--Taillebourrasque
La grand place débordait déjà de monde et danimation lorsquune carriole, une de plus, vint engorger un peu plus la laborieuse circulation. Et si, précisément cétait là heure daffluence, ce nétait surement pas accident de parcours ni même erreur de calcul que de sne venir à ce moment ci mais bel et bien un choix.
La foule était massée, compacte. Masse hétéroclite et disparate mais pourtant mue par cette volonté universelle quavaient tous, classes et rangs confondus : se sustenter.
Quon mangeât gros gruau ou fine venaison, on ingurgitait or cétait bien sur cela que le bonhomme axait son commerce ambulant. Midi sonnerait sous peu, et nul doute quau tintement sonore du clocher répondraient en chur mille estomacs gargouillants !
Commerce ambulant, donc. Une carriole, modeste dapparence mais remarquablement aménagée. En son milieu, un brasero, plus haut que large, bel ouvrage chaudronné comportant en son faite, une plaque de métal impeccablement polie ou nulle scorie ne dépassait, présentant ainsi parfaite surface ou marmites et casseroles pouvaient allègrement aller et venir de façon presque aérienne. En deçà, le brasero comportait une large trappe à fermoir pour alimenter le feu en généreux quarts de buches. Le tout surélevé par quatre pieds de métal lourd, joliment forgés mais surtout bien utiles pour éviter de consumer le plancher de la carriole.
Autour et rangés de façon adéquat et pratique, on pouvait recenser tas de bois sec sous cuir étanche, tonnelets fermés contenant pièces de viande en salaison, sacs de toiles aérées chargées de légumes et fruits de saison. Plus une caissette en bois débène, lourdement enchainée présage dun précieux contenu quon ne lui subtiliserait pas de si tôt ! Ajoutons quelques tabourets savamment étudiés pour être emboités lun dans lautre, offrant, au rangement, un gain de place non négligeable lorsquon dispose dun espace réduit mais fonctionnel.
Voici donc le tableau assez précis de cet étrange attelage harnaché à un solide trait poitevin, fier et puissant cheval laborieux aux jambes élégamment habillées.
Et en chef déquipage, un homme. Et en guise dintroduction, il chante. Il chante crescendo un air vif et entrainant, dans une langue étrangère aux accents latins. Cest sa carte de visite, son signe de ralliement et sa signature. Le truc qui fait quon se retourne, quon lécoute et quon lobserve. Quon lui prête une once dattention et hop, il captive votre attention, vous séduit et vous entraine dans son monde.
Poursuivant sa chanson, de plus en plus haut, de plus en plus fort, le solide gaillard a stoppé son attelage. Sommairement garé en bonne place, là ou la foule se fait dense, il sait déjà que bien des yeux sont braqués sur lui. Mais pour lheure lui ne rend pas encore les regards, trop concentré sur sa tâche et sa chanson.
Descendu de sa place de cocher de charriote, il saffaire à en ouvrir labatant arrière qui bascule astucieusement vers lextérieur pour créer une sorte de passerelle menant du sol au chargement arrière. Puis, sen va maintenant ouvrir le côté gauche de la carriole qui sabaissera aussi mais pas au delà de lhorizontalité, notamment grâce à deux chaines tendues de part et dautre. Plus quà empoigner et descendre les astucieux tabourets et à les glisser en dessous et voilà un comptoir de fortune qui sannonce, une table ingénieusement improvisée qui sinstalle.
Ceci fait, le stentor regarde enfin son public
Bien le bonjour, braaaaaaves gens !
Ceci étant dit clairement, il emprunte la passerelle pour se hisser au milieu de son chargement et prendre ainsi quelque hauteur. Il reprend :
La belle journée à vous, mes amis !
Je me présente Taillebourrasque, pour vos services.
Lhomme roulait les « r » de façon presque aussi sonore que le tonnerre grondant de certains soirs dorages. Taillebourrasque était grand et large, au visage généreux et rieur, même camouflé derrière barbe et moustache luxuriante. Un nez couleur lie du bon vin quil aimait trop souvent jusquà plus soif, la joue rebondie et le ventre charmant, véritable corne d'abondance de lépicurien assumé et militant. Toute une invitation.
Alors, nous y voilà !
Qui osera ?
Qui tentera ?
Il marqua une pause de circonstance, de celles faites pour faire taire les badauds et obtenir toute lattention requise. Il toisait son auditoire.
Venez, approchez et laissez-moi tenter de vous séduire par le ventre et le palais.
La règle est simple, dites moi ce que vous aimez ou naimez pas et je tenterai de composer quelque chose pour vous, là, sur le tas et devant témoins.
Même mieux, parlez moi de vous, de votre passé, de votre présent ou de votre avenir. De ce que vous êtes ou nêtes pas.
Maiiiiiis... surtout pas de commande trop précise, n'est-ce pas?
Laissez moi la richesse du choix et la liberté de l'improvisation, de grâce.
En plus du verbe, il avait le geste haut et volubile.
Puis une fois ma tentative réalisée, vous goutterez une bouchée, une cuillère, un morceau.
Si cela ne vous plait pas, nous sommes quittes.
Si cela vous convient et même plus, lassiette est à vous, servie par votre serviteur, là, à déguster sur place devant tant denvieux.
Et le sourire moqueur aussi, sans parler des yeux emplis de malice.
Mais lassiette ne sera à vous que contre quelques écus, quelques modiques écus dont je laisse le nombre à votre entière appréciation. Ou encore quelque objet si vous préférez, je peux être arrangeant.
Il faut bien vivre!
Il scrute lassemblée.
Et alors ? Qui ?
Balise RP rajoutée par Miss Marple censeur du Béarn