Artheos
Les douces, fragiles et froides mains de la baronne vinrent toucher le visage d'Arthéos sur tous les recoins. Tremblotant et peu rassuré, le jeune homme se demandait ce qu'elle cherchait sur lui. Elle se retira ensuite, l'air satisfait, et demanda de lui dire le nombre de doigts qu'elle lui montrait. Il répondit le juste chiffre et c'est Ana.Lise qui sembla alors soulagée ; elle lui adressa même un sourire auquel Arthéos répondit. La baronne lui tendit ensuite sa gourde et lui désigna un rocher sur lequel elle lui demanda de s'asseoir quelques instants. Le valet s'approcha de la pierre et se remit de ses émotions quelques instants tandis que sa maîtresse lui tournait le dos en redressant le matériel des chevaux. Il regarda la gourde et refusa de l'ouvrir. Non, il ne gâcherait pas l'eau d'Ana.Lise. L'infime quantité qu'il absorberait pourrait mieux servir à sa maîtresse. Pour tout dire, il ne boirait pas une seule goutte pendant le voyage. Il ne mangerait peut-être même pas. Il avait connu tant de famine, tant de cris de faim de la part de son ventre... alors, une seule journée sans manger n'était rien.
Quand Ana.Lise bondit sur son cheval, Arthéos revint vers son cheval, tendit la gourde à sa dame et écouta ses conseils avant de remonter sur sa bête. Droit mais pas trop... suivre le mouvement du cheval... mais pas trop. Serrer les flancs de la monture pour tenir. Tenir les brides et tirer dessus pour ralentir ou s'arrêter : c'était donc cela qui lui avait échappé.
"On y va... pardonnez-moi...
Le pardon... droit divin à ce qu'on disait... droit humain avant tout lorsqu'on commettait des fautes humaines. Il regarda Ana.Lise et lui sourit, quitter immédiatement ses yeux. Arthéos avait plutôt le regard fuyant. Regard que devait avoir tous les domestiques et les gueux selon lui, sinon c'était la provocation. Surtout si on fixait des nobles. Mon dieu, rappelons-nous des pauvres histoires du jeune valet ! Mais le pardon, qui lui avait dit un jour ce simple mot ? Personne, même lorsqu'il était dans son droit ; là était l'affreuse vérité de l'époque. Les bourgeois et les nobles ne connaissaient pas ce mot mais jubilaient de l'entendre prononcer par les inférieurs. Les inférieurs ? Ils sortaient ce mot un millier de fois dans le mois. Arthéos devait l'avoir prononcé plus qu'il ne l'imaginait... Que de justice, que de force, que de puissance pour les plus haut ! Que de faiblesse, de silence et de chaos pour les plus bas...
Arthéos finit par sourire et donna un léger coup dans les côtes du cheval qui suivit les pas d'Ana.Lise. Les remparts étaient là, les remparts furent franchis. Adieu la ville... Tout concentré qu'il était sur sa bête, le jeune valet s'amusait au fil des chemins à changer la direction du cheval. Oui, il lui obéissait ! Ce n'était pas sorcier du tout en fait... Se pencher à gauche pour virer à gauche... légèrement mais trop et se pencher à droite pour se redresser ! Il n'avait certes pas l'allure du cavalier, il faisait même très paysan mais il se débrouillait plutôt bien. Une idée lui vint alors...
Quand la baronne tourna la tête pour regarder si son valet était toujours sur son cheval, celui-ci passa comme une flèche à côté d'elle. Au trot ou au galop, il ne savait pas ! Ce qu'il savait c'est qu'il était heureux... Un léger rire s'éleva dans les airs quand il passa près d'Ana.Lise. Courir dans la campagne, plus vite qu'en courant, presque en volant, c'était une sensation magnifique... La neige défilait sous les sabots du cheval entraînant avec elle le paysage champenois. Bientôt sa maîtresse était à côté de lui. Il lui sourit. Tirant légèrement sur les brides, l'allure fut modérée.
"Que voilà d'étranges sensations ! Les ressentons-nous toujours lorsque nous sommes habitués ?
Quel évènement pouvait bien enlaidir le tableau...
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