--Bonito
[ . وأنا أحبك أميرة هذه المدينة
Je te dis que tu es la Princesse de cette ville , répondit il .
As tu le pouvoir de me garder ? je ne le sais . Mon maître Tristan m'a employé , et même s'il est gentil , je crains de ne pouvoir pas vivre s'il n'est là . S'il ne détient pas mon âme , mon corps ne saurait survivre dans cette ville si froide en hiver .
J'ignore tout de cette ville , de ses coutumes , de ses us et de sa religion . Vois , l'autre soir , un soldat pourtant bien coquet , et du Saint prénom de Tristan , m'a traité de Sarrazin . On se méfie de moi..... Si les femmes me regardent , ici , c'est qu'elles sont attirées par le goût de l'interdit . Les hommes me provoqueront , les femmes honnêtes , je veux dire celles qui conservent en elles un désir inassouvi qui les aigrit , détourneront la tête et cacheront leurs enfants . Même tes prêtres , qui annoncent l'amour éternel viendront me convertir ou m'immoler ! Regarde les , ils parlent d'amour mais restent cloîtrés entre hommes ou entre femmes , pour ne surtout pas rencontrer l'amour incarné .
Bonito se leva , se laissant essuyer le corps . Voyant que Anne regardait sa longue plaie, il soupira :
Cette plaie .... j'étais un janissaire ! Savais-tu que La Porte enrôlait dans ses armées des jeunes gens réduits en esclavage pour combattre .... principalement les chrétiens . Quand je te disais que j'avais été enrôlé par le Sultan comme esclave , c'est bien vrai : esclave de ses plaisirs militaires ... Le sabre que je tenais a tué tes semblables , douce Dame , mais cette plaie fut faite par un soldat qui se défendit à l'aide d'un pauvre fauchard* . Blessé , j'ai trouvé refuge chez ce vieux Vizir , qui m'a employé !
Comment puis-je vivre libre ici , moi qui ai fait couler le sang des tiens ? C'est mon secret le plus lourd Madame , aimer les Francs , après les avoir tués . Aimer pour expier , aimer pour me punir , aimer d'un amour impossible ...
Des larmes s'écoulaient sur ses joues , sans que le moindre sanglot altère sa voix . Il aurait aimé vivre avec elle , quoi qu'on dise , mais comme le disait un pêcheur de Marseille : on a beau laver , on a beau relaver , la caque** sent toujours le hareng...
Bonito serra les poings de rage et ses ongles s'enfoncèrent dans la paume jusqu'au sang .
*fauchard : faux employée comme arme (souvent par des soldats peu riches)
**caque : tonneau dans lequel on mettait les harengs à saler
**caque : tonneau dans lequel on mettait les harengs à saler