Gnia
O mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
-- Résignée ! --
Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux
Mets ton âme !
Nul n'est heureux et nul n'est triomphant.
L'heure est pour tous une chose incomplète ;
L'heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.
[...]
[Février 1459- Artois - Château de Sainct Omer - Là où tout commence et où tout finit]
Combien de temps est-elle restée assise en tailleur sur la stèle qui abritait la dépouille de feu Lothaire de Cassel et qui faisait face à celle d'Erel de Dénéré, feu son époux. Au moins le temps de vider une bouteille de calva, en souvenir d'une nuit à la lueur des cierges à deviser dans cette même crypte entre femmes qui avaient toute perdues un être qu'elles avaient aimé à leur façon.
Le spectre de Lothaire ne lui en voudrait probablement pas, puisque d'une, elle lui faisait grâce d'une visite en ses lieux, de deux, usait de sa stèle pour poser son séant et enfin, lui avait lâché une petite goutte de calva. La gorgée pour les morts.
Combien de temps s'était-elle moquée de cette vie qui prenait le tour d'un éternel recommencement, prenant à parti la pierre froide en face d'elle, peut-être l'unique témoin à même de comprendre la nouvelle farce, facétie du Très Hauct, qui avait pris naissance ce jour.
Etrange, n'est ce pas, comme à chaque fois qu'il m'est permis de goûter à la passion, elle s'échappe comme le sable entre mes doigts.
Et me voilà, encore une fois, à me plier à la raison.
Dernière gorgée de l'eau de feu version normande pour ponctuer l'amer constat. Avant d'étirer les membres endoloris par la position trop longue au contact de la pierre glacée.
Et tu sais bien que je suis toute aussi incapable de conserver auprès de moi Raison comme Passion. Crois-tu que je cherche ainsi à forcer le Destin ou bien est-ce le Destin qui me force ? L'un ou l'autre, me revoilà à nouveau avec un licol.
Amen.
Là voilà debout, renversant bien à la verticale la bouteille sur la pierre tombale avec qui elle discourt depuis un bon moment pour en faire tomber les dernières gouttes.
Revenue d'entre les morts, la chapelle Saint Michel traversée sans un regard pour l'autel ou pour le bénitier, elle cligna un instant des yeux, frappée par la lumière crûe du dehors. Encore déstabilisée par le passage soudain de l'intérieur à l'extérieur, elle dût cligner encore des yeux, mais cette fois ci pour être sûre qu'elle voyait bien ce qu'elle pensait voir.
Et dire que la discussion à peine achevée avec ses suzerains, elle avait littéralement fuit le petit salon pour éviter de se retrouver, pile comme maintenant...
Nez à nez avec le Digoine.
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Fais comme moi : vis du monde éloignée ;
Heureuse ? non ; triomphante ? jamais.
-- Résignée ! --
Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux
Mets ton âme !
Nul n'est heureux et nul n'est triomphant.
L'heure est pour tous une chose incomplète ;
L'heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.
[...]
- A ma fille. Victor Hugo.
[Février 1459- Artois - Château de Sainct Omer - Là où tout commence et où tout finit]
Combien de temps est-elle restée assise en tailleur sur la stèle qui abritait la dépouille de feu Lothaire de Cassel et qui faisait face à celle d'Erel de Dénéré, feu son époux. Au moins le temps de vider une bouteille de calva, en souvenir d'une nuit à la lueur des cierges à deviser dans cette même crypte entre femmes qui avaient toute perdues un être qu'elles avaient aimé à leur façon.
Le spectre de Lothaire ne lui en voudrait probablement pas, puisque d'une, elle lui faisait grâce d'une visite en ses lieux, de deux, usait de sa stèle pour poser son séant et enfin, lui avait lâché une petite goutte de calva. La gorgée pour les morts.
Combien de temps s'était-elle moquée de cette vie qui prenait le tour d'un éternel recommencement, prenant à parti la pierre froide en face d'elle, peut-être l'unique témoin à même de comprendre la nouvelle farce, facétie du Très Hauct, qui avait pris naissance ce jour.
Etrange, n'est ce pas, comme à chaque fois qu'il m'est permis de goûter à la passion, elle s'échappe comme le sable entre mes doigts.
Et me voilà, encore une fois, à me plier à la raison.
Dernière gorgée de l'eau de feu version normande pour ponctuer l'amer constat. Avant d'étirer les membres endoloris par la position trop longue au contact de la pierre glacée.
Et tu sais bien que je suis toute aussi incapable de conserver auprès de moi Raison comme Passion. Crois-tu que je cherche ainsi à forcer le Destin ou bien est-ce le Destin qui me force ? L'un ou l'autre, me revoilà à nouveau avec un licol.
Amen.
Là voilà debout, renversant bien à la verticale la bouteille sur la pierre tombale avec qui elle discourt depuis un bon moment pour en faire tomber les dernières gouttes.
Revenue d'entre les morts, la chapelle Saint Michel traversée sans un regard pour l'autel ou pour le bénitier, elle cligna un instant des yeux, frappée par la lumière crûe du dehors. Encore déstabilisée par le passage soudain de l'intérieur à l'extérieur, elle dût cligner encore des yeux, mais cette fois ci pour être sûre qu'elle voyait bien ce qu'elle pensait voir.
Et dire que la discussion à peine achevée avec ses suzerains, elle avait littéralement fuit le petit salon pour éviter de se retrouver, pile comme maintenant...
Nez à nez avec le Digoine.
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