Ermelina
Chicorée : plante herbacée dont la racine torréfiée donne un succédané du café. Ca, c'était sur le papier. Ermi, elle, aurait défini ça plus poétiquement : "cadeau des dieux", "nectar divin", "promesse d'orgasme pour les papilles"... Lorsque Ptitmec lui tendit la tasse, la Chaurienne eut l'impression ineffable d'avoir décroché un aller simple pour le paradis. A cette heure précise, Ptitmec était venue se placer en pôle position dans son classement des êtres à vénérer en urgence avec le plus de ferveur possible. Les yeux brillants, presque humides, elle contempla sa tasse et son contenu. Elle avait un peu de temps avant qu'on ne parle de choses sérieuses, autant se consacrer à la chicorée. Avec délectation, elle porta la tasse à ses lèvres et dégusta la première gorgée. Le monde aurait pu s'écrouler autour d'elle, elle ne l'aurait pas remarqué. Autant dire qu'un comte, même animé d'un juste courrou, avait peu de chance de l'atteindre.
Elle entendait bien un peu d'agitation, comme on perçoit le bourdonnement agaçant d'un moustique, un soir d'été, lorsque l'insecte exécute sa petite danse si désagréable et irritante alors qu'il s'apprête à passer à table et que vous voudriez bien accéder à la félicité d'un sommeil bien mérité. Pas de quoi se détacher de sa dégustation, quoi. Bon, elle était bien consciente d'avoir un peu encombré l'accès du château avec une certaine quantité de fruits dont quelques-uns auraient bien mérité une retraite douce et paisible dans une compotée... Mais bon, elle n'allait tout de même pas se cogner les escaliers et l'exploration du château avec en plus de ses documents la production du verger d'Orthez. Il y avait tout de même des limite au masochisme de la petite diaconesse.
Les cris ne cessant pas, Ermi finit non sans regret et désolation par s'arracher à sa tasse et s'approcha de la croisée la plus proche. Stoïque, elle contempla sa Grandeur Valère d'Arezac, vicomte de la Ferté sur Aube, comte du Béarn, gisant les quatre fers en l'air comme une malheureuse tortue qu'on aurait accidentellement -ou non- mise sur le dos. D'un oeil expert, elle évalua la situation et estima qu'il était peut-être urgent de préparer son testament.
Trahison ! C'est une mutinerie ! Je vais vous envoyez tous les cinq en geôle, vous allez voir !!! Oui j'ai bien dit cinq ! Pas un pour rattraper l'autre !
Là, c'était une évidence. Il était temps d'agir, méthodiquement si possible. D'une démarche légère et presque insousciante, Ermelina s'approcha de sa besace, qu'elle avait posée près de sa place, farfouilla un moment dedans et en sortit un ballotin de tissu violet agréablement arrondi par son contenu. Du même pas, la jeune femme retourna à la fenêtre et commença à faire de grands signes à l'infortuné comte.
Yooouuuuuuuuhooooouuuuuuuu !!! Votre Grandeur ??? Pas trop de mal ? Ermelina sourit de toutes ses dents à Varden en tentant d'imiter l'innocence absolue, comme elle souriait jadis à son père quand ce dernier s'était rendu compte de la dernière catastrophe en date causée par sa fille.
Elle prit le ballotin, le tint à bout de bras et le désigna vivement à l'aide de son index libre.
Dites, qu'est-ce que vous diriez d'un petit biscuit au miel de tatie Vanyel pour vous remettre de vos émotions et d'une petite chicorée pour accompagner ?
Ermelina venait de jouer sa carte "vous sortez de prison", voir son assurance-vie. Elle espérait simplement que cela suffirait à calmer l'ire du comte du Béarn... Et que, le cas échéant, elle était toujours capable de sprinter pour échapper à la punition.
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Bibliopotamoscribe à l'insu de son plein gré