[Demeure des Saunhac à Montpellier]
Ensemble, dans notre chambre. Toi à rêver, je tobserve parfois entre deux lignes, quand je tourne une page, ton air lunaire. Un petit sourire effleure mes lèvres puis je replonge dans mon livre et mon histoire de chevalier. Etrange comme les dames veulent toujours un chevalier. Je nen ai pas besoin, jai bien mieux, je tai toi, mon masculin alter ego. Mais la lecture est divertissante, et les mots bien agencés, jaime les mots, la façon dont ils se déploient sur les feuilles, leur tracé sobre né des noces dune plume et dune encre. C'est bien d'avoir tôt appris à lire. Le temps sécoule doucement, puis brusquement il sinterrompt, lorquIda fait irruption dans notre monde. Aller au marché.. j'observe ta réaction, prévisible, cela me fait rire. Tu m'as tant parlé de la taverne là-bas, pendant qu'Ida refusait de m'écouter pour choisir robe et tissu. Ce n'est pas que je ne lui fais pas confiance, c'est que je n'aime pas être prise pour une poupée, je n'en ai plus l'âge.. non?
Au marché.. alors je vais enfin les voir ceux que tu m'as décrits, ces enfants qui nous sont semblables. Un garçon et une fille, comme toi et moi. Lui doit être ton opposé, quel étonnant contraste cela doit être de vous voir côte à côte, tu m'as dit qu'il a la peau sombre, je suis curieuse de voir le tableau que vous pouvez former ainsi, avec ton teint de sélénite. Et elle, petite tête blonde, c'est bien cela? Et maman revient bientôt, c'est une bonne nouvelle.
Nous nous préparons pour sortir. Tu t'es déjà arraché à ta béate contemplation du dehors aux paroles d'Ida, je referme avec précaution mon ouvrage, y laissant un marque page pour y revenir plus tard.
Manteau enfilé, bottines lacées, Ida qui insiste pour me coiffer un peu. Je rechigne à cela, juste déméler mes cheveux, cela suffit non? Nul besoin en plus de les attacher, et puis ils ne sont pas si longs que cela soit nécessaire. Je t'implore du regard mais tu es aussi résigné que moi quant à ce qui se passe. Enfin quand Ida a fini, tu viens vers moi.. et m'ébouriffe espièglement les cheveux dans le dos de la servante. Je prends ta main en souriant et nous la suivons. Le temps qu'elle passe prendre un panier tellement grand, dont elle se plaindra sans doute encore une fois rempli. Pourtant nous avons déjà essayé de lui expliquer que si c'est trop lourd, il faut en prendre un plus petit, mais il parait qu'alors les courses ne rentre pas. Et bien il n'y a qu'à en faire moins d'un coup. A cette remarque, elle fronce généralement les sourcils en marmonant un "ces enfants.." avec une pointe de fatalité dans la voix.
Dehors, l'agitation de la ville. Les gens qui s'interpellent, avec courtoisie.. ou moins aimablement quand une charrette obstrue une allée. Les rues qui défilent, terrible labyrinthe. Mais nous sommes ensemble, ensemble nous arrivons à ne pas trop nous perdre, l'un complétant la mémoire de l'autre.. séparés... il nous faut d'abord nous retrouver. Enfin Ida nous guide, alors nous la suivons sagement, pour l'instant. Il faudra bien que nous lui faussions compagnie pour aller les chercher à la taverne. Seulement elle guète, nous a à l'il. Vraiment étonnant, cette façon qu'elle a de sentir que nous préparons quelque chose. Pourtant nous n'avons rien dit. Cela n'est pas nécessaire. Pas lorsque l'étincelle malicieuse dans tes yeux trahit ta pensée, pas lorsque depuis toujours nous avons appris à lire l'un en l'autre. Il n'y a guère de secret entre nous, à vrai dire il n'y en a aucun. Pourquoi cacher des choses à son autre soi?
Puis le marché.. enfin. Avec ses étales et ses senteurs, ici du cuir là des épices. Ida se dirige vers ce que plus tard on appellera "le rayon alimentation". Nous nous attachons à ses pas, mais restons en retrait, attendant le moment propice.. il viendra, il suffit de l'attendre.. Et cela ne manque pas. Voilà qu'un marchand tente de lui vendre denrée à éhonté prix. Elle commence à... marchander, quoique commencer par lui dire qu'elle n'avait jamais vu pire escroc n'est peut-être pas le meilleur départ possible... Peu nous importe, c'est l'occasion que nous espérions. Tu prends ma main et comme ton ombre, je te suis jusqu'à la taverne où tu m'as dit les avoir vus par deux fois déjà.
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