Ylalang
Citation:
Le désespoir, lui-même, pour peu qu'il se prolonge, devient une sorte d'asile dans lequel on peut s'asseoir et reposer.
Sainte Beuve
Sainte Beuve
La pluie toquait contre le carreau de la fenêtre de la chambre de la Vicomtesse d'Avize. Les larmes du ciel coulaient, créant des rivières translucides et infinies sur le verre devant les améthystes éperdues de Leah.
Arrivée quelques jours plus tôt en compagnie de Llyr, la champenoise avait passé la plupart de son temps dans sa chambre à compulser les diverses études astronomiques qu'elle avait rassemblé au cours des derniers mois, même si parfois ses études étaient interrompues par de longs moments contemplatifs.
Le temps grisâtre de mars ne l'encourageait pas à la bonne humeur, et les nombreux nuages dans le ciel lui interdisaient toute observation des étoiles. Ainsi les livres lui tenaient compagnie et cela était reposant de ne pas avoir dans les parages un baron orléanais affichant sa méfiance vis à vis des lubies ésotériques de sa maîtresse. Elle affichait un sourire de circonstance pour le duc du Lavardin pour les moments ou elle le voyait, s'enquérant avec politesse et parfois une once d'intérêt de ses activités diverses, tant à l'hérauderie qu'en Touraine.
Elle savait que cette occupation n'était que temporaire, et il lui faudrait par la suite découvrir les Fontaines de Chappée. Rien ne la pressait tant que cela au fond, mais elle ne souhaitait pas soulever d'interrogations par une longue présence au Lavardin.
A vrai dire, elle ne savait guère elle-même pourquoi elle était venue jusqu'ici. Ces derniers mois n'avaient constitué qu'en une fuite incessante entre la Champagne, l'Artois, l'Alençon, l'Anjou et la Touraine, la vicomtesse n'arrivant pas à trouver un endroit ou se poser un instant.
Elle avait pensé que quitter ses terres serait un crève-cur, mais il n'en avait rien été. Trop de fantômes hantaient désormais Reims pour qu'elle y reste en toute quiétude, et revoir la place ou étaient morts Catheolia et Atto lui était devenu impossible. Alors elle était partie trouver refuge en Artois, et ce projet d'installation en Alençon proposé par Grégoire et Deedlitt lui avait semblé l'occasion de s'installer ailleurs et d'entamer une nouvelle vie. Tout du moins d'essayer.
Mais elle avait à peine défait ses bagages à Argentan qu'elle avait repris la route, pour arriver à Chinon. Deedlitt ne lui avait donné qu'un ultimatum, le 17 mars, pour revenir en Alençon, et son amie n'avait pas semblé s'inquiéter outre mesure du caractère inconstant de la champenoise depuis quelques mois. Elle lui avait juste fait une scène mémorable en apprenant qu'elle était vassale du Duc du Lavardin, et quelques jurons comme « espèce de saucisse » avait volé dans la pièce, avant de soupirer et de se résigner.
Elle était donc désormais dans cette chambre au Lavardin, à se demander de quoi le lendemain serait fait.
Et la pluie tombait.
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