Baile
Suite de l'interpellation de Sadnezz par Baile, dans le topic de la Rose, ici
[Dans une rue derrière le Bordel]
Elle avait lancé son cri sans réfléchir et, la dague ramassée au sol tenue fermement par la poignée dans sa senestre, elle accéléra l'allure vers l'ombre qui s'était brusquement retournée. Un deuxième Hé fut lâché, plus doucement, comme une ancre pour que le navire n'avance plus, et la Baile s'arrêta à portée de main de la femme. Le choc fut rude et immédiat. Si Baudouin lui avait fait penser, il y a quelques minutes, à un balafré de la vie, c'était une plaie encore bien béante et vivace qui la dévisageait d'un regard plus que méfiant, son regard marqué par les ans tout autant que sa peau.
N'avance plus. Elle comprit le message sans que les lèvres n'eurent à former les mots, et bien qu'elle ne ressentît aucune peur en cet instant, elle fit un léger pas en arrière sans détourner ses noisettes. Il y avait quelque chose de farouchement hostile dans le visage qui lui faisait face. Et de tourmenté. Depuis qu'elle avait fait volontairement couler le sang d'une innocente, celle qui était devenue capitaine de l'Ordre qu'elle avait fait souffrir et qui avait pourtant toujours été le centre de son existence, savait non seulement reconnaître les torturés de la vie dans ses semblables, mais ressentait une irrémédiable attirance vers eux. Et davantage encore si ce n'était pas un homme.
La main gauche de l'inconnue brilla fugacement, et la Baile baissa son regard vers l'origine de l'éclat. De là où elle se tenait, elle était incapable de distinguer les détails de l'anneau qu'elle remarqua, mais l'image d'un serpent est celle qui lui vint immédiatement à l'esprit et elle grimaça instinctivement de haine. Relevant les yeux tout en faisant taire ce qu'elle ressentait pour la Zoko et ses chefs, elle bougea légèrement le poignet pour montrer la dague, comme une invitation. Sa voix était ferme et ne trahissait aucune crainte, que la fille à la tenue débraillée fût mercenaire de la compagnie au serpent ou pas.
J'ai ramassé ça derrière, à l'instant. C'est à toi?
Le tutoiement était spontanément sorti, et elle ne pensa même pas à le corriger. La femme en face d'elle, malgré son âge très certainement plus avancé que celui de la Baile, lui donnait cette étrange impression d'être en territoire familier, lui rappelant celle qu'elle a été et qu'elle aurait pu devenir, et la ramenant immanquablement vers l'inoubliable souvenir d'une rasée qu'elle ne pouvait chasser de son esprit. Un instant, elle oublia ses charges et ses responsabilités, pour n'être plus qu'une jeune femme libre de toute attache dans une rue parisienne.
Sa virée au bordel était oubliée. Il n'y avait plus que cette rencontre fortuite, ici et maintenant. Le geste de la main se fit plus pressant et le regard plus incisif. Qui es-tu, la solitaire?
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"I have never seen a wild bird feel sorry for itself. A little bird will fall frozen from a bough without ever having felt sorry for itself."