Morphee
C'est qu'elle l'avait enfin obtenu, cette autorisation!! Morphée, fière comme artaban, avait bien vite suivi les sillons sinueux de la ville pour se rendre dans son nouveau logis. Du moins ce qui y ressemblait...
La porte avait perdu de sa superbe, toute léchée comme elle avait été par les rayons du soleil. Les planches de son étal n'étaient plus très droites, sans doute y aurait-il une superbe flaque d'eau dans l'échoppe, vu qu'il avait neigé, venté, pluité. Mais tout ceci n'était qu'un point de détail dans ce changement qui l'attendait. Enfin, elle avait un métier, tisserande.
Avec une brutalité certaine - on dirait pas, elle a l'air d'une sainte nitouche mais attendez de recevoir une giroflée à cinq branches - elle empoigna la poignée de la porte, appuya pour soulever la clanche , puis pivota sur elle-même afin de donner un coup sec sur la porte.
La première tentative fut vaine. La porte ne céda pas, mais Morphée quant à elle céda au désir brûlant de persifler mille insultes, dont certaines eurent sans doute pour effet de faire rougir le Très-Haut.
"De toute façon l'baptême il va effacer tout ça, c'est pas grave..."
Le coup franc ne fonctionnant pas, elle prit un peu d'élan, prit avec vigueur la poignée dans la main afin de lever une fois encore la clanche et donna un coup plus violent sur la porte... La pauvre martyr avança de quelques pouces, mais faisait tout de même de la résistance.
Morphée, les yeux mauvais, fixait la récalcitrante.
"J'vais lui montrer à la vermoulue qui c'est Morphée. Aux quatre coins du Puy qu'on va la retrouver, éparpillée par petits bouts, façon brindille. Moi quand on m'en fait trop, j'correctionne plus, j'débite en pti fageots, j'disperse, j'ventile..."(1)
Une Hache... Morphée secoua la tête.. L'idée lui avait parût parfaite sur l'instant, mais en y réfléchissant deux secondes elle se dit simplement qu'il faudrait peut-être qu'elle puisse la refermer ensuite. Long Soupir de la belligérante... Ses mains gantées délièrent la cape de laine qui l'entravait dans sa frénétique course à l'ouverture, puis elle releva les manches de sa poulaine...
La vilaine allait en avoir de l'élan... Morphée recula de quelques pas et se lança dans un assaut digne d'un bataille contre la porte qui s'ouvrit d'une miraculeuse facilité, la faisant s'étaler de tout son long sur le sol boueux de l'échoppe.
"Par les fontes de Christos! Me voilà bien arrangée maintenant!! On va me prendre pour une maure et je vais finir aussi sec pendue à une corde!"
Les maures? Des 'crétures' maléfiques qu'il lui avait dit son père. Des envoyés de la Créature Sans Nom pour les emmener en enfer. Et Morphée croyait dur comme fer aux vérités bien loufoques que ses parents lui avait distillées à mesure qu'elle grandissait.
Se redressant enfin, la jouvencelle prit conscience du travail qu'il y aurait à faire pour redonner ses lettres de noblesses à l'échoppe. En premier lieu, balayer et récurer, faire fuir les animaux de toute sorte qui avaient envahi le lieu inoccupé depuis des mois, voire des années. Et ce ne serait pas une mince affaire!
(1) Librement inspiré d'une réplique de Michel Audiard - Les Tontons Flingueurs
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Un peu d'elle, et des autres