Mirka250
Au clair de la lune,
Avec le sanglant,
On y laisse des plumes,
Ou on d'vient mourant...
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Avec le sanglant,
On y laisse des plumes,
Ou on d'vient mourant...
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Nouvelle nuit, la dernière. Dans la journée, elle avait achetée une pipe et de l'opium. Douce herbe médicinale qui faisait disparaître la souffrance des derniers jours. L'après-midi était doucement passé selon ce rythme : vautrée en travers d'un fauteuil du salon la brune bourrait le fourneau encore tiède -il n'avait pas le temps de refroidir-, allumait l'herbe et aspirait la fumée salvatrice. Dernière découverte curieuse d'un passe-temps qu'elle avait pourtant bien connu. Mais son chef avait disparu avec sa pipe il y avait déjà bien longtemps, emportant avec lui la cape qu'elle lui avait souvent emprunté pour se tenir au chaud lors des patrouilles hivernales. Elle était alors encore toute jeune et inexpérimenté, ne pensant pas à prévoir le nécessaire et bien trop heureuse de sa vie pour perdre le temps de s'embêter avec de telles bricoles.
Dernières heures à réfléchir au sens qu'elle avait donné à son existence et ses pensées glissèrent vers la nouvelle génération. Elle avait vu grandir 3 de ses enfants et, si elle regrettait de laisser le 4e orphelin de mère, elle savait très bien aussi qu'une quelconque liaison avec le père n'aurait de toutes façons pas été possible. Ange, la douce, deviendrait sans mal une mère et une femme attentionnée. Maëlys, la rebelle, serait sans doute une aventurière intrépide qui ferait tourner la tête de bien des hommes. Thibault, le juste, avait déjà la personnalité d'un combattant bien trempé et ne se laisserait pas marcher sur les pieds. Après les deux filles, il avait été la fierté de sa mère, qui redoutait de ne pouvoir donner la vie à un héritier mâle. Et pourtant, elle l'avait fait une deuxième fois, réitérant ce succès avec une nouvelle mise au monde, dans le plus grand des secrets. Ainsi, Alistaïr restait auréolé de mystère dans sa tendre innocence de bambin. Il ne savait pas encore marcher et nul ne savait quel homme il deviendrait, mais déjà ses yeux étaient vifs et intéressés. Curiosité naturelle du jeune enfant, qui rassurait du moins la mère sur l'acuité intellectuelle de son petit dernier. Elle vieillissait et aurait pu craindre des complications qui n'étaient heureusement pas apparues ; mettons de côté la fatigue intense qui avait fragilisé la brune car une grossesse n'est jamais anodine.
Le jour avait décliné, le soleil avait disparu et elle lui avait dit au revoir. La lune, dans le ciel, s'était alors lentement élevée. Mirka avait délaissé la pipe pour se lever du fauteuil, chancelante. L'herbe avait fait son effet, l'enivrant plus que faisant disparaître sa douleur. Sa soif de sang prête à l'éveil aurait volontiers fait le reste, mais en fumant plus que de raison, son intention était justement de l'enterrer avant que son autre elle ne prenne son corps. Avant de totalement perdre l'esprit, elle avait repensé à son frère aîné, nostalgique à l'idée des longues soirées passées ensemble en taverne, elle sur ses genoux et à faire la zouave, lui en la suivant avec beaucoup de bonne volonté et en la couvant d'une attention protectrice. Mais il avait disparu depuis bien des années maintenant, sans connaître ses neveux et nièces d'ailleurs. Qu'importe, elle le retrouverait bientôt. En attendant, c'était son petit frère qui l'attendait.
La brune lissa ses vêtements du plat de la main et enfila ses bottes bien chaudes. L'air était encore frais, surtout la nuit. Un instant elle ferma les yeux et inspira profondément, tâchant de se remettre les idées en ordre malgré la fumée qui semblait avoir investi sa boite crânienne. Discerner les ombres de souvenirs dans cette brume était des plus complexes, celle-ci ne facilitant pas les choses en ne daignant lui en laisser entrevoir que peu et pas ce qui l'intéressait. Maëlys et Thibault n'étaient pas à la maison, ils étaient partis s'amuser dans Bourganeuf avec d'autres jeunes de leur âge. Ange avait été se coucher pour une sieste en fin d'après-midi et Alistaïr devait donc également dormir près d'elle. Ainsi, la mère grimpa à l'étage et ouvrit doucement la porte, prenant garde à ne pas les réveiller. Le bébé qui dormait dans les bras de la jeune fille fut récupéré avec lenteur mais dextérité et la plus âgée des deux brunes pu laisser la seconde dormir. A la porte, elle s'arrêta quelques secondes, contemplant son aînée encore un instant et gravant cet image dans sa mémoire. Elle ne savait pas si de là-haut les morts pouvaient voir les vivants, alors il fallait qu'elle se souvienne afin de pouvoir décrire à son frère combien ses nièces étaient belles et ses neveux solidement construits.
- On va retrouver papa, murmura Mirka à Alistaïr.
L'enfant éveillé regardait avec surprise celle qui le tenait fermement dans ses bras. Se servant de longues bandes de tissus, la femme l'attachait contre son buste et lui caressait doucement les cheveux pour le rassurer. Puis elle attrapa son épée, qu'elle glissa à sa ceinture, et sa cape fourrée de plumes d'oie, qu'elle attacha autour de ses fines épaules. Jadis, l'ex-soldate avait été bien plus carrée que cela. Mais depuis la Guyenne, elle avait retrouvé des formes bien plus féminines, qui étaient plutôt significatives d'une mauvaise santé pour elle qui avait toujours pris garde à effectuer quotidiennement des exercices de maintien en forme. Enfin, Mirka sortit donc.
Un large couteau à la botte, une dague de cérémonie plutôt que de combat à la ceinture, ainsi que son épée battant sa cuisse constituaient son armement. On ne se refaisait pas. Que l'on soit apte ou non au combat, quand on avait été militaire pendant des années, on restait toujours armé. La cape et les braies couleur Vermillon, un accoutrement qu'elle avait d'abord porté parce qu'elle n'avait rien d'autre à se mettre, puis des vêtements qui étaient devenus une coutume chez elle. Magnifique couleur, éclat de lumière, flot pourpre qui s'écoule en flaques. Les yeux de la brune sont hagards, voilés. Elle voit partout des corps lacérés, qui se vident de la substance nécessaire à leur vie, tout en sachant que ce n'est pas la vérité. C'est Elle, qui la menace ainsi en voyant que les effets de l'opium l'empêchent d'aller à sa guise.
Sa trachée se bloque tout à coup, obstruée par elle ne sait quoi. Mirka s'arrête et s'appuie contre un mur en voyant des points noirs danser devant ses yeux. Elle ne ressent aucune douleur certes, mais l'herbe l'empêche aussi de savoir quand il faut s'arrêter, ou du moins se calmer. Si elle ne les sent plus, les limites de son corps n'ont pour autant pas disparu. La brune se penche en avant, posant une main dans le dos d'Alistaïr qui dort la tête calée contre sa gorge. Une quinte de toux la secoue et des filets de sang noir s'échappent de sa bouche. Terrible ironie, le liquide qui coule dans ses veines n'est même plus de cette couleur qu'elle chérie tant. Non, son sang à elle est mauvais, chargé de poison. Et pourtant, qu'elle en a vu, du beau ! Et surtout, comme elle en a goûté, du bon !
De nouveau, Elle lui renvoie ces magnifiques couleurs, cette explosion de saveurs dans la bouche. Le goût métallique revient s'attarder sur son palais et la brune entrouvre les lèvres pour que le goût de l'air vienne dissiper l'illusion. Ce soir, Elle ne l'aura pas. Ainsi, Mirka marche dans les rues de son village. Les bottes claquent sur les pavés et ses vêtements produisent un bruit étouffé de frottement d'étoffe. Quelques rues plus loin, les protagonistes présents dans les tavernes du village hurlent et crient, trinquent et boivent, dans une ambiance malsaine ou bonne enfant selon les lieux choisis. Bien souvent, elle a fait partie d'eux, animant le village de sa présence hors norme. Chacun, à sa manière, était de toutes façons hors norme.
La porte principale était fermée... qu'importe. La brune avait plus d'un tour dans son sac et connaissait, pour avoir emprunté le chemin de ronde maintes et maintes fois, les remparts par cur. Elle grimpa donc jusqu'aux créneaux et tendit le bras pour effleurer du bout des doigts leur pierre polie par les intempéries. Elle les longea, dépassant son poste de garde d'ancien bureau sans s'arrêter, jusqu'au point où le mur était le moins haut : une butte de terre accolée à l'enceinte extérieure qu'aucun terrassier ne s'était donné la peine de faire aplanir. Ainsi, Mirka s'assit entre deux merlons et se laissa glisser doucement, les bras enlaçant Alistaïr pour le protéger, les jambes se pliant à la réception pour amortir le choc. Elle n'était pas tombée de bien haut, une dizaine de pieds seulement (environ 3 mètres), pas plus.
Le lieu des retrouvailles avait été défini un peu plus bas. La femme rejoignit un petit sentier, un peu en retrait de la route principale qui filait sur Guéret. Mais Arga n'était pas encore arrivé. Alors elle s'assit au bord du chemin, s'adossant au tronc d'un arbre. Sa respiration était sifflante et saccadée, mais elle ne ressentait toujours aucune douleur. Ses yeux se fermèrent, elle se reposait tranquillement en repensant aux mots qu'il avait prononcés dans les geôles limousines, lorsqu'elle l'avait quitté. Elle avait tenu et elle était là pour son retour... et pour leur départ.
- Je suis là, petit frère. Je t'attends.
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