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[RP] Quand le besoin se fait sentir

Artheos



Le jeune Arthéos, sorti de chez les moines pour une légère convalescence causée par une maladie qu'il fallait soigner uniquement par les prières, était de retour en ville. Ah Compiègne... ville qui lui avait tant manquée. Ville enneigée désormais. Enchanté, il posa ses mains dans l'or blanc avant de les essuyer sur ses vêtements et de partir vers le marché et la grand-place. Les temps étaient difficiles... Arthéos ne savait rien faire. Il ne forgeait pas, tuait pas, n'arrêtait pas. Il n'était pas bûcheron, pas boucher, pas charpentier. Il n'avait même aucune échoppe, aucune culture, aucun élevage, et de ce fait, aucun revenu... Ainsi sa vie n'irait pas loin. Combien de gens mouraient l'hiver, de froid et de chagrin ? Perturbé par cette pensée, le jeune homme se permit quelques instants de réflexion. Quelle activité pouvait le faire dormir et manger contre ses services ?...

"Le servage !

Cette solution s'était imposée dans son jeune cerveau assez rapidement. Beaucoup de nobles cherchaient des serviteurs pour leurs activités quotidiennes. Arthéos ne recevrait peut-être pas d'or, mais au moins serait-il nourri et logé. Certain de son choix, il rentra chez lui. Il faisait parti de ces rares vilains qui avaient eu la chance de savoir écrire. Lui le devait à un vieux professeur qui avait passé ses journées à enseigner l'écriture et la lecture à de jeunes disciples ne demandant que cela.

Se saisissant d'une plume et de l'encre, priant pour qu'elle ne soit pas gelée car la température extérieure équivalait celle de l'intérieur dans sa masure miséreuse.

Citation:

Jeune serviteur cherche maître noble !

Si vous cherchez un jeune domestique sachant balayer, nettoyer, laver le sol comme vos vêtements, faire le marché, vous porter à manger... sachez, Très Honorables Nobles Champenois, que moi, Arthéos, sans titre et sans reproche, j'offre mes services à la maison qui voudra bien de moi. Drôle, inventif, poète aux heures perdues, je ne demande qu'à survivre, moi l'orphelin et le misérable, face à l'épreuve qu'est la vie.

A Vous, Respectables Nobles Champenois, mes salutations,

Arthéos.



Il relut plusieurs fois sa lettre et, convaincu qu'elle ferait l'affaire, il se précipita à l'extérieur. A la place publique, il l'accrocha au panneau d'affichage. Peut-être, pour sa survie, un noble passerait par là... N'ayant laissé de coordonnées, n'en ayant pour la bonne raison, aucune, il resta près du tableau, assis contre le mur, en tailleur et regarda les bourgeois, paysans et autres passer devant lui. Bîentôt, de légers flocons de neige tombèrent du ciel, peu au chaud dans ses vêtements, peu au chaud dans son coeur.


Ana.lise


Reims l’endormie avait eu raison de la bonne humeur d’Ana.Lise. Ce n’était pas de la mauvaise volonté de sa part mais cette ville avait tendance à lui rappeler bien des souvenirs, certes tous n’étaient pas mauvais bien au contraire mais le peu d’agitation dont faisait preuve la ville avait raison de son aptitude à vouloir positiver. Et là, accompagner son mari ainsi que sa cousine pour leur tour de garde de fin d’année avait mis les nerfs à vif de la jolie brunette. Non seulement, le voyage qu’elle devait faire avec Maltea avait été remis à plus tard mais pour couronner le tout, elle doutait franchement que ce projet passe de l’était larvaire à celui de réaliste tant tout ce qu’elle décidait ces derniers temps partait dans le sens opposé. Aussi, la jeune femme décréta qu’il était temps pour elle de faire quelque chose aussi elle fit seller sson cheval afin d’aller voir ailleurs si ce n’était pas mieux. Et puis, en éternelle optimiste, Ana espérait bien qu’une discussion ou même un sourire pouvait occuper un peu sa morne existence de ces derniers temps et lui permettrait d’observer une petite éclaircie.

Tandis que quelques flocons s’accrochaient à sa cape qu’elle tenait fortement serrait contre son corps fin et longiligne, Ana releva son visage lui permettant de se situer par rapport au trajet qu’elle s’était fait mentalement. Et ô surprise, pour une fois elle ne s’était pas trompée, s’approchant inexorablement de la ville. Un léger sourire aux coins de sa bouche vint illuminer son visage qui malgré le froid environnant avait conservé quelques couleurs qui n’étaient pas désagréables au regard. Donnant un dernier coup de talon dans les flancs de sa monture, la jeune femme accéléra le pas afin de se retrouver rapidement au cœur du bourg et ainsi pouvoir profiter d’une auberge accueillante qui lui permettrait de s’y réchauffer. L’aventure avait du bon et Ana était assez consciente de ce qu’il se passait autour d’elle pour savoir que le temps était rapidement changeant et qu’il lui faudrait se mettre à l’abri hâtivement. Si son mari apprenait qu’elle s’était laissée avoir par une bourrasque de neige, il n’aurait pas fini de lui faire comprendre qu’elle n’était guère raisonnable de partir seule sur les chemins. Et comme à l’accoutumée, Ana lui répondrait avec un doux sourire dont elle avait le secret, n’en faisant finalement qu’à sa tête mais recevant quand même des remontrances comme si elle n’était encore qu’une enfant. Certes elle adorait son mari, certes il pensait toujours à son bien à elle mais lorsqu’elle avait décidé quelque chose, elle aimait qu’on respecte ses choix et mieux valait avoir des arguments bien décisifs afin de la faire changer d’avis sinon vous vous heurtiez à un mur de pierre fortement consolidé par un entêtement hors du commun. Et après une joute verbale rondement menée, il ne restait dans la bouche d’Ana qu’un goût amer d’avoir été prise pour une enfant capricieuse, ce qu’elle n’était certainement pas.

Bref, il était temps pour elle de prendre quelques instants pour elle à l’auberge qui l’accueillait si gentiment. La brune commanda un plat afin de se restaurer après la route accompagnée d’une carafe de vin qui lui mettrait un peu de chaleur dans les veines et ferait son œuvre afin qu’elle se sente mieux. Prenant place près de la cheminée, profitant sans honte de l’âtre, elle discuta quelques instants avec l’une des serveuses qui lui avait apporté son repas. Tout se déroula dans une ambiance agréable et Ana.Lise prit plaisir à cet instant de bonheur solitaire sans devoir rendre des comptes à quiconque. Ce petit vent de liberté lui faisait du bien et sans vraiment crier gare, elle décida de rester dans ce bourg jusqu’au lendemain. Après tout, elle ne devait rien à Reims et son mari de duc était si absorbé par ses affaires au château qu’il ne remarquerait guère son absence.

Après s’être restaurée copieusement, Ana.Lise décida d’aller faire quelques pas sur la place de la ville. Flâner, prendre le temps pour elle sans devoir répondre de sa présence pour quelque chose qu’elle n’avait pas demandé la changerait à coup sûr de sa routine quotidienne tout en lui faisant un bien fou, la rassurant sur le fait qu’elle pouvait faire encore ses propres choix et tout à ses pensées personnelles et profondes sur sa propre vie, elle se retrouva non loin du panneau d’affichage. Petite manie qu’elle avait pris il y avait de ça fort longtemps, Ana prit connaissance des diverses demandes lorsqu’une d’entre elle attira son attention. Il ne s’agissait pas là de vente de bétail ou de champ, encore moins de demeure ou d’offres d’aide, mais de services. Enfin services… Ana lut et relut deux ou trois fois ce message, s’arrêtant sur l’écriture de celui qui avait tenu la plume, la trouvant finalement bien agréable à regarder. Il semblait que ce jeune homme avait une certaine éducation ce qui l’aiderait certainement à trouver un noble rapidement qui aurait l’envie de le prendre à son service. Et son esprit se mit à vagabonder avec l’idée qu’elle trouva brusquement saugrenue d’avoir ainsi un valet à son service. Mais en y réfléchissant bien… Elle laissa cette notion l’envahir à tel point que lorsqu’elle se retourna pour avancer, elle manqua de se prendre les pieds dans les genoux d’un pauvre jeune homme assis par terre. D’abord surprise puis légèrement confuse, elle s’arrêta à sa hauteur afin de s’excuser. Avisant vite fait la tenue de l’inconnu, elle se demanda si il avait de quoi se nourrir tandis que le froid retombait sur la petite ville de Champagne et que les flocons retrouvaient le chemin qu’ils avaient abandonné plus tôt dans la matinée.


Nom d’un chien, ça n’arrive qu’à moi ce genre de situation. Toujours le nez dans mes rêveries et je ne vous ai même pas vu. Faut dire aussi qu’ainsi installé, on ne vous remarque pas tout de suite…
Confuse de s’en prendre presque à l’homme au lieu de s’excuser de l’avoir pratiquement piétiné, Ana.Lise sentit le rose venir éclore sur ses joues glacées, la faisant ressembler à un phare lumineux en pleine tempête. Se reprenant rapidement, la jeune femme baissa d’un ton, se montrant beaucoup plus compatissante que les instants plus tôt. Décidément, je n'en loupe pas une aujourd'hui... Veuillez pardonner ma maladresse, j’étais absorbée par ce que je venais de lire. Il faut dire à ma décharge que je suis une éternelle rêveuse et qu’un jour cela me perdra mais… Ana se reprit, elle n’allait quand même pas se mettre à parler d’elle avec un inconnu qui semblait transis de froid.

Écoutez, la froidure recommence a étendre son manteau sur notre beau paysage champenois aussi que diriez-vous de partager en ma compagnie un bon bol de soupe à l’auberge du coin. Cela me permettrait de me montrer autrement moins tête en l’air qu’à l’instant et au vu de votre condition, cela ne peut point vous faire de mal !

L'Esquisse d’un sourire vint flotter sur la bouche rosée d’Ana, rendant son visage plus doux qu’à l’accoutumée. Elle n’aimait pas rejeter les gens, quels qu’ils soient. Gueux, artisans ou nobles, elle se mettait au défi de les prendre comme ils étaient bien qu’avec la dernière catégorie, elle avait toujours du mal, trouvant la plupart d’entre eux imbus de leur personne. Toutefois, évoluant dans ce monde elle se soumettait à leur règle mais dans cette ville, à cet instant, son esprit libre lui offrait un moment comme elle les aimait, sans faux-semblants et autres poudres aux yeux. Maintenant, tout dépendait du jeune homme qui semblait avoir attendu un long moment à cet endroit. Même s'il ne mendiait pas, Ana espérait que son offre serait assez alléchante pour pouvoir et se faire pardonner et simplement discuter avec quelqu'un.

_________________
Artheos



Une minute, une heure, une matinée, un jour... qui sait combien de temps il était resté là, à grelotter, assis à moitié dans la neige ? Toutefois, la température avait beau avoisiner les grands froids, Arthéos n'en ressentait rien. Il lui arrivait de se plonger dans ses pensées pendant de très longs instants, oubliant alors tout ce qui se passait autour de lui. La guerre aurait pu éclater, l'apocalypse et les vents du chaos auraient pu le balayer, rien n'y aurait fait. La tête contre ses genoux, ses bras entourant ses jambes, le jeune homme songeait à son enfance non très lointaine de lui. Il revoyait le sourire d'une mère, la fierté d'un père, le bonheur d'une famille. Ils étaient tellement bien, néanmoins, aucune parole ne sortait de leurs bouches, tels de vieilles et sombres ombres. Au fur et à mesure que le temps passait, le père disparassait à l'horizon à travers la fenêtre, sa faux dans les bras, pour ne plus jamais revenir. La mère, allongée sur un lit de souffrance, regardait le plafond, silencieuse et bientôt immobile. L'enfant, assis près de l'âtre de la cheminée, regardait le feu qui s'éteignait. La vie qui s'enfuyait, les larmes qui se versaient et l'impossible retour en arrière... Des jours de jeûn, des jours d'attente pour se rendre à l'évidence. Ils ne reviendraient plus. Jamais plus la silhouette du père ne se dessinerait dans l'encadrement de la porte, jamais plus la mère ne se lèverait de ce lit où elle avait fermé ses jolis yeux bleus pour la dernière fois. Arthéos, perturbé, torturé et inconsolable fut un jour recueilli par une soeur d'Eglise venue pour sa quête dominicale. Sans rien dire, aimant l'enfant comme un fils...

Une ombre, le froid, une voix... Arthéos releva la tête de ses genoux et scruta les horizons. Une jeune femme, probablement de son âge s'excusait à lui, pauvre gueux, alors qu'elle semblait au pire bourgeoise, au mieux noble. Les visages ne trompaient jamais dans les rues. Les poussiéreux comme celui du jeune homme appartenaient à la classe sociale la plus basse, celle presque sous terre. Ceux qui étaient propres marquaient à n'en pas douter, de plus hautes destinées. Le ton de la jeune femme partit aussitôt vers le reproche. Arthéos plutôt habitué à ce genre de situation, pour un jour avoir été mis au pilori alors qu'il avait marché sur la botte d'un comte, se leva, confus, croisa les mains, baissant les yeux. Quel dommage qu'il n'eût pu voir son interlocutrice rougir comme il était en train de le devenir lui-même !

S'attendant à ce qu'elle passe son chemin, ou qu'au pire elle le jette au cachot pour une nuit, Arthéos fut surpris de la suite. Celle-ci continua à lui parler et lui proposa même de la suivre dans une auberge pour dîner avec elle ! Affreusement mal à l'aise, Arthéos tenta de balbutier quelques mots.

"Vous pardonner ? Mais ma dame, je ne saurais, tout est de ma faute ; je n'aurais pas dû être ici... je vous demande d'excuser le pauvre hère que je suis...

Il fit une pause avant de réfléchir à la proposition de la jeune femme qu'il regarda furtivement dans les yeux l'espace d'une demi seconde. Non il allait refuser, il n'était pas encore à l'état de mendiant... mais soudainement son vendre lui avoua tout le contraire alors qu'il pensait au mot "soupe". Un gargouillis venu du fond de ses entrailles vint le faire changer d'avis. Peut-être, ou peut-être pas, que l'inconnue l'avait entendu. Sur l'instant, il en importait vraiment très peu à Arthéos.

"Bien... j'accepte votre invitation ma dame... mais que ma condition ne vienne pas perturber vos habitudes... vous devez sans doute être attendue à votre château... surtout que la nuit tombe... être vue avec un vilain à pareille heure pourrait vous causer du tort...

Il put enfin esquisser un sourire qui dévoila ses jeunes et véritables traits. Le misérable avait retrouvé ses allures joyeuses qu'il arborait à l'accoutumée. Toutefois encore surpris et gêné, il s'empressa d'ajouter :

"Ma dame, je me dois de vous dire que... je n'ai pas le moindre denier sur moi... voyez comme nous sommes, nous autres, bas peuple, sans le sous, pas même pour un repas si ordinaire et banal qu'une soupe... m'en voudrez-vous ?

Toujours devant le panneau d'affichage, son annonce lui était sortie de la tête. Une compagnie était tellement agréable et cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait parlé à personne excepté au curé qui le payait assez mal pour nettoyer son église. Une vraie conversation, c'est cela qui lui manquait le plus. Ses parents lui avait payé malgré leur manque d'argent un professeur avec lequel Arthéos aimait s'entretenir de tous les sujets de la vie. Son père et sa mère voulait qu'il soit plus intelligent qu'eux afin de monter dans la société et peut-être un jour, devenir notable ! Il savait effectivement lire et écrire, avantage sur les autres. Mais à quoi cela servait-il s'il se faisait payer ses repas, s'il passait ses journées dans les rues... L'infortune est passagère dans la vie des hommes, pour Arthéos, elle était omniprésente. Malgré tout, avec la rencontre de l'inconnue, il semblait qu'elle soit partie faire un tour, à la plus grande joie du jeune homme qui commençait à trembler de froid. Il regarda la jeune femme et attendit qu'elle dise quelque chose ou qu'elle avance, pour la suivre, bien derrière elle pour maintenir leurs différences de classe.
Ana.lise


L’azur de ses mirettes s’était doucement et inexorablement teinté de gris à mesure que le ciel se chargeait de cette neige dont les enfants se régalaient de pouvoir jeter sur les passants sans aucun préambule et qu’une certaine tristesse enveloppait la jeune femme. Elle savait très bien ce que le petit peuple subissait, ayant toujours donné à des jeunes gens, et des moins jeunes d’ailleurs, sans le sous dans son village. Et depuis que dernièrement elle avait investi dans une auberge elle devait bien admettre que ce qui l’avait poussé à devenir propriétaire de cette bâtisse et à la faire restaurer était l’assurance de pouvoir tendre la main comme bon lui semblait. Ana.Lise s’échinait à vouloir aider son prochain de n’importe quelle manière qui soit et la plupart du temps, ses actions étaient passées sous silence afin de ne point ébruiter l’affaire et surtout ne pas déranger cette noblesse autour de laquelle elle gravitait et qui n’entendait que rarement le ventre de son propre peuple crier famine. Il y avait belle lurette qu’elle s’était faite une raison, affichant un sourire de circonstances devant ces nobliaux peu désireux de savoir ce qui survenait réellement sur leur terre qu’ils aimaient fouler allégrement de leur chausses et habits flambants neufs, paradant tels des paons en représentation.

Chassant ces pensées qui la mettaient toujours dans un état proche de la colère, Ana.Lise reporta son attention sur cet inconnu qui s’était levé et paraissait si désespérément mal à l’aise qu’elle puisse ainsi s’excuser et passer du temps à lui faire la causette au beau milieu d’un village en plein cœur de l’hiver. Elle leva légèrement la main afin de le stopper lorsqu’il exprima à son tour des excuses mais le laissa rapidement enchaîner. Il semblait avoir reçu une certaine éducation et se démarquait de ces pauvres gens qui d’ordinaire prenaient la noblesse de haut pour leur signifier d’une façon brutale ce qu’ils pensaient d’elle et de ses représentants. Si la situation n’avait pas été aussi étrange, Ana aurait pris le temps de se moquer gentiment du dit jeune homme et de son inquiétude des convenances mais elle ressentait le besoin d’avoir vis-à-vis de lui une certaine retenue afin de le laisser s’approcher d’elle comme n’importe quelle autre personne qu’elle côtoyait, ne faisant pas cas de son statut qui l’éloignait à coup sûr de sa personne. Cet homme devait connaitre tous les mauvais côtés que sa condition à elle pouvait mettre en avant et Ana ressentit soudainement l’envie de lui montrer un autre visage de cette noblesse peu encline à tendre la main.

Et tandis que la froidure s’en prenait aux bouts de ses doigts, les engourdissant doucement à lui en faire malgré tout très mal, elle posa ses mirettes sur la silhouette en face d’elle, s’octroyant ainsi le droit de détailler ce compagnon qui allait passer un moment avec elle, évaluant plus ou moins sa force tout en s’attardant sur les lignes qui formaient son visage.

Tout comme elle, il ne devait guère avoir plus d’une vingtaine d’années. Ses traits n’étaient ni grossiers ni d’une finesse extrême mais il avait quelque chose dans sa physionomie qui inspirait de la sympathie voir même de la confiance. Et ses yeux rieurs, pétillants presque de malice sans qu’il en ait vraiment conscience amusa Ana.Lise. Ce fut l’instant que choisit l’inconnu pour accepter sa proposition non sans avoir lutté contre le bien fondé de cette dernière. Sa figure avait paru un instant contrarié, cherchant la solution la plus adaptée à sa situation et la jeune femme crut qu’il était sur le point de refuser catégoriquement son offre lorsque, et heureusement, son ventre s’était rappelé à lui, l'incitant à prendre une sage décision. Bien que la brunette ait entendu le gargouillis de la faim se manifester, elle n’avait pas relevé, laissant ainsi toute sa dignité à ce vagabond qui devait déjà certainement subir le regard des autres. Elle n’allait pas y rajouter le sien, cela n’aurait en aucun cas exprimait ce qu’elle ressentait réellement. Et afin de ne pas laisser s’installer un malaise dont elle serait responsable, Ana reprit la parole avec dans la voix cette douceur qui la caractérisait.


Et bien, sachez que je suis adepte des habitudes qui n’en sont point et que les pierres de mon château resteront en place, que je sois ici ou là. D’ailleurs, je les retrouverai bien assez tôt. Quant à ceux qui m’attendent, ils sont habitués à mes escapades de par les royaumes, ne vous en faites donc point mais c’était gentil à vous d'exprimer ainsi quelques inquiétudes de la sorte…


Marquant une pause, Ana offrit un peu plus son visage au regard de son interlocuteur, faisant tomber complètement la capuche qu’elle portait légèrement en arrière sur sa tête et qui retenait sa lourde chevelure noire de jais, la laissant ainsi se déployer sur ses épaules telle une fleur s’offrant au rayon du soleil. De sa main droite, la jeune femme chassa un ou deux flocons qui s’étaient accrochés dans sa frange puis tourna ses pupilles dans la direction d’Arthéos tout en reprenant sur un ton convivial mais assuré.


Et pour ce qui est de votre compagnie, je préfère celle d’un vilain même à cette heure indue de la journée que celle d’un de mes semblables qui ne pense qu’à sa propre personne. Aussi, si je vous ai offert gentiment de m’accompagner c’est avant tout que j’estime qu’être assis dans le froid pendant sans aucun doute ce qui ressemble à des heures peut vous être fatal et qui plus est, un peu de discussion ne nous fera pas de mal. Personnellement, je commence à en avoir soupé de parler à des murs de pierres à longueur de temps.

Un coup d’œil rapide dans la direction de l’inconnu lui montra un visage agréablement amical. Ainsi, rassurée de ne pas s’être trompée Ana.Lise élargit son sourire, lui exprimant cette confiance qu’elle avait dans l’être humain mais rapidement, la brunette fronça les sourcils. Le corps sous alimenté ne semblait guère vaillant dans ces quelques vêtements qu’il portait sur son dos et le frémissement typique que le froid provoquait attira l’œil d’Ana.

Écoutez, ne vous souciez pas de ce que contient votre bourse, c’est moi qui régal. De plus, en insistant, vous me fâcheriez et je suis certaine que ce n’est point ce que vous recherchez ? Le tout était dit sur le ton de la plaisanterie car jamais Ana n’aurait condamné quelqu’un pour un refus de la sorte. Et c’est plutôt à moi que j’en veux lorsque je m’aperçois que le peuple meurt de faim pendant que nous autres faisons bombance. Par Aristote, je ne vous en veux aucunement… mon dieu, non, non…

Ana soupira tristement, légèrement agitée. La réalité lui apparaissait à nouveau comme injuste. Oh, il ne fallait pas s’y tromper, Ana était consciente que malgré ses efforts, elle ne changerait pas la face du monde mais ses petites actions ne regardaient qu’elle finalement. Elle n’avait de compte à rendre à personne même pas à son mari alors il lui apparaissait comme une évidence que maintenant, elle ferait comme bon lui semblerait. Et si elle voulait offrir le gîte et le couvert à quiconque, elle le ferait, n’en déplaise à son entourage. Reportant son attention sur l’inconnu, elle continua sur sa lancée.


Si je vous offre un repas chaud, sachez que je le fais de bon cœur. Rien ne m’y oblige et ce n’est certainement pas pour vous faire la charité mais parce que j’ai été négligente et j’aurais pu vous faire mal sans le vouloir. Vous faites partie du peuple certes mais ce n’est pas une raison pour m’essuyer les bottes sur votre personne. Et puis, ne me dites point que vous préférez mourir transis de froid plutôt que de passer un moment en ma compagnie à vous réchauffer au coin d’une cheminée ? Allez venez, le sujet est clos. Allons de ce pas reprendre un peu de vie à l’intérieur de cette taverne.

Ana ne laissa pas le temps au jeune homme de tergiverser encore. Il fallait battre le fer pendant qu’il était chaud disait le dicton aussi appliquait-elle ce principe. D’un pas rapide, elle s’était déjà engouffrée dans une ruelle où de loin une enseigne leur désignait l’auberge que la jeune femme atteignit rapidement, ouvrant la porte d’un geste sec. Faisant un signe de la tête à son inconnu, elle lui désigna une table non loin de la cheminée.

Une fois sa cape retirée, la brunette s’installa confortablement invitant Arthéos a prendre place en face d’elle. Puis soudain, ses yeux brillèrent d’une malice contenue.


Vous allez finir par penser que je n’ai aucune éducation, je ne me suis même pas présentée… Si ma mère me voyait, elle serait rouge de honte… Bref, je me nomme Ana.Lise Di Favara d’Izard et je suis enchantée de vous connaître.


Elle allait bien finir par s’étouffer un jour à dire son nom à rallonge. Et encore, elle préférait taire ses titres, ce qui franchement n’avait rien à faire dans cette conversation mise à part rabaisser un homme du peuple à son statut de petite gens. Sourire callé aux coins de sa bouche, la jeune femme attendait que l’inconnu se réchauffe un peu car elle doutait qu’elle puisse discerner un son autre que le claquement de ses dents sortir de sa bouche. Il devait être désespéré pour attendre à l’extérieur, au plein cœur de l’hiver. Mais d’ailleurs qu’attendait-il dans ce froid ne pouvait s’empêcher de se questionner la jeune femme et comme si l'interrogation lui avait brûlé la langue, la demande fusa.


Une chose m’intrigue… que faisiez-vous assis sur le sol gelé, en plein hiver, par un temps pareil ? Vous faites pénitence ou bien désirez-vous mourir si jeune ?


_________________
Artheos



Oui... c'était bien la première fois qu'Arthéos parlait à une jeune femme. Mis à part les moines, les bonnes soeurs, les curés et quelques paysans vieillards, le jeune homme n'avait jamais eu l'occasion de parler à quelqu'un de son âge. C'était plutôt sympathique pour l'instant, malgré le malaise que ressentait le pauvre misérable. Vêtu d'une simple chemise et d'un manteau rapiécé, le froid commençait à lui infliger des tremblements de plus en plus intenses. Toutefois lorsque son interlocutrice avoua qu'elle avait bel et bien un château et qu'elle était noble, Arthéos la regarda dans les yeux. Il avait bien deviné, il penchait plutôt pour une bourgeoise, ou une notable mais elle était donc bien plus. Elle lui répondait toujours avec du bon sens, et une touche d'humour qui amusait le jeune homme et le fit à plusieurs reprises, sourire tout simplement. Sourire. Une action si simple oubliée depuis tellement longtemps. Cela lui fit presque drôle. L'inconnue noble retira alors son capuchon. Malgré l'insolence dont il faisait preuve en la regardant, il ne put s'empêcher de diriger ses yeux ailleurs. Elle était belle, tout simplement. Ses cheveux, de la même couleur qu'Arthéos étaient longs et soyeux. Le fait le plus frappant était ses yeux. Un bleu limpide, plus clair que les mers, plus perçant qu'un glaive. Terrible et cruel, beauté et merveille.
Il baissa les yeux.

"Oui, allons-y.

Il lui sourit et celle-ci marcha dans une ruelle. Les pavés étaient gelés. Les pieds d'Arthéos, simplement couverts par des chausses miséreuses commençaient à ne plus se faire sentir. Par bonheur, ils atteignirent enfin l'auberge. La jeune femme y pénétra, suivie par son interlocuteur. Les regards se dirigèrent vers eux. Quelle drôle d'image. Une pauvre auberge, un pauvre hère, une douce noble. Cela ressemblait presque à une fable. Ana.Lise s'installa à une table et invita Arthéos à se mettre en face d'elle. Plutôt perturbé à l'idée d'être vu lors d'un dîner avec une dame, le jeune homme tira la chaise et s'assit. Elle reprit alors, retirant sa cape, une curieuse malice dans les yeux qui ne déplaisait pas à Arthéos, brillait infiniment.

"Arthéos ma dame. Ravi, si je puis dire, de vous rencontrer.

A présent, Arthéos appréciait la chaleur réconfortante que dégageait le feu de la cheminée. Se frottant ses mains affreusement froides afin qu'elles se réchauffent, le jeune homme regarda une fois de plus la jeune dame. Il lui sourit avant d'enchaîner à son tour :

"Ce que je faisais... Voyez-vous, je n'ai jamais appris de métier. Je suis pauvre, je n'ai même pas de culture, d'élevage... je ne sais pas forger, ni poser les charpentes, encore moins les construire ! Je ne sais rien faire... Comme le dit le curé chez lequel je fais le ménage, je suis déjà bon à nettoyer, ce n'est déjà pas si mal.

Il laissa alors s'échapper un léger rire. Surpris, il ferma aussitôt la bouche et se mit à rougir. Puis, se rendant compte de sa sottise, il esquissa un sourire et regarda Ana.Lise.

"... Eh donc avec l'avis et l'aide du curé, j'ai écrit une affiche que j'ai posée sur le tableau à cet effet... c'est d'ailleurs là-bas que vous avez failli m'écr... que je vous ai obstrué le chemin !

Il se doutait qu'elle n'apprécierait sûrement pas mais il avait tellement l'habitude de mentir pour faire plaisir aux nobles qui martyrisaient les gens comme lui...

"Sur cette affiche, j'écris que je cherche un maître noble... Comprenez, je pense sincèrement que ma survie dépend de cela. C'est pour cela que j'attendais... assis dans la neige... je pensais que mon destin était scellé... que si je devais trouver un maître, c'était ici ou nulle part, maintenant ou jamais avant que le froid ne... m'emporte... Il sourit tristement. Voyez quelle misère accable le peuple... prêt à mourir au lieu de vivre l'enfer... Par chance vous êtes arrivée et...

Il pensa subitement à quelque chose. Le maître noble qui devait l'empêcher de décéder... c'était peut-être elle ! Subjugué par cette pensée, il ne dit plus rien et se contenta de jouer avec le bois de la table. Il leva ensuite la tête vers les yeux d'Ana.Lise.

Et si... ?...
Ana.lise


Quoi de mieux qu’une cheminée qui ronronnait de plaisir au rythme changeant des flammes qui dansaient l’une contre l’autre, se cherchant, se rejetant, s’attirant toujours plus vivement pour se sentir à l’abri de tout et apaisée ? La chaleur ainsi diffusée faisait son œuvre, réchauffant petit à petit les extrémités des doigts d’Ana.Lise ainsi que son corps qui, sans qu’elle en est réellement conscience, avait commencé à se refroidir désagréablement. Levant les yeux dans la direction de son vis-à-vis, la jolie brune se rendit compte qu’il n’était guère habillé pour la circonstance et qu’elle n’avait nullement le droit de se plaindre, étant finalement chaudement couverte par rapport au jeune homme.

Lui laissant le temps de s’adapter et surtout d’apprécier la tiédeur ambiante, Ana lui sourit lorsqu’il se présenta. Son nom lui disait vaguement quelque chose mais sur le moment ce détail lui échappait. Elle était pourtant convaincue d’avoir déjà entendu ou vu ce nom quelque part. Et comme il enchaînait à son tour, lui donnant quelques explications sur son immobilisme par ce temps de mort, tout lui revint en mémoire. Le petit mot sur le panneau d’affichage, les pensées qui lui avaient traversé l’esprit à sa lecture et sa rencontre disons plutôt brutale avec le jeune homme. Plongeant alors ouvertement son regard intense dans celui plus sombre d’Arthéos, Ana s’inquiéta.


Et tu étais donc prêt à mourir dans la froidure de l’hiver juste pour te trouver un maître ? Mais Arthéos, jouer son destin, sa vie sur un espoir….Faut-il que tu sois si désespéré pour en arriver là ?

Sans même s’en rendre compte, Ana avait abandonné le vouvoiement tant son esprit s’était agité à l’aveu du jeune vagabond. Quelle folie habitait cet homme pour remettre sa vie entre les mains d’Aristote afin de provoquer un évènement qui aurait pu ne pas venir ? Elle en était encore stupéfaite et incroyablement hébétée de savoir que des hommes dans ce pays pouvaient attendre la mort tant aucune certitude ne subsistait. Sortant de cette stupeur qui l’avait hâtivement enveloppée, Ana.Lise fit signe au tavernier de s’approcher, s’offrant ainsi quelques instants pour réfléchir sereinement. Elle lui murmura des directives, commandant un pichet de son meilleur vin ainsi que deux gobelets et surtout deux repas de sa meilleure cuisine. Et devant l’air ahuri du bonhomme, son regard s’assombrit, son visage se ferma révélant un trait de caractère beaucoup plus dur qu’à l’accoutumée. Si l’aubergiste osait faire la moindre remontrance, elle saurait le remettre à sa place dans la seconde qui suivrait. Mais rapidement, tandis qu’elle se tournait à nouveau vers Arthéos, son minois avait repris sa physionomie naturellement douce.

Ainsi donc tu cherches un maître… mais tu es conscient de ce que tu risques de subir en te mettant au service d’un noble ? Certains sont…. Humm disons… capricieux ô possible, d’autres ignore le prix d’une vie et te traiteront comme un animal…

Ses pensées se dirigèrent vers sa fille adoptive. Petit bout de femme d’une douzaine d’années à peine qui avait été donnée à un noble quelconque pour le servir et en retour avait subi toutes les lubies que l’on pouvait imaginer de la part d’un être corrompu et infâme. Heureusement, elle avait pu s’enfuir avant que le plus tragique n’arrive, provoquant sa rencontre avec Ana. Un sourire tristement las s’afficha dès lors sur les lèvres de la jeune femme à cette pensée, quant à son regard, il se voila imperceptiblement. Mais ce fut les derniers mots d’Arthéos qui trouvèrent le chemin de son esprit et sans aucun doute son cœur aidant Ana.Lise à sortir de cette peine qui l’envahissait à diverses occasions. Et tandis que le tavernier apportait deux assiettes copieusement garnies d’un met dont le fumet n’avait d’égale que la quantité, la serveuse leur remplissait les godets de vin.

Penchant la tête sur le côté, Ana fit signe au brun qu’il pouvait manger mais sachant ce dernier bourré de scrupules, sa façon de dire que leur rencontre était de sa faute et non celle d’Ana ne lui ayant pas échappé, elle rajouta plus bas tout en se penchant légèrement dans sa direction.

Je t’en prie, régale-toi et si tu as encore faim, surtout n’hésite pas à me le dire… Je souhaiterais que tu profite de ce repas, de cette taverne et que tu te tranquillises, du moins pour le moment !

Un peu taquine, la jeune femme testait les réactions d’Arthéos sans en avoir l’air. Et elle l'avait vu sourire de façon discrète certes mais il avait saisi ce qu'elle voulait faire passer, c'était déjà beaucoup pour elle. Ana n’affectionnait pas ce qui était d’emblée trop facile et aimait picoter les gens dans ses propos même si au final son grand cœur l'emportait sur la raison. Et en parlant de grand cœur, elle revint à la charge quelques instants plus tard, après avoir humecté ses lèvres du divin nectar qui jouait sur la gamme de l’amarante et autre passe-velours à la lueur des bougies de la taverne. Le rose s’installa sur ses joues, preuve que la chaleur de l’alcool mais aussi de la pièce se diffusait agréablement chez la jeune femme et cette dernière se détendit sur sa chaise.

Si je comprends bien, tu as donc appris à lire et à écrire. Tu sais que cela fait de toi quelqu’un de rare, surtout pour un valet. Et que de ce fait, il te sera demandé une totale honnêteté afin d’avoir la confiance de celui ou celle qui te prendra à son service…


Jouant désormais avec une petite miette de pain comme si de rien n’était, Ana avait insisté sur le « celle » car au fur et à mesure que le sable du temps dispersait ses grains, une évidence se faisait jour dans la tête de la brunette. Oh, elle n’avait pas l’habitude de ces choses là, profitant largement du personnel de son époux depuis qu’elle vivait à Chaumont mais elle savait aussi que c’était là un privilège dû à son rang. Suivant les méandres des idées qui se chevauchaient dans sa tête, elle essayait de les démêler afin d’y voir plus clair et ce qui lui était apparue comme une lubie quelques heures auparavant devenait pourtant une évidence. Arthéos avait besoin d’un toit, d’une place afin de vivre et elle, elle pouvait lui offrir tout ceci. Il apprendrait au fur et à mesure que le temps passerait, elle pourrait lui enseigner ce qu’elle savait et s’il était digne de cette confiance qu’elle lui demandait, elle serait en totale sécurité avec lui. Plongeant une dernière fois son regard dans celui du jeune homme, elle s’accrocha à ses pupilles semblant vouloir lire son âme à la recherche de cette vérité qui lui importait. Reprenant les derniers mots qu’il avait lui-même prononcé tout en se redressant afin de se rapprocher du jeune homme, la voix dont usa Ana ne fut qu’un murmure qu'ils étaient les seuls à entendre.

Et si… et si je t’offrais cette place que tu quémandes ? Et si tu entrais à mon service, verrais-tu un inconvénient à servir une femme plutôt qu’un homme ? Je sais que c’est là une offre peu habituelle voir même carrément surprenante et si tu refuses, je ne m’en offusquerais point. Tu es libre de t’exprimer en ma compagnie, ne craint rien Arthéos.


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Artheos



Le bout de ses doigts se réchauffait. Ses mains, piégées dans la glace, furent libérées par la chaleur salvatrice de la cheminée. Arthéos retrouvait en quelque sorte la vie, qui avait commencée à s'enfuir de lui. Puis le repas approchant, cela ne faisait qu'encourager son moral ! Rien que d'imaginer une soupe chaude faisait rêver le jeune homme. Qu'il lui en fallait peu ! Qu'il en fallait peu aux rêveries des pauvres... Parfois dévisagé par Ana.Lise, il se demandait ce qu'elle pouvait bien chercher. Peut-être regardait-elle la poussière sur son visage ? Mêlée à la neige, il ne ressemblait plus à rien. Et puis quoi ? Se regarder dans un miroir ? Oui... encore fallait-il le trouver... qui plus est quand la chose est chère...

Quand Ana évoqua la mort qu'il avait envisagée, Arthéos ne put que baisser les yeux, plutôt honteux. Il ne chercha pas à mentir et avoua simplement.

"Oui...

Alors, sans même se rendre compte qu'elle le tutoyait - car c'était ainsi qu'on parlait aux miséreux et non le vouvoiement par lequel Arthéos fut surpris - il la regarda en train de murmurer au tavernier. Que faisait-elle ? Commandait-elle le menu ? Ou bien appelait-elle la maréchaussée pour qu'on vienne le chercher ? Idée stupide... Stupide Arthéos... Tu ne fais même pas confiance aux gens qui t'aident ! Rares sont ceux qui t'adresseront un jour la parole, alors profite... Ana se retourna alors vers lui, radieuse.

"Ce que je risque de subir ? Mais ma dame, c'est le rôle du peuple que de subir les caprices, les désirs et les volontés de la noblesse. Vous nous comparez à des animaux, mais les animaux sont au moins libres. La seule différence entre eux et nous c'est la conscience.

Très heureux de ressortir ses leçons que lui avait prodigué son professeur, il ne put guère en profiter longtemps car déjà les plats furent apportés par le tavernier, accompagnés de vin versé dans de simples godets. Arthéos, dont les yeux s'étaient agrandis pensa aussitôt à l'addition. Il posa instinctivement une main à sa ceinture mais y trouva sa bourse remplie seulement de quelques deniers. Il soupira et regarda Ana.Lise, mais avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, celle-ci se pencha vers lui. Il l'écouta et lui sourit.

"Je vais en profiter c'est certain... mais c'est tout de même fâcheux que vous payiez ce dont vous ne toucherez pas...

Prenant sa cueillère, Arthéos plongea l'ustensile dans le bol. Il se rendit compte qu'il tremblait. Tâchant de n'en pas paraître, il tenta en vain de contrôler son bras. Soufflant légèrement pour refroidir la soupe, il la déposa ensuite dans sa bouche. Une sensation de chaleur beaucoup plus intense s'empara de lui. Enfin il mangeait chaud ! Le pain rassis et gelé était très loin derrière lui. Les légumes et leurs feuilles étaient oubliés... Il put même profiter du vin ! Posant la cueillère, il se saisit de son godet et trempa ses lèvres dans le breuvage qui lui rendit la totalité de ses couleurs. Il posa ses yeux sur Ana.Lise qui s'essayait aussi au nectar et qui lui parla, visiblement très à l'aise.

"L'honnêteté est l'une de mes qualités premières ! Si jamais quelqu'un m'offrait un jour sa confiance... Ce dont je doute.

Il put reprendre de la soupe et du vin, prenant néanmoins ses précautions afin de ne pas tout avaler trop vite. Ana.Lise revint alors près de lui et lui murmura quelques mots que lui seul entendit, que lui seul savoura. Passant sa main sur ses lèvres pour les nettoyer, geste peu élégant mais geste naturel, il avala littéralement ses paroles.

"Entrer à votre service serait une joie inconcevable... Qu'importe l'homme ou la femme... il y a des avantages et des inconvénients au même nombre et chez les deux...

Un sourire vint orner pour toujours son visage. Personne ne le lui retirerait. Il reprit une cueillerée de soupe et regarda sa future maîtresse.

"J'accepte bien sûr avec un grand plaisir ! Je... je ne sais pas quoi dire... vous me sauvez, me redonnez le sourire... je... vous... merci...

Il voulut trinquer mais cela ne se faisait pas. Il voulait faire tant de choses qui ne se passaient jamais entre domestique et maître... Il sourit juste.

"Ma dame... que désirez-vous à l'instant ? J'ai hâte de commencer...

Cette nouvelle l'avait perturbé au point qu'il ne regarda plus son plat ni son godet. Il scrutait les réactions d'Ana, amusé, et lui sourit. Tandis que le feu crépitait, la nuit dehors tombait de plus en plus. Lorsque la Lune pointa ses rayons par la fenêtre de la taverne et que les étoiles dessinaient les ancêtres d'antan, Arthéos songea à la fierté de ses parents, de son professeur et de son ami le curé. Ce soir, il ne scruterait pas le ciel comme à l'accoutumée. Il ne prierait pas non plus. Il discuterait tout bonnement avec sa maîtresse, tant qu'elle le voudrait et seuls les astres savaient la suite des évènements.
Ana.lise


De sourire en sourire, de coup d’œil en coup d’œil, Ana.Lise observait ce jeune homme qui était tout à la fois hésitant et plein d’espoir. Son visage exprimait tant, et de différentes manières, ses émotions qu’elle aurait pu lire en lui comme dans un livre ouvert. Toutefois, ne s’en offusquant pas, elle l’enviait presque de pouvoir encore garder son naturel sans devoir avoir recours à des subterfuges afin de masquer au mieux ce qu’il ressentait. Alors, tandis qu’il la remerciait de ce qu’elle faisait pour lui, Ana laissa couler son regard sur ce visage encore jeune et qui malgré la poussière et les quelques traces qui s’y trouvaient était tout à fait présentable. D’ailleurs, il y avait quelque chose chez cet être qui avait retenu son attention dès le début de leur rencontre, elle en restait persuadée et s’efforçait de trouver réponse à cette question sans trop le mettre mal à l’aise, ce qui n’était pas évident bien entendu. La sensibilité dont faisait preuve Arthéos, elle l’avait vu légèrement rougir à plusieurs reprises, l’avait attendrie. Mais elle ne voulait surtout pas qu’il soit gêné en sa présence sinon leur relation en pâtirait, elle en était fortement convaincue aussi Ana jeta petit regard par petit regard, ça et là, sans trop insister mais assez pour se faire sa propre idée de la personne qu’elle venait d’engager.

S’arrêtant sur le haut du visage, Ana.Lise put rencontrer deux mirettes, grandes et sombres, aussi vives que l’éclair et pétillantes à souhait. La baronne devina alors un esprit incisif et fort bien développé qui n’avait sans aucun doute de cesse d’observer son environnement et lui permettrait d’anticiper si ce n’était les évènements au moins l’attitude de certaines gens dans l’entourage de la jeune femme. Tous ne lui voulaient pas que du bien, la brunette en était fortement consciente, et si Arthéos pouvait lui éviter certains pièges, elle lui en serait éternellement reconnaissante. Le monde dans lequel il allait entrer par le biais de son poste n’était pas de tout repos et protéger Ana, entre autre chose, de toutes les façons possibles allait devenir son crédo.

Continuant sa flânerie sur le visage de son vis-à-vis, Ana.Lise releva aussi avec intérêt que ses traits avaient gardé quelque chose de l’enfance qui offrait à sa frimousse une certaine douceur malgré l’âge que le jeune homme affichait maintenant. Sa chevelure, par contre, s’affichait en bataille, amusant la jeune femme lui octroyant la pensée secrète qu’Arthéos, malgré son souhait de servir la noblesse, avait une petite once de rébellion cachée qui ne demandait qu’à s’exprimer. Et elle le découvrirait avec joie au fur et à mesure des semaines qui viendraient, elle en était persuadée car même s’il lui devait le respect plus qu’à toute autre personne, elle souhaitait à ses côtés quelqu’un qui ne ressemblait pas à une rivière transparente. Certes Arthéos n’avait pas intérêt à dépasser les limites qu’elle lui fixerait rapidement mais Ana n’était pas du genre à le punir s’il tenait à émettre une idée même contradictoire. Ne l’avait-elle pas fait autrefois lorsqu’elle était au service du baron ? A cette pensée, son propre sourire étira plus largement ses lèvres. Combien de fois n’avait-elle pas tenue tête à ce noble qui se croyait tout permis au point de vouloir l’écraser par son attitude mais même si elle s’était opposée à lui, elle avait toujours tenté de le faire en respectant la personne et en tournant sept fois sa langue dans sa bouche ce qui s’avérait parfois un exercice de haute voltige, il fallait bien l’avouer.

Ana.Lise n’était pas du genre à être malléable, avec quiconque d’ailleurs et surtout, elle avait conscience que dans certaines circonstances elle pouvait aller au-delà de ce qui était permis, même pour elle. C’était dans sa nature, « une vraie Di Favara » aimait à lui rappeler son époux lorsqu’elle montrait ce côté de sa personnalité et à ce moment-là, elle aurait aimé qu’on le lui dise même discrètement. Si la confiance qu’elle espérait mettre en les mains d’Arthéos était celle qu’elle désirait vraiment, ressentant ce besoin de lui confier sa personne, alors il aurait cette prérogative aussi.

*Le pauvre ! * pensa la jeune baronne tout en continuant à réfléchir sur ce qu’elle voyait. Le jeune homme aurait une vie sans aucun doute mouvementée dans les mois qui allaient venir. L’adaptation ne se ferait pas toute seul, ni pour Ana qui avait tendance parfois à oublier que le monde existait et ni pour lui qui serait obligé d’être à ses côtés constamment. *Quelle surprise me réserve ta venue à mes côtés Arthéos ?* continua son esprit au plus profond de ses pensées.

Reprenant tranquillement sa respiration, Ana jeta un œil sur l’assiette de son valet puisqu’elle pouvait dès à présent le nommer ainsi pour s’apercevoir qu’il avait eu là une bonne fourchetée. Cela lui procura un certain plaisir de le voir profiter d’un véritable repas qu’il n’avait pas dû avaler depuis longtemps puis se pencha à nouveau vers lui.


Et bien Arthéos, si tu as hâte de commencer sache que tu es désormais à mon service depuis quelques minutes déjà. Que le premier qui y trouve à redire quelque chose choisisse bien ses mots car il aura à faire à moi !

Ponctuant sa phrase d’un sourire dans lequel perçait l’amusement, elle prit le temps de boire une nouvelle gorgée de ce vin qui avait le mérite d’être agréable au palais avant de reprendre tranquillement.


Pour commencer, ce soir tu dormiras dans un bon lit. Le tavernier te montrera ta chambre dès que nous aurons fini cette conversation et je ne veux rien entendre ! Tu dois reprendre des forces car demain nous repartirons dans la matinée. Je dois rentrer à Reims où mon époux séjourne.

Redressant le visage, Ana eut soudain comme un air de défi dans le regard et dans son attitude. Fière, presque rebelle, ses yeux prirent un ton plus soutenus qu'à l'ordinaire semblant briller de mille feux.

Je ne peux pas t’affirmer qu’il sera ravi de te voir entrer à mon service. Il aime bien s’occuper de ces questions-là mais il n’aura rien à redire. C’est ma décision et je n’en démordrai pas. Je n'ai de compte à rendre à personne et si j’ai le désir de t’avoir à mes côtés personne ne me fera changer d’avis…
marquant une petite pause, Ana.Lise respira profondément avant de poursuivre. Ta vie va désormais changer Arthéos tout comme la mienne change chaque jour qu’Aristote me fait vivre sur cette terre. Je place en toi ma confiance, ne me déçois jamais mon ami sinon tu t’exposeras à une rancune sans merci.

Le prévenir d’emblée n’avait rien d’une menace pour Ana. Elle voulait simplement qu’il sache que la moindre trahison, quelle qu’elle soit, aurait des répercutions pour tout le monde et elle estimait que cette mise au point leur était nécessaire. Après tout, elle venait juste de le rencontrer même si quelque chose lui disait en son moi intérieur que c'était LA personne qui lui fallait, Ana se tenait encore un peu sur ses gardes, juste encore un peu. Et ce fut à cet instant que la jeune femme comprit qu'elle grandissait et ce grâce à ce jeune homme sortit de nulle part qu’elle avait rencontré par une journée d’hiver. Penchant sa tête sur le côté, maitrisant l'étonnement qu’elle ressentait au plus profond d’elle-même, ses traits se firent plus doux en regardant Arthéos. Ne désirant pas encore écourter leur tête-à-tête, la jeune femme reprit la parole.

Demain, pendant notre voyage nous aurons tout le temps de discuter de ce que j’attends de toi mais dis-moi encore une chose, qu’espères-tu faire à mon service, qu’attends-tu de ta place Arthéos ?


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Artheos



Quand Ana.Lise conclua définitivement leur accord et menaça quiconque oserait s'en prendre à son valet, Arthéos ne put retenir un sourire amusé. Et voilà, il avait enfin trouvé ce qu'il cherchait depuis tant de temps. La chance avait tourné et la bise de la nouveauté venait le chatouiller agréablement. Approcher les nobles n'étaient pas chose aisée. Parmi ses récentes et vieilles rencontres, Arthéos en retiendra certainement pour toujours. Outre le comte et le pilori, il y eut le baron et le cachot. Une nuit qu'il était à flâner dans les rues de Rennes, un homme, baron de son état et de naissance, se croyant tout permis, l'avait poussé et étalé sur les pavés d'une petite rue. En gentil homme, Arthéos s'était relevé mais le noble le repoussa de sa botte qu'il maintint sur son torse. Ses mots étaient durs, ils disaient que c'était là la véritable place des gueux : sous les chausses des nobles gens. Le jeune homme n'avait pas bougé, pourtant, l'acte cité comme de rébellion qu'il avait entrepris en voulant se relever, lui avait valu une nuit dans les froids cachots de la ville...

La meilleure des histoires fut sans aucun doute celle de la duchesse, de son sabot et du bourreau. Un jour, qu'Arthéos passait allongé dans les herbes basses du Poitou, un cortège passa devant lui. Endormi, et le chapeau sur sa tête pour se couvrir du soleil d'été, le jeune homme oublia de retirer son couvre-chef devant le défilé. Son geste ne parut pas inaperçu. Une vieille femme, mégère, revêche et peu jolie, le guettait par la vitre de sa voiture. Quand elle s'aperçut, entre ses rideaux, que le gueux ne retirait pas son chapeau devant son passage, elle ordonna l'arrêt du cortège et l'arrestation d'Arthéos. On arrêta ce dernier, à peine éveillé et le mit à genoux sur la route. La duchesse sortit de son carosse et vint à la rencontre de l'accusé. La poudre, qu'elle mettait en excès sur son visage avait marqué à jamais l'image des vieilles femmes nobles que se faisait Arthéos. Celui-ci d'ailleurs, afin qu'on lui pardonne sa faute, devait baiser le pied de la riche duchesse. Arthéos s'exécuta, se rappelant les avertissements de son professeur sur les nobles qui disaient qu'il fallait toujours obéir à ses supérieurs. Toutefois, les lèvres du jeune homme vinrent toucher les luxueux sabots de la vieille. Cette dernière fulmina et ordonna qu'on attache ce bandit. On le ficela et l'emmena au château, non loin du village. Sa sentence, il devait la passer dans les sous-sols sordides du castel où un pseudo-bourreau le torturait avec des plumes sous les yeux ravis, pervers et sadiques de la duchesse. On le relâcha dans la journée suivante, avec pour seul vêtement, un linge cachant sa dignité.

Ces deux histoires pour revenir au fait que l'approche avec Ana s'était passée dans de très excellentes conditions si on considère ce vécu affreux. Arthéos écouta alors les dires suivant de son interlocutrice en songeant que la vile duchesse aux sabots devait probablement à ce jour, être décédée. Lorsqu'elle évoqua un lit, il fut surpris et mal à l'aise. Cela faisait des années qu'il n'avait pas touché un... lit. Les sacs de légumes, de fumier et autres pourritures avaient été ses seuls matelas. Il avait dû rougir à cet instant, glissant un simple merci. Il n'avait pas voulu l'offusquer en refusant, mais ne rien dire aurait pu être encore plus mal vu. Une nuit de sommeil pour reprendre des forces avant de voyager. Voyager ? Reims ? Mais il n'était pas prêt ! Son esprit s'embrouilla, il devait avertir ses parents, ses proches, son professeur. Il devait préparer ses bagages et... Et rien... il n'avait rien, il n'avait personne. Cette terrible réalité gagna son cerveau. C'était effarant de constater qu'il pensait encore à ses parents et à son ancienne vie... Revenant doucement mais difficilement à son état, il scruta sa maîtresse alors qu'elle parlait de son mari. Un homme sans doute de très bon sens s'il l'avait épousée. Allez savoir qui il était... sans doute cette question se résoudrait bien vite. Arthéos sembla toutefois anxieux à l'idée qu'il ne puisse pas convenir aux désiderata de l'époux. Mais quand il resongea à ses aventures nobliesques, il sourit et s'avoua qu'on ne pouvait pas faire pire.

Sa vie allait changer... ce ne serait que la seconde fois... pourvu que cette nouvelle occasion soit moins douleureuse et moins intense. L'avertissement donné ensuite par Ana.Lise fut très précis et très net. Il voulut lui avouer qu'il n'était pas malhonnête, ni avide, ni méchant, mais il préféra rester muet, de peur qu'elle ne le prenne pour un menteur. Ne disait-on pas que se défendre trop férocement était reconnaître sa culpabilité ? Laissant cette mise au point mijoter dans son cerveau, Arthéos écouta la question de la noble. Question à laquelle il sourit. Penchant la tête et se rendant compte qu'il lui restait de la soupe, sans doute froide, et du vin dont il n'avait plus envie, il passa la main dans ses cheveux batailleurs, songea, et répondit :

"Ma place... je vous servirai avec toute la loyauté qu'un valet doit donner à son maître. Je sécuriserai chacun de vos déplacements, laverai votre linge, assisterai à quelque cérémonie à vos côtés, vous rappelant le nom des invités qui s'approchent de vous et dont vous ignorez jusqu'à leur identité... non pas que vous ayez une mémoire de poule ! De poule ! Non pardonnez-moi... si vous aimez les poules, elles ont très bonne mémoire... oh oui... des créatures fascinantes... il ne leur manque que les dents en fait !

Tais-toi donc idiot, tu t'enfonces tel un clou qu'on frappe violemment... Rougissement, toussotement, repositionnement convenable sur la chaise.

"Ce que j'attends... nous sommes des passants illusoires, sur des chemins qui ne mènent nulle part... certains sont retenus à des éternités futures, d'autres au fond d'une prison sans murs... Les grands dont on retiendra toujours les noms et les faibles qui seront oubliés... J'aimerais peut-être... qu'on pense un petit peu à moi plus tard... comme le valet à la fidélité exemplaire... mais je dois rêver... On ne peut pas se souvenir d'un domestique... alors je me contenterai de faire briller votre existence afin qu'on se rappelle au moins de vous... Mes services contre de la nourriture et un toit... c'est peut-être trop beau pour être vrai...

Amusé, il se pinça et ressentit la douleur à laquelle il sourit. Il aurait voulu poser tant de questions à sa maîtresse mais un valet n'était pas là pour cela. Il conseillait, très rarement certes, mais posait occasionnellement des questions indiscrètes.

"A quelle heure dois-je me tenir prêt demain ? Avez-vous besoin de quelques produits du marché pour déguster pendant le voyage ? Votre cheval a-t-il besoin de soins, son écurie est-elle propre ?
Ana.lise


La poule la fit sourire et de le voir s’empêtrer dans des excuses qui ne voulaient guère se faire efficaces amusa beaucoup Ana.Lise. Non pas qu’elle soit moqueuse et savourait les chutes d’autrui mais il fallait bien avouer qu’elle était une gaffeuse-née et de voir à quel point elle n’était pas la seule sur cette terre la rassurait même si, pour une fois, c’était aux dépens d’une personne. Son sourire se fit alors plus tendre, plus amical, plus doux, veillant à rassurer Arthéos qu’elle n’allait pas lui tordre le cou comme à une poule qui se serait mise à la picorer. Puis le jeune homme continua sur sa lancée, rattrapant le cours de ses pensées et répondit à la dernière question d’Ana. Satisfaite de ce qu’elle entendait, la jeune noble dodelina de la tête en signe d’approbation.

Bien… très bien. C’est tout à fait ce à quoi j’espérais en te prenant à mon service. Et il faut que tu saches que je n’ai jamais vraiment eu de personnel à moi. Bien sûr j’ai déjà eu l’occasion de donner des directives au personnel du château mais ce n’est pas la même chose. Même si je les sens loyaux envers moi, je n’ai jamais construis de relations réellement sincères avec eux pour me permettre de leur faire une totale confiance. Mais ma route a croisé la tienne et pour une raison que je ne m’explique pas, je te prends à mon service. Est-ce un réel besoin, est-ce la main du Très-Haut qui me guide je ne le sais point. Tout ce que je sais c’est que désormais je peux compter sur quelqu’un et je dois avouer que cela me soulage vraiment et me rassure…

Ana avait laissé sa phrase en suspens. Avec sa franchise habituelle, elle avait parlé sans détour, à cœur ouvert même si cet homme n’était encore qu’un inconnu pour elle. La jeune femme ne savait pas mentir, c’était pour elle un exercice tortueux qui la mettait mal à l’aise et il fallait bien avouer que dans le monde dans lequel elle vivait, le mensonge et la trahison étaient les deux caractéristiques qui animaient les nobles. Retenant un soupir de frustration, elle s’efforça de chasser les nuages qui parfois venaient s’amonceler autour d’elle lui rappelant qu’elle n’était pas faite pour cet univers. Combien de fois ne l’avait-elle pas répété à son époux, combien de fois ne s’était-elle pas épanchée auprès de sa cousine, elle ne les comptait plus. Et son esprit s’accrocha à ce que le jeune Arthéos lui disait. Si il veillait sur elle alors elle pourrait se détendre un peu, ne plus avoir peur de faire un faux pas à chaque fois qu’elle faisait quelque chose, se sentir un peu plus à son aise où qu’elle aille et peut être commencer à éviter de s’en aller à tout bout de champ parce qu’elle se sentait oppressée de devoir faire des courbettes à des gens qu’elle exécrait au plus haut point.

Ana ne manquait pas de caractère mais émotionnellement, elle se laissait souvent dépasser par les évènements ce qui lui portait préjudice à ne pas en douter. Ainsi, maintenant, elle ne serait plus seule face à son destin et elle voyait déjà les langues de vipères siffler autour d’elle, s’imaginant bien des choses ou encore les inventant pour plus de commodité. Mais pour une fois depuis fort longtemps, Ana se sentit rassurée et s’en amusa presque de l’idée. Reportant son attention sur Arthéos, elle trouva ses propos emprunt de réalité qu’elle en fut touchée.


Tu sais Arthéos, je ne cherche aucunement à briller. Je serais presque du genre à m’effacer au profit des autres. Je laisse volontiers la gloire aux autres et je fais ce que je dois faire sans rien demander en retour. C’est ainsi, je ne cherche pas à ce que l’on me regarde de trop près, je n’aime pas ça et les nobles sont déjà bien assez curieux entre eux sans pour cela leur donner de quoi alimenter leur commérage et autre petite discussion entre amis. Toutefois, cela ne remet aucunement en question ton travail à mes côtés, bien au contraire. Il y aura à faire, j’en suis consciente. Et ce n’est point trop beau pour être vrai Arthéos. Tu auras un toit, de la nourriture autant que tu le souhaites et je t’offre ma protection en échange de tes services. Tu n’as plus aucun souci à te faire de ce côté-là…


Laissant sa phrase mourir d’elle-même entre ses lèvres, Ana.Lise aperçut le jeune homme se pincer. Amusée, elle avait lui demander ce qui lui arrivait mais déjà ce dernier avait repris la parole à une vitesse folle. Légèrement surprise, la jeune femme ouvrit un peu plus les yeux tout en se demandant si son valet avec encore beaucoup de question à poser puis elle s’amusa de la situation car si tout était nouveau pour elle, il devait en être de même pour Arthéos. Et une pensée traversa l’esprit d’Ana. Deux innocents dans ce monde de brutes ! A coup sûr, tout ne serait pas rose tous les jours.

Et bien mon ami, quelle précipitation ! fit encore Ana sur un ton amusé afin qu’il ne se blâme pas lui-même de sa hardiesse à poser tant de questions. Si sa curiosité était si vive, elle contenterait Ana qui lui donnerait matière à la satisfaire, quelque soit les circonstances et le contexte posé. Alors pour te répondre, nous partirons au milieu de matinée bien que j’aime me lever aux aurores. Je trouve qu’une journée ne peut bien commencer que lorsque nous voyons le soleil poindre son nez.

Souriante, elle observait son jeune ami lorsqu’elle lui parlait. Elle aimait voir ses émotions sur son visage se décliner sur tous les tons car elle se doutait bien qu’il notait dans sa tête la moindre information qu’elle lui donnait afin de pouvoir la servir au mieux. Tout en gardant son regard dans sa direction, sa main droite vint décrocher une bourse qu’elle avait à la taille, dans sa petite escarcelle en cuir de voyage qui ne la quittait que rarement. Etant une jeune femme qui privilégiait les coups de tête, elle se tenait toujours prête à n’importe quelle éventualité ou voyage à faire dans l’immédiat. Ana tendit son bras afin de déposer la bourse à côté de l’assiette sur la table.

Tu trouveras assez d’écus dans cette bourse pour faire les achats nécessaires dont nous aurons besoin. Ana lui disait par le biais de ce premier travail toute la confiance qu’elle lui faisait et son visage offrait une sérénité sans pareil. Je te charge de nous ramener pain et fromage pour le voyage ainsi qu’une gourde d’une boisson quelconque. On n’a beau être en hiver, le trajet nous donnera, à ne point en douter, soif. Si tu arrives à nous trouver quelques fruits, n’hésite pas. Je te fais confiance quant à ton jugement concernant leur qualité mais attention à ne pas te faire arnaquer. Certains commerçants ont tendance à mettre leurs plus beaux fruits hors de prix dès qu’ils ressemblent à quelque chose de potable.

Finissant son godet de vin, elle fit signe à Arthéos de prendre tout ce qui lui appartenait puis se leva. Prenant la direction des escaliers qui menaient aux chambres à l’étage, Ana s’arrêta brusquement puis se retourna vivement afin de faire face à son valet. Après l’avoir regardé de la tête aux pieds, elle reprit la parole.

Arthéos, tu en profiteras pour quérir une paire de chausses ainsi que des braies dignes de ce nom. Mon pauvre, il est temps que tu ais un peu plus chaud.

Prenant soudainement le tissu de sa cape entre ses doigts, Ana.Lise en palpa l’étoffe qui semblait vouloir se décomposer sous le mouvement pourtant lent qu’elle donnait à ses doigts.

Humm je vais écrire à mon oncle afin qu’il te fasse une tenue digne de ce nom. Je préfère que cela soit un maître tisserand qui s’occupe de toi et tu peux me faire confiance, tu seras parfait. Martino a un sens exacerbé du détail qui te plaira j’en suis certaine. En attendant, trouve-toi une cape un peu plus chaude que cette… harde je te prie sinon tu risques de ne pas supporter le voyage à cheval.

La noble fit signe au tavernier d’approcher. Ce dernier se tenait non loin d’eux et n’attendait qu’un mouvement de tête afin d’avancer dans leur direction.


Arthéos, soit ici-même à 10 heures demain matin, prêt à partir. Mon cheval est à l’écurie de l’auberge et sieur Gaston le bien nommé me prête un autre animal afin que tu puisses te rendre à Reims avec moi. Ne sois pas en retard mon ami sinon nous n’arriverons pas avant la nuit tombée dans la capitale et je ne voudrais pas que l’armée du duc nous prenne pour cible du haut des remparts.

Ana s’imagina quelques secondes la scène et une légère grimace étira ses lèvres. Le duc en ferait toute une maladie et elle, elle s’en voudrait toute sa vie. Autant faire sonner le glas de suite, cela irait plus vite afin de l’enterrer.

Maintenant va te coucher. Je pense que les émotions de cette drôle de journée vont se rappeler à toi et le mieux est d’être reposé pour y faire face.

La jeune femme posa un pied sur la première marche de l’escalier puis se retourna lentement, regardant Arthéos qu’elle avait laissé aux bons soins de Gaston et ne put s’empêcher de lui souffler.


A demain Arthéos. Que cette nuit t’apporte douceur et sagesse ainsi que la tranquillité d’esprit à laquelle tu aspires.

Une poignée de secondes plus tard et Ana disparaissait jusqu’à sa chambre. La nuit devait être salvatrice car le voyage s'annonçait déjà un long chemin de questionnement en tout genre.Il lui faudrait mettre au courant son valet dans quelle famille il atterrissait ainsi que ce qu'il aurait besoin de faire réellement. Tout un programme en perspective et rien qu'à la pensée, Ana se sentait fatiguée. D'ailleurs, elle ne mit pas longtemps à fermer l'oeil pour la nuit dans le silence qu'offrait cette auberge


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Artheos


Ana.Lise posa une bourse à côté de l'assiette d'Arthéos. Celui-ci n'avait probablement jamais vu autant d'argent entassé dans un petit sac de cuir. Il jeta des coups d'oeil aux autres clients. Certains étaient peut-être des brigands. Il fallait se méfier. S'ils voyaient la bourse sur la table, ils retiendraient à coup sûr le visage du jeune homme et lui déroberaient le écus de sa maîtresse. C'était son renvoi immédiat. Aussi, pendant qu'Ana lui expliquait ce qu'elle désirait, Arthéos cacha l'argent à sa ceinture, sous sa triste veste rouge pourpre. Il retint par la suite tous les ingrédients que voulait la baronne dans sa tête, son instrument le plus fiable. Ana.Lise tint à l'avertir des escrocs profitant de la naïveté des petites gens. Souriant, se voulant réconfortant, le valet hocha la tête. Il les connaissait ces arnaqueurs. L'argent, toujours plus d'argent ! Tels étaient leur cri et leur devise.

Ana.Lise fit alors signe à Arthéos de se lever. Elle termina rapidement son godet de vin. Tous les deux prirent la direction de l'étage mais elle se stoppa brutalement et se remit face à son domestique. Elle toisa sa tenue et en glissa quelques mots avant de soudainement toucher l'un de ses vêtements qui se décomposait à n'importe quel contact. Les doigts fins de la dame n'y échappèrent pas.

"Oh ma dame... ne dépensez pas plus d'argent pour moi... surtout pour une tenue... toutefois... si cela pouvait m'éviter le froid... j'ai hâte de rencontrer Monsieur Votre Oncle !

Il lui sourit tandis que le tavernier s'approchait d'eux. L'allure humble, la moustache et le tablier, son image correspondait à sa profession. Alors qu'il était près du valet et du maître, Ana.Lise faisait ses dernières recommandations. Quand elle dit que l'homme en face d'eux, nommé Gaston, lu avait réservé un cheval spécialement pour lui, Arthéos parut surpris et inclina la tête en signe de remerciement, cachant ses craintes. Craintes ? Oui... il n'était jamais monté à cheval ! Il déglutit lentement. Puis la baronne évoqua l'armée du duc s'ils arrivaient en retard. Encore plus anxieux, Arthéos sourit d'un jaune poussin.

Ana.Lise dit encore quelques mots et monta une marche avant de se tourner une nouvelle fois vers lui et le tavernier. Pour la première fois depuis... longtemps... on lui souhaita une bonne nuit. La dernière personne qui le lui avoir murmuré devait être sa mère, la veille de son décès.

"Bonne nuit... ma dame.

Avant qu'elle ne lui tourne le dos, Arthéos s'inclina, reconnaissant et la regarda monter à sa chambre. Le tavernier passa ensuite devant le jeune homme et l'invita à grimper avec lui les escaliers de bois. Il lui désigna la chambre de sa maîtresse et la sienne, trois pièces plus loin. Une chambre... en voilà enfin une... Gaston le laissa. Arthéos lui demanda de le réveiller à sept heures demain matin. Quand il ferma la porte, le jeune valet se jeter sur le lit. Il ne désirait que le sommeil et un léger confort. Il les avait. Il resta longuement, les mains derrière la tête, à regarder le plafond avant de s'endormir ainsi, glissant sur lui les douces couvertures. Le silence le perturba presque mais il s'y habitua vite. Ressassant sa journée, rêvant de ses futurs jours, la nuit passa rapidement.

A sept heures, Gaston toqua à sa porte. Arthéos se réveilla doucement et s'étira de tout son long. Quel doux bonheur... Il remercia le tavernier qui avait passé sa tête dans l'encadrement puis se leva, prêt à affronter cette journée qui s'annonçait riche en évènement. Ses premiers pas sur le dos d'une bête, ses premières courses, sa rencontre avec la famille d'Ana.Lise... Vérifiant qu'il avait toujours la bourse confiée par cette dernière, il quitta l'auberge et se dirigea vers le marché. A cette heure, les produits frais rayonnaient sur les étals. Humant les odeurs, se frayant un passage parmi les gens, Arthéos scrutait les marchands et la marchandise. Il parvint à acheter du fromage et du pain qu'il pensait de bonne qualité. Les emballant dans un linge, il trouva également une gourde qu'il remplit d'eau froide de la fontaine de la ville et qu'il pendit à la taille. Les provisions étaient faites. Se remémorant les dires de la baronne, il pensait ne rien avoir oublié. On le vit, quelques instants après, ressortir d'une échoppe d'un tisserand avec une vieille cape, un peu moins sale, rapiécée et trouvée que la précédente : il n'avait pas voulu gaspiller l'argent d'Ana.lise dans une cape royale. D'ailleurs, n'importe qui aurait pensé à fuir avec l'argent, mais cette idée n'arriva même pas au cerveau d'Arthéos qui se dirigea à présent vers l'auberge.

Mais tout aurait bien pu se passer s'il n'était pas passé devant l'écurie du bâtiment... Il s'engouffra à l'intérieur où les chevaux étaient calmes. Arthéos posa la nourriture sur un banc et s'approcha de l'imposante bête. Il approcha sa main de la gueule de l'animal qui dévoila quelques dents carrées. Apeuré, le jeune homme retira ses doigts. Sur son dos... avec ou sans selle ? Sans étrier ? Impossible. Alors, il approcha un banc du cheval et monta dessus. Il escalada ensuite la monture qui n'apprécia vraiment pas sa présence. Arthéos avait beau s'accrocher à sa crinière, la bête hénissait et donner des coups de pattes arrières. Bientôt, le jeune valet tomba de l'autre côté, dans la paille. Il resta assis, maudissant le cheval, avant de filer, reprenant les victuailles et retournant dans l'auberge. Il devait être huit heures.

"Avez-vous préparé ce que je vous avais demandé ?

Gaston sourit et hocha la tête. Il lui tendit un plateau chargé de mets délectables pour un petit déjeuner. Arthéos le remercia grandement. Le fromage et le pain dans leur linge sous son bras droit, le plateau tenu à deux mains, le jeune homme monta les escaliers jusqu'à la chambre de sa maîtresse. Il respira un grand coup et frappa quelques légères fois avant de passer sa tête, parsemée par endroit, surtout dans les cheveux, de brindilles de paille, dans l'entrebaillement de la porte.

"... ma dame ? Petit-déjeuner !

Il fit passer le plateau par la porte et chercha sa maîtresse des yeux.
Ana.lise


Le soleil réchauffait de ses premiers rayons doucereux le visage qu’Ana.Lise lui offrait derrière le carreau de sa chambre. Elle était là, debout, les bras croisés devant sa poitrine, les mains posées délicatement de chaque coté de son buste, observant l’extérieur sans vraiment le voir, le regard une nouvelle fois perdu au beau milieu de ses pensées. La veille au soir, elle avait pris du plaisir à discuter avec ce jeune homme qui était devenu en quelques heures son valet et il avait réussi à la faire sourire, elle qui ne souriait plus vraiment depuis quelques temps. Son mariage la minait, lentement, inexorablement, broyant chaque espoir qu’elle avait pu fonder dans sa grande naïveté. Mais qu’était-il donc arrivé à cette famille en si peu de temps se demandait-elle encore au saut du lit. Des fiançailles qui avaient durés de longs mois, un mariage qui avait tardé à aboutir, de la joie, de la bonne humeur et puis tout s’était effrité sans crier gare, sans vraiment qu’elle puisse faire quoique ce soit. Et le constat était là, à son réveil, chaque matin qui sonnait l’annonce d’une nouvelle journée. La jeune femme prenait le temps de remettre le masque dans lequel elle s’enfermait jusqu’au soir où seule dans sa chambre elle pourrait enfin le retirer. Jamais elle ne montrait à quiconque sa peine ou sa douleur d’être ainsi délaissée. Son époux ne faisait plus vraiment attention à elle, préférant la compagnie de ses conseillers ou plutôt conseillères au château que de vivre un minimum avec elle, les enfants de ce dernier s’étaient petit à petit éloignés aussi alors que lui restait-il vraiment ?

Un soupir, le cœur lourd de ces pensées qui l’entraînaient vers le fond, retentit dans la pièce exiguë qui lui avait servi de chambre pour la nuit. Où étaient les belles promesses que le duc, son époux, lui avait fait il y avait de cela quelques mois en arrière ? D’un geste machinal de la main, Ana chassa cette question à laquelle elle ne tenait pas à répondre sachant que cela impliquerait bien trop d’évidence. S’était-elle enlaidie au point de ne plus attirer le regard de cet homme qui disait pourtant qu’il ne voyait qu’elle, était-elle devenue si invisible en refusant de participer à la vie politique du duché ou avait-elle tant de défaut que sa personne devenait indésirable au point de la laisser seule la plupart du temps , elle n’aurait su le dire, elle n’aurait su avouer ce qui les avait éloigné mais la triste vérité était là devant elle. Sa vie n’était qu’une flamme qui s’éteignait doucettement. Même les enfants dont elle avait pris soin au péril parfois de sa vie prenait leur envol au point de ne plus venir la voir comme auparavant. Flavien devenait adulte et depuis le remariage de son père, quelque chose avait changé dans le regard qu’il portait à Ana.Lise, de cela elle en était fortement convaincue. Ely, la petite Elyaëlle s’en était allée confiante au collège Saint Louis dans lequel son époux l’avait envoyée et depuis, elle n’avait plus de nouvelles ou en de rares occasions. Cette enfant qui était le soleil de sa vie n’était plus qu’une ombre dans l’aquarelle de son existence. Il restait Jehanne qui trouvait d’autres occupations depuis qu’elle avait grandi elle aussi.

Les mains d’Ana.Lise descendirent machinalement sur son ventre qui restait d’une platitude exemplaire. La tristesse se lisait sur ses traits et d’un geste de lassitude, Ana colla son front contre le carreau froid de la fenêtre. Une larme s’échappa le long de sa joue. Même enfanter ne lui était pas autorisée bien que d’après les médicastres, Ana ne présentait aucun problème à première vue. Mais encore fallait-il qu’elle puisse retrouver son mari le soir dans son lit chose qui n’était guère à l’ordre du jour depuis bien longtemps. Frustrée, écœurée d’avoir cru en l’impossible, son dos se vouta sous le poids de cette culpabilité qu’elle ressentait d’avoir voulu rendre le rêve possible. Et tandis qu’elle ne prêtait guère attention aux petits coups donnés, la porte de sa chambre s’ouvrit, la faisant se retourner brusquement. Le visage d’Arthéos lui apparut alors, la tignasse en bataille, parsemée de brindilles et bien malgré elle, Ana.Lise leva un sourcil d’interrogation tout en se frottant le visage de ses mains afin d’appliquer ce fameux masque de sérénité qu’elle offrait aux yeux du monde.


Oh mais en voilà une surprise ! Entre vite Arthéos et pose donc ton plateau sur cette table là.

Ana lui indiqua celle qui était devant la cheminée avant de s’en approcher elle-même.

Humm que cela à l’air bon… je dois avouer que tu m’as gâté et j’en suis ravie. La surprise et surtout l’initiative sont deux qualités que j’apprécie chez mon prochain et tu les possèdes déjà mon ami… c’est tout simplement parfait…

Prenant place malgré le peu d’appétit dont Ana faisait preuve depuis quelques jours, elle s’obligea à goûter aux mets que le jeune Arthéos lui avait apporté et finalement, elle y prit du plaisir, finissant ainsi les quelques délices qui lui rendirent son sourire naturel. Puis portant son regard sur son valet, elle l’interrogea après s’être assurée d’un coup d’œil rapide qu’il avait fait les quelques emplettes qu’elle lui avait recommandé.

Bien, je vois que tu as trouvé de quoi te changer. As-tu trouvé tous les vivres dont nous aurons besoin pour aujourd’hui ? Quelques fruits aussi ?

Sans attendre la réponse du jeune valet, Ana.Lise s’affaira à rassembler sa besace de cuir qu’elle attachait toujours à la selle de son cheval contenant un petit nécessaire de voyage. Le strict minimum dont elle avait besoin pour un minimum de jour qui devait lui faire du bien loin de la fureur ducale. Attrapant sa cape, elle glissa cette dernière sur ses épaules avant de se tourner vers le jeune brun.

Arthéos, tu es prêt ? Tu sais, c’est la dernière fois avant un bon moment que tu vois cette ville et si tu as besoin encore d’un petit moment pour… dire au revoir à quelqu’un je peux encore te l’accorder si tu le souhaites…


Tout en parlant, Ana avait pris la direction de l’entrée de l’auberge où le fameux Gaston attendait qu’un de ses livreurs lui apportent des provisions du marché. Le remerciant amicalement, Ana lui glissa quelques écus pour les frais occasionnés et le cheval loué, tout en lui avouant qu’elle recommanderait son auberge aux quelques personnes qu’elle côtoyait comme étant un établissement de qualité. Souriant, le bonhomme prit quelques couleurs qui amusèrent Ana. Lise. Et la jeune femme sortit enfin dans la fraîcheur du matin, direction les écuries dans lesquelles elle retrouva son cheval, un frison à la robe noire corbeau, avec bonheur. S’approchant de l’animal, elle lui offrit une caresse sur le front plat, descendant avec douceur sur le chanfrein. Le cheval secoua sa tête avant de tapoter du sabot.


Tout doux mon beau ! Je sais que tu t'ennuis mais tu vas pouvoir t’en donner à cœur joie, nous allons bientôt repartir…

Ana aimait son cheval et l’avait choisi en raison de son caractère aussi docile qu’aimable. Le nommant « Troubadour » en raison de cette gaieté qui l’animait, elle ne se déplaçait jamais sans lui, appréciant les longues promenades qu’elle s’offrait en sa compagnie. Jetant un œil à son valet, Ana eut la surprise de le voir un peu en retrait, observant les chevaux de loin lorsque soudain, une idée germa dans sa tête. Elle se mordit la lèvre de sa sottise puis s’approcha du jeune homme avant de lui parler avec douceur.

Arthéos, tu…. tu es déjà monté à cheval ?


Priant en son fort intérieur pour qu’il lui réponde par l’affirmative, Ana.Lise se doutait que sa réponse serait toute autre. Pourtant, s’ils voulaient rallier rapidement Reims, il leur faudrait passer par cette étape, qu’Arthéos le veuille ou non.


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Artheos


Ana.Lise était à proximité de la fenêtre, posée et calme. Levant toutefois un regard vers elle, Arthéos crut percer en elle quelques peines secrètes qu'il ne releva pas, tout simplement car il ne le pouvait pas. Un valet ne faisait aucune remarque à son maître. La baronne lui demanda de poser le plateau sur la petite table près de la cheminée. Refermant la porte derrière lui, le jeune homme posa doucement et quelque peu maladroitement le petit-déjeuner. Sa maîtresse s'installa et commença à déguster sous les sourires et les inclinements de tête de son domestique lorsqu'elle le complimentait. Les victuailles toujours sous son bras, Arthéos montra le linge qui les protégeait en hochant la tête.

"Oh ma dame... je n'ai personne à qui dire au revoir... nous partirons dès que vous le voudrez.

Il lui sourit. Puis la chambre s'évapora, suivie par les escaliers et finalement l'auberge. Le passé reprenait son emprise. Saluant Gaston au passage, Arthéos regarda une dernière fois les lieux où il put dormir enfin... Puis le bâtiment ne fut qu'ombre et les écuries s'éclairèrent. Un frisson parcourut l'échine du jeune valet. Le cheval vers lequel Ana.Lise s'avançait n'était autre que celui qu'il avait essayé de monter. Retroussant les lèvres, il croisa ses bras derrière son dos, la nourriture toujours sur lui. Alors que la noble murmurait à l'oreille de sa monture, le jeune homme attendait la question qu'elle poserait de toute évidence.

"Eh eh... oh j'ai... je suis déjà monté à dos d'âne il y a... longtemps... je suppose que c'est comme le cheval... hum... Voulez-vous prendre les victuailles sur vous ?

Arthéos les lui tendit, souriant. Tandis qu'Ana.Lise préparait son cheval, le jeune domestique tenta de l'imiter. Il s'empara d'un harnais qu'il posa avec précaution, d'une selle qu'il apposa sur le dos de la bête et la sangla. Majestueuse, la baronne n'eut besoin de personne. Il préparerait son cheval un jour, il en était certain. Après tout ce n'était pas difficile. Il fallait juste que l'équidé soit coopératif. Celui d'Arthéos devait déjà être plutôt âgé à moins qu'il ne soit plus calme... il n'y comprenait rien aux chevaux après tout ! La plus difficile restait à faire. Jaugeant la bête, blanc de l'oeil dans blanc de l'oeil, le valet la caressa lentement avant d'apposer son pied droit dans l'étrier. Pensant qu'il avait plus de puissance dans la jambe droite, et ce fut le cas, il monta à l'abordage du dos. Trop fort sans doute... Il glissa de la selle et tomba une seconde fois sur la paille de l'écurie. Il aurait de belles bosses. Rougissant, il n'osa croiser le regard de sa maîtresse. Vraisemblablement, elle avait dû comprendre d'où venaient les brindilles dans ses cheveux...

La troisième fois serait la bonne. Il réitéra l'opération et parvint à s'équilibrer. C'était une sacrée hauteur tout de même ! Il regarda à gauche, à droite, puis finalement Ana.

"Je ne vous cache pas mon malaise, ma dame... j'espère y prendre goût lorsque nous galoperons... c'est plutôt rapide non ? Une chute à une telle vitesse...

Il s'imagina en train de se briser la nuque dans la campagne champenoise. Mort rapide pour une vie rapide. S'en aller aussi vite qu'on a vécu, c'était plutôt joli... Il songea un instant à la pâle figure qu'il allait faire face à l'époux d'Ana.Lise et face à elle-même ! S'agrippant à la fois à la selle et à la crinière de l'animal, Arthéos regarda sa baronne.

"Ma dame... après vous...

Il scruta tous ses mouvements. Un léger coup avec les étriers et le cheval avançait... L'imitant, Arthéos fut surpris par le départ brusque de la bête. A présent, les sabots résonnaient sur les pavés de la ville. Cela se passait plutôt bien pour l'instant. L'animal suivait son congénère en allure simple, ce qui ne lui déplut point ! Bientôt, les remparts s'affichèrent. Sans doute, l'époux d'Ana était là. Il déglutit lentement. Le tout était maintenant d'arrêter le cheval. Le mur. Le mur s'affichait de plus en plus à lui. Sa maîtresse était parvenue à arrêter sa monture mais le valet ne saisit pas le fonctionnement. Malgré les chuchotements de son cavalier, le cheval atteint le mur et se cambra légèrement. Ce qui suffit à Arthéos pour tomber à la renverse... Attérissant lourdement sur le sol, il se releva immédiatement.

"Mille excuses...
Saule


Abbaye des Aulnes :

Lentement ses yeux s'étaient ouvert. Le soleil passait à travers la petite fenêtre de la pièce. Installée dans un lit précaire, la jeune fille avait peine à soulever sa poitrine et à respirer. La douleur était sourde mais bien présente. Perdue, le regard encore trouble par ce réveil prématuré, elle observait les alentours. Elle était seule et n'arrivant pas à bouger, ferma les yeux à nouveau.

Quelques heures plus tard, le soleil était déjà couché. Pourtant une bougie illuminait un recoin de la pièce. La brume s'était levée et son esprit un peu plus vif. Sa longue chevelure rousse reflétait la danse des flammes. Il faisait froid dans la pièce. Sa bouche pâteuse voulait prononcer tant de questions mais elle n'arriva à prononcer que quelques mots d'une voix faible et à peine audible.

S'il vous plait ...

La personne avait elle entendu ? Elle en douta fortement, aussi bien qu'elle réitéra son appel, se forçant à parler plus fort.

S'il vous plait ...

L'ombre approcha jusqu'à sa couche. La silhouette était inconnue, le visage encore moins. Pourtant celui-ci était orné d'un sourire chaleureux. Une main glacée vint se poser sur son front puis sur ses joues. Puis elle s'en alla.
L'envie de bouger, de se déplacer, était forte mais cela était douloureux. Sa main attrapa toutefois le rebord de la couverture, qu'elle serra fortement.

Très vite trois personnes arrivèrent avec des lampes. Elles parlaient sans que Saule ne puisse suivre la conversation. Elle en comprit des bribes : maladie, épargnée, mois, mort, ... Ses souvenirs étaient flous pour la plupart sauf un nom, un nom qui résonnait comme un appel désespéré ... Arthéos ...

Elle le prononça auprès des gens présents, ne cherchant pas à parler plus encore. Mais à part la faire boire de la soupe en l'aidant, ils ne lui parlèrent pas cette nuit là.

Elle s'endormit rapidement, la convalescence commençait.

Après quelques jours, elle prit des couleurs et retrouvait lentement ses capacités. Ceux qu'elles ne connaissaient pas s'avéraient être des prêtres de l'abbaye des Aulnes, qui s'occupaient de malades et de blessés. On lui expliqua brièvement qu'on l'avait amenée brûlante et inconsciente et qu'elle avait été grièvement malade, au point de la considérer morte par la majorité. Le jeune homme était parti la peine dans l'âme après plusieurs jours d'attente.

A ses questions personnes ne put ou voulut répondre.

Compiègne :

Il était étrange de revenir à la vie après plusieurs mois d'obscurité. La ville avait changé, elle n'y reconnaissait plus personne. Aucune demeure, aucune famille ne l'attendaient en dehors de l'Abbaye. On lui avait remis ses effets personnels, pas grand chose à vrai dire. Son ocarina était son seul gagne pain et son plus précieux biens. Ils avaient voulu lui prendre pour payer les soins mais elle avait préféré proposer de travailler dur à leur service pendant plusieurs semaines, ce qu'ils acceptèrent à sa grande surprise.

Libérée enfin, la jeune fille arpentait les rues de Compiègne à la recherche d'Arthéos. Toutes ses recherches étaient vaines, il avait tout bonnement disparu. Désespérée, elle trouva refuge pour quelques piécettes dans la taverne et auberge municipale. Les gens avaient bien tenté de la rendre plus loquace mais elle se sentait simplement perdue. Un certain Maviste avait tout tenté pour l'embaucher à la soule. Il lui avait rendu un peu son sourire. Sa gentillesse n'avait d'égal que son humour.

Ce brave homme essaya tant bien que mal de tenter de la convaincre qu'elle trouverait un homme pour l'aimer. Mais elle n'arrivait pas à croire qu'il l'avait oublié et laissé pour morte dans cette abbaye, qu'il avait quitté Compiègne sans elle. Le coeur blessé, elle se sentait perdue au plus profond d'elle-même.

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Ana.lise


Ils étaient enfin partis après les quelques péripéties du pauvre Arthéos qui avait bien dû confirmer la première impression qu’Ana.Lise avait eu en voyant ses yeux effarés quant à la promenade à cheval qu’ils allaient faire. De toute manière, il était bien trop tard pour changer d’avis et puis prendre la route à pieds alors que la neige recouvrait dorénavant tout le paysage champenois, il ne fallait pas y penser. Trop long et surtout trop risqué. Entre les pièges que la nature se ferait une joie de mettre en place et les mauvaises rencontres, jamais Ana n’aurait pris le risque d’y laisser leur vie à tous les deux. Parfois irréfléchie mais pas inconséquente quand même, la jeune femme n’engageait rarement quelqu’un avec elle lorsqu’elle désirait prendre des risques, c’était là un point sur lequel elle ne faisait guère de concession et comme elle était aussi butée qu’un âne qu’on essayait de pousser dans la bonne direction, c’était ainsi et pas autrement. Donc rapidement, le jeune valet comprit que de toute manière il n’avait plus le choix et que reculer pourrait le mettre en porte-à-faux par rapport à sa maitresse, il opta donc pour la seule solution qui lui restait au grand plaisir d’Ana.Lise.

Fière de lui, la jeune femme avait attendu qu’il soit un peu plus à l’aise qu’au départ pour accélérer un peu l’allure. Il fallait bien avouer que grimper sur le cheval ne fut pas si simple que cela le paraissait aussi lui laissa-t-elle le temps de s’accoutumer à la bête mais les chutes de neige et le froid ne leur laisseraient peut être pas le temps aussi fallait-il arriver à bon port rapidement. Ana eut un pincement au cœur de devoir infligé cette première sortie dans ces conditions au jeune homme et se promit mentalement de lui apprendre la monte afin qu’il puisse la suivre dans leurs futures escapades qui ne manqueraient pas d’arriver. D’ailleurs, elle lui ferait donner le vieux minus qui était un ardennais ayant déjà un âge bien avancé mais surtout, ce qui n’était pas négligeable pour Arthéos, d’une docilité à toute épreuve. Il était utile au moulin lorsque Marik, le jeune meunier qui s’occupait de faire tourner la voile et moudre le grain le prenait afin de faire quelques livraisons rapides. Ana le ferait remplacer par une bête plus rapide et tout rentrerait dans l’ordre.

Et voilà qu’à peine sortie de ses pensées d’intendance Arthéos lui parlait de chutes maintenant. Ana.Lise tourna son visage dont de jolies couleurs rosées venaient parsemer ses joues dues à la fraîcheur extérieure le tout accompagné d’un sourire.


Mon ami, avant de penser à tomber et te rompre le cou pense à te tenir plus droit… moins crispé et surtout…. Oh non… non... tire sur les rennes pour arrêter ton cheval…

Trop tard, tout à sa joie d’avoir pu avancer, Arthéos n’avait sans doute pas compris ce qu’Ana lui disait et arrivé au devant des remparts, l’animal se cabra ne sachant dans quelle direction aller. Le temps que la jeune femme stoppe « Troubadour », il était déjà trop tard. Son valet venait de se retrouver les quatre fers en l’air pour se redresser aussitôt. Ana se précipita vers lui, saisissant son avant bras de peur que le jeune homme ne se sente mal avant de palper sa tête pour voir s’il ne se l’était pas cogné.


Hé bien, il suffit que je dise que tu ne risques rien pour te faire valser en l’air. Mais pourquoi n’as-tu pas tiré sur les brides ou au pire sur la crinière de ton animal. Il se serait arrêté avant de te désarçonner…

La jeune femme mit sa main devant les yeux de son valet, cachant quelques doigts.

Tu vois combien de doigts là Arthéos ?

Lui répondant correctement après un petit moment de flottement, la baronne en conclut que tout allait bien. Se redressant, elle lui adressa un sourire amical.

Mazette, tu pourras au moins te vanter de m’avoir fait une belle peur dès le matin… si nous continuons comme cela, nous ne sommes pas prêts d’arriver à Reims et je doute que tu veuilles te retrouver avec le corps couvert de bleus et de meurtrissures donc il va falloir que tu m’écoutes et que tu fasses ce que je te dirais d’accord Arthéos ?


Et sans laisser le temps au jeune homme d’argumenter quoique ce soit, Ana.Lise sortit sa gourde de sa besace accrochée sur le flanc de son frison et la tendit au brun.

Prends-en une gorgée cela te remettra de tes émotions mais avant tu t’assois quelques instants. Je ne voudrais point que tu tombes dans les pommes après coup… On va attendre une ou deux minutes pour voir si tu n’as rien puis on repartira…

La jolie brunette désigna une pierre non loin de là afin que le valet y pose son séant puis tout en attendant qu’il reprenne complètement ses esprits, elle vérifia l’harnachement des chevaux, resserrant un peu la selle d’Arthéos, positionnant ses rennes correctement avant de prendre place sur « Troubadour », attendant que son valet puisse remonter sur le dos de sa bestiole, espérant secrètement qu’il ne passe pas par-dessus bord sinon elle ne donnait pas cher de sa peau avant leur arrivée à leur point de destination.

Bien Arthéos, si tu as peur de ton cheval, dis-toi une chose c’est qu’il ne te connait pas non plus et que pour lui tu n’es qu’un inconnu qu’il doit porter sur son dos donc soit doux avec lui et il le sera avec toi. Tu peux lui caresser l’encolure, lui parler et éventuellement le flatter ça peut aider quelques fois mais en aucun cas tu ne dois lui faire du mal. Ce comportement n’est nullement admissible pour moi donc si tu as un souci, dis-le moi et je t’aiderai autant que possible…. C’est de ma faute, j’aurais dû prévoir un… mulet mais nous serions au beau milieu de la forêt à la nuit tombée avec ce genre d’animal et je n’y tiens pas particulièrement…

Elle ne désirait aucunement servir de repas aux loups affamés qui pourraient sévir dans le coin ni à aucune autre bête sauvage que l’hiver avait privé de nourriture. Redressant la tête, elle prit une profonde goulée d’air avant de reprendre ses explications.


… Donc, tiens-toi droit mais pas trop rigide. Ton corps doit suivre le mouvement du cheval… pas trop sinon tu vas tomber d’un côté ou d’un autre et laisse tes jambes faire balancier tout en serrant plus ou moins les flancs de ta monture afin de t’aider à tenir. Et maintenant tes mains doivent garder les brides et tirer dessus avec plus ou moins de force en cas d’arrêt ou de ralentissement… voilà, en peu de temps je ne peux t’expliquer mieux Arthéos mais ça devrait aller pour repartir jusqu’à Reims. Tu te sens prêt, on y va ?


Un petit coup dans les côtes de « Troubadour » et Ana avançait déjà afin de passer les remparts prenant le chemin du sud en direction de la Capitale. Avec un peu de chance ils y seraient rapidement bien que la jeune femme avait envisagé de s’arrêter en cours de route afin de prendre une petite collation mais aussi affranchir le pauvre Arthéos. Jusqu’à maintenant, elle n’avait été que succincte dans sa présentation, ne voulant pas attirer l’attention sur elle. La femme du duc qui se promenait seule en Champagne pouvait attirer n’importe quel malandrin en mal de fortune aussi préférait-elle écourter son discours sur qui elle était plutôt que d’attirer les oreilles nuisibles autour d’elle. Tournant la tête dans la direction de son valet, la jeune femme s’assura qu’il était toujours là et non désarçonné une nouvelle fois.


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