Afficher le menu
Information and comments (1)

Info:
Unfortunately no additional information has been added for this RP.

[RP] Entr'acte

Edern
Tandis que tombe la bruine...

Sans bruit, il a disparu. Démission, faux adieux, abandon. Une chancellerie résonne encore du froissement de ses parchemins. De grandes salles ont renoncé, surprises, au calme éclat de sa voix de conseiller dévoué. Un silence soudain contre des propos qu'on n'écoutait que d'une oreille, plus sensible au confort d'un fauteuil en cuir qu'aux paroles d'avenir. De l'Anjou et de son Alliance, il s'est retiré sur la pointe des pieds. Ne forçons pas le rythme. Le jeu des contraires exige du doigté, à chaque instant son apogée. Puisque la sienne ne surviendra qu'après le regret et l'oubli... qu'il en soit ainsi.
Débuts hésitants d'une année neuve. Il est tôt, même pour ceux qui ne dorment pas.
Le Fou songe seul, assis en tailleur sur un quai breton.

"Regardez, nous sommes à Craon..."

Les yeux bruns n'avaient pas suivi l'itinéraire tracé par le doigt d'une marchande solitaire, qui du nord au sud comptait amasser toujours plus en bonne fourmi qu'elle était. Dans la taverne municipale d'une cité détestable, ils contemplaient l'autre côté de la carte. Au bout du monde... un point qui le presse sans l'oppresser. Il savait. Le retour en ces terres orales est devenu inévitable. Il a assez à conter pour le restant des jours qui lui sont impartis. La musique doit s'arrêter afin de reprendre, plus tard, de plus belle. Alors qu'a-t-elle dit, jusqu'ici ? Qu'as-tu vu, Fou, depuis cette falaise d'où tu t'es jeté ?

Grandeur et Décadence.

La première... a germé. À trop courir après la fortune, les mercenaires d'hier se sont faits errants sans espoir ni autre richesse que celle qui dégouline de leurs coffres dorés. Éminence noire et blanche d'un Barbu au verbe de fer, aux absences éloquentes, il a assisté aux évènements en gestation, de l'ascension d'un empire occidental à l'apparition de la plus vile des mares aux canards. Mimiques et flatteries eurent raison des portes fermées, clefs liquides, traîtresses en diable. Qui résiste au ridicule, à ses apparences ? Ajoutez une pincée d'assurance et servez-vous à volonté... politique et diplomatie ne sont pavées que de friandises sucrées.

La seconde... est actée. Les villes chutent une à une. Les sceptres ont perdu leur majesté. Déjà ternis, les rois seront mat. Une abdication, une succession ? Toute aimable qu'elle soit, la reine ne fera qu'appuyer peurs et divisions. Et puis, plus que tout... on lui a demandé de prendre le trône. Quand le peuple appelle les fous au pouvoir, mieux vaut quitter le devant de la scène... en attendant que la foule se déchaîne. Plusieurs mois seront nécessaires... il n'y a plus qu'à laisser filer le temps. Un canevas se défait, un autre viendra le remplacer, plus serré. Faut-il aller chercher loin les aiguilles de la broderie... leur règne est à ce prix. Mots, mots chéris. Prenez-moi. Ne me rendez rien. Cela fait si longtemps, si longtemps que nos routes sont confondues. Demain, nous construirons ensemble notre royaume...

Edern se lève lentement, caresse d'un œil les reliefs d'une ruelle déserte. Landreger. Un port plein de promesses. Une image fugitive se présente à lui, celle de son futur homologue à Angers. Aujourd'hui modeste, bâti si vite, espérant d'autres bras pour le hisser jusqu'au ciel nuageux, prêt à recueillir la violence du fleuve en sanglantes déferlantes. Malgré cela, la mer a quelque chose de différent. On s'y noierait plus volontiers, comme si la mort était plus douce une fois diluée dans l'infini salé...

Au chambellan déchu qui part tel un malpropre, il reste cependant une tâche à accomplir. Rappeler. Écrire. À qui donc ? Ils ont été rassemblés en une liste. Des noms, les quelques-uns qui se souviendront. Un sourire froid est à peine esquissé lorsqu'il tend les lettres à l'homme qui se chargera de les expédier. Pourquoi... pourquoi les destinataires s'écrivent-ils surtout au féminin ? Femme s'avère peut-être plus joueuse, pire menteuse, meilleure marionnette. Douce théorie des dangers éphémères.
Aimée, questionnées ou manipulées... qu'elles se réjouissent ou désespèrent.


Et s'il y a des réponses ?

Que répondre à cela ? La langue hésite.
Dernière phrase continentale.

Brûl... gardez-les.

Les coursiers partent, tous chargés d'une boîte et d'un vélin. Combien de jours et d'heures avant qu'ils ne parviennent à ces mains curieuses, ne se doutant pas une seconde de leur contenu ? Qu'importe. Moins que la poignée de minutes qui le séparent de son départ... il les dépense à goûter les poissonneuses fragrances venues de bateaux pourtant étrangers à la plaisance, à passer un doigt salé sur le dos d'une main gauche brûlé par les facéties d'un rouquin mainois. Un cercle, l'empreinte d'un sceau. Chacun ses cicatrices, Vergy. Pivoine, je t'ai maintenant dans la peau...

Enfin, on hurle à la marée que les amarres seront bientôt larguées. Levez l'encre... le pied quitte la terre ferme et s'aventure sur le pont de bois, prend place sous des voiles qu'un long voyage ne rebute pas en dépit de la force des vents qui s'annoncent. Le navire prend peu à peu son envol.
Le Fou de se pencher au bastingage vers l'océan sombre et mouvant d'où il est sorti sept lunes plus tôt.
Et d'entendre dans chacune des bulles d'écume le soupir des rimes envoyées.


Il leur a écrit:

    Les pluies ont pleuré dru à la fin de l'automne ;
    En neige ou bien gelée, l'eau coule à sa ruine,
    Figeant les chemins de lys et d'aubépine
    Où la pierre est creusée d'un sillon monotone.

    Un être de folie avait l'humeur bouffonne,
    Renvoyait aux hommes les mots qui les inclinent ;
    En mille lignes noires ils tissèrent racines,
    Volutes de fumée avides de couronnes.

    Il s'en fut une nuit vers l'ouest et son rivage
    En une vieille île chercher le nouvel âge,
    N'en rentrera que pour la saison incertaine,

    Des âmes égarées en armées s'uniront,
    Rare sera l'échine à vivre sans frisson
    Au matin rougeoyant de cette aube prochaine.


À l'horizon se perd un regard.
Sonnet qu'un au revoir...
Otissette
Et là... elle le déteste.


À Angers, son chemin pour la première fois elle avait croisé.
À Craon, son chemin...

Qu’en éclaireur il partait,
Qu’a Angers ils se retrouveraient,
Son chapeau sur sa tête il avait enfoncé,
Sans se retourner la taverne il avait quitté,
Ce fut la dernière fois...

À Angers, jamais il n’était arrivé

Puis un colis… une lettre… des larmes qui sur des joues roulent…
Allez savoir pourquoi, mais à cette croûte on s’attache.
Et lorsqu’au loin elle disparait,
Ne reste qu’une Vicomtesse dépitée.

Missive des mains est lâchée,
Pour au sol se retrouver,
Une larme l’a tâché,
Elle ne l’oublierait jamais.

Dans ses pensées elle est perdue,
Mais elle en est convaincue,
Un jour il reviendra,
Et Duc il sera.

Plus tard elle répondra... peut être.

_________________
Izeliah
Le vent du large... elle n'avait jamais songé que ce vent là lui ferait tant de bien, qu'il lui apporterait la sérénité qu'elle ne trouvait plus dans sa contrée, parmi les siens. Combien de temps avait elle passé à regarder l'eau s'effacer sur le passage du Zalhem ? Elle ne le savait pas. Combien de fois avait elle fermé les yeux, laissant le vent s'engouffrer dans ses boucles brunes et cette odeur marine l'enivrer jusqu'à ce que ce soit les bras de l'italien, l'enserrant, qui la ramène à la réalité ? des jours et des jours.

Et puis la terre Bretonne, Treguier, la joie et le labeur sur les quais. La joie aussi pour elle d'entamer ce voyage si diplomatique et pourtant il n'y avait pas que ça, la joie de voir ceux avec qui elle avait tissé des liens, parfois d'amitié mais toujours diplomatique. Et puis, le plaisir de parcourir les chemins comme elle l'avait fait des années auparavant, avant la mort de ses parents. Le sentiment de liberté, d'aller et venir au grès des plaisirs. Et c'était là que la carte diplomatique prenait tout son sens... Mieux qu'un laissé passé pour elle et ses compagnons, elle était Izeliah Theodora Rovel, Ambassadrice d'Artois en Bretagne, Représentante d'Artois au ponant et intendante de la dite alliance... et blablabla... palabre, étiquettes et courbettes. Mais au moins... des fois.

Les pas les avaient tous amené vers craon. Ironie du sort, ou pas. Rien n'est ironie du sort quand c'est le fou qui est maitre du jeu. Et c'est là, au moment de passer les portes de cette craon décriée que le messager l'avait rattrapée. Le colis remis, l'Artésienne s'isola. Elle n'aimait pas recevoir des choses non prévus. Elle n'aimait pas les surprises, elle n'aimait pas les imprévus quand elle n'en était pas à l'origine.

La première chose qu'elle déballât fut la pièce d'échec. A partir de ce moment là, elle connaissait l'auteur du pli. Et puis, le pli en lui même. Jongleurs de mots pour effacer ses maux. Combien de fois s'étaient ils adonnés à ce jeu là ? A bien y réfléchir, à chaque fois qu'ils avaient eu l'occasion de parler ensemble. Rien, si ce n'est un désamour farouche ne prédestinait à leur entente. Elle la saleté de Diplomate Artésienne, anti guerre. Et pourtant... Bien sur elle avait toujours gardé le sentiment de n'être qu'une pièce dans son jeu. Elle s'en était accoutumée, accommodée et ça lui plaisait, elle finissait elle même par en jouer.

Ses yeux bleus glissèrent sur ses derniers mots, ne voulant les comprendre, les croire. Y croire. Son visage se ferma, ses sourcils se froncèrent, alors qu'un rictus bien trop habituel maintenant, celui qui marquait la perte de gens bien trop estimés, à tord ou à raison, gagnait son visage. Son poing se serra sur la petite pièce, et se relâcha presque aussitôt. Fidèle à lui même. Elle sourit

Les portes de Craon passées, l'installation faite pour une nuit, elle pris de quoi répondre à ce mot là. Arriverait il à destination, elle n'en était vraiment pas certaine. Mais qui ne tente rien n'a rien, quitte à tenter le diable une dernière fois, elle se le devait, elle le lui devait, pour le soutient et les conseils qui lui avait toujours apportés avec une franchise sans pareil, avec ses mots dont il savait jouer à merveille. Nul n'égalait et n'égalerait jamais sa maitrise des mots. Elle la lui enviait. Elle savait jeter une bouteille à la mer... elle ne pouvait imaginer combien elle avait raison.


Citation:
Le fol,
Maintenant qu'il manque une pièce à votre jeu, vous n'aurez d'autre choix que de venir la rechercher.
J'aurais alors ma revanche.
La biche

_________________
Cerridween
[ Près d'une cheminée, à l'abri du froid ]

Les flammes crépitent dans la grande pièce, improvisée en salle d'arme, bureau et bric à brac. Les lueurs vacillantes jouent sur les étagères, soulignent les pots de verre opaque, les livres et les parchemins. Elles font briller furtivement les lames rangées dans les rateliers. Alors que le soleil décline, Léard s'endort doucement sous un manteau de neige et une gangue de froid.

La Pivoine ne dort pas.

Assise dans un fauteuil près de l'âtre, elle lit les nouvelles et les missives qui lui sont arrivées dans la journée. Tout est calme... trop ou pas assez ? Tout hiberne. La Licorne aussi... elle attend la nouvelle couronne. Et si le devoir leur sert d'épouse et l'honneur de maîtresse, c'est bien une femme qu'ils serviront bientôt. Entre les deux à venir, son coeur ne balance pas. Il y a des souvenirs qui ne s'effacent jamais et qui ne demandent aucun retour en arrière. La rancune, elle peut l'avoir tenace. Elle n'oublie jamais. Rédemption n'a jamais été accordée qu'à celui qui la demande...

La main brise des cachets, les vélins s'entassent. Rien de bien intéressant... le fait surtout qu'un sceau soit manquant l'inquiète... même deux... l'un est souffrant et ne donne pas de nouvelles... l'autre est parti au loin et semble avoir oublié ses devoirs. Des nouvelles d'un retour d'une Brindille têtue comme une bourrique et de son compagnon à son image. Un sourire... diffus.

Malgré la pénombre, la nouvelle missive que prend sa main arrête son geste. Elle a reconnu ces armes. Elle les reconnaîtrait les yeux fermés. Elle porte les même, même si les siennes sont scarifiées. Ses mains ouvrent la missive pendant qu'elle fronce les sourcils... si elles les attendait avant comme des cadeaux de la Noël, maintenant elles lui font froid dans le dos...


Citation:
Chère tatie(raturé) tante Cerridween

Ma lettre va sans doute te surprendre. Te paraître très embrouillée, certainement. Voire même t'agacer? Tu n'avais peut-être plus envie de recevoir de mes nouvelles après ce qui s'est passé à mes noces, et j'avoue que l'amertume de ce souvenir jointe au temps qui s'est écoulé depuis me rend bien hésitante sur le choix de mes mots. Et pourtant, je ne puis différer davantage de t'écrire, même si cette lettre devait rester sans réponse.


Etonnée ? Pour sûr. Agacée ? Un brin. Les noces d'Elianor avait été une épreuve. Elle avait fait un choix, malgré la porte de sortie et les risques pris par sa tante et son frère. La Pivoine avait dû se rendre sur le Pont Neuf, armée de sa lame pour laver l'honneur du marié... et à l'heure qu'il était, il devait encore frotter pour enlever les tâches de sang qui continuaient à entacher son orgueil. L'écriture qui n'a plus rien d'enfantine, s'explique, jusque dans ses derniers retranchements. Défensive, et offensive en se cachant. Des mots qu'elle ressent choisis, précis... qui tapent dans des thèmes de sa propre vie. Son père, ses choix, les siens même, à celle qui respecte toujours sa parole... et une invitation. Une invitation à Lesparre. Les émeraudes fixent les flammes. Les pensées s'enchevêtrent. Les souvenirs aussi. Les appels au secours de la blondinette. Et dans la balance tout reste pour l'instant en équilibre. La main de la Pivoine repose lentement la missive à part. Quand elle ne sait pas sur quel pied danser, elle s'accorde de la réflexion. La nuit portera conseil peut-être...

Une dernière missive reste encore. Esseulée et sans signe distinctif aucun.
Les plis se défont. Et c'est des vers qui se dévident, pendant que glisse hors de la gangue de peau et d'encre... un trèfle.
Des vers qui rentrent un à un dans le coeur de la Pivoine comme autant de morsures.


Citation:
Il s'en fut une nuit vers l'ouest et son rivage
En une vieille île chercher le nouvel âge,
N'en rentrera que pour la saison incertaine...


La main tremblante cueille le présent séché et l'observe. Entre eux tout à toujours été un jeu. Un jeu savant de dupes. Un masque diplomatique et politique le jour, qui tombait la nuit venu à l'ombre des rues ou des tavernes. Un jeu de mots, cachés, glissés entre les lignes, lancées en l'air ou couchées sur le papier. Un cache cache incessant aux yeux du monde qui les découvraient peu à peu aux yeux de l'un et l'autre. Lui blanc et noir, elle noire et rouge, pourtant à l'unisson dès que le soleil se couchait. Ses lèvres brûlent un instant, pendant qu'un frisson parcourt sa peau de souvenirs. Elle pouvait supporter l'absence entre chaque manche de leur jeu d'échec improvisé, dont les pions s'étalaient sur l'échiquier du Royaume et dont ils étaient chacun une pièce à part entière. Elle pouvait supporter les revers, les échecs sans qu'ils la mâtent, les regards entre eux deux. Elle pouvait faire semblant jusqu'au bout du jeu, jusqu'au bout d'elle-même.... mais... cette fois il avait quitté son siège, laissant la place vide... et la partie en plan.

Et les quatre feuilles s'étalent comme autant d'indices. Il peut lui souhaiter bonne chance... il peut lui donner la destination de cette fuite sans autre explication. Cela la rassurer en somme si chacune ne disait pas du bout de sa corolle que chaque fleur a sa mesure et son message, qu'elle donne elle-même quand elle est offerte. Incertitude. Doute. Puis-je espérer ?

Il tombe au sol lentement pendant qu'elle prend conscience du néant. Elle se sentait déjà seule depuis un moment... maintenant elle se sent vide. Soudain la pièce est froide, le comté sans intérêt, les affaires sans sel, sans épice. Elle l'entend encore murmurer … « Demain n'existe pas » . Demain n'existe plus. Ce demain qu'elle connaissait. Ce demain fait de ce petit sourire, parfois amusé, parfois agacé. Ce demain fait de nuits volées au monde et à leurs regards. Le château de carte et d'illusions vient de s'écrouler...

La main lâche dans le feu le messager. Les émeraudes se perdent dans le foyer qui le consume en un soupir. Elle sort de sa torpeur lentement comme d'un mauvais rêve. La main attrape du velin, une plume et de l'encre et les lignes courent. La voix hèle... un garde passe la tête par la porte.


Chevalier ?

Elle ne le regarde pas... elle fixe toujours les flammes avant de tendre deux missives vers lui. Il s'approche et s'en empare sans rien dire.

A remettre à Laval et à Bordeaux. Le plus vite possible... et je vais partir.

Le garde reste un instant immobile, attendant une suite.

Fais en sorte de vérifier qu'une voiture soit prête pour dans quelques jours... quatre ou cinq peut être... préviens le contre maître... il aidera Laïs pendant mon absence... ce sera un mois au moins.

La main fait vaguement un signe pour mettre un terme à l'échange.
La porte se referme en grinçant sur ses gonds.
Ce n'est que lorsque la lune est apparue, que sur les joues, la glace fond... et qu'un sanglot étouffé éclate...
Pivoine de rouge tu n'as plus...

_________________
Cymoril
D’un bordel à Bordeaux il n’y a que le premier pas qui coûte…

Pointe du Grave.



Deux cents lieues environ la séparaient maintenant de l’Anjou. Avalées en solitaire. A peine quelques ombres silencieuses croisées sur la route. Jusqu’à cet étrange coursier à la frontière poitevine, qui l’avait regardée d’un drôle d’air quand elle lui avait répondu, l’éclat légèrement moqueur dans le timbre de voix au nom de Fourmi, avant de lui remettre ce paquet et de disparaître au détour d’un chemin.

Au fil des hameaux épars qui jalonnaient la faible distance qu’il restait jusqu’à destination, des clameurs enivrées sur fond de nouvelle année et ses effets pandémiquement euphorisants, elle était restée concentrée, refusant de se laisser distraire par le contenu du colis, à peine survolé d’un regard curieux.
Ce n’est qu’une fois les hauts remparts bordelais en vue qu’elle s’autorise à relâcher un peu sa vigilance. Ne s’y arrêtant toutefois pas en cette fin de nuit, préférant les dépasser pour atteindre un promontoire de calcaire blanc avec vue sur l’estuaire.

Un croissant de lune illuminait encore la nuit, baignant l’alentour d’un pâle halo argenté, reflétant la falaise sur les flots noirs en contrebas. Un navire ancré à quai attendait au rythme langoureux des remous d’aller affronter cette maîtresse implacable qui l’attendait. Une vision fugace d’équipage défaisant les amarres et les jetant sur le port apparut, de matelots s’agitant en tous sens, faisant claquer pieds nus sur le pont de bois dans leur course pour faire descendre les voiles… Un vol tournoyant de sternes mit fin à l’illusion diaphane d’un reflet de clair de lune sur leurs ailes. Elle s’ébroue avant de s’asseoir. Les étoiles séniles apportaient juste assez de lumière pour la lecture du rouleau.

Un sourcil haussé. Elle cherche un but à la rime du bélialite, autre que celui d’évoquer son voyage. Neuf mois avait-il dit… Neuf mois et il la verrait mariée et grosse. Selon sa lecture des lignes d’une main gantée de cuir fin. Neuf mois. Rien. Et toute une vie selon. Elle pourrait lui répondre que d’épousailles il ne pourrait y avoir, que seul un Fou pouvait officier à la noce des contraires. L’idée même la fait sourire sous la lune. Avant que de ne laisser une quinte de toux l’interrompre dans le fil de sa pensée.

Devrait-elle se sentir triste, agacée ? Il fut un tourmenteur assidu sans toutefois l’écorner, se contentant de lui faire mettre des mots sur des maux bien connus d’elle. Bien loin des flammes lointaines qui l’avaient nourrie. Qu’Aquilon et Zéphyr se lèvent, qu’ils gonflent les voiles de ce vaisseau qui l’emporte vers des terres inconnues… Pourvu qu’il en ramène produits rares et divins nectars.

Triste elle l’est un peu comme depuis si longtemps, il ne rajoute rien. S’il lui est arrivée de vouloir parfois l’exprimer, c’est en musique qu’elle aurait voulu pouvoir le faire. Transformer sa peine en complainte et que les instruments sanglotent son âme chagrine en notes secrètes. Mais depuis longtemps il n’y avait plus de chanson pour elle. Les voix s’étaient tues, une à une, et dans la grande cacophonie du monde ses matins ne chantaient plus, seule résonnait toujours plus fort l’envoûtante mélopée des engoulevents.
La mare aux canards aurait un autre aspect sans lui. Sans doute plus sérieuse, plus sale et noire. Il faudrait s’en accommoder le temps que cela durerait.

Agacée, peut-être. Circonspecte serait plus juste. Le présent adjoint au pli…
La longue plume blanche tourne alors qu'elle fait rouler le calamus entre pouce et index. Curieux. Deux présents lui ont été faits dans sa vie, et par deux fois ce fut cet instrument, symbole de sagesse et de transmission de parole. Étrange pour quelqu’un qui la manie de façon si hésitante et sans aptitude particulière. Elle rejoindra la plume noire qui dort dans un fourreau d’étain à l’abri de sa besace. Qu’avait-il voulu dire ? Qu’elle était une oie… blanche ? D’où le léger agacement ressenti. Car il est évident que la plume ne peut venir d’un cygne, elle n’est pas vilain petit canard. Juste Fourmi.

Un soupir, et une nouvelle quinte, contenue. Et se pose la question d’une éventuelle réponse. Oser et braver l’interdit ? Ce pourrait être amusant… Si elle avait ce talent. Son vieux nécessaire d’écriture posé sur les genoux, quelques lignes tracées sous la lune :



Blancheur immaculée a succédé aux rouges chauds de l’automne,
Une robe de patriarche déambule, langoureuse, parmi les ruines,
Alanguie, oubliant les dards acérés de la cruelle aubépine,
Le poison en ses veines l’entrainant dans une transe monotone.

Ainsi donc il portait à d’autres sa parole bouffonne.
Serait-ce une terre vierge où tous à son passage s’inclinent ?
Qu’il se garde des pissenlits et leurs fichues racines,
Et conserve sa verve, sa tête, ce prince sans couronne.

Il sentirait sous ses pieds le sable fin de nouveaux rivages,
Après des heures pénibles accroché au bastingage, à son âge.
Ne dit-on pas de la vie qu’elle est traversée incertaine ?

Elle ne sait rien des chants qui au retour s’uniront ;
Pour l’heur, le chuchotis des crépusculaires lui donne frisson,
Vision du sort funeste d’une destination prochaine.



Le feuillet est relu, piteuse élégie, avant qu’elle ne se relève et ne le livre à Eole en cent morceaux épars. Peut-être lui portera-t-il, en puzzle débile, preuve s’il en est du si mauvais usage du présent. Les mains fines débarrassent machinalement le vêtement de la terre sableuse accrochée, alors que le regard caresse lentement le cordon dunaire en contrebas.
Estuaire imprécis mouvant, soumis à l’inlassable joug des éléments. Là bas n’y avait-il pas eu en un passé pas si lointain un port d’où les princes anglois embarquaient jadis ? Et derrière cette croupe graveleuse, ne rêve-t-on pas de cité engloutie par les sables ou les flots ? Jamais ses yeux ne s’arrêtent à la vision précaire de ce qui est présenté.Les autres ne voient là que marais insanes. Elle… l’illusion de pierre et de trésors noyés, happés et retournés au silence et à l’obscurité.

Frissonnant doucement dans sa cape, soumise à la bise glaciale, elle voit l’apparition de l’orbe orangée du soleil qui marquait le début d’une nouvelle journée de la caresse hésitante de ses rayons. Déjà les voix des arruneurs commençaient de monter jusqu’à elle. L’espace d’un instant elle se voit réglant le zéro degré de l’horizon sur un astrolabe. Bel endroit pour l’étude du ciel, avec le rêve par procuration et l’océan en toile de fond pour ne pas sombrer. La mémoire en ciment d’un horizon de solitude. Une nouvelle quinte lui fait prendre le chemin de la ville.
Peut-être y trouverait-elle des indices de son propre passé oublié, de l’amas de richesses, elle qui s’en est toujours moqué.
Peut-être.

En attendant elle va se vendre, encore. N’est-ce pas ce qu’ils font toujours, en bonnes catins de la guerre… Avenir en champ de bataille, de corps mutilés et de corneilles se repaissant sur les cadavres abandonnés.

_________________
Calyce.
Si l'argent n'a pas d'odeur alors la pièce que referme la menotte de la brunette est l'exception qui confirme la règle. Lâcheté, fuite, abandon : voilà les parfums qu'elle lui évoque. Vieille pièce rouillée aux gravures effacées par le temps. Pas le genre de présent sur lequel elle aurait craché en temps normal, tout début de richesse est bon à prendre. Elle aurait pu croire à un remboursement échelonné de ce qu'il lui doit ,même si ce vieil écu ne représentait qu'une infime partie de la dette. Elle aurait pu croire ça si ,dans le paquet qu'elle venait de recevoir, la pièce n'avait pas été accompagnée de ce parchemin...

Il fait une blague c'est ça ?
Une partie de cache-cache ponantaise ?
Plausible pour le chambellan qu'il est.

L'angevine qui tente de se convaincre pour finalement se faire une raison. C'est clair. Aussi clair que peut l'être le Fou. Il s'en va le scélérat. Finis les bâtons sur l'écriteau où les « humpf » de la môme étaient soigneusement comptabilisés, les leçons où elle était sensée apprendre à manier les mots, les conseils de l'homme politique qu'il savait être mais aussi les tours de passe-passe qui faisaient s'alléger la bourse de la brunette au profit de la sienne, à lui.
Et puis l'image de cette robe taillée dans des rideaux de Gennes. Des semaines à assembler les pièces de tissus... Enchantée à l'idée de pouvoir enfin se moquer quand elle la verrait portée par l'homme en noir, désenchantée quand elle voit la toilette sur le dos d'une Pivoine mainoise. Nouvelle supercherie qu'il n'aura pas le temps de payer...
Le Fou gagne à tous les coups...
Et dans cette pièce elle finit par voir une dernière victoire.


Humpf !

Au revoir le Fou.
_________________
Eikorc
[Quelque part à Saumur]

Le temps passe sans qu’il ne trépasse, malgré les mois et les années, l’immense carcasse ne cesse de se dresser pour imposer sa présence… Partout où il le peut, mais surtout là où il le veut. Un colosse que tout le monde croyait mort après une expédition explosive en Touraine, quelques marques de plus sur un corps déjà tellement lacéré, quelques fissures de plus sur le roc que forme la musculeuse montagne.
Personne ne sait comment il a regagné l’Anjou, par une nuit sombre on l’a juste aperçu par une fenêtre… Sorti de sa grotte ? Revenu d’entre les morts ? Peu importe, il est là. Plus las, plus calme, mais toujours aussi fou… Certains le traite de vieillard, d’autre de sénile, tous essaie de le faire réagir, mais à part quelques baffes et autres mandales il ne bronche pas.

Pour sûr il est moins rapide, mais la force reste la même… Brutale et implacable. Et le pauvre messager qui s’approche en fera sans doute les frais alors qu’il vient frapper contre l’huis sombre de l’immense demeure du mercenaire. Personne ne doit le déranger, surtout pas en pleine nuit, alors que la rage devient plus difficile à contrôler s’il n’a pas de quoi s’occuper… En l’occurrence, à part une lame à aiguiser et des souvenirs lointains, rien ne réside dans ses pensées.
La carcasse s’avance, ouvrant la porte lentement pour que son ombre recouvre peu à peu sa future victime, et un sourire carnassier vient étirer le coin de ses lèvres quand le pauvre hère tend le colis en tremblant… La boite est attrapée par la senestre lacérée, tandis que la main droite vient happer la gorge dans sa poigne puissante avant que sa voix rauque et basse ne vibre dans l’air.


« Qui t’envoie ? Et que contient cette boîte ? »

Un sourcil se hausse à la réponse qui s’échappe entre les dents qui claquent… Il sent le pouls de ce coursier qui galope à toute allure contre sa paume et la trogne se secoue avant qu’il ne l’envoie s’écraser la tête la première contre le porche dans un craquement sec… Et refermant la porte derrière lui, il ouvre la boîte pour découvrir les mots qui parcourent vélin…
La démence danse toujours au fin fond des prunelles métalliques, et pourtant il se rappelle qu’il a profité de la nuit pour rencontrer et apprécier une toute autre folie. Lorsque lui use de ses poings, l’autre joue avec sa langue… Quand les armes parlent, ce sont les mots qui y répondent… Manipulateur autant que lui est pervers, il se fait appeler le Fou alors que lui se faisait nommer El Diablo… Une paire de dingue totalement opposés qui pourtant semblaient penser à une possible association.


« Un jour tu cesseras de parler en rime le Fou… »

Et un fin sourire étire le coin de ses lèvres alors qu’il replonge dans les entrailles sombres de son manoir… Bientôt lui aussi ressortira de son antre.
_________________
"Pour toujours... Et à jamais."

Zoko & Fablitos
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)