Mumia
[Dans l'après-midi]
Mais pourquoi diable avait-il proposé à Cael d'organiser une soirée contes et légendes bretonnes ? dans quel plan galère s'était-il encore fourré ? non pas que la perspective d'écouter de la jeune femme des récits qu'il ne connaissait pas l'embête, bien au contraire, il était friand de cela, mais mince, préparer pour tout un village, comme ça, sans préparation aucune, une veillée qu'il voulait magique et inoubliable l'obligeait à une organisation rigoureuse à laquelle il n'était pas habitué...
Depuis le matin il courrait un peu partout dans le village. Village que, rappelons le, il ne connaissait que trop peu. Ce qui était un handicap de plus dans sa quête du Graal, ou plutôt des Graal pour être précis.
D'abord dégoter les plus beau ufs de Saint-Claude. Il en avait dans son panier, soigneusement rangé, quelques douzaines. Le lait non plus ne fut pas trop un souci, tant les vaches franc-comtoises étaient réputées pour la qualité de leur production. Il prit ensuite la direction de l'étal des meuniers sanclaudiens. Lui qui fut meunier à Vannes put reconnaître du premier coup d'il la farine qui lui convenait. De la farine de sarrasin, évidemment. Celle qu'il avait sous les yeux et qu'il avait achetée lui semblait de toute première qualité. Voilà, il avait les ingrédients de base.
Manquaient deux choses capitales. Des saucisses. Ben oui, pas de galettes/saucisses sans saucisses, et bonnes de surcroît ! il courut dans les ruelles, venelles de Saint-Claude à la recherche du charcutier que lui avait conseillé, un peu plus tôt dans la journée, ce grand épicurien de Tristan. Enfin il l'avait trouvé. Le bougre ne lui avait pas menti ! non contentes d'être belles à regarder, ces saucisses au doux fumet étaient absolument délicieuses...
Dernier point, et non des moindres...là il savait où aller, et n'avait aucun doute quant à la qualité du produit. Il se rendit à l'auberge où séjournait Pumae et elle eut la gentillesse de lui céder deux des futs de chouchen dont elle ne se sépare jamais. Du chouchen vannetais, forcément, et de toute première qualité. Il faut dire que le Duc d'Hennebont, son époux, n'était pas le dernier à apprécier le chouchen de qualité et que ses caves regorgeaient de trésors liquoreux.
Et c'est ainsi qu'on retrouvait Mumia affairé à préparer la pâte à crêpes pour une armada. Paume sur le front, asséné de manière violente.
Gast ! quel idiot !!!
Furent les seuls mots qu'il prononça avant de se débarrasser prestement de son tablier. Il enfila une cape chaude, ça n'était pas le moment de prendre froid, et se dirigea vers l'atelier de sa forgeronne préférée. Après quelques légitimes explications sur le pourquoi du comment, elle cessa immédiatement l'objet sur lequel elle s'acharnait pour lui créer la plus plate et plus large poêle qu'elle put faire. Il fut comblé au delà de ses espérances pour cet ustensile indispensable à la bonne organisation de sa soirée. Après l'avoir chaleureusement (héhé non, vous ne saurez pas comment ! ) remerciée, il reprit la direction de l'endroit où ils allaient évoluer en soirée et se remit, l'esprit tranquille, aux fourneaux, passant mentalement en revue les contes qu'il connaissait pour faire le bon choix.
[La soirée]
Et voilà, on y était. Cael était arrivée plus tôt pour mettre littéralement la main à la pâte. Tout en oeuvrant ils avaient parlé du pays, de Vannes, de la Bretagne, ainsi que d'autres sujets plus théologiques mais non moins intéressants.
L'annonce de cette veillée s'était rependue en ville. Chaque sanclaudien était évidemment convié. Au delà d'un hommage à sa Bretagne natale, il concevait cette soirée comme un cadeau à l'accueil que lui avaient réservé les sanclaudiens.
Ces derniers commençaient à arriver et à s'installer autour des tables qu'ils avaient mises en place dans l'après-midi. Il passait de table en table, saluant les uns, bisant les autres, servant qui un verre de chouchen, qui une galette, qui les deux. Malgré l'apparente décontraction dont il faisait preuve, la petite boule qu'il avait dans le ventre lui rappelait que, comme il l'avait promis à Cael, condition sine qua non pour qu'elle accepter de conter, il devait ouvrir le bal.
Les invités servis, il se mit en leur centre et prit la parole.
Mes amis, merci d'avoir répondu à notre invitation. La Bretagne est une terre de légende, sa culture celte est riche d'histoires que l'on se transmet oralement, à la veillée, les longues soirées d'hiver. Un peu comme ce soir...
il sourit
Avant de vous conter une de ces légendes, j'aimerai, pour que vous soyez vraiment dans l'ambiance, que vous fermiez les yeux quelques instants...
Il attend qu'ils s'exécutent. Une fois que la grande majorité le fait (il y a toujours des réfractaires !), il reprend la parole, d'une voix douce et chaude.
Nous sommes au cur de la forêt de Brocéliande, elle même au cur d'une fière nation appelée Bretagne, aux confins du monde connu...
c'est l'aube. La rosée du matin s'est doucement muée en brume qui monte délicatement des fougères qui parsèment le lieu. Le soleil darde ses premiers rayons sur la clairière, tandis qu'au loin on aperçoit un cerf qui brame. Caché dans les fourrés, un korrigan observe lui aussi en silence la majesté de l'instant.
Il garde quelques instants le silence, le temps que chacun puisse vraiment s'imprégner de l'atmosphère qui règne en Brocéliande. Puis il reprend.
Vous pouvez rouvrir les yeux, si vous le souhaitez.
Je vais vous narrer un conte de chez nous sur, justement, ces curieux êtres qui peuplent nos forêts...
A Riantec, il y avait autrefois une veuve qui avait un fils. Tous deux vivaient pauvrement, et ils étaient obligés de tirer la charrue à tour de rôle parce qu'ils n'avaient pas assez d'argent pour acheter une paire de bufs.
Néanmoins, la veuve tirait parti de tout ce qu'elle pouvait et sa cabane était tenue très proprement.
On ne tarissait pas d'éloges sur elle, dans le pays, et on aurait bien voulu qu'elle se tirât d'affaire.
Malheureusement, les temps étaient rudes alors, et personne ne pouvait les aider autrement qu'en leur donnant parfois du pain et quelques galettes de blé noir. Cela n'empêchait pas le fils d'être un beau garçon courageux au travail.
Il but une gorgée de chouchen, puis reprit :
Or, une nuit, la veuve eut un songe : elle se vit dans une grande forêt à la poursuite d'un attelage tiré par deux bufs blancs et noirs.
Au bout d'une course épuisante, elle parvenait enfin à rattraper l'attelage et elle le ramenait à la maison. Elle fut très impressionnée par ce rêve, et, le matin, elle dit à son fils :
- Allons à la foire d'Hennebont pour y chercher une paire de bufs
- Mais, ma mère, répondit le fils, nous n'avons pas le moindre argent !
- Cela ne fait rien, dit-elle, je sais que j'en trouverai. Ils partirent donc pour la foire d'Hennebont. Ils marchaient d'un pas rapide et,
à la croisée de trois chemins, ils virent un petit un petit homme sortir de dessous la terre et venir vers eux.
Où allez-vous comme cela ? demanda le petit homme.
- À la foire, à Hennebont, répondit le fils, pour acheter une paire de bufs Mais nous n'avons pas d'argent pour payer.
- Si vous descendez avec moi dans ce trou, dit le petit homme, et si vous savez vous comporter comme il faut, je vous garantis que vous ne manquerez de rien. Ils suivirent le petit homme et s'engagèrent dans un trou, au milieu d'un buisson.
Le trou leur paraissait bien trop petit pour eux, mais quand ils descendirent, ils ne sentirent aucun gêne.
Ils furent alors saisis d'étonnement, car ils se trouvaient dans une grande maison remplie d'enfants qui n'étaient pas plus grands qu'un sabot de bois.
C'étaient tous des korrigans. On leur dit que le père était très malade et sur le point de mourir, mais que s'ils connaissaient quelque remède, ils en seraient récompensés largement. La veuve réfléchit et demanda qu'on allât lui chercher des herbes.
Nouvelle pause, afin que chacun puisse s'imprégner de la légende...
Les korrigans sortirent et revinrent peu après, apportant ce que la femme avait demandé.
Alors elle confectionna des tisanes et les fit boire au malade. Celui-ci commença à se sentir mieux.
- Si vous sauvez mon mari, leur dit la mère des korrigans, vous ne manquerez jamais plus de rien.
Ils restèrent là trois jours et trois nuits à soigner le père des korrigans, mais ils ne trouvaient pas
le temps long et s'imaginaient être là seulement depuis trois heures.
Le père des korrigans fut bientôt guéri. Il dit à la veuve et à son fils :
- Venez avec mon épouse et moi-même. Nous vous donnerons une maison et tout ce qu'il faut pour bien y vivre.
Ils arrivèrent à un grand bois dont les arbres n'avaient pas été élagués depuis bien longtemps. Le korrigan se dirigea vers une grosse pierre que, malgré sa petite taille, il souleva sans difficulté. Il y avait là un trou, très profond, mais très étroit, comme celui que la veuve et son fils avaient emprunté pour aller chez les korrigans.
Le petit homme leur demanda d'y pénétrer. Ils descendirent et furent bien étonnés de ce qu'ils voyaient :
il y avait là une grande maison, avec de beaux meubles et de la vaisselle abondante, et de bons lits avec des couvertures.
Par la fenêtre, on voyait une prairie bien verte, avec des vaches et des bufs qui paissaient.
- Tout cela est à vous, dit le père des korrigans. Vous mérité puisque vous m'avez sauvé la vie.
Mais je dois vous avertir qu'un grave danger vous menace.
Dans huit jours, quelqu'un viendra ici. C'est mon père. Il est vieux et très méchant. Il viendra ici pour vous effrayer et tenter de vous chasser. Si vous refusez de partir, il vous tuera après avoir prononcé contre vous toutes sortes de malédictions. Mais je vais vous dire ce qu'il faut faire.
Quand vous l'entendrez arriver, que la mère se place au pied du lit tandis que le fils se cachera dessous.
Mon père aura un énorme couteau et un arc avec sept flèches, mais quand il tirera, jetez-vous par terre et il ne pourra vous atteindre.
Il essaiera alors de vous tuer avec son couteau et c'est alors que votre fils interviendra.
Mais, je vous l'assure, s'il vous attrape, il vous tuera. La huitième nuit, la mère et le fils entendirent un grand bruit et commencèrent à trembler.
Ils virent le vieux korrigan qui tempêtait et jurait.
- Ah ! criait-il, je vous vois et vous êtes à moi ! Il les poursuivait l'un et l'autre. La mère se plaça au pied du lit tandis que le fils se cachait dessous.
Il tira ses sept flèches, mais la veuve s'était jetée par terre et elle ne fut pas atteinte. Alors, le vieux korrigan brandit son couteau, qui était presque aussi grand que lui-même, et se précipita vers la pauvre femme.
Mais, à ce moment, le fils sortit de dessous le lit et lui coupa la tête. Alors, à ce même moment, arrivèrent des korrigans en grand nombre, ils étaient sûrement plus d'une centaine. Ils riaient et dansaient de joie en répétant :
- Que s'est-il donc passé ici ? Que de plaisir nous allons avoir ! Il est mort, le barbare, le cruel qui nous tyrannisait ! Nous allons faire la fête.
Nous danserons et nous planterons un arbre en signe de notre liberté. Et les korrigans manifestaient bruyamment leur joie.
Quant à la veuve et son fils, ils vécurent tranquillement dans la maison que leur avaient donnée les korrigans, et ils ne manquèrent jamais de rien...
Il sourit, content de ne s'en être pas trop mal sorti. Il espérait que chacun avait pris autant de plaisir à l'écouter que lui à narrer. D'un sourire et d'un signe des mains, il invita Cael à prendre la suite et alla s'installer parmi ses amis.
Mais pourquoi diable avait-il proposé à Cael d'organiser une soirée contes et légendes bretonnes ? dans quel plan galère s'était-il encore fourré ? non pas que la perspective d'écouter de la jeune femme des récits qu'il ne connaissait pas l'embête, bien au contraire, il était friand de cela, mais mince, préparer pour tout un village, comme ça, sans préparation aucune, une veillée qu'il voulait magique et inoubliable l'obligeait à une organisation rigoureuse à laquelle il n'était pas habitué...
Depuis le matin il courrait un peu partout dans le village. Village que, rappelons le, il ne connaissait que trop peu. Ce qui était un handicap de plus dans sa quête du Graal, ou plutôt des Graal pour être précis.
D'abord dégoter les plus beau ufs de Saint-Claude. Il en avait dans son panier, soigneusement rangé, quelques douzaines. Le lait non plus ne fut pas trop un souci, tant les vaches franc-comtoises étaient réputées pour la qualité de leur production. Il prit ensuite la direction de l'étal des meuniers sanclaudiens. Lui qui fut meunier à Vannes put reconnaître du premier coup d'il la farine qui lui convenait. De la farine de sarrasin, évidemment. Celle qu'il avait sous les yeux et qu'il avait achetée lui semblait de toute première qualité. Voilà, il avait les ingrédients de base.
Manquaient deux choses capitales. Des saucisses. Ben oui, pas de galettes/saucisses sans saucisses, et bonnes de surcroît ! il courut dans les ruelles, venelles de Saint-Claude à la recherche du charcutier que lui avait conseillé, un peu plus tôt dans la journée, ce grand épicurien de Tristan. Enfin il l'avait trouvé. Le bougre ne lui avait pas menti ! non contentes d'être belles à regarder, ces saucisses au doux fumet étaient absolument délicieuses...
Dernier point, et non des moindres...là il savait où aller, et n'avait aucun doute quant à la qualité du produit. Il se rendit à l'auberge où séjournait Pumae et elle eut la gentillesse de lui céder deux des futs de chouchen dont elle ne se sépare jamais. Du chouchen vannetais, forcément, et de toute première qualité. Il faut dire que le Duc d'Hennebont, son époux, n'était pas le dernier à apprécier le chouchen de qualité et que ses caves regorgeaient de trésors liquoreux.
Et c'est ainsi qu'on retrouvait Mumia affairé à préparer la pâte à crêpes pour une armada. Paume sur le front, asséné de manière violente.
Gast ! quel idiot !!!
Furent les seuls mots qu'il prononça avant de se débarrasser prestement de son tablier. Il enfila une cape chaude, ça n'était pas le moment de prendre froid, et se dirigea vers l'atelier de sa forgeronne préférée. Après quelques légitimes explications sur le pourquoi du comment, elle cessa immédiatement l'objet sur lequel elle s'acharnait pour lui créer la plus plate et plus large poêle qu'elle put faire. Il fut comblé au delà de ses espérances pour cet ustensile indispensable à la bonne organisation de sa soirée. Après l'avoir chaleureusement (héhé non, vous ne saurez pas comment ! ) remerciée, il reprit la direction de l'endroit où ils allaient évoluer en soirée et se remit, l'esprit tranquille, aux fourneaux, passant mentalement en revue les contes qu'il connaissait pour faire le bon choix.
[La soirée]
Et voilà, on y était. Cael était arrivée plus tôt pour mettre littéralement la main à la pâte. Tout en oeuvrant ils avaient parlé du pays, de Vannes, de la Bretagne, ainsi que d'autres sujets plus théologiques mais non moins intéressants.
L'annonce de cette veillée s'était rependue en ville. Chaque sanclaudien était évidemment convié. Au delà d'un hommage à sa Bretagne natale, il concevait cette soirée comme un cadeau à l'accueil que lui avaient réservé les sanclaudiens.
Ces derniers commençaient à arriver et à s'installer autour des tables qu'ils avaient mises en place dans l'après-midi. Il passait de table en table, saluant les uns, bisant les autres, servant qui un verre de chouchen, qui une galette, qui les deux. Malgré l'apparente décontraction dont il faisait preuve, la petite boule qu'il avait dans le ventre lui rappelait que, comme il l'avait promis à Cael, condition sine qua non pour qu'elle accepter de conter, il devait ouvrir le bal.
Les invités servis, il se mit en leur centre et prit la parole.
Mes amis, merci d'avoir répondu à notre invitation. La Bretagne est une terre de légende, sa culture celte est riche d'histoires que l'on se transmet oralement, à la veillée, les longues soirées d'hiver. Un peu comme ce soir...
il sourit
Avant de vous conter une de ces légendes, j'aimerai, pour que vous soyez vraiment dans l'ambiance, que vous fermiez les yeux quelques instants...
Il attend qu'ils s'exécutent. Une fois que la grande majorité le fait (il y a toujours des réfractaires !), il reprend la parole, d'une voix douce et chaude.
Nous sommes au cur de la forêt de Brocéliande, elle même au cur d'une fière nation appelée Bretagne, aux confins du monde connu...
c'est l'aube. La rosée du matin s'est doucement muée en brume qui monte délicatement des fougères qui parsèment le lieu. Le soleil darde ses premiers rayons sur la clairière, tandis qu'au loin on aperçoit un cerf qui brame. Caché dans les fourrés, un korrigan observe lui aussi en silence la majesté de l'instant.
Il garde quelques instants le silence, le temps que chacun puisse vraiment s'imprégner de l'atmosphère qui règne en Brocéliande. Puis il reprend.
Vous pouvez rouvrir les yeux, si vous le souhaitez.
Je vais vous narrer un conte de chez nous sur, justement, ces curieux êtres qui peuplent nos forêts...
A Riantec, il y avait autrefois une veuve qui avait un fils. Tous deux vivaient pauvrement, et ils étaient obligés de tirer la charrue à tour de rôle parce qu'ils n'avaient pas assez d'argent pour acheter une paire de bufs.
Néanmoins, la veuve tirait parti de tout ce qu'elle pouvait et sa cabane était tenue très proprement.
On ne tarissait pas d'éloges sur elle, dans le pays, et on aurait bien voulu qu'elle se tirât d'affaire.
Malheureusement, les temps étaient rudes alors, et personne ne pouvait les aider autrement qu'en leur donnant parfois du pain et quelques galettes de blé noir. Cela n'empêchait pas le fils d'être un beau garçon courageux au travail.
Il but une gorgée de chouchen, puis reprit :
Or, une nuit, la veuve eut un songe : elle se vit dans une grande forêt à la poursuite d'un attelage tiré par deux bufs blancs et noirs.
Au bout d'une course épuisante, elle parvenait enfin à rattraper l'attelage et elle le ramenait à la maison. Elle fut très impressionnée par ce rêve, et, le matin, elle dit à son fils :
- Allons à la foire d'Hennebont pour y chercher une paire de bufs
- Mais, ma mère, répondit le fils, nous n'avons pas le moindre argent !
- Cela ne fait rien, dit-elle, je sais que j'en trouverai. Ils partirent donc pour la foire d'Hennebont. Ils marchaient d'un pas rapide et,
à la croisée de trois chemins, ils virent un petit un petit homme sortir de dessous la terre et venir vers eux.
Où allez-vous comme cela ? demanda le petit homme.
- À la foire, à Hennebont, répondit le fils, pour acheter une paire de bufs Mais nous n'avons pas d'argent pour payer.
- Si vous descendez avec moi dans ce trou, dit le petit homme, et si vous savez vous comporter comme il faut, je vous garantis que vous ne manquerez de rien. Ils suivirent le petit homme et s'engagèrent dans un trou, au milieu d'un buisson.
Le trou leur paraissait bien trop petit pour eux, mais quand ils descendirent, ils ne sentirent aucun gêne.
Ils furent alors saisis d'étonnement, car ils se trouvaient dans une grande maison remplie d'enfants qui n'étaient pas plus grands qu'un sabot de bois.
C'étaient tous des korrigans. On leur dit que le père était très malade et sur le point de mourir, mais que s'ils connaissaient quelque remède, ils en seraient récompensés largement. La veuve réfléchit et demanda qu'on allât lui chercher des herbes.
Nouvelle pause, afin que chacun puisse s'imprégner de la légende...
Les korrigans sortirent et revinrent peu après, apportant ce que la femme avait demandé.
Alors elle confectionna des tisanes et les fit boire au malade. Celui-ci commença à se sentir mieux.
- Si vous sauvez mon mari, leur dit la mère des korrigans, vous ne manquerez jamais plus de rien.
Ils restèrent là trois jours et trois nuits à soigner le père des korrigans, mais ils ne trouvaient pas
le temps long et s'imaginaient être là seulement depuis trois heures.
Le père des korrigans fut bientôt guéri. Il dit à la veuve et à son fils :
- Venez avec mon épouse et moi-même. Nous vous donnerons une maison et tout ce qu'il faut pour bien y vivre.
Ils arrivèrent à un grand bois dont les arbres n'avaient pas été élagués depuis bien longtemps. Le korrigan se dirigea vers une grosse pierre que, malgré sa petite taille, il souleva sans difficulté. Il y avait là un trou, très profond, mais très étroit, comme celui que la veuve et son fils avaient emprunté pour aller chez les korrigans.
Le petit homme leur demanda d'y pénétrer. Ils descendirent et furent bien étonnés de ce qu'ils voyaient :
il y avait là une grande maison, avec de beaux meubles et de la vaisselle abondante, et de bons lits avec des couvertures.
Par la fenêtre, on voyait une prairie bien verte, avec des vaches et des bufs qui paissaient.
- Tout cela est à vous, dit le père des korrigans. Vous mérité puisque vous m'avez sauvé la vie.
Mais je dois vous avertir qu'un grave danger vous menace.
Dans huit jours, quelqu'un viendra ici. C'est mon père. Il est vieux et très méchant. Il viendra ici pour vous effrayer et tenter de vous chasser. Si vous refusez de partir, il vous tuera après avoir prononcé contre vous toutes sortes de malédictions. Mais je vais vous dire ce qu'il faut faire.
Quand vous l'entendrez arriver, que la mère se place au pied du lit tandis que le fils se cachera dessous.
Mon père aura un énorme couteau et un arc avec sept flèches, mais quand il tirera, jetez-vous par terre et il ne pourra vous atteindre.
Il essaiera alors de vous tuer avec son couteau et c'est alors que votre fils interviendra.
Mais, je vous l'assure, s'il vous attrape, il vous tuera. La huitième nuit, la mère et le fils entendirent un grand bruit et commencèrent à trembler.
Ils virent le vieux korrigan qui tempêtait et jurait.
- Ah ! criait-il, je vous vois et vous êtes à moi ! Il les poursuivait l'un et l'autre. La mère se plaça au pied du lit tandis que le fils se cachait dessous.
Il tira ses sept flèches, mais la veuve s'était jetée par terre et elle ne fut pas atteinte. Alors, le vieux korrigan brandit son couteau, qui était presque aussi grand que lui-même, et se précipita vers la pauvre femme.
Mais, à ce moment, le fils sortit de dessous le lit et lui coupa la tête. Alors, à ce même moment, arrivèrent des korrigans en grand nombre, ils étaient sûrement plus d'une centaine. Ils riaient et dansaient de joie en répétant :
- Que s'est-il donc passé ici ? Que de plaisir nous allons avoir ! Il est mort, le barbare, le cruel qui nous tyrannisait ! Nous allons faire la fête.
Nous danserons et nous planterons un arbre en signe de notre liberté. Et les korrigans manifestaient bruyamment leur joie.
Quant à la veuve et son fils, ils vécurent tranquillement dans la maison que leur avaient donnée les korrigans, et ils ne manquèrent jamais de rien...
Il sourit, content de ne s'en être pas trop mal sorti. Il espérait que chacun avait pris autant de plaisir à l'écouter que lui à narrer. D'un sourire et d'un signe des mains, il invita Cael à prendre la suite et alla s'installer parmi ses amis.