Gadzelle
Ce soir encore la brune rentrait fort tard. Ses soirées étaient réglées comme du papier à musique ces derniers jours : le matin la caserne, le début d'après midi la forêt, puis elle revenait boire un verre en ville et s'occuper de Yeleyna. Après, une fois l'enfant couchée, elle retournait en taverne se changer les idées. Alors, jusque tard, elle sombrait dans l'oubli de la boisson ou discutait avec des voyageurs jusqu'à être abrutie de sommeil. Enfin la brune rentrait chez elle, fourbue et éreintée ce qu'il fallait pour s'endormir rapidement et ne pas remarquer qu'encore une fois, elle se réveillerait sans bras pour l'entourer.
Très souvent, ses nuits n'étaient pas simplement peuplées de rêves réparateurs, ou même de cauchemars effrayants. Très souvent, sa couche était partagée, alors même qu'elle se couchait seule.
Généralement peu après son coucher, certainement réveillée par le bruit que faisait l'adulte, l'enfant se levait. Pieds nus, simplement habillée d'une chemise de nuit en laine bouillie de couleur beige, toujours sa poupée de chiffon en forme de souris à la main, Yeleyna sortait de sa chambre, descendait les marches une par une, lentement parce que "C'est pas drôle le z'escalier, c'est pour les grands". Enfin la porte ouverte, le lit grimpé, les couvertures et peaux poussées pour se glisser en dessous, Gadzelle était obligée d'ouvrir les yeux sous le souffle chaud de la petite fille.
Oh tu dors plus ?
Oui 'leyna, je suis réveillée.
Moi z'ossi.
Sourire de la grande brune. Je vois ça... Tu n'as plus sommeil ?
Nan, j'veux dormir avec toi !
Mais est-ce que tu dormiras tout de suite, je suis fatiguée tu sais...
D'accord.
De longues minutes plus tard, la petite brune s'était gentiment forcée à l'immobilité. Seulement un enfant qui n'a pas sommeil a beau vouloir se faire sage, il ne reste jamais longtemps calme quand Morphée se refuse à lui ouvrir ses bras.
Gazelle...
Hmph. Moui quessquya ?
Tu dors ?
'mais. Je dormais. Tu veux un verre d'eau ?
Nan.
Tu veux ton doudou souris ?
Il est pas à moi !
Je sais, on te l'a prêté. Tu l'as peut être laissé en haut...
Nan, il est là, regarde ! Et d'agiter dans tous les sens jusque sur le visage de Gadzelle et dans la pénombre rouge des braises les chiffons de tissus.
Génial... Allez au dodo.
Gazelle...
Ouiiiii ?
Tu m'racontes une histoire ? Avec un nouage, comme les histoires de Nanny...
De longues secondes s'écoulèrent après l'évocation de la grand mère, avant que la grande ne réponde. Même l'enfant agitée n'osait rien dire.
Long soupir. D'accord.
La jeune femme s'extirpa de sous les peaux et duvets, répugnant à quitter totalement la douce chaleur bienfaitrice. Laissant ses jambes à l'abri, elle s'assit aux côtés de l'enfant qui pouvait deviner indistinctement les contours de sa tutrice dans la pénombre de la pièce.
D'une voix basse mais parfaitement audible, Gadzelle entama son récit.
Cette histoire se passe à la nuit des temps. Tu sais pourquoi on se sert de cette expression ?
Dénégation de l'enfant, qui n'osait pas encore parler, imprégnée de l'atmosphère.
Parce qu'à cette période là, rien n'était comme maintenant. Ce qu'on appelle aujourd'hui jour n'existait pas comme ce que tu connais. Tout était plongé dans une nuit noire, sans aucune étoile. Une lune, tellement blanche qu'elle semblait faite de nacre, était comme suspendue et ne bougeait guère de sa place dans le ciel. Froide, elle éclairait très peu la terre sous nos pieds.
Tous les animaux existaient déjà mais au lieu d'avoir des fourrures colorées, des plumes aux reflets chatoyants, ils étaient fait de nuances de gris. De gris souris à anthracite, chacun était une image sans couleur de ce que l'on connaît aujourd'hui.
Seules exceptions : nous, les hommes et les femmes, nous étions aussi blancs que la lune qui nous surveillait, les cheveux, les mains, les poils, même les yeux, tout était blanc.
Et les corbeaux. Des pattes au bout du bec, plutôt que d'être noirs, ces bêtes étaient d'un plumage opalescent. On les voyait de loin le jour/nuit, et leur présence était toujours signe de joie, pas du tout comme maintenant. Pourtant ils ne se mêlaient jamais à nous, et on ne pouvait que les admirer les pieds sur terre, oiseaux majestueux qui volaient au dessus de nous. Des mains elle imitait les vols duveteux des bêtes immaculées.
Comment savait-on ce qu'était le jour ou la nuit puisque même la lune ne bougeait pas ?
Grâce aux nuages.
Les nouages !
Tu sais ce qu'ils avaient ces nuages ?
Nouvelle dénégation.
Déjà il y en avait très peu, que ce soit le matin, le midi ou le soir.
En fait... Ils étaient colorés.
Hoooo
Tu te rends compte ? Dans un monde où tout est noir, le ciel, la terre, la mer, les animaux, les seules choses qui ne l'étaient pas étaient les hommes et les corbeaux...
Et les nuages.
Mmmh.
La suite demain, il est l'heure de faire dodo.
Mmnon...
Sisi ma rose, il est tard.
Un baiser sur le front plus tard, l'enfant dormait déjà... De quoi étaient peuplés ses rêves ? Des rêves d'enfant... Qui peut se targuer de le savoir ?
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Très souvent, ses nuits n'étaient pas simplement peuplées de rêves réparateurs, ou même de cauchemars effrayants. Très souvent, sa couche était partagée, alors même qu'elle se couchait seule.
Généralement peu après son coucher, certainement réveillée par le bruit que faisait l'adulte, l'enfant se levait. Pieds nus, simplement habillée d'une chemise de nuit en laine bouillie de couleur beige, toujours sa poupée de chiffon en forme de souris à la main, Yeleyna sortait de sa chambre, descendait les marches une par une, lentement parce que "C'est pas drôle le z'escalier, c'est pour les grands". Enfin la porte ouverte, le lit grimpé, les couvertures et peaux poussées pour se glisser en dessous, Gadzelle était obligée d'ouvrir les yeux sous le souffle chaud de la petite fille.
Oh tu dors plus ?
Oui 'leyna, je suis réveillée.
Moi z'ossi.
Sourire de la grande brune. Je vois ça... Tu n'as plus sommeil ?
Nan, j'veux dormir avec toi !
Mais est-ce que tu dormiras tout de suite, je suis fatiguée tu sais...
D'accord.
De longues minutes plus tard, la petite brune s'était gentiment forcée à l'immobilité. Seulement un enfant qui n'a pas sommeil a beau vouloir se faire sage, il ne reste jamais longtemps calme quand Morphée se refuse à lui ouvrir ses bras.
Gazelle...
Hmph. Moui quessquya ?
Tu dors ?
'mais. Je dormais. Tu veux un verre d'eau ?
Nan.
Tu veux ton doudou souris ?
Il est pas à moi !
Je sais, on te l'a prêté. Tu l'as peut être laissé en haut...
Nan, il est là, regarde ! Et d'agiter dans tous les sens jusque sur le visage de Gadzelle et dans la pénombre rouge des braises les chiffons de tissus.
Génial... Allez au dodo.
Gazelle...
Ouiiiii ?
Tu m'racontes une histoire ? Avec un nouage, comme les histoires de Nanny...
De longues secondes s'écoulèrent après l'évocation de la grand mère, avant que la grande ne réponde. Même l'enfant agitée n'osait rien dire.
Long soupir. D'accord.
La jeune femme s'extirpa de sous les peaux et duvets, répugnant à quitter totalement la douce chaleur bienfaitrice. Laissant ses jambes à l'abri, elle s'assit aux côtés de l'enfant qui pouvait deviner indistinctement les contours de sa tutrice dans la pénombre de la pièce.
D'une voix basse mais parfaitement audible, Gadzelle entama son récit.
Cette histoire se passe à la nuit des temps. Tu sais pourquoi on se sert de cette expression ?
Dénégation de l'enfant, qui n'osait pas encore parler, imprégnée de l'atmosphère.
Parce qu'à cette période là, rien n'était comme maintenant. Ce qu'on appelle aujourd'hui jour n'existait pas comme ce que tu connais. Tout était plongé dans une nuit noire, sans aucune étoile. Une lune, tellement blanche qu'elle semblait faite de nacre, était comme suspendue et ne bougeait guère de sa place dans le ciel. Froide, elle éclairait très peu la terre sous nos pieds.
Tous les animaux existaient déjà mais au lieu d'avoir des fourrures colorées, des plumes aux reflets chatoyants, ils étaient fait de nuances de gris. De gris souris à anthracite, chacun était une image sans couleur de ce que l'on connaît aujourd'hui.
Seules exceptions : nous, les hommes et les femmes, nous étions aussi blancs que la lune qui nous surveillait, les cheveux, les mains, les poils, même les yeux, tout était blanc.
Et les corbeaux. Des pattes au bout du bec, plutôt que d'être noirs, ces bêtes étaient d'un plumage opalescent. On les voyait de loin le jour/nuit, et leur présence était toujours signe de joie, pas du tout comme maintenant. Pourtant ils ne se mêlaient jamais à nous, et on ne pouvait que les admirer les pieds sur terre, oiseaux majestueux qui volaient au dessus de nous. Des mains elle imitait les vols duveteux des bêtes immaculées.
Comment savait-on ce qu'était le jour ou la nuit puisque même la lune ne bougeait pas ?
Grâce aux nuages.
Les nouages !
Tu sais ce qu'ils avaient ces nuages ?
Nouvelle dénégation.
Déjà il y en avait très peu, que ce soit le matin, le midi ou le soir.
En fait... Ils étaient colorés.
Hoooo
Tu te rends compte ? Dans un monde où tout est noir, le ciel, la terre, la mer, les animaux, les seules choses qui ne l'étaient pas étaient les hommes et les corbeaux...
Et les nuages.
Mmmh.
La suite demain, il est l'heure de faire dodo.
Mmnon...
Sisi ma rose, il est tard.
Un baiser sur le front plus tard, l'enfant dormait déjà... De quoi étaient peuplés ses rêves ? Des rêves d'enfant... Qui peut se targuer de le savoir ?
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