Griotte, incarné par Cerdanne
Le soleil peinait à se lever en ce début de journée. Lair était chargé dhumidité et sentait les embruns de locéan. Ce temps grisâtre et terne, alimentait lhumeur maussade de la jeune fille qui cheminait en direction du campement de larmée dirigée par la Comtesse du Lavedan. Celle-ci avait laissé en sa demeure une lettre à lattention de sa dame de compagnie, dans lespoir un peu fou, quelle lui serait remise rapidement. Impossible de savoir quand est-ce-que la môme rentrerait de vadrouille. Elle pouvait séclipser pendant des jours et des jours, sans jamais prévenir quiconque de ses escapades improvisées. Une vagabonde à lesprit libre, sur laquelle il était difficile dexercer une emprise, mais la Saint-Just semblait décidée à relever le défi.
La jeune cavalière mit pied à terre et présenta le vélin aux gardes postés en faction aux abords des tentes qui salignaient avec rigueur sous le ciel de plomb. La missive était brève et le ton cassant, intimant à Griotte de la rejoindre sur le champ. La demande autoritaire aurait pu braquer la morveuse et la faire fuir encore plus vite, mais il nen fut rien. Depuis son agression, elle avait limpression de nager en eaux troubles, se sentant perdue et esseulée, comme si on lui avait arraché son goût pour la vie et que lexistence navait plus aucun intérêt à ses yeux. Ainsi, les ordres de la Comtesse avaient quelque chose de rassurant. Ils étaient la preuve même quelle nétait pas seule et quil y avait encore des gens pour se soucier delle.
« Vous arrivez bien tôt, dmoiselle. Sa Grandeur nest pas encore levée. Vous pvez aller vous réchauffer près du feu de camp en attendant. Devriez aussi trouver de quoi casser la croûte. »
Attendre, mais oui, mais bien sur.
« Je vous remercie. »
La môme lui confia sa monture et se dirigea vers la luisance orangée autour de laquelle conversaient trois soldats. Ils interrompirent leur discussion en voyant la gamine sapprocher, se donnant des coups de coudes en ricanant comme des benêts. Elle devina les lueurs lubriques qui sallumèrent dans leurs regards, plus quelle ne les vit. Elle sera la mâchoire et tenta de les ignorer tandis quelle leur tournait le dos pour se saisir dune écuelle vide et dun godet.
Armée de ces deux ustensiles indispensables pour un réveil en douceur, elle séloigna vers la tente de la Saint-Just dans laquelle elle entra en tambourinant la vaisselle lune contre lautre.
Debooooout là-ddans ! C'est l'heure d'se leeeveeer !
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Griotte, incarné par Gnia
Le réveil de la Saint-Just était à la hauteur des espérances de sa dame de compagnie. Le regard noir que Sa Grandeur lui lança par-dessus le paravent valait bien le déplacement. La môme en oublia même la mauvaise foi dont elle avait fait preuve lorsqu'elle avait appris que sa présence était requise au campement. Un sourire amusé éclaira son visage. Si elle arrêta son tintamarre pendant que la Comtesse s'habillait, ce n'était pas pour la satisfaire, mais uniquement pour parvenir à l'entendre râler. Finalement cette journée ne commençait pas si mal que ça.
Parait qu'on n'vous y a pas vu non plus depuis des lustres, à l'Alabrena.
Et toc ! La gamine se débarrassa de ses instruments de torture sonore en les déposant sur la table au-dessus de laquelle elle imaginait bien la Capitaine se pencher régulièrement pour étudier les cartes de la région et mettre en place ses stratégies de défense en compagnie des hauts officiers de l'armée.
J'me suis engagée comme dame de compagnie, pas comme écuyère. J'vois pas pourquoi j'trainerais avec les soldats guyennois - surtout qu'ch'uis bourguignonne - alors autant m'occuper en attendant vot' retour.
Se détournant de la Saint-Just vaquant à une toilette rapide, la bâtarde se laissa choir sur une chaise peu confortable.
Bon et sinon, vous glandez quoi d'vos journées ? C'doit être d'un ennui mortel pour qu'vous m'fassiez mander. Elle est où Isaure ? Y a qu'moi qu'est d'corvée gardiennage ?
La ramener un peu moins ? On peut toujours rêver, n'est-ce-pas ?
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Griotte, incarné par Gnia
Face aux provocations de la jeune fille, le ton de la Saint-Just monta d'un cran, mais il en fallait bien plus pour impressionner l'insupportable morveuse. Ses émeraudes insolentes étaient plongées sans vergogne dans le regard noir de la Comtesse, bravant son autorité pour voir jusqu'où elle pourrait s'aventurer avant d'être châtiée. L'affront ressemblait à une mise à l'épreuve, longtemps repoussée, afin de déterminer si l'Infâme avait assez de caractère pour assujettir la gamine impétueuse. Etait-elle assez forte pour la dominer et endosser le rôle de sa protectrice ? Dieu seul savait à quel point elle avait besoin d'une figure puissante et bienfaitrice pour la prendre sous son aile et lui faire oublier la faiblesse qu'elle ressentait depuis la mauvaise rencontre qu'elle avait fait chez l'herboriste.
La Saint-Just n'était plus qu'à un pas de la bâtarde. La gamine ne pouvait plus soutenir son regard sans avoir à lever le visage vers elle. Droite et fière, elle fixa ses yeux sur le menton de la Comtesse, qui la surplombait d'une tête. Serrant les dents, elle essuya les réprimandes sans piper mots, comprenant bien que l'Infâme n'était plus qu'à un doigt d'en venir au châtiments corporels. Les limites étaient fixées. La môme était sur le point de s'y plier lorsqu'un horrible fracas se fit entendre depuis le paravent dissimulant la couchette. La tête se tourna en direction de la provenance du bruit.
Vous n'êtes pas seule ?
Une évidence qu'elle ne put se retenir d'énoncer à haute voix sous l'effet de la surprise. Son étonnement fut encore plus grand en reconnaissant la silhouette et le visage qui firent une apparition quelque peu dénudée.
Mais...
Stupeur. Le corps de la gamine se tendit d'un bloc. Un froid glacial venait de s'abattre sur elle. Un affreux sentiment de détresse se propagea dans tout son être. Elle était en danger. Que faisait-il ici ? Et nu en plus ! La Comtesse avait passé la nuit avec lui. Cette raclure était son amant !
Reculant d'un pas, puis de deux, elle ne pouvait empêcher ses yeux écarquillés de passer de l'un à l'autre. La mine effarée, elle ne parvenait pas à ignorer le regard noir que lui lançait le Basque. Lourd de sens, elle sut dans l'instant qu'elle n'avait pas intérêt à le dénoncer si elle ne voulait pas le payer cher. Très cher.
Et dire que j'étais sur le point de vous faire confiance ! Vous m'cassez l'noyau avec vos préceptes à la con, comme quoi je f'rais mieux d'arrêter d'jouer à la gueuse qui traine sur les chemins, mais vous, vous courez les remparts ! Moi au moins j'écarte pas les cuisses comme une vulgaire catin ! Si ça s'trouve l'petit héritier n'est même pas d'mon père mais de... de cette crapule ou d'un aut' du même accabit ! Ah, Eusaias s'ra ravi de l'apprendre !
Colère, trahison, impuissance... La bâtarde se retournait contre la Saint-Juste et lui crachait son venin au visage.
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Griotte, incarné par Gnia
Les émeraudes flambantes de colère restèrent rivées sur le dos de la Comtesse tout le temps que dura la tirade du Basque. Sa présence terrifiait la gamine. Elle était incapable de poser les yeux sur lui. Revoir sa togne ravivait en elle le déshonneur et la souffrance qu'il lui avait infligé. Sa présence aussi proche d'elle était insupportable. Sa voix lui écorchait les oreilles et la faisait frémir de sueurs froides. Elle aurait voulu qu'il disparaisse ou être capable de l'ignorer, mais en le voyant, son corps tout entier s'était mis d'instinct sur le qui-vive. Le danger était sous-jacent. Toute son attention tendait vers la source de son mal être et les paroles qu'il prononçait.
Le mea culpa passa à la trappe. La bâtarde prit ses excuses pour une ironie mesquine destinée à enfoncer le clou encore un peu plus loin. Elle ne pouvait concevoir qu'une créature aussi vile puisse ressentir de la culpabilité. Plus impensable encore, lui accorder le pardon qu'il avait l'hardiesse de lui demander sous couvert de lui faire la morale.
La jeune fille serra les poings à en faire blanchir ses phalanges, mais elle se refusa à lui répondre ou à poser les yeux sur lui, lui témoignant ainsi de tout le mépris qu'elle lui portait. Elle avait bien compris le petit marché qu'il lui proposait. Son silence contre une attitude bienveillante à son encontre, mais avait-elle vraiment le choix ? Si elle parlait, il la tuerait. Cette ignoble crapule était à nouveau en position de force, à moins que la gamine ne trouve une solution pour renverser la donne à son avantage...
L'intrusion impromptue permis à la bâtarde de gagner un peu de temps avant d'avoir une réponse à formuler. Son esprit se mit à détailler la situation sous toutes les coutures. Il y avait forcement un point faible dans le camp adverse. Il fallait qu'elle le trouve pour en tirer avantage. Ce point faible c'était les quelques jours qui s'étaient écoulés entre leur rencontre à Tarbes et celle au campement. Le Gascon était incapable de savoir ce qu'elle avait fait durant ce laps de temps.
Je peux vous montrer le chemin.
La gamine s'était tournée vers l'étranger.
Si vous le voulez bien, je ferais route avec vous. Plus rien ne me retient ici et des affaires de la plus haute importance m'attendent à Montauban. Je dois m'assurer du bon retour du messager que j'ai missionné il y a deux jours de cela. Il était porteur d'un pli à l'attention d'une personne de confiance qui le fera parvenir à mon père s'il venait à m'arriver un malheur quelconque. Un peu comme un testament. Vous voyez ce que je veux dire ?
La gamine toisait toujours l'inconnu, mais ses paroles s'adressaient en réalité au Basque.
D'ailleurs, je viens de me rendre compte que j'ai omis un ou deux détails, qu'il me tarde de faire parvenir à mon confident. Ne trainons pas. Partons dans l'instant, voulez-vous bien ?
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