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[RP] Le jour d'après.

Blanche_
Dans la pénombre de la chambre, les yeux de Blanche s’accommodaient mal. Au début, même, elle avait haï ces planches placardées aux fenêtres, qui coupaient les rayons de soleil et n'en laissaient passer que des lueurs diffuses, mal-aimées, rouges ondulantes au petit matin, et qui devenaient presque blanches, quoique toujours entre coupées, sitôt que le zénith était atteint.
Après deux jours, les yeux enfin s'étaient habitués. Mais l'esprit, lui, refusait à s'obstiner une solitude obligatoire, et qu'on lui obtenait à renfort de gros efforts, de changements dans les habitudes du personnel, pour que rien, rien du tout, ne puisse troubler le repos de l'ex-parturiente. Mais à défaut de pouvoir l'exprimer, car elle en était désormais bien incapable, l'obscurité dans sa chambre, et les fioles médicinales à son chevet la rendaient bien aigrie ; et elle aurait été, si la fatigue et son délire ne l’entraînaient pas régulièrement dans les songes, outrée de savoir qu'on usa sur elle les mains d'un médecin, et d'une peuplade de domestiques formés aux soins médicaux.

Elle n'avait plus conscience que son corps, sous la ceinture crème et le sachet plein de racines de Sainte Marguerite -qu'on lui avait enlevé sans qu'elle le sache, car le cordon, enserrant le ventre sous sa sphère boursouflé, peinait à son rôle originel*- son corps, donc, ne se mouvait plus. Elle ne sentait plus ses jambes, bien trop lourdes et cachées dans les pans du lit et les fourrures qui le surplombaient en amas brun. Elle ne sentait plus ses bras non plus, mais l'on avait, à l'occasion de sa dernière toilette, disposée l'une de ses mains à plat sur le lit, et la direction donnée à sa tête lui permettait, lorsqu'elle prenait conscience, de constater la vivacité de son état par des brusques tressaillements dans les doigts.
La nuque raide, et très lourde, elle s'employa à retourner le cou vers la porte, d'où une lueur plus intense traversait les chambranles. Le petit matin, aux rayons des fenêtres, n'avait pas encore atteint de teintes orangées, et se contentait de rayons diffus, bleu clair.

Brusquement,la porte s'ouvrit. Mais à la lumière de la petite bougie, les yeux fuirent et se cachèrent derrière leur linceul de peau fatiguée. Elle était tarie. Et son air mutin et enjôleur, se souvenant des dernières interminables heures, n'avait de cesse de quitter le monde, et se complaisait au pays des songes.
Si bien, que lorsque la main chaude toucha la sienne, aucun doigt ne répondit. Blanche, déjà, s'était rendormie.


* en effet, on disait alors des racines de sainte Marguerite qu'il rendait le travail plus facile, et moins douloureux.
_________________
Clemence.de.lepine
« Douce Blanche… » murmura la voix, prêt, tout prêt de l’oreille frissonnante.

Cher reflet de mon enfance…

Un sourire vint teindre la brise du murmure d’un soupçon de tendresse.
« Douce Blanche… » venait-elle répéter, encore et encore, alors que sa main allait et venait sur la joue de l’endormie.

Bercée de tendre insousciance ? L’insouciance… nous l’avons toutes perdue, n’est-ce pas ?

Un tremblement la prit soudain, elle, cette presque petite fille qui depuis si longtemps aimait à jouer l’adulte. Son enfance à elle avait été jetée il y a bien trop d’années. Mais Blanche… Blanche était restée petite, elle avait été l’exemple, celle qu’on avait voulu pâlement imiter – insouciance, oui, négligeance, frivolité et nonchalance.

Il y avait de la peine, sur son visage, elle avait de la peine à voir la blonde Bretonne ainsi éteinte au fond de ses oreillers. Oh, chère Blanche… Tu ne pourrais quitter mon cœur, quand bien même tu te retrouverais damnée.


« J’ai déjà trop perdu et toi, je te veux encore, malgré tout. »

Son regard courut vers ce ventre qui péniblement se soulevait encore, encore, encore… Elle était en vie, elle avait donné la vie, malgré tout ce que cela pouvait signifier et impacter.

Un sentiment de dégoût lui fit plisser le nez, et elle vint presser ses doigts sur ses lèvres. Ils serraient un mouchoir parfumé. L’odeur aurait dû la réconforter : elle ne réussit qu’à lui donner la nausée.

Sa main lâcha celle de Blanche et elle tâtonna jusqu’à la fenêtre. Les rideaux cachaient les planches et les planches cachaient le jour. Pourtant, dehors, le soleil luisait, enserrant faiblement son emprise sur la férocité de l’hiver. Avec précaution, elle écarta un pan de tissu et cligna des paupières sous l’effet de la lumière, diffuse mais présente.


« C’est merveilleux, non ? Ailleurs, la vie suit son cours tandis qu’ici elle est… comme en suspens. »

Elle tourna les yeux vers le lit, un pâle sourire aux lèvres, mais elle ne put rien déceler… rien, hormis ces agréables tâches vivaces, blanches et lumineuses, papillonnant tout autour et suivant son regard, où qu’il se pose.

Elle relâcha les courtines et, le pas mal assuré, elle vint rejoindre Blanche en s’asseyant sur la couche.


« Tu te souviens, à Cauvisson ? Nous étions trois à partager un lit. »

Et cela la fit rire, parce qu’elle imaginait les regards outrés qu’on aurait pu lui jeter, si quelqu’un d’autre avait été présent maintenant et l’avait entendue révéler l’inavouable. C’était inexplicable, innocent, elle riait, et ses trop minces épaules se soulevaient à mesure que son rire s’amplifiait. Ça n’était pas un de ces rires frénétique et saccadé, presque hystérique, qui peut vous prendre la gorge et vous faire mal à la poitrine quand vous avez peur, que vous êtes triste et que vous ne savez pas quoi faire d’autre que rire. C’était un vrai rire, cristallin, pur et enfantin. Comme jamais Clémence n’avait pu en avoir.

Blanche avait ce pouvoir de la rendre vraie. Et c’est sur cette constatation que son rire se brisa.
Blanche_
Il y avait trop d'oreillers dans ce lit.
C'est cette constatation qui réveilla Blanche, ou peut être l'entrée de Clémence et ses pas sur le sol jonché. Elle avait mal au cou, la nuque raide et endolorie, mais pas la force de se mouvoir assez pour sentir la douleur, et qu'elle devienne insupportable ; elle sentait juste un étau contractile de muscles autour de sa tête, qui, si elle tendait un nez curieux d'un coté ou de l'autre, renvoyait des ondes térébrantes le long de son dos.
Elle ne sut, car elle avait les yeux encore fermés, et pas tout à fait retrouvé le monde conscient, si la première phrase intelligible de Clémence était réelle, ou appartenait à son imaginaire. Ajoutez à cela la haute pudeur de l’Épine, outrageante parfois, car très opposable et contraire à la facilité avec laquelle sa comparse de voyage, et de festivités, blanche et blonde, contait ses propres billevesées.

Clémence ne disait pas souvent les choses, mais lorsqu'elle les disait, les choses atteignaient Blanche comme en la poignardant, et en la transcendant de leur vérité.
Aussi, Blanche prit pour un aveu l'insouciante syntaxe prononcée à mi-voix.
« Je te veux » avait dit la blonde.
D'aucun aurait cru à une affection aussi sincère entre deux étourdies. Mais Blanche et Clémence, quoique toutes deux déconfites dans leur vie respectives, s'appréciaient assez pour dépasser les rivalités des jeunes filles sans époux, et assez aussi, pour que l'héritage d'une, et l'ascendance barbare de l'autre n'ôta du génie à leur amitié.
« Je suis toute à toi » aurait elle pu répondre ; loin, très loin de l'instinct physique que les mâles, les observant, ou s'entendant conter cette histoire auraient supposé.

Le rire retentit. Se propageant à l'affaiblie, elle fut prise d'un tressaillement faible, une complainte inaudible, qui si l'on l'écoutait avec patience, semblait plus à un rythme saccadé d'une respiration infectieuse.
Elle riait.

Marquise, ferme la, j'ai mal quand je ris.
Sans frasque et paillette, sans contenance ni gloire, ni politesse ni raison, elle riait. Et l'Ankou, en rechignant un peu, quitta son lit à nouveau, maugréant d'être ainsi raillé.
Car salie, meurtrie, blessée et sans honneur, bordel ! Elle riait toujours !

_________________
--L_etincelle..
« Je t'aimais à en mourir » Voilà ce qu'elle même aurait pu répondre, sans savoir à laquelle des deux blondes la déclaration s'adresse. Coulée contre le corps douloureux d'un trop plein de vie, elle caresse d'un soupir le front brûlant de la Blanche, elle embrasse d'un sourire la joue veloutée de la Blonde.

Elle aimait et elle est morte. Blanche a haï et il y a la vie.

Elle se redresse sur la couche souillée de la fatigue de Blanche, à la fenêtre, il y a un rai de lumière qui fait danser les particules de poussières, comme des étoiles, comme des jupons miniatures que des fillettes feraient tourner dans une farandole. Elles étaient trois alors sur ce lit, mais rien ne change, plus rien ne changera vraiment.


« Vous entendez la musique ? »

La farandole prend vie au rythme des rayons hivernaux qui jouent dans les mèches dorées secouées par les rires. La main s'élève et souplement, vient suivre le fil de la musique qui se répand. Mais ça n'est que le vent, rien d'autre que le vent qui acclame la venue de cet être qui vient de naître. Le vent des falaises bretonnes qui fête son enfant, qui traverse le continent pour se rappeler au bon souvenir de la vie. Il souffle et siffle, s'immisce entre les lattes, dans les fibres du tissus. Le vent qui fait danser la poussière et les jupons, le vent qui fait briller l'or d'un cheveu et le coeur d'une amoureuse.

« Il est beau cet enfant que tu nous as données.. Il te ressemble plus qu'à lui, il ressemble à Clémence aussi.. Il rira comme toi et sourira comme elle. »

Un rire qui brise les derniers remparts du doute, elle ne mourra pas la Lumière, elle s'infiltre, elle se bat contre les lattes, contre les épais rideaux. Pourquoi cette ombre quand on sait que l'Or n'est altéré par rien, même pas le temps, même pas le sang, l'Or brille et s'il est terne dans ce lit qui a souffert, il n'en demeure pas moins lumineux parce qu'elle l'a voulu étincelant.
Clemence.de.lepine
Blanche riait ? Blanche parlait ? Blanche était… éveillée ? Clémence eut une moue déconfite : si elle l’avait su, il y aurait des mots qu’elle aurait retenus un peu plus longtemps. Attendant que la Bretonne soit réellement à l’agonie pour lui faire ce genre de confessions.

Ses lèvres s’étirèrent en un léger sourire et son sourcil droit se haussa en accent circonflexe :


Avoir mal, cela signifie être en vie, jeune Bretonne. Comme elle aurait pu dire « jeune Padawan » si l’époque s’y était prêtée.
Elle poussa un long soupir fatigué et rêva un instant de s’étendre aux côtés de Blanche et… dormir, un instant, tout en profitantde cette rare proximité qu’elle n’aimait pourtant pas trop établir. Pas trop.

Blanche ne pouvait le voir, mais ces cernes bleuâtres qui lui dévoraient le visage étaient reproduits à l’identique sur celui de Clémence. L’une aurait pu être le reflet de l’autre, si ce n’était cette blondeur différente qui indéniablement parvenait à les distinguer. Car d’aucun aurait pu se dire « ces deux-là sont aussi blondes l’une que l’autre ». Les blondes, elles, savaient que deux blondes n’étaient jamais les mêmes – si, si, il faut bien en parler. Blanche avait le cheveu de ce blond pur, parfait et donc presque… blanc. Clémence l’avait plus foncé, chaud et lumineux comme peut l’être l’ocre jaune.

Et donc, la demoiselle de Decize avait le visage défait d’avoir, depuis des jours, tant veillé. Les boucles emmêlées de ne les avoir, depuis des jours, peignées. Les mains tremblantes de n’avoir, depuis des jours, pu manger. Les ongles à vif de les avoir, depuis des jours, rongés, et rongés encore. Car depuis des jours – nous l’aurions compris – elle n’avait eu de répit. Elle n’avait cessé d’être là, de s’inquiéter, de réfléchir, d’ordonner, de soigner, d’aimer. Et ç’en était beaucoup, pour cette jeune femme dont l’orgueil et l’égoïsme n’étaient, pour bien des gens, plus à prouver.

Elle étouffa un baillement dans le creux de sa paume puis ouvrit la porte de la chambre pour mander ceux qui attendaient derrière. Blanche allait mieux : elle parlait, elle riait, elle était éveillée.


Blanche, nous allons enlever les planches. Je laisserai les rideaux encore un peu, pour que que le jour ne te gêne pas trop, mais je pense que maintenant… nous n’avons plus à tenter de t’épargner le monde. Nous n’avons plus à tenter de te garder en vie.

Elle marqua un temps, observant les domestiques s’affairer aux fenêtres, les rayons reprendre progressivement possession de ces lieux dont on les avait chassés. Elle ne put s’empêcher de lancer un regard triomphant à son amie.

Te voici en convalescence. Bienvenue parmi nous. Et, s’installant dans un fauteuil à proximité du lit, sa mine se fit soudain sérieuse, tandis qu’elle s’inquiétait de devoir aborder ce sujet de conversation.

Que comptes-tu faire ? demanda-t-elle de but en blanc. Que comptes-tu faire… de l’enfant ? Elle ne dirait pas « fils » ou « garçon ». Elle ne savait si Blanche avait été assez consciente au moment de la délivrance, pour se rendre compte qu’elle avait donné naissance à un fils. Et un fils, n’était-ce pas ce qu’elles espéraient toutes ? Oui, un fils légitime… Et si Blanche ignorait qu’un petit mâle était né, peut être aurait-elle moins de mal à le laisser partir. Elle ne devait pas s’y attacher, n’est-ce pas ? Comment pouvait-il être raisonnablement possible que Blanche reconnaisse l’enfant, qu’elle le voie régulièrement, qu’elle l’aime et l’entoure de l’affection d’une mère ? Elle ne pouvait être mère, et c’était cette certitude qui martelait le cœur de Clémence. Pas dans ces conditions.

Il va falloir baptiser l’enfant rapidement. Poursuivit-elle sans attendre de réponse, fébrile et nerveuse. Un enfant c’est… fragile, et mieux vaut le Paradis que les Limbes. Il va lui falloir un nom, mais tu n’es pas obligée de lui en donner un toi-même. J’ai trouvé… un foyer très respectable qui pourrait l’accueillir et lui prodiguer les soins et l’éducation dont il aura besoin. Je suis prête à leur verser une pension, ils ne manqueront de rien.

Elle eut un maigre sourire et pencha le buste en avant, essayant de capter la réaction de Blanche, essayant de l’inciter à parler et à prendre la seule décision qui lui semblait respectable. Elle avait réellement tout mis en œuvre pour trouver la famille qui pourrait dignement s’occuper d’un petit bâtard, du petit bâtard de Blanche, de son fils, le fruit du pêché. Elle y avait passé ses matinées, elle avait sélectionné les meilleures, les plus honnêtes, pour finalement faire son choix, soulagée. Elle avait fait tout cela dans l’intérêt de Blanche, pour éviter la honte et le déshonneur.

«Mieux vaut la mort que la souillure », disaient-ils à quelques mots près. Il n’y aurait ni l’un ni l’autre.
Blanche_
Des voix.
Blanche entend des voix depuis qu'elle a perdu conscience, l'avant-veille, et qu'elle était dans cet état de demi-endormie, qui entend ce qui se passe autour d'elle sans songer ni vouloir y revenir. L'obscurité est apaisante. Et dans la Lumière, "sa" Lumière, elle a peur de ne plus avoir le droit d'y rester.
Comment savoir ?
Elle se sent souillée et sale, meurtrie, blessée. Indigne de l'héritage d'Aléanore. C'est parce qu'elle ne sait pas, et c'est peut être mieux, qu'Aléanore, déjà, avait vécu la même chose...
Des voix.
Blonde, brune, sombre, inquiétante et révélatrice.
Enfant. Limbes. Pension.
Limbes... L'enfant. Les limbes !
Elle tremble.
Et si l'enfer lui était destiné ? Que ferait elle, alors, de ces jours sur le paradis terrestre ? Qu'en ferait-elle ? Sacrifierait-elle l'enfant, pour ne pas avoir été capable de le tuer* lorsque son amie bourguignonne lui avait conseillé ? Et son âme, que lui dictait elle, son âme ?
Donner.
Pension.
Donner, offrir, l'enfant, les limbes...
Tout se mélange.
Elle se relève, sur le lit trop grand. Il n'est chaud qu'en son centre, là où la vallée par se corps se tasse. Les matelas sont plissés, crissent de leur contenu de paille. Et de plumes.
Les muscles se tendent, si faibles, si faibles sous la peau endolorie. Ils se sont tant contractés pour évacuer l’innommable, qu'ils lâchent et la font retomber entre les coussins, et les cheveux, éparses et déliés, une auréole de satin clair et de mèches blondes.
Si elle le donne, elle le perd.
Elle retient un gémissement sourd, qui se meurt dans une lèvre mordue. Elle a mal. Le sang, dans sa bouche empâtée, retrouve le palais avec une langoureuse félicité. Les dents sont serrées plus fort, elle a plus mal, elle vit, elle respire, elle se réveille
.

Je refuse...
...A sang pour sang.

* Della avait en effet proposé à Blanche un avortement, qu'elle a refusé.
_________________
Clemence.de.lepine
Tu refuses ? Que peut refuser une femme dans ta condition, dans ton état ? Clémence a envie de lui hurler qu’elle n’a pas le choix, qu’il y a des choses qu’on ne veut pas mais que l’on doit faire et qu’elle est censée le savoir. Elle a envie de lever le poing, de frapper le mur, le lit, en signe de contestation et d’incompréhension. Elle a envie d’arracher les rideaux que l’on vient de tirer sur le jour faiblard, elle a envie de lacérer le dossier du fauteuil de ses ongles ras, de jeter à bas toutes les tapisseries de la chambre et de les brûler, là, juste pour montrer son mécontentement.

Elle a dit je refuse ? Elle lui a dit qu’elle refusait son aide ? Elle refuse la seule issue logique de toute cette histoire embarrassante ?

Oui.

Et donc, Clémence a réellement envie de fulminer, d’exploser en un tourbillon de colère, de rage, de frustration, parce que Blanche ne veut pas ce qui est le mieux et qu’elle s’oppose à son jugement.

Au lieu de ça, elle retient le plus longtemps possible sa respiration. Si bien que le silence, lourd, pesant, non pas gênant car Blanche n’a sans doute pu ressentir l’élan agressif que son amie, sans peine, est parvenue à réfréner, le silence, donc, s’empare entièrement de la pièce. Les domestiques attendent encore sur le côté, parce qu’ils n’ont pas été congédiés, mais ils n’esquissent pas un mouvement, ils n’émettent pas un murmure, ni un soupir. Eux sont tout à fait conscients de l’ambiance qui règne alors dans la chambre, tandis que Blanche, elle, presque évanouie au fond de son lit, n’émerge qu’à peine de cet état d’inconscience dans lequel elle a été plongée depuis quelques jours. Et c’est parce qu’eux-seuls donnent à l’atmosphère une espèce de tension malsaine et désagréable que la demoiselle de l’Epine, d’un geste saccadé, leur demande de partir.

Elle libère ses poumons dans un sifflement sonore et quitte son fauteuil, la gorge sèche.

Elle a refusé. Catégoriquement. Ça n’est pas raisonnable. Mais Blanche est-elle raisonnable ?

A nouveau, elle s’approche du chevet et place sa main sur le front de la Bretonne.


Tu es encore malade. Lui souffle-t-elle, puisqu’il lui semble que ça ne peut qu’être ça, la raison de sa folie. Elle ne souhaite pas entrer dans ce jeu, dans son jeu, mais elle n’a jamais vécu ce genre de situation et cela la dérange, la perturbe, en même temps que cela la fascine.

Que veux-tu, alors ?

Simple question, posée du bout des lèvres. Il y a de l’appréhension, dans sa voix tremblante, mais il y a aussi une sorte d’ardente avidité.
Blanche_
Les yeux sont toujours ouverts.
Mais l'humeur est éteinte, et les paupières ne papillonnent plus. Amorphes, plates, défaites de leur tension de vie. Seuls les deux lobes aux couleurs grises restent ouverts vers Clémence, mais les teintes s'effacent, quand l'air de la pièce fait s'évaporer les larmes blanches.
Oui, Blanche est déjà partie.
Les mots de Clémence, une fois encore, ne lui parviennent pas d'une façon ordinaire. Bien sûr, elle sait ce qu'elle dit, elle l'entend, mais qu'entend-elle si ce n'est simplement qu'une suite de mots, de syllabes, de lettres qui se cognent les unes contre les autres ?

Tu es encore malade.
Tu es encore.

Tu es.
La voila, l'importance !
Blanche est, elle est encore, elle est là, avec Clémence, n'est-ce-pas ironique, d'être, d'être encore et encore, toujours, éternellement.
Et l'éternité, au zénith de cette ironie terrible, avec qui la passe t'elle ?

Toi.
Clémence, c'est à toi que je parle.
Les yeux pétillent. Pourtant les lèvres n'ont pas bougé, c'est cela qui est étrange. Mais elle est là, comme l'avait dit Clémence. Elle est !

    Home is behind...
    The world ahead...!

Je veux qu'on me le laisse, voudrait-elle dire. Mais simplement, elle sent que si elle le dit, elle s'empêchera de vivre, de rester avec Béatrice, avec Della, avec Clémence aussi, au risque de leur attribuer par sa proximité l’opprobre qu'on lui jettera, à elle, la fille-mère.
    And there are many paths to tread.

Osera t'elle les emporter avec elle dans sa déchéance ?


Je veux un peu d'eau.
Elle relève les yeux vers elle.
Cette fois-ci, ils brillent très fort. Ils sont emplis de larmes.
Elle essaye de parler, mais n'y arrive pas. La main se redresse, tire et pointe vers celle de Clémence, mais elle tremble si fort qu'elle mime presque les lèvres, et leur ballet incessant.
On dirait qu'elle a compris.

_________________
Clemence.de.lepine
Elle resta imperturbable, n’esquissant qu’un bref mouvement du sourcil – ce qui en soit pouvait traduire tout et n’importe quoi. Elle attrapa machinalement le gobelet encore à moitié plein qui trônait au milieu des linges mouillés et des flacons de parfums. Ces derniers embaumaient la pièce, d’une odeur forte et douce à la fois, mêlée d’eau de rose et de romarin – un mélange qui n’avait rien de subtil et qui pouvait rapidement monter à la tête. Il y avait aussi dans l’air une fragrance d’aloès, car on en avait frotté Blanche de nombreuses fois. Ça n’était pas une plante très chère, mais Clémence en aimait l’odeur. Et surtout, elle aimait l’idée que l’aloès, une fois fleuri, ne mourait pas. Toute cette surcharge de senteurs dissimulait celle de la maladie et c’était là le but, plutôt que le bon goût.

C’est bien. Murmura la blonde française, absente, à la blonde bretonne, bien plus absente encore, tandis que l’eau franchissait délicatement ses lèvres.

Il lui sembla avoir fait ça toute sa vie.

Un sursaut la prit soudain, aussi brusquement que lui vint cette pensée.

On dirait que j’ai fait cela toute ma vie… ?

L’eau coula sur le menton de Blanche. Clémence s’était échappée un instant et en avait oublié le gobelet qu’elle tenait entre ses doigts. Elle était censée étancher la soif de Blanche, non pas la noyer. Rapidement, elle attrapa un linge et l’appliqua sur les commissures de la jeune Baronne, et ce geste naturel visant à réparer une faute, à prendre soin d’une malade, la fit tressaillir.


Excuse-moi. C’est juste que…

Que quoi ? Que j’ai déjà vécu cela ? Dans une vie, il y a souvent un avant, et un après. Plusieurs, parfois. Des étapes qui vous forgent, des obstacles qui vous font dire « avant j’étais » et « maintenant je suis ». L’avant de Clémence se situait quand sa mère était encore en vie. L’après, et bien…

Elle avait dû la veiller, longtemps, jusqu’au summum de sa maladie, de sa déchéance, jusqu’à ce la Marquise – la vraie, Matthilde de la Francesca, Matthilde de l’Epine – ne parvienne même plus à reconnaître sa propre fille. Et alors, dans sa lâcheté, la fille avait fui pour ne revenir qu’à l’aube de la mort. Coupable et dévastée.

Je ne sais pas si tu m’entends et si tu comprends tout à fait ce que tu vis. A vrai dire, elle lui semblait à des lieues d’ici. Ailleurs. Mais où que tu sois et quoique tu décides, je resterai là, cette fois, et j’étoufferai cet égoïsme qui m’a presque perdue et qui en a peut être perdu d’autres.

Cette fois ? Clémence, il est question de Blanche, ici...

Un cri lui parvint alors, étouffé, comme venant d’un autre monde. Ça n’était pas n’importe quel cri, c’était celui de la vie, celui de l’enfant. Blanche l’avait-elle entendu ? Clémence lui glissa un regard interrogatif. Elle n’avait pas vraiment envie de mettre la mère et l’enfant dans la même pièce. Elle n’avait pas du tout envie que se créé entre eux cet attachement particulier qui peut exister entre une mère et son fils. Elle avait juste envie que l’un parvienne à vivre sans l’autre et vice-versa.

C’est… le mien ? fit-elle pour Blanche, essayant lamentablement de justifier ces pleurs juvéniles. Elle avait le ton de ceux qui savent que leur mensonge ne sera jamais cru mais qui, par désespoir de cause, tentent le tout pour le tout. L’excuse la fit sourire, et peu lui importait que l’Hermine ait entendu ou non, qu’elle ait compris ou non, elle se trouvait tout de même ridiculement pitoyable. Ça n’était pas comme si elle venait de promettre à Blanche qu’elle essaierait d’être moins égoïste qu’à l’accoutumée…

Veux-tu le voir ? demanda-t-elle avec nonchalance, dissimulant son appréhension et sa nervosité en jouant négligemment avec une boucle de ses cheveux.

Avec un peu de chance, elle répondrait encore à côté de la plaque.
Thibaut_chlodwig
♫♪♪♫

    Je voudrais bannir les pompes funèbres : il faut pleurer les hommes à leur naissance, et non pas à leur mort. ▬ Montesquieu

Tout avait été rapide, et bruyant. Bruyant, oui. Les cris, les pleurs, et la joie, les paroles. Tout était calme, à l’intérieur. Dans les ténèbres, il n’y avait pas de bruit. Il n’y avait pas l’air froid et irritant, mais simplement les flots doux et limpides. Combien il aurait aimé rester dans cette sombre bulle. Or, il était sorti, projeté dans un monde qui, dès les premiers instants, ne lui plaisait pas. Il n’aimait pas cette agitation, ce bruit qui lui fendait les tympans, les souffles froids qui lui transperçaient la peau. Il n’aimait guère plus cette clarté qui l’aveuglait à travers ses paupières fermées. Il criait ! Comme cela lui faisait mal ! Sa gorge s’enflammait ! Pourtant, il criait encore… Et ses poumons s’emplissaient d’oxygène, de vie. Oui, il était vivant, et robuste ! La mère peut être contente, nous avons là un beau bébé !

Or, le petit prince ne connaissait encore rien. Il avait seulement été propulsé là, comme lorsque l’on s’amuse à sauter sur un trampoline et que l’on va trop loin. On fini par s’écraser au sol. Ainsi, lui qui nageait dans le paradis, s’était retrouvé jeté dans la fange. Pauvre garçon… Comme notre vie commence mal. Peut être vaudrait-il mieux rester à jamais dans le ventre de sa mère, afin d’être protégé, chéri, et nourri par elle. Nous ne connaîtrions pas la mort, pas la haine, ni la souffrance, comme ça. Nous ne connaîtrions que le calme et la paix. Mais à quel prix ? La vie est vaut sûrement d’être vécue. Oui ! Elle le vaut !

Alors vis, petit prince ! Vis ! Et ne regarde surtout pas en arrière, car tu le regretteras ! Vis, cours, ris ! Sois heureux, et, alors, peut être retrouveras-tu les sensations d’avant ta délivrance.

Le nouveau-né fut donc pris en charge par ses nourrices. Sa mère ? Il en avait eu une pendant neuf mois, mais à présent, il n’en avait plus. Alors il ne pleurait plus. Il était fatigué, trop fatigué. On le posa sur le dos, l’habilla, et le laissa se reposer. Dors, petit prince, car demain, la vie t’attend.

Beaucoup de temps s’était écoulé. Et plus les minutes s’égrainaient sur le sablier de la vie, plus le nouveau-né apprenait. Il apprenait ce que c’était qu’être un humain. Ce qu’on ressent, ce qu’on pense. Ce que c’est que vivre. Il se réveilla de son profond sommeil et se mit à pleurer. Crier, parce que même si ça fait mal, même si sa gorge meurt à chaque cri poussé, c’est bien, de pouvoir s’exprimer. Alors, il crie.

Oui, le Petit Prince vit.
Blanche_
Dans l'obscure torpeur qui l'entourait, une lueur fut.
Veux-tu le voir ?
Elle était comme entourée de flanelle et de coton, qui à leur tour chacun déployaient souplesse pour la garder, confinée, dans son cocon de rêve. Et, dans ces douces ténèbres, qui la tiennent en otage depuis quelques jours, elle voit une lumière, une porte ouverte, une sortie. Un ouragan d'artifices brumeux l'enrobe, elle sent qu'on la tire, qu'on l'attire aussi, vers le plus bas et le plus profond des précipices, en cachant sa dangerosité par des mets onctueux, et des promesses mensongères.
Veux-tu le voir ?
Mon Dieu, qu'ils sont beaux ces nuages sombres, a-t'elle envie de dire. Et, alors qu'elle ouvre le bras dans ce monde inconnu, elle voit se déployer pour l'entourer, une auréole de vapeur ébène. Les doigts s'agitent, amusés. La mousse douce qui les recouvre est indolore. Vivre sans douleur, après les dernières heures si difficiles, espère t'elle seulement autre chose ?
Veux-tu le voir ?
La lumière pétille. Elle la voit. Se dissipant autour d'elle, à mesure que la main se tend vers cette torche symbolique, les nuages de mort paniquent, resserrent leur étreinte, la lâchent, la retrouvent, et guettent le meilleur temps pour l'amener vers le précipice auquel ils la destinent.
Mais le bras se bat, il convulse, il vit. Est-ce un bras finalement, ou plutôt sa gorge, palpitant du sang qui la parcoure, ou cette silhouette, n'est ce pas, même, le coeur de Blanche dont l'on parle, et qui se réveille, lui qui repousse sa chape d'agonie et se précipite vers l'ultime lueur. N'est ce pas, si, ce coeur-là dont l'on parle ?

Un râle intense s'échappe de la gorge fluette lorsque, portée par le bras qu'elle imaginait dans son rêve, par une force plus grande qu'elle et Clémence réunies, elle se redresse brusquement et tangue, à la frontière de la vie.
L'un après l'autre, les sens lui reviennent. Elle accorde à la fenêtre à moitié obscurcie la grâce d'une lueur vacillante, aux fleurs et senteurs l'enrobant, l'oppression d'un parfum lourd, et au cri qui jaillit, et qu'elle entend soudain, à cet appel qui résonne, et qui fait battre ses tempes, la poésie d'une invitation heureuse.
Mon fils ! crie le coeur.

Qu'on lui apporte.
Qu'on les présente, l'un à l'autre, l'une qui n'a vécu que pour l'autre, l'autre qui n'a vécu qu'avec elle.
Elle porte la main à sa gorge. Dans la pureté de l'instant, le râle s'est tut. Mais à ses oreilles tambourinent les vaisseaux plein d'une vie nouvelle, qui charrient leur nouvelle force vers l'organe de la recouvrance. Qu'on lui amène !


Veux-tu le voir ?
La bouche s'ouvre, épanouie. Et les yeux clairs, déshabitués à la lumière du jour, se referment dans un double sourire serein.
La vierge a dit oui.

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Thibaut_chlodwig
    ▬ Loin d’ici


« - Penses-vous que l’on ressente quelque chose, à notre naissance ?
- Quelque chose ? On ne ressent rien du tout, bien entendu ! On ne commence à vivre que lorsque l’on a 5 ans.
- Oh, je ne savais pas ! »


    ▬ Seigneurie de Décize


Elle voulait. La vierge avait dit oui. Ainsi, les servantes feraient selon le bon vouloir de madame. Le Petit Prince, qui était confortablement allongé dans son lit, sentit une main passer sous son corps. Il ne pouvait pas encore voir, c’était trop tôt. Ses yeux n’étaient pas habitués au paradis, ayant passé tant de temps dans les ténèbres. La main le saisit, et il sentit les draps se dérober. Quelqu’un l’enlevait. Puis il sentit l’air sur sa douce peau encore immaculée. Il sentait qu’il bougeait. Puis enfin, on l’allongea sur quelque chose qui n’était pas un draps, mais bien moins souple. Il préférait les draps, bien que cette nouvelle surface encore inconnue soit chaude et douce. L’odeur émanant de cette surface non identifiée était elle aussi douce, et chaleureuse. Ne comprenant pas ce qui lui arrivait, et préférant les draps, quoique froids, mais beaucoup plus souples, il se mit à pleurer. Il ne voulait pas rester là, bien qu’en réalité, tout était mieux ici. Alors il sentit la surface sur laquelle il avait été posé onduler, lentement, et entendit, comme sortie des profondeurs de la terre, une voix douce et chaude. Il ne comprenait pas, et il ne savait même pas que ce qu’elle disait signifiait quelque chose. Cependant, il l’entendait. Petit à petit, l’environnement dans lequel il était le persuada d’arrêter de pleurer. Il n’y avait pas de raison. Et même, au bout d’un certain temps passé en cette relation charnelle, il décida de ne plus vouloir bouger. Il ne voudrait pas retourner dans le lit. Il ne voulait plus. Le corps ondulait toujours, et, fatigué d’avoir tant pleuré, il se laissa aller au sommeil, qui s’empara de lui. Il ne pensait pas, quand il dormait. Il se contentait de vivre. Alors il se souviendrait de ce corps, de ce moment passé. Il ne savait pas qui était détenteur de cette fameuse surface, et s’en moquait bien. Ce qui l’importait, c’était d’y rester, car jamais il n’avait aussi bien dormi.
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