Edern
Tandis que tombe la bruine...
Sans bruit, il a disparu. Démission, faux adieux, abandon. Une chancellerie résonne encore du froissement de ses parchemins. De grandes salles ont renoncé, surprises, au calme éclat de sa voix de conseiller dévoué. Un silence soudain contre des propos qu'on n'écoutait que d'une oreille, plus sensible au confort d'un fauteuil en cuir qu'aux paroles d'avenir. De l'Anjou et de son Alliance, il s'est retiré sur la pointe des pieds. Ne forçons pas le rythme. Le jeu des contraires exige du doigté, à chaque instant son apogée. Puisque la sienne ne surviendra qu'après le regret et l'oubli... qu'il en soit ainsi.
Débuts hésitants d'une année neuve. Il est tôt, même pour ceux qui ne dorment pas.
Le Fou songe seul, assis en tailleur sur un quai breton.
"Regardez, nous sommes à Craon..."
Les yeux bruns n'avaient pas suivi l'itinéraire tracé par le doigt d'une marchande solitaire, qui du nord au sud comptait amasser toujours plus en bonne fourmi qu'elle était. Dans la taverne municipale d'une cité détestable, ils contemplaient l'autre côté de la carte. Au bout du monde... un point qui le presse sans l'oppresser. Il savait. Le retour en ces terres orales est devenu inévitable. Il a assez à conter pour le restant des jours qui lui sont impartis. La musique doit s'arrêter afin de reprendre, plus tard, de plus belle. Alors qu'a-t-elle dit, jusqu'ici ? Qu'as-tu vu, Fou, depuis cette falaise d'où tu t'es jeté ?
Grandeur et Décadence.
La première... a germé. À trop courir après la fortune, les mercenaires d'hier se sont faits errants sans espoir ni autre richesse que celle qui dégouline de leurs coffres dorés. Éminence noire et blanche d'un Barbu au verbe de fer, aux absences éloquentes, il a assisté aux évènements en gestation, de l'ascension d'un empire occidental à l'apparition de la plus vile des mares aux canards. Mimiques et flatteries eurent raison des portes fermées, clefs liquides, traîtresses en diable. Qui résiste au ridicule, à ses apparences ? Ajoutez une pincée d'assurance et servez-vous à volonté... politique et diplomatie ne sont pavées que de friandises sucrées.
La seconde... est actée. Les villes chutent une à une. Les sceptres ont perdu leur majesté. Déjà ternis, les rois seront mat. Une abdication, une succession ? Toute aimable qu'elle soit, la reine ne fera qu'appuyer peurs et divisions. Et puis, plus que tout... on lui a demandé de prendre le trône. Quand le peuple appelle les fous au pouvoir, mieux vaut quitter le devant de la scène... en attendant que la foule se déchaîne. Plusieurs mois seront nécessaires... il n'y a plus qu'à laisser filer le temps. Un canevas se défait, un autre viendra le remplacer, plus serré. Faut-il aller chercher loin les aiguilles de la broderie... leur règne est à ce prix. Mots, mots chéris. Prenez-moi. Ne me rendez rien. Cela fait si longtemps, si longtemps que nos routes sont confondues. Demain, nous construirons ensemble notre royaume...
Edern se lève lentement, caresse d'un il les reliefs d'une ruelle déserte. Landreger. Un port plein de promesses. Une image fugitive se présente à lui, celle de son futur homologue à Angers. Aujourd'hui modeste, bâti si vite, espérant d'autres bras pour le hisser jusqu'au ciel nuageux, prêt à recueillir la violence du fleuve en sanglantes déferlantes. Malgré cela, la mer a quelque chose de différent. On s'y noierait plus volontiers, comme si la mort était plus douce une fois diluée dans l'infini salé...
Au chambellan déchu qui part tel un malpropre, il reste cependant une tâche à accomplir. Rappeler. Écrire. À qui donc ? Ils ont été rassemblés en une liste. Des noms, les quelques-uns qui se souviendront. Un sourire froid est à peine esquissé lorsqu'il tend les lettres à l'homme qui se chargera de les expédier. Pourquoi... pourquoi les destinataires s'écrivent-ils surtout au féminin ? Femme s'avère peut-être plus joueuse, pire menteuse, meilleure marionnette. Douce théorie des dangers éphémères.
Aimée, questionnées ou manipulées... qu'elles se réjouissent ou désespèrent.
Et s'il y a des réponses ?
Que répondre à cela ? La langue hésite.
Dernière phrase continentale.
Brûl... gardez-les.
Les coursiers partent, tous chargés d'une boîte et d'un vélin. Combien de jours et d'heures avant qu'ils ne parviennent à ces mains curieuses, ne se doutant pas une seconde de leur contenu ? Qu'importe. Moins que la poignée de minutes qui le séparent de son départ... il les dépense à goûter les poissonneuses fragrances venues de bateaux pourtant étrangers à la plaisance, à passer un doigt salé sur le dos d'une main gauche brûlé par les facéties d'un rouquin mainois. Un cercle, l'empreinte d'un sceau. Chacun ses cicatrices, Vergy. Pivoine, je t'ai maintenant dans la peau...
Enfin, on hurle à la marée que les amarres seront bientôt larguées. Levez l'encre... le pied quitte la terre ferme et s'aventure sur le pont de bois, prend place sous des voiles qu'un long voyage ne rebute pas en dépit de la force des vents qui s'annoncent. Le navire prend peu à peu son envol.
Le Fou de se pencher au bastingage vers l'océan sombre et mouvant d'où il est sorti sept lunes plus tôt.
Et d'entendre dans chacune des bulles d'écume le soupir des rimes envoyées.
Sans bruit, il a disparu. Démission, faux adieux, abandon. Une chancellerie résonne encore du froissement de ses parchemins. De grandes salles ont renoncé, surprises, au calme éclat de sa voix de conseiller dévoué. Un silence soudain contre des propos qu'on n'écoutait que d'une oreille, plus sensible au confort d'un fauteuil en cuir qu'aux paroles d'avenir. De l'Anjou et de son Alliance, il s'est retiré sur la pointe des pieds. Ne forçons pas le rythme. Le jeu des contraires exige du doigté, à chaque instant son apogée. Puisque la sienne ne surviendra qu'après le regret et l'oubli... qu'il en soit ainsi.
Débuts hésitants d'une année neuve. Il est tôt, même pour ceux qui ne dorment pas.
Le Fou songe seul, assis en tailleur sur un quai breton.
"Regardez, nous sommes à Craon..."
Les yeux bruns n'avaient pas suivi l'itinéraire tracé par le doigt d'une marchande solitaire, qui du nord au sud comptait amasser toujours plus en bonne fourmi qu'elle était. Dans la taverne municipale d'une cité détestable, ils contemplaient l'autre côté de la carte. Au bout du monde... un point qui le presse sans l'oppresser. Il savait. Le retour en ces terres orales est devenu inévitable. Il a assez à conter pour le restant des jours qui lui sont impartis. La musique doit s'arrêter afin de reprendre, plus tard, de plus belle. Alors qu'a-t-elle dit, jusqu'ici ? Qu'as-tu vu, Fou, depuis cette falaise d'où tu t'es jeté ?
Grandeur et Décadence.
La première... a germé. À trop courir après la fortune, les mercenaires d'hier se sont faits errants sans espoir ni autre richesse que celle qui dégouline de leurs coffres dorés. Éminence noire et blanche d'un Barbu au verbe de fer, aux absences éloquentes, il a assisté aux évènements en gestation, de l'ascension d'un empire occidental à l'apparition de la plus vile des mares aux canards. Mimiques et flatteries eurent raison des portes fermées, clefs liquides, traîtresses en diable. Qui résiste au ridicule, à ses apparences ? Ajoutez une pincée d'assurance et servez-vous à volonté... politique et diplomatie ne sont pavées que de friandises sucrées.
La seconde... est actée. Les villes chutent une à une. Les sceptres ont perdu leur majesté. Déjà ternis, les rois seront mat. Une abdication, une succession ? Toute aimable qu'elle soit, la reine ne fera qu'appuyer peurs et divisions. Et puis, plus que tout... on lui a demandé de prendre le trône. Quand le peuple appelle les fous au pouvoir, mieux vaut quitter le devant de la scène... en attendant que la foule se déchaîne. Plusieurs mois seront nécessaires... il n'y a plus qu'à laisser filer le temps. Un canevas se défait, un autre viendra le remplacer, plus serré. Faut-il aller chercher loin les aiguilles de la broderie... leur règne est à ce prix. Mots, mots chéris. Prenez-moi. Ne me rendez rien. Cela fait si longtemps, si longtemps que nos routes sont confondues. Demain, nous construirons ensemble notre royaume...
Edern se lève lentement, caresse d'un il les reliefs d'une ruelle déserte. Landreger. Un port plein de promesses. Une image fugitive se présente à lui, celle de son futur homologue à Angers. Aujourd'hui modeste, bâti si vite, espérant d'autres bras pour le hisser jusqu'au ciel nuageux, prêt à recueillir la violence du fleuve en sanglantes déferlantes. Malgré cela, la mer a quelque chose de différent. On s'y noierait plus volontiers, comme si la mort était plus douce une fois diluée dans l'infini salé...
Au chambellan déchu qui part tel un malpropre, il reste cependant une tâche à accomplir. Rappeler. Écrire. À qui donc ? Ils ont été rassemblés en une liste. Des noms, les quelques-uns qui se souviendront. Un sourire froid est à peine esquissé lorsqu'il tend les lettres à l'homme qui se chargera de les expédier. Pourquoi... pourquoi les destinataires s'écrivent-ils surtout au féminin ? Femme s'avère peut-être plus joueuse, pire menteuse, meilleure marionnette. Douce théorie des dangers éphémères.
Aimée, questionnées ou manipulées... qu'elles se réjouissent ou désespèrent.
Et s'il y a des réponses ?
Que répondre à cela ? La langue hésite.
Dernière phrase continentale.
Brûl... gardez-les.
Les coursiers partent, tous chargés d'une boîte et d'un vélin. Combien de jours et d'heures avant qu'ils ne parviennent à ces mains curieuses, ne se doutant pas une seconde de leur contenu ? Qu'importe. Moins que la poignée de minutes qui le séparent de son départ... il les dépense à goûter les poissonneuses fragrances venues de bateaux pourtant étrangers à la plaisance, à passer un doigt salé sur le dos d'une main gauche brûlé par les facéties d'un rouquin mainois. Un cercle, l'empreinte d'un sceau. Chacun ses cicatrices, Vergy. Pivoine, je t'ai maintenant dans la peau...
Enfin, on hurle à la marée que les amarres seront bientôt larguées. Levez l'encre... le pied quitte la terre ferme et s'aventure sur le pont de bois, prend place sous des voiles qu'un long voyage ne rebute pas en dépit de la force des vents qui s'annoncent. Le navire prend peu à peu son envol.
Le Fou de se pencher au bastingage vers l'océan sombre et mouvant d'où il est sorti sept lunes plus tôt.
Et d'entendre dans chacune des bulles d'écume le soupir des rimes envoyées.
Il leur a écrit:
- Les pluies ont pleuré dru à la fin de l'automne ;
En neige ou bien gelée, l'eau coule à sa ruine,
Figeant les chemins de lys et d'aubépine
Où la pierre est creusée d'un sillon monotone.
Un être de folie avait l'humeur bouffonne,
Renvoyait aux hommes les mots qui les inclinent ;
En mille lignes noires ils tissèrent racines,
Volutes de fumée avides de couronnes.
Il s'en fut une nuit vers l'ouest et son rivage
En une vieille île chercher le nouvel âge,
N'en rentrera que pour la saison incertaine,
Des âmes égarées en armées s'uniront,
Rare sera l'échine à vivre sans frisson
Au matin rougeoyant de cette aube prochaine.
À l'horizon se perd un regard.
Sonnet qu'un au revoir...