Prune
[Rp ouvert à tous dans le respect de la cohérence. Sur les routes de Lorraine, en direction du domaine des Belrupt]
Le coche bringuebalait. Les ambres perdues dans le vide, le front posé sur la vitre froide, Prune observait sans réelle attention le paysage qui sétirait à lextérieur. Le temps était incertain mais le début du printemps nétait plus très loin. Chaque jour les rayons du soleil se faisaient plus audacieux et leur chaleur de plus en plus persistante. La neige, elle-même battait en retraite se répandant en flaques boueuses. Un doux sourire passa sur les lèvres rondes de la fillette. Elle navait quune hâte : quil sinstallât ce printemps que lon puisse enfin organiser ces fêtes champêtres quelle aimait tant. On dressait de longues tables ou on mangeait assis sur de grands draps blancs, posés au sol. On jouait, on écoutait les troubadours et les trouvères, on sémerveillait devant les oiseaux de toutes les couleurs amenés par les marchands de passage. Un petit sursaut de plaisir secoua les fragiles épaules dissimulées sous un châle de velours blanc brodé dor. Non pas quelle naimait pas lhiver mais cette saison lépuisait. Les soirées étaient trop longues et la tranquillité des veillées au coin du feu lennuyait. Heureusement que cet hiver, elle lavait passé à voyager avec sa famille et que son infinie curiosité et son insatiable envie de mouvement avait été comblés. Sinon, elle serait certainement morte dennui.
La prune finit par se détourner de la fenêtre, laissant un rond de buée là où son minois sétait posé. Le coche dans lequel elle voyageait avait été aménagé selon ses goûts, tentant par la même lui faire oublier le mécontentement qui lhabitait lorsquelle pensait à ce voyage. Entièrement capitonné de blanc, lintérieur était parsemé de touche dor. Que ce soit sur les coussins brodés aux armoiries de sa famille ou la vaisselle finement ciselée dans laquelle elle mangeait, partout le précieux métal apposait sa marque. Doré, ambré, le monde serait mirabelle pour la prune. La blonde enfant tendit la main vers une coupe où se dressait un monticule de dragées scintillantes. La friandise rondement enfournée dans sa bouche, elle se tourna vers la gouvernante qui laccompagnait durant le trajet. Laisser une enfant seule sur les routes par les temps qui courraient nétait pas des plus raisonnables.
« Arrivons-nous bientôt ? Ce voyage est terriblement long et ennuyeux ! »
La dame dun âge certain sagita quittant la somnolence qui lavait envahi. Dun geste maternel, elle réajusta la couverture qui avait glissé des genoux de ladorable fillette.
« Allons damoiselle, nous sommes parties depuis moins dune heure. Vous qui ne rêvez que de voyages, vous vous ennuyez déjà ? »
Prune accusa la remarque avec une grimace mécontente et rétorqua que ce voyage était loin dêtre celui de ses rêves et qui plus est, elle devait le faire seule et pour rejoindre un oncle quelle ne connaissait quà peine. Le Duc de Lorraine lui avait dit sa mère. Le Duc de Lorraine était son oncle. La nouvelle lavait tout dabord enorgueilli mais très vite, elle avait déchanté. Sa mère et son père avait pris la décision quelle devrait vivre près de lui afin de parfaire son éducation, chose impossible sur les routes. Elle avait eu beau pleurer, crier, supplier, promettre milles et unes concessions, rien ny avait fait et elle sétait retrouvé dans ce coche en direction du domaine familial. Une mimique contrariée passa sur la bouille enfantine avant de se fondre dans un soupire. Il fallait bien sy faire. Sa mère lui avait fait la promesse de lui rendre visite le plus souvent possible et son père lui avait dit quils resteraient à jamais dans son cur. Un nouveau soupire franchit les lèvres de la très jeune demoiselle alors que sa friandise finissait de disparaitre dans sa bouche. Ses ambres se ternirent très légèrement.
« Le connais-tu mon oncle ?
- Hé bien, il sagit de sa Grâce, nouvellement élu, notre bon Duc de Lorraine. Il dirige également lUniversité de Belrupt et bien que je ne le connaisse pas personnellement il parait que cest un homme bon et juste. »
Prune marmonna, peu convaincue.
« Damoiselle, quoi quil advienne, personne ne saurait vous être désagréable.
- Je lespère
Mais dis, Maman avait-elle prévenu de notre arrivée en ce jour ? Que je ne dorme pas dans une chambre glacée ce soir ! »
La gouvernante eut un petit haussement dépaules et la prune lui demanda de prendre un parchemin parfumé, à la prune bien sur, quelle aimait tant et lui dicta quelques mots.
Citation:De nous, Adorable et Adorée Damoiselle Prune de Beauregard-Belrupt
A notre très cher oncle, sa Grâce Duc de Lorraine, Sébastien de Belrupt
Je ne saurais me décider sur le début de cette missive. Devrais-je vous parler de ce long voyage où je ne fais que mennuyer ? Heureusement que jai ma gouvernante et des dragées bien entendu. Jespère également que vous, vous en avez dans votre domaine. Ou serait-il nécessaire de vous exprimer ma hâte de vous connaitre ? Bref, il nempêche que je suis en chemin vers le domaine familial, si chaudement recommandé par ma mère. Je vous serais donc des plus reconnaissantes de bien vouloir me préparer une chambre, blanche et or si possible.
Avec toute mon affection,
Votre nièce.
La vieille dame gratta un moment le parchemin. Car il faut avouer que le texte dicté par la jeune enfant sapprochait plus de : « dis lui que je mennuie mais que je veux le voir, hein ! mais quheureusement que jai des dragées parce que je mennuie
dis lui que jarrive et que je veux une chambre pour moi toute seule et dis lui aussi que je veux quelle soit blanche et or, bien sur ! surtout tu écris bien blanche et or hein ! » La lettre fut néanmoins rédigée et la fillette y apposa sa signature de son écriture encore hésitante aux rondeurs bien enfantines. Le messager fut appelé et après son départ au grand galop, la prune senferma dans le silence et se replongea dans la contemplation morne du paysage, au gré des cahots de la chaussée.
Prune
Comment diantre pouvait-on manger une oie en plein voyage ? Prune observait dun il inquiet le morceau de viande qui baignait dans sa sauce irisée. Certes, cela avait lair des plus appétissants. La peau de lanimal avait été dorée à point et une délicieuse odeur de sucre sen échappait malgré le fait quil soit froid. Et la prune était ce quon pouvait appeler une gourmande invétérée. Mais là, secouée par les cahots de la route, épuisée par les longues heures déjà écoulées, lestomac de la jeune demoiselle criait grâce et se fermait à toute sorte de nourritures. Elle réprima donc une nausée acide et repoussa son plat dans une grimace. La gouvernant ne dit mot et replaça le plat dans le panier dont elle lavait sorti. Cela faisait plusieurs heures que la petite navait plus dit un mot et ses traits sétaient lentement tiré sous le coup de lépuisement et des sentiments qui semblaient régner maitre en elle. La vieille dame esquissa un geste réconfortante que la gamine sentit à peine. Dun mouvement las, celle-ci se roula en boule sur la banquette blanche.
Un messager leur était parvenu quelques temps auparavant, porteur dune missive scellée. Prune lavait saisie et décachetée. Le sceau ne lui était pas étranger mais elle ne pouvait dire à qui il appartenait. Sa curiosité fut cependant rapidement apaisée lorsquelle parcourut avec la lenteur de lâge les lignes soigneusement tracés par son oncle. Cest alors quelle sétait rendu compte de limminence des choses. Elle allait vivre chez son oncle. Elle avait quitté ses parents et son frère à jamais. Oh oui, elle les reverrait, sa mère le lui avait promis mais cen était fini des longues parties de rigolades, des poèmes récités par sa mère tard le soir, des longs moments où lon discutait des choses des grands et où sans cesse, Prune interrompait son père pour lui poser des questions. Fini le temps passé à entortiller ses doigts dans lor des cheveux de sa mère, fini le temps de rire aux remarques de son père sur la cuisine absente de sa mère. Une part de son enfance, en quelque sorte, sachevait par ce voyage sinistre. Des larmes brillèrent au coin des yeux de la petite. Elle avait beau faire la grande et tenter de surmonter tout cela, elle devait savouer que pleurer dans les bras de sa mère lui aurait été dun grand secours. Mais dans un reniflement sonore, elle se retint. Une damoiselle ne devait pas ainsi se laisser aller à des sentiments si faibles. Elle devait rester digne de la noblesse de celle qui lavait enfanté. Terrassée par un chagrin quelle ne pouvait laisser sexprimer, la blonde enfant ferma les yeux et senfonça dans un sommeil troublé.
Ce fut un rayon de soleil timide qui en se posant sur sa joue la réveilla. Ses rêves navaient été que cris et pleurs et la bouille enfantine de la prune était marquée de fatigue. Dans un marmonnement sourd, elle se redressa et bailla à sen décrocher la mâchoire. Tendant ses petits bras, elle sétira et mit un peu dordre dans sa tenue. Sa robe avait été froissée mais quelques lissages de la main et elle fut presque présentable. Sa gouvernante éveillée elle aussi, posa sur elle un regard plein de tendresse.
« Bonjour damoiselle. Votre sommeil a été agité nest ce pas ? Venez par ici. »
Dans un geste maternelle, elle lattira à elle et la prit sur ses genoux. Semparant dune brosse souple, elle se mit à la coiffer lui susurrant des mots doux. Elle lui promit que tout irait pour le mieux, que le domaine lui plairait certainement, quelle allait découvrir une nouvelle branche de sa famille et que celle-ci laimerait plus que tout. La prune hocha lentement la tête et bien que sa tristesse fût encore bien présente en elle, un nouvel espoir naquit en elle. Après tout, son oncle ne lui avait-il pas écrit quelle serait la bienvenue chez lui et elle avait une cousine qui portait le nom de Blanche, elle ne pouvait pas être foncièrement mauvaise avec un tel nom.
Soudain, le cocher lui cria que les grilles du domaine étaient en vue. Surprise, curieuse et anxieuse, Prune séchappa des mains de sa gouvernante et alla coller son minois contre la vitre froide. Le domaine était en effet quelques minutes à peine. Une excitation terrible sempara delle et la petiote ne put tenir en place. Dune main, elle lissait sa robe blanche, de lautre elle entortillait une mèche dor, tout en mâchonnant une dragée quelle avait enfournée comme par habitude. Les grilles furent passées et déjà le coche sarrêtait. Prune laissa échapper un long soupir dexcitation et à peine, les portes furent elles ouvertes que déjà, elle sautait à terre.
Minuscule dans sa robe scintillante, frissonnante sous la bise froide de laube naissante, elle se tint devant les portes de la demeure familiale, le menton relevé et un parfait émerveillement dans les yeux. Sa nouvelle vie souvrait devant elle.
Prune
Sa nouvelle vie lattendait
mouais pour linstant cétait surtout elle qui lattendait sa nouvelle vie. La bouille de la gamine se fondit en une grimace de mécontentement qui lui étira les traits. Depuis combien de temps était-elle plantée là dehors, offerte à la brise froide ? Voulait-on donc quelle attrapât mal ou quelle fît demi-tour ? Agacée, elle tapa du pied et se retourna vers le coche où patientait humblement sa gouvernante. Celle-ci observait dun air inquiet les portes de la demeure qui restaient closes. Laube était désormais pleine et déjà le soleil déchirait son voile pastel. Les arbres bruissaient tranquillement dans des chuintements doux. Tout était si calme. Là où aurait dû être le frémissement fébrile de larrivée de la jeune Beauregard dYouville de Belrupt, il ny avait que le silence.
Prune prit soudain peur. Et si on lavait oublié ? Et si ce nétait pas le bon domaine ? Dun pas pressant, elle rejoignit sa gouvernante, le minois anxieux.
« Nous serions nous trompées de lieux ? Ce sont pourtant là les armes de la famille Belrupt, non ? »
La blonde enfant tendit la main vers le blason qui ornait la lourde porte ferrée. La vieille dame hocha la tête dans un mouvement dincompréhension.
« Je ne comprends pas ma damoiselle. Votre oncle nous avait pourtant dit quil nous attendait. Peut être est-il trop tôt et que le personnel nest point encore levé
Je ne saurais le dire
»
Prune chercha alors du regard le cocher qui haussa les épaules et garda le silence. Le faible espoir de vivre une nouvelle vie ici fondit comme neige au soleil dans le cur de la fillette. Elle sentit des larmes amères envahir ses ambres brillantes et elle se pinça fort les lèvres pour ne pas se laisser aller à ces sentiments. La fatigue et le désespoir qui menaçaient de lengloutir se firent plus présents et le minois de la petite blêmit. Quallait-elle faire maintenant ? Faire demi-tour ? Mais pour aller où ? Peut être pourrait-elle rejoindre le village et trouver une auberge digne de sa condition. Non ! Elle ne leur ferait pas cet honneur ! Sa mère lui avait dit tant de bien sur ce domaine familial et son oncle sétait engagé auprès delle. Il lui devait protection et ce nétaient pas ces fichus portes qui le tiendraient éloigner de son devoir envers elle.
Décidée, la prune se redressa et fit un pas aérien et gracieux vers la demeure toujours silencieuse. Elle ajusta sa tenue, lissant sa robe et replaçant son manteau, remit en place une mèche rebelle qui séchappait de sa coiffure, releva son petit menton, gagnant par la même les traits altiers de sa mère. En quelques pas, elle fut face à la lourde porte. Et maintenant ? Regroupant toutes ses forces, ses mains se tendirent vers lénorme poignée et avec toute sa détermination, Prune de Beauregard dYouville de Belrupt tira. Ses articulations blanchirent alors que sur son visage se peignaient les marques de leffort. Se campant bien sur ses petons, elle sarqua contre la porte. Mais la porte, dédaigneuse et sure delle, résista. La petite accentua encore son effort mais rien ny fit. Elle dut donc abandonner. La porte lavait vaincue.
Blessée dans sa jeune fierté, la prune ne se retourna pas vers sa gouvernante mais continua de fixer lodieuse porte qui refusait de souvrir. Les différentes possibilités qui soffraient désormais à elle étaient minces et elle répugnait à sy abaisser après cet échec cuisant. Soit elle frappait, cognant ses fragiles et blanches menottes contre le bois ferré, assez fort et assez longtemps pour quon lentendit. Soit elle se mettait à hurler jusquà ce quelle réveillât quelquun à lintérieur de limmense demeure. Incapable de se décider pour lune ou lautre de ces sordides extrémités, Prune se laissa aller à une réaction digne de son jeune âge. Dans un profond et long soupire, elle sassit sur les marches de la demeure et croisa les bras, une attitude entêtée et sombre mais magnifiquement enfantine. Sa gouvernante nosa pas sinterposer ou même bouger face à la colère sourde de la gamine, sachant que tout geste de sa part, enfoncerait en peu plus Prune dans son entêtement. Un long silence sinstalla donc à nouveau aux portes des Belrupt.
Prune
Les oreilles tendues vers la tirade de linconnue, la prune ne cessait de jeter des regards inquiets à sa gouvernante. Celle-ci était sur ses gardes mais ne semblait pas si tourmentée quelle aurait dû. La blonde enfant comprit donc quelle ne devait pas courir un si grand danger. Son cocher nétait même pas descendu de voiture. Rassérénée, elle releva le menton et posa ses ambres désormais limpides sur la dame. Son visage sétait peu à peu détendu et à lentente des mots « écuelles », « aiguières », « cuisine » et « réchauffer », elle eut un petit sursaut. Ses mains passèrent rapidement, presque imperceptiblement sur son estomac. Il faut dire quil se faisait faim en plus du froid qui lui broyait les os. Prune baissa très légèrement la tête, réfléchissant à toute vitesse.
*Bien, elle parle un peu trop pour être un malgripe. Cependant, elle ne ma pas donné son nom, ce qui pourrait cacher un mauvais fond. Et puis, elle ne semble pas très propre
Oui mais, elle dit pouvoir ouvrir les portes
Mais est-ce la vérité ? Et si elle me mentait pour obtenir mon nom et menlever ? Non, mes gens ne la laisseraient pas faire. Mon cocher sait se défendre et donnerait sa vie pour moi alors, je ne crains rien
Bien
*
Les lèvres purpurines de la gamine frémirent puis plongeant à nouveau lor de son regard sur linconnue, elle reprit la parole. Par habitude, elle lissa le devant de sa robe blanche et or. Se justifier devant une parfaite inconnue ne lui plaisait que peu. De plus que cette inconnue la tutoyait avec familiarité. Sa grimace se fit pourtant discrète et son ton polie et empreint de la noblesse de son rang.
« Je suis Prune de Beauregard dYouville de Belrupt, fille de monseigneur Sabifax et de dame Cyann. Je suis ici pour rencontrer Sa Grâce, Sébastien de Belrupt qui est mon oncle. Je dois être placée sous sa tutelle en ce jour. »
La suite de sa remarque, à savoir « mais il semble avoir trop de choses en tête pour se souvenir de moi », mourut sur sa langue quelle mordit pour ne pas laisser voir ce que lui inspirait cette attitude. Retenant un soupir fatigué, elle poursuivit.
« Maintenant, si vous avez réellement tous les pouvoirs que vous disiez avoir, je vous serais gréée de prévenir le Duc afin que je puisse me réchauffer et me sustenter quelque peu. »
Prune se tint droite, la tête haute malgré la demande quelle venait de formuler. Elle détestait quémander mais la situation lexigeait. Aux grands maux, les grands moyens.