois encore en salle d'audience à Paris, mais surtout pas au coeur de ses songes. Cet homme, dont elle avait toujours admiré la manière de manier le verbe, même si il s'en servait à des fins avec lesquelles elle n'était pas en accord, s'invitait donc dans son rêve, et pire encore s'y moquait d'elle, ironisant sur le fait que pas plus que lui elle ne donnerait une dernière représentation avant de saluer et de quitter la scène, qu'elle ne mènerait pas à terme ses projets avant de s'en aller...
Elle ouvrit les yeux en sursaut, mais aussi les lèvres, lui répondant à voix haute, comme si elle était persuadée d'être passée dans le monde que lui avait rejoint plusieurs jours auparavant.
Si j'avais eu des projet à achever, je ne serai pas là!
Je n'ai plus de projet, le voila bien le soucis!
Plus rien comme projet... Rien! Aucun!
Pas de réponse, fort logiquement. Juste le sommeil et l'ivresse qui l'emportent à nouveau, et l'homme en question qui réapparait au milieu de ceux-ci, pour ne prononcer que quelques phrases, lui dire que tout cela n'est que baliverne, qu'un projet ça se trouve, ça se crée, et qu'elle qui le considérait lui comme un défi à la Cour d'Appel, elle ferait bien de s'en donner d'autres des défis, ici-même.
Se créer des défis? Se trouver des projets? Elle se leva et courut vomir, l'estomac tordu par le calva. Et c'est à cet instant, là, dans cette chambre d'auberge, alors qu'elle était agenouillée devant une bassine, que le rebond eut lieu... Au milieu des relents d'alcool, au milieu aussi des souvenirs d'échos d'une voix que plus jamais elle n'entendrait à Paris, elle toucha le fond et rebondit.
Quelques instants plus tard, elle écrivait à Kernos, très brièvement, très étrangement. Peut-être qu'il comprendrait, peut-être pas...
S'allonger, rester immobile, les yeux fermés, le coeur et les sens clos, elle l'avait fait durant pas mal de temps à présent, ne partageant ses heures de conscience qu'avec la nuit et le vent, fuyant la moindre compagnie, y compris celle de celui qui pourtant jamais ne l'avait abandonnée, pas même au plus noir de l'orage, ou plutôt des orages. S'isoler, dormir le jour et vivre la nuit, en se disant que le noir et le silence ont quelque chose de stable, de rassurant, tout comme la solitude... Voila à quoi s'était résumée son existence depuis la fin de son mandat de Gouverneur, le travail et le devoir l'ayant tenue debout pendant celui-ci. Et pour être certaine que personne ne vienne troubler sa chute, elle avait même quitté la demeure de Kernos et prit la route afin d'aller s'isoler dans une taverne du fin fond du Lyonnais-Dauphiné, espérant que personne ne viendrait l'y chercher.
Personne ne vint, en effet... Juste quelques missives de la Cour d'Appel, ainsi que deux ou trois invitations auxquelles elle se rendit en se faisant violence, juste avant de décider de ne plus ouvrir son courrier.
S'allonger pour ralentir la chute? Non, ça n'était pas exactement pour la ralentir, dans son cas, juste pour se donner l'impression de ne pas l'accélérer. Ne pas faire un geste, ne plus dire un mot, ne pas même essayer de sortir la tête de l'eau ou entrouvrir les lèvres quelques secondes, parce qu'au final l'air nous est devenu bien trop écoeurant.
Pour ne pas voir le temps s'éterniser, elle s'était mise en tête de répertorier les quelques affaires personnelles que sans doute on enverrait à sa famille après son décès, un peu comme un noyé se repassant en mémoire les moments-clés de sa vie au fil de sa descente. Sa famille? Mais quelle famille? Elle n'avait plus de nouvelles d'aucun depuis des années, si ce n'était de sa soeur Milyena, et il lui semblait qu'elle aurait encore préféré voir tout s'envoler en poussière avec elle que de finir entre les mains de cette dernière.
C'est lors d'une de ces séances nocturnes de passage en revue de ses effets personnels qu'elle tomba en arrêt devant un très vieux croquis de son blason, croquis fort peu ressemblant il faut bien l'admettre, mais sur lequel figuraient son cry et sa devise. Le "Y a bien pire que mourir" lui donna envie de rire nerveusement, sur le coup, tandis que le "Tout sauf subir" la fit se lever brusquement, comme un miraculé quittant sa couche.
"Tout sauf subir...". Mais elle était pourtant bel et bien en train de subir une chute au lieu de... Elle pourrait au moins ne plus subir, mais bien la provoquer!
A partir de cette nuit-là, elle changea radicalement d'attitude. Finies les journées passées à dormir, finies les nuits passées à attendre... Uniquement des heures passées à ouvrir encore et encore les lèvres, non pas pour s'exprimer, mais bien pour ingurgiter des litres et des litres de calva, se diluer le sang dans l'alcool, accélérer la chute.
L'alcool a des vertus curatives, parait-il, et il faut croire qu'il en eut sur elle au moment où son corps touchait réellement le fond...
L'aube se levait et commençait à promener ses rayons sur le plancher où elle avait passé la nuit à boire, incapable d'encore se lever pour rejoindre sa couche, lorsque le sommeil se décida à l'emporter vers des songes éthyliques, comme chaque matin ou presque. Mais ce jour-là, point de monstres ni de feu dans ses rêves... Juste un homme! Un homme dont longtemps elle se demanderait ce qu'il était venu faire dans son sommeil imbibé, lui qu'elle aurait voulu voir une fois encore en salle d'audience à Paris, mais surtout pas au coeur de ses songes. Cet homme, dont elle avait toujours admiré la manière de manier le verbe, même si il s'en servait à des fins avec lesquelles elle n'était pas en accord, s'invitait donc dans son rêve, et pire encore s'y moquait d'elle, ironisant sur le fait que pas plus que lui elle ne donnerait une dernière représentation avant de saluer et de quitter la scène, qu'elle ne mènerait pas à terme ses projets avant de s'en aller...
Elle ouvrit les yeux en sursaut, mais aussi les lèvres, lui répondant à voix haute, comme si elle était persuadée d'être passée dans le monde que lui avait rejoint plusieurs jours auparavant.
Si j'avais eu des projet à achever, je ne serai pas là!
Je n'ai plus de projet, le voila bien le soucis!
Plus rien comme projet... Rien! Aucun!
Pas de réponse, fort logiquement. Juste le sommeil et l'ivresse qui l'emportent à nouveau, et l'homme en question qui réapparait au milieu de ceux-ci, pour ne prononcer que quelques phrases, lui dire que tout cela n'est que baliverne, qu'un projet ça se trouve, ça se crée, et qu'elle qui le considérait lui comme un défi à la Cour d'Appel, elle ferait bien de s'en donner d'autres des défis, ici-même.
Se créer des défis? Se trouver des projets? Elle se leva et courut vomir, l'estomac tordu par le calva. Et c'est à cet instant, là, dans cette chambre d'auberge, alors qu'elle était agenouillée devant une bassine, que le rebond eut lieu... Au milieu des relents d'alcool, au milieu aussi des souvenirs d'échos d'une voix que plus jamais elle n'entendrait à Paris, elle toucha le fond et rebondit.
Quelques instants plus tard, elle écrivait à Kernos, très brièvement, très étrangement. Peut-être qu'il comprendrait, peut-être pas...
Citation:
Mon Toi...
Je remonte!
J'ignore pour combien de temps, j'ignore si j'irai jusqu'au bout, mais j'avais besoin d'un projet et d'un défi pour m'en donner l'envie.
Ce projet, je viens de le trouver ce matin, il ne me reste plus qu'à me rendre au Palais Sainct Pierre pour le présenter aux autres membres du Comité des fêtes ducales, l'améliorer avec eux, et surtout le mettre en place.
J'imagine que jamais tu ne me pardonneras mon silence, ma distance, mon absence, mais au moment de rebondir, c'est à toi que j'avais envie d'écrire.
Terry.
PS : Je n'ai jamais cessé de t'aimer, même au coeur de ma noyade.
Je remonte!
J'ignore pour combien de temps, j'ignore si j'irai jusqu'au bout, mais j'avais besoin d'un projet et d'un défi pour m'en donner l'envie.
Ce projet, je viens de le trouver ce matin, il ne me reste plus qu'à me rendre au Palais Sainct Pierre pour le présenter aux autres membres du Comité des fêtes ducales, l'améliorer avec eux, et surtout le mettre en place.
J'imagine que jamais tu ne me pardonneras mon silence, ma distance, mon absence, mais au moment de rebondir, c'est à toi que j'avais envie d'écrire.
Terry.
PS : Je n'ai jamais cessé de t'aimer, même au coeur de ma noyade.
Ensuite, elle ramassa les quelques missives glissées sous sa porte depuis des jours et des jours, essaya d'en deviner les auteurs sans les ouvrir, en trouva certains, et les glissa dans sa besace afin de prendre la route de Lyon. Elle les lirait en chemin, ces lignes tracées de la main d'Aimelin, de Pénélope, de...
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