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Les guerriers divins ou la Terrible histoire de la meute

Elais
[Derrière une porte]

Cela faisait très peu de temps qu’elle s’était extirpée d’un léger sommeil réparateur. Entre les gardes nocturnes, la douane à l’aube et travailler un peu dans son atelier l’après midi, les nuits étaient longues et les journées trop courtes ; particulièrement en ce moment où l’une des armées du Poilu venait de mettre en alerte toute la population du Bourbonnais-Auvergne. Alors la jeune femme s’accordait quelques heures de repos entre le déjeuner et la confection des rares vêtements dont on lui faisait commande. Elle espérait que les tensions qui régnaient entre les duchés s’apaiseraient au plus vite sinon elle craignait d’en perdre la santé, mais surtout de voir tomber bon nombre de personnes qu’elle commençait à affectionner.

Elle songeait à cela pendant qu’elle laçait le devant de sa robe et essayait de discipliner la masse brune qui lui servait de chevelure quand trois coups frappés sur la porte retinrent son attention. Elle jeta un regard interrogatif vers la fenêtre, tentant de se rassurer sur l’éventuel visiteur.
Elle avait rarement de visite l’après midi - surtout chez elle ; la plupart du temps lorsqu’elle recevait, c’était à l’arrière, là où se trouvait son échoppe de Tisserand. Ses clients se présentaient toujours à la porte de cette dernière, étant donné qu’elle donnait sur le chemin du cimetière qui menait au centre ville. Probablement que cette fois, celui ou celle qui venait à sa rencontre arrivait de la rue Mandragore, ou tout bonnement souhaitait une entrevue avec elle pour des raisons autre que son métier. Mais cela était tellement rare… Hormis son cher Eliott, peu de personnes entraient ici, car tous savaient la douanière très solitaire et n’osaient venir la déranger.

Arrangeant à nouveau ses cheveux pour paraitre décente, puis chassant les pensées qui continuaient à s’insinuer dans son esprit, Elais se décida enfin à rejoindre la porte et à l’ouvrir, espérant que le temps de ses réflexions le visiteur n’avait pris la fuite ou qu’il ne fut point porteur de mauvaises nouvelles.

Un sourire éclaira son visage. Non, il était toujours là, devant elle, les joues légèrement colorées et un sourire à damner toutes les saintes du royaume. Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale. Les traits juvéniles du visage de l’homme qu’elle avait connus autrefois, avaient totalement disparu et avaient laissé place à un charme plus… -Elle eut une légère hésitation quant à ce qui avait changé chez lui- …Peut-être était-il plus mature ? Viril ? Bref, un charme qu’elle découvrait plus amplement chaque jour, et malgré tous les efforts pour maitriser ses sentiments, elle y était douloureusement et désespérément sensible, cela à chaque fois qu’il lui adressait de tels sourires.

Subitement, une certaine gêne vint la déstabiliser, guère à cause de ses dernières pensées, mais par les yeux azurés qui se posaient longuement sur elle. L'inquiétude s’immisça en elle. Depuis leur dernière rencontre, quelque peu étrange, la jeune femme n’avait revu le vagabond. Elle l’avait parfois croisé sur les remparts, mais ils s’étaient simplement contentés de se saluer et de vaquer à leurs occupations, chacun n’osant probablement pas réitérer les derniers moments qu’ils avaient partagés.… Alors que venait-il faire ici et pourquoi la regardait-il ainsi ?

Toussotant légèrement pour se donner contenance, elle fut surprise de le voir sourire de plus belle et ôter sa cape avant de lui tendre la main.


Elais… voudriez-vous me faire l’honneur et le plaisir de m’accompagner pour une marche ? J'ai besoin de vous parler.

De plus en plus inquiétant. Même si le sourire qu’Anseis affichait semblait effacer tous les doutes sur l’annonce d’une mauvaise nouvelle, sa dernière phrase n’était pas pour la rassurer. Cependant, sans qu’elle n’en sache la raison, elle n’eut aucune hésitation et glissa sa propre main dans la sienne avant de fermer, de l’autre, la porte derrière elle et de reporter deux pupilles curieuses sur son compagnon.

Bien sûr. Volontiers.
Anseis
[Le temps d'une valse ]



Refermant doucement sa main sur les doigts de la jeune femme, il ne prononça mots jusqu’à ce qu’elle tourne un regard empli de curiosité vers lui. Inclinant tête et buste, le jeune homme reprit alors parole, sans se départir de son sourire, ni lui lâcher la main.

Elais, permettez-moi de vous inviter dans un monde étrange, empli de folie et de mystères…

Anseis marqua une pause pour abandonner son sourire et chuchoter parfois terrifiant un nouvel arrêt pour laisser temps aux bord des lèvres de se relever mais bien plus souvent merveilleux et toujours surprenant : celui des vagabonds.

Tout en parlant, Anseis s’était mis en mouvement, l’entrainant parmi les ruelles jusque devant une grille noire annonçant l’entrée du cimetière. De sa main libre, il tourna poignée puis repoussa la grille.

Gente damoiselle, l’entrée de ce monde ne pouvait être que la sortie de celui des braves gens. Vous connaissez déjà les remparts, aussi je préfère emprunter en ce jour un autre passage.

Approchant ses lèvres de l’oreille de la jeune femme il lui murmura :

N’ayez crainte douce Elais. Bien peu de créatures oseraient nous affronter en ces lieux, et quand bien même les plus maléfiques le feraient, j’ai avec moi terrible arme qui les pousserait à fuir.

Pour le confirmer, le vagabond glissa la main dans sa chemise pour en sortir une flute qu’il présenta avec fierté a son invitée.


Etes vous prête ?


Sans attendre de réponse, le jeune homme rangea sa flute puis reprit sa rapide marche, conduisant Elais parmi les allées couvertes de gravillons. La cadence de leur pas, initialement aussi monotone que celle d’une marche ordinaire, s’était lentement altérée en celle d’une volte, alors qu’ils se retournaient parfois pour marcher à reculons, Anseis pointant du doigt une statue, un arbre ou encore un oiseau dans le ciel, sans pourtant jamais relâcher les doigt de la jeune femme de son autre main.

Elais, ces lieux semblent souvent froids et tristes, tout comme les remparts. Et sûrement ne peut-on nier la mélancolie des lieux. Et pourtant, combien de surprises et de vie se cache dans chaque recoin de cette divine peinture. Voyez cette jeune fille qui nous sourit de sa fine bouche de pierre, alors qu’elle admire les allées se recouvrir d’ambre, don des multiples arbres qui veillent sur les âmes au repos.

Les arbres s’essouffleraient-ils à l’approche de l’hiver ? Au contraire ! Regardez leurs riches couleurs, regardez leurs branches vibrer au contact de la brise automnale. Lorsque s’annonce le crépuscule de l’année, il dansent à la faveur de la nuit déclinante. Ils dansent pour remercier le Seigneur du printemps qu’il leur a donné, du splendide été qui les a réchauffés et du profond sommeil réparateur que leur offrira l’hiver. Ils dansent au chant des oiseaux, leur souhaitant un bon voyage vers les contrées plus chaudes et leur donnant rendez-vous lors de leur prochain retour.


le jeune homme, pivotant main et bras, fit légèrement tourner Elais pour que de nouveau leurs regards se croisent.

Ils dansent aussi pour vous. En hommage à vos cheveux aussi doux que la soie, votre regard si profond que l’on ne peut qu’y plonger perdant désir de remonter, et à cette aura invisible, qui surpasse votre pourtant si grande beauté et vous entoure de mystère et de magie, magnifique Elais

un sourire, un rougissement furent pendant un instant les seules expressions par lesquelles le vagabond continua, avant de reprendre, toujours à mi-voix

Ils dansent pour vous, Elais, et leur plus grand bonheur serait que vous dansiez aussi. Ils ont recouvert les lieux d’un tapis doré, pour protéger et guider vos pas. De leurs branches frémissantes, ils marquent la cadence, incitant les seigneurs des cieux à entamer une dernière musique.

S’arrêtant d’avancer sans ajouter mot, Anseis s’inclina de nouveau en une révérence, ouvrant sa main libre pour inviter la jeune femme à s’approcher et le rejoindre
Elais
[Une dernière musique...]

Elle n’avait donné de réponse, mais prête, elle l’avait été avant même qu’il le lui demande, et elle marchait à présent au rythme de ses pas, portant son regard sur chaque curiosité qu’il se plaisait à lui montrer. Tous ses sens en éveils, elle découvrait dans les yeux d’Anseis, ce lieu à la fois inquiétant, mais tout aussi attrayant, dans lequel elle n’avait jamais osé mettre un pied afin de ne pas déranger les âmes qui y reposaient.

L’ouïe attentive au son enchanteur de sa voix, elle se laissa aller dans les allées du cimetière où l’automne avait déjà laissé passablement sa marque. Leurs pieds foulant l’épais tapis aux couleurs or-orangé soulevaient quelques feuilles mortes qui tourbillonnaient autour des pierres tombales, comme de légers fantômes dans la douce brise de ce bel après midi, puis se reposaient nonchalamment au sol une fois que les deux jeunes gens fussent assez éloignés.

Elais se sentait à cet instant tout aussi légère qu’elles, oubliant un peu l’inquiétude pesante qu’elle n’avait cessé de trainer depuis plusieurs jours suite à ses fonctions, mais aussi à l’apparition de plusieurs personnes suspectent dans Montpensier, dont une qui avait directement agressé un membre de la maréchaussée. Tout cela lui paraissait bien loin aux côtés de cet homme qui la menait au gré des ses envies dans son monde mystérieux. Seul ce moment paraissait compter pour la jeune femme, et elle aurait souhaité qu’il puisse durer le temps d’une vie -De Sa vie, cependant son compagnon en décida autrement.

Guidée de la main du vagabond, dans un gracieux mouvement du buste, elle pivota et reporta son attention sur lui, alors qu’elle oubliait l’éloge qu’il venait de faire à la nature pour écouter celle qu’il susurrait à son intention.


Ils dansent aussi pour vous. En hommage à vos cheveux aussi doux que la soie, votre regard si profond que l’on ne peut qu’y plonger perdant désir de remonter, et à cette aura invisible, qui surpasse votre pourtant si grande beauté et vous entoure de mystère et de magie, magnifique Elais

Comme un chant doux et suave, les mots se répercutaient dans l’esprit de la jeune femme qui sentait la chaleur échauffer sensiblement ses joues.
Probablement était-ce un songe, probablement se réveillerait-elle dans peu de temps et ouvrirait ses yeux sur sa chambre dont les murs boisés et solitaires viendraient remplacer le paysage automnale qui s’offrait à elle à cet instant, l’obligeant à chasser ses rêveries nocturnes pour retrouver son quotidien… Tout cela lui était bien égal : On lui accordait un présent si réel qu’elle ne voulait le laisser échapper. Et pour la première fois, elle ne ressentait ni peur, ni doutes en compagnie de celui qui avait été un jour l’objet de ses cauchemars, qu’elle en ferma les paupières pour adresser une prière de remerciement au très-haut –Un geste qu’elle n’avait refait depuis qu’elle s’était fâchée contre le saint-homme et déserté les églises.

Lorsqu’elle ouvrit de nouveau les yeux, un sourire se dessina sur ses lèvres pour répondre à celui de son interlocuteur qui continuait sur une note plus musicale : La danse.


Ils dansent pour vous, Elais, et leur plus grand bonheur serait que vous dansiez aussi. Ils ont recouvert les lieux d’un tapis doré, pour protéger et guider vos pas. De leurs branches frémissantes, ils marquent la cadence, incitant les seigneurs des cieux à entamer une dernière musique.

Une dernière musique, venait-il de prononcer. Des mots qui la laissèrent pensive, mais sur lesquels elle n’osait s’attarder. Il s’arrêta soudainement d’avancer, amenant la jeune femme à en faire de même, avant de se plier en une révérence tout en l'invitant de sa main libre.

Doucement, elle se rapprocha de lui et se laissa à nouveau guider.
Anseis
[une danse, une destinée ]

Chaque pas qui la rapprochait de lui se répétait en son cœur tel un tonnerre. Oubliant de respirer, immobile, il laissait les secondes s’étirer à l’infini pour transformer ce moment privilégié en un instant d’éternité.

Il pouvait maintenant entendre le souffle d’Elais et, naturellement, referma son bras pour entourer la jeune femme et laisser glisser sa main le long de son dos. Une curieuse sensation l’envahit. Comme si leur passé, si l’univers même n’avait été créé que pour cet instant. Le ressentait-elle aussi ? Il n’en douta un instant lorsqu’elle posa sa main libre au niveau de l’épaule d’Anseis.

C’était un après-midi d’automne. La fraiche brise qui avait jadis chassé la lourde chaleur estivale leur portait parfums de châtaignes et noisettes. Glissant sous les feuilles pour les faire frémir, elle les invitait à entamer la danse. Et sous la bienveillante ombre des arbres centenaires, au milieu des âmes au repos, ils laissèrent leur sens guider leurs pas en harmonie.

Le tapis d’or et d’ambre s’écartait parfois devant eux, prestement ramené par le vent après leur passage. Le vagabond n’y faisait cependant attention, son attention prisonnière des deux perles sombres qui le fixaient. Combien de fois s’était-il retenu de croiser ce regard de peur de ne pouvoir s’en détacher, de peur qu’elle ne lût cette passion qu’il n’aurait pu cacher. Le moment avait chassé l’angoisse, le laissant enfin libre d’admirer la personne dont son cœur était devenu esclave volontaire.

Il n’aurait pu dire depuis combien de temps ils dansaient, et peu lui importait. En cet instant, seule comptait la seconde suivante, pour continuer de la garder proche de lui, de se noyer dans son regard. Ralentissant la cadence, il continua néanmoins à la guider lentement, à la lueur déclinante du soir.

Elais
[Une danse, quelques pensées…]

Une danse, un cimetière. Etait-ce le dénouement de deux sombres destins qui s’étaient entrelacés dès l’enfance ? Peut-être, mais à cet instant, loin était le temps où ils avaient été compagnons d’infortune, adversaires, partenaires de route ou simples acteurs d’un même passé empreint d’errance. Insignifiant était tout cela aux yeux de la jeune femme dont la mémoire n’accordait d’attention qu’au moment présent.

Une main toujours enserrée jalousement dans celle du vagabond, l’autre délicatement posée sur son épaule, elle dansait et dansait encore... Ses yeux plongés dans le regard pastel, son corps évoluait naturellement au rythme de son cavalier alors que ses idées aussi confuses que si elle avait bu du vin commençaient à s’attarder sur cette étrange, mais -elle ne pouvait le nier- séduisante invitation.

Depuis qu’elle était tombée gravement malade, l’homme se voulait attentif et prévenant. Non qu’il ne l’avait jamais été, loin de là, cependant cela était de plus en plus manifeste… Il lui avait avoué ne vouloir la perdre à nouveau, et aujourd’hui usait de charme et de louanges à son encontre alors que bien des mois plus tôt il lui adressait à peine la parole. Tout cela déstabilisait la jeune femme qui de par sa méfiance et sa réserve, n’osait lui demander les raisons d’un revirement si prompt, d’un tel changement.

Amitié, flirt ou peut-être un intérêt pour la gent féminine ? Dans ces trois cas, même si l’assurance qu’il affichait semblait faire de lui un étranger aux yeux de la tisserande, elle appréciait qu’il lui ait accordé cet instant particulier. Elle lui avait un jour fait don de son cœur, elle ne savait quand, ni pourquoi, ni même ce que cela signifiait vraiment, et malgré les déceptions et les doutes qu’avait amenés cette innocence, elle avait appris à vivre avec et depuis accueillait avec bonheur chaque moment passé à ses côtés.

Une légère lueur de reconnaissance passa dans les pupilles de la jeune femme tandis qu’une fossette creusait sa joue lors d’un sourire. L’homme, silencieux, ne la quittait des yeux ; en d’autres circonstances, elle en aurait probablement été gênée, cependant il n’en était rien. Elle avait bien changé, elle aussi. Probablement avait-elle grandi et se voulait plus confiante, ce qui lui évitait, à chaque fois qu’elle se trouvait dans une situation embarrassante, de se mettre à rougir de façon significative. Bien sûr, il lui arrivait encore de sentir ses joues s’enflammer lorsqu’elle se retrouvait à parler en public ou bien lorsqu’on lui faisait un compliment qui la touchait intimement, mais elle doutait qu’un jour cela passe ou qu’elle sache le dominer.

Elle soutint son regard ne pouvant s’en détacher quand un léger frisson la parcourut. Si l’après-midi avait été doux et agréable, la fin de journée amenait un léger vent frais. Quittant à regret les yeux de son partenaire et levant le visage vers les cieux, elle constata que le soleil avait abandonné son trône et laissé place à la lune. Une luciole dans un ciel d’encre. Des volutes de brumes s’enroulaient autour des arbres pendant que l’obscurité enveloppait doucement nos deux danseurs. La vie avait suivi son cours ne se souciant guère des deux jeunes gens et d’autant moins du vœu de la jeune femme qui avait souhaité arrêter le temps.

Un sourire se dessina à nouveau sur les lèvres de la Tisserande et elle se moqua intérieurement d’elle-même. Souhaiter... ? Elle avait fait son dernier souhait et pensait bien le garder précieusement au fond d’elle. Maintenant, elle se contenterait de ce qui lui serait accordé.

Elle posa à nouveau ses deux perles noires sur Anseis et osa interrompre le silence qu'ils avaient maintenu tout au long de la danse. Juste quelques mots murmurés...


Il fait nuit...
Anseis
le voyage se poursuit

Il sentit Elais frissonner avant que son regard ne se dirigeât vers le ciel. Un dernier pas accompagné d’un discret bruissement marqua la fin de la danse. Il observa la jeune femme, qui continuait de fixer la voute céleste. Avant que son regard ne se baissât de nouveau vers lui, un sourire naquit sur les lèvres de sa cavalière. Et, tout en le conservant, elles susurrèrent :

Il fait nuit

Ainsi qu’elle l’avait fait, le regard d’Anseis quitta – non sans regret - le visage angélique pour se diriger vers le ciel. Les premières étoiles avaient commencé à percer un manteau bleu qui s’assombrissait.

Un hochement de tête vint confirmer les paroles. Il baissa sa main droite sans pour autant lâcher celle de la jeune femme, tandis que son main quittait le dos de la danseuse pour dégrafer de nouveau sa cape. Se refusant de délaisser les doigts graciles, il glissa la cape sur les épaules d’Elais d’un geste un peu maladroit.

En cette période de l’année La nuit arrivait tôt, bien trop tôt selon son goût. Le temps approchait où elle devrait rejoindre les remparts pour entamer sa ronde nocturne. Leur ronde les avait ramené proche du portail aussi, prenant maintenant la main encore libre d’Elais, sans détacher son regard, il commença à reculer pour l’entrainer jusqu’à la grille.

Sur son visage qui s’était légèrement penché, Anseis imaginait plus qu’il ne le voyait la rougeur qui devait maintenant colorer les joues de la tisserande. Elle fixait ses pieds, n’osant de nouveau croiser son regard. Le jeune homme en sourit. Il du relâcher une de ses mains pour ouvrir la griller et continuer de guider la jeune femme hors du cimetière.

Sans relever la tête elle avait pivoté légèrement vers la gauche pour reprendre le chemin de sa demeure. Il la retint légèrement, jusqu’à ce qu’elle relevât la tête vers lui, la douce lumière sélénite révélant la surprise sur son visage. Négligeant de refermer la grille, il indiqua d’un mouvement du bras le petit escalier qui faisait face au cimetière, de l’autre coté de la ruelle, et conduisait sur les remparts.


les étoiles nous attendent. Ne les faisons patienter

Elais
[Un léger détour... Avec lui]

Hors du cimetière, le visage d'Elais, dont les joues encore sensiblement empourprées suite au geste délicat qu’avait eu le vagabond en l’entourant de sa cape, se releva et afficha une certaine surprise lorsqu’il l’arrêta dans sa lancée pour rentrer chez elle. Elle distinguait à peine ses traits, pourtant elle décela un sourire fugace sur les lèvres du vagabond. Ce qui l'intrigua notablement. Enserrant davantage sa main, il se détourna légèrement et leva le bras en direction de la grande muraille avant de prendre la parole à son tour, apaisant ainsi les questions qui commençaient à affluer dans l'esprit de la jeune femme.

Les étoiles nous attendent. Ne les faisons patienter

Ces quelques mots présageaient bien que son cavalier l’invitait, une fois de plus, à le suivre. L’espace d’un instant, elle hésita. Elle ne voulait, certes, pas le quitter, mais curieuse de sa venue et de ce dont il désirait lui parler, elle l’avait suivi en début d’après midi sans autre atour que sa robe immaculée, laissant son épée et sa houppelande –Deux choses essentielles pour ses gardes nocturnes- dans sa petite demeure. Sans cela, elle ne pouvait prendre ses fonctions. De plus, viendrait bien le moment où l’homme ressentirait l’air vif de la nuit et aurait besoin également de la chaleur que pouvait prodiguer sa cape ; il était donc hors de question pour elle qu’ils se rendent ainsi sur les remparts.
Tout en resserrant, de sa main libre, le col de son vêtement sombre autour de son cou, elle incita Anseis, de son autre main, à reporter son attention sur elle avant de lui adresser un sourire coloré de tendresse et de lui répondre.


J’espère que les étoiles pourront encore patienter ; je vous prie de bien vouloir me pardonner, mais je me dois de passer par chez moi pour récupérer mon arme et un vêtement chaud afin de veiller au sommeil paisible des Montpensierois cette nuit.

Sans se départir de son sourire, mais avec une lueur de regret dans les yeux, elle s’apprêta à lâcher sa main pour le quitter quand ces derniers plongèrent dans les prunelles, couleur de saphir, qui étaient à sa hauteur. Une petite voix intérieure lui chuchota qu’elle n’avait nulle envie de le laisser, et elle se rassura en se disant que s’il l’avait conviée à aller sur les remparts, un petit détour ne le dérangerait probablement pas. Serrant de nouveau la main du vagabond, elle sentit la chaleur se poser sur ses joues quand elle rajouta un ton plus bas.

… Et permettez-moi de vous inviter à vous joindre à moi… Ainsi je pourrai vous rendre votre cape qui je crois vous sera d’une grande utilité sur les remparts.

Maintenant embarrassée par l’excuse misérable qu’elle venait de lui donner pour le garder auprès d’elle, la tisserande détourna le regard et l’entraina à ses côtés. Sa maison n’était qu’à quelques pas, ils s’y retrouvèrent très vite. Lorsqu’ils furent à l’intérieur, elle ne s’attarda guère dans les lieux, prenant juste ses effets -besace et vêtement- ainsi que son épée avant de rejoindre son compagnon qui, bras croisés sur la poitrine, s’était adossé contre la porte et la regardait évoluer dans la pièce silencieusement. D’avantage intimidée par cela, elle fit en sorte d’éviter, autant que possible, de croiser ses yeux qui auraient tôt fait de deviner combien sa présence dans ces lieux la troublait, et posa ses doigts doucement sur son bras pour lui signifier qu’elle était prête.

Une fois la porte verrouillée derrière eux, ils prirent tous deux le chemin des remparts.
Anseis
[Un mythe, une révélation]

Ils s’étaient éloignés de la petite échoppe de tisserand pour prendre la direction d’un proche escalier menant aux remparts. Anseis pouvait sentir la légère pression de la main d’Elais sur son bras.

Ensemble ils montèrent jusqu’au chemin de ronde, leurs pieds se posant à l’unisson marche après marche. Il n’eut besoin de confirmation ni d’approbation pour se diriger vers le merlon sur lequel il avait tant de fois observé la gracile silhouette se détacher.

Même la douce chaleur de la journée n’aurait suffit à réchauffer la nuit d’automne et une fine buée s’échappait de leur bouche, au rythme de leur respiration. A peine étaient-ils arrivés que le vagabond releva la tête, son regard glissant d’une étoile à l’autre. Les leçons de son père lui revenaient alors que dans son esprit les diamants célestes se rassemblaient pour tracer les figures mythologiques, fruits de l’imagination et d’enseignements passés.

Levant le bras, il pointa de l’index une série d’étoiles.


Regardez Persée qui s’approche d’Andromède son doigt glissait d’une étoile à l’autre, traçant les formes Sous l’œil implorant de sa mère Cassiopée et de son père Céphée. Chaque nuit la princesse enchaînée attend avec espoir l’arrivée de son prince, chevauchant le fougueux pégase. Et lorsque l’aube vient, le héros pourfend le monstre Cétus avant de briser les liens qui retiennent l’élue de son cœur et l’emmener avec lui.

Un éternel combat qui se reproduit chaque nuit et pourtant, jamais Andromède ne tremble, jamais le bras de Persée ne fléchit.


Sans même y penser, Anseis entoura de son bras gauche la jeune tisserande, se rapprochant d’elle tout en continuant son histoire.

Certains y verraient cruauté des anciennes divinités enfermant ce couple dans un éternel combat. Pourtant cela ne reflète-t-il la force de leur amour ? La nuit de combat et de doute s’efface au moment même où enfin ils se retrouvent l’un contre l’autre, emportés par Pégase.

Ses lèvres se scellèrent, sans que son regard, toujours rivé sur les constellations, ne cillât. Il avait appris, sans trop comprendre, cette histoire. Et seulement aujourd’hui, quand il sentait la lente respiration d’Elais, les mots prenaient tout leur sens. Il n’était noble ni riche marchand. Et la seule chose à laquelle il avait été formé depuis la naissance le rebutait.

Pourtant, combien était-il prêt à lutter, chaque jour et chaque nuit que Dieu faisait, jusqu’à son dernier souffle, pour elle. Un seul de ses sourires suffisait à illuminer son cœur.

Pour la première fois ce soir là, la peur l’avait quitté. La peur de la bête qui sommeillait, la peur de se tromper ou de ne recevoir que sarcasmes ou silence en réponse. Il avait fini par accepter le cri de son cœur et voulait le reprendre de toute sa voix.



Elais,

J’ai cru vous chercher par culpabilité, par devoir envers notre père. Tout ceci n’était que mensonge. Si désespérément j’ai parcouru les routes du royaume c’était parce que je ne peux vivre sans vous, ni loin de vous. Telle une plante, je puise ma vie dans votre regard, je me réchauffe à vos sourires… et dépérit lorsque vous vous éloignez, en personne ou en pensée.

Elais, je vous aime
Elais
[Une déclaration, ma déclaration ]

Elle se sentait plus gauche et empruntée qu’elle ne l’avait jamais été. Enfermée à nouveau dans un carcan de timidité, silencieuse, elle quitta les étoiles du regard pour le poser sur un point imaginaire au loin. Que lui arrivait-il ? La moindre cellule de son corps lui criait de se retourner et de se jeter dans ses bras pour lui avouer combien elle avait espéré ces mots et combien ses sentiments étaient réciproques, cependant, elle restait là, sans bouger, le visage fixant sombrement les ténèbres. Démonstrative, elle ne l’avait jamais été et encore moins lorsqu’il s’agissait de ses sentiments, mais elle l’aimait et à cet instant elle ne savait comment le lui montrer.

Un calme absolu régnait autour d’eux, ce qui ne simplifiait guère la tâche de la jeune douanière qui brisa le silence en s’arrachant doucement à la chaleur bienfaitrice du corps du vagabond afin de se rapprocher de la muraille. Le vent vif de la soirée ne tarda à la faire frémir. Sans se retourner, elle posa sa besace à ses pieds, ôta la cape dont il l’avait entourée plus tôt, et la déposa sur le merlon avant d’enfiler sa houppelande d’une main fébrile. Chaque geste avait été dirigé avec une lenteur délibérée pour retarder le moment où elle devrait lui faire face, pourtant il lui fallait bien dire quelque chose, faire quelque chose, pour ne pas qu’il se méprenne sur son mutisme ou sur la distance qu’elle venait de mettre entre eux.

Le cœur battant à tout rompre dans sa poitrine, elle reprit la cape et fit un demi-tour sur elle-même. Levant les yeux pour rencontrer le regard bleu, elle sentit le rouge lui monter aux joues tandis que sa main libre se dirigea aussitôt vers une mèche de cheveux bruns qui barrait son visage, et la repoussait derrière son oreille. Ses jambes tremblaient et il lui semblait qu’elles allaient, d’un moment à l’autre, se dérober sous elle. Il lui fallut rassembler toute sa volonté pour se calmer et se rapprocher du jeune vagabond avant de s’éclaircir la gorge pour lui répondre avec toute la douceur qu’il avait toujours éveillée en elle.


Depuis que vous vous êtes présenté à ma porte, au Mans, j’ai espéré que jamais vous ne repartiriez …

La jeune Tisserande se tut l’espace d’un instant et fit un pas de plus vers son interlocuteur. Baissant ses prunelles sur la cape posée dans ses mains, elle secoua cette dernière et releva le visage sur les épaules de l’homme avant de continuer sur le même ton tout en s’appliquant à passer délicatement ses bras autour de lui pour l’envelopper à son tour du vêtement.

Pourtant, même si mon cœur m’implorait de vous garder près de moi, mes angoisses… puis ma raison m’ont poussée à séparer nos chemins à Guéret…

Lorsque nous faisions route ensemble, je vous ai vu vous murer dans un silence qui m’a fait penser que ma compagnie vous déplaisait, et que si vous aviez accepté de m’accompagner ce n’était que par charité suite à mon passé…
Elle chassa du bout des doigts une poussière invisible sur la cape ...J’ai alors songé que vous aviez probablement une famille qui vous attendait et qu’elle vous manquait. Et cela… je ne pouvais le supporter. J’ai donc préféré vous laisser et continuer sans me retourner.

Elle s’arrêta à nouveau, contemplant d’un œil lointain les pans de la cape qui couvraient à présent le torse d’Anseis avant de laisser glisser ses mains lentement sur le tissu, tout en essayant de chasser le flot de souvenirs et d’émotions qui lui vrillaient les entrailles et de reprendre toujours pensive.

J’ai cru ne jamais vous revoir et que vous en seriez plus heureux ainsi…
Mais j’ai eu tort.

A ces derniers mots, un léger sourire, timide, se dessina enfin sur le visage d’Elais. Son menton se leva alors pour faire face au vagabond, puis elle rapprocha progressivement ses lèvres des siennes, s’arrêtant à proximité pour murmurer dans une caresse avant de les effleurer

Vous quitter fut la plus douloureuse décision que j’aie eue à prendre.

...
Anseis
[Muette réponse]

Le silence avait en premier répondu à sa déclaration. Il laissa le temps s’écouler, immobilisé par les sourds battements de son propre cœur ainsi que la lente respiration de la jeune femme. Elle avança d’un premier pas, se détachant de son étreinte. Alors que le bras du vagabond redescendait le long de son corps, Elais s’éloigna un peu plus.

Déchiré entre l’espoir et la crainte de sa réponse, il l’observa dégrafer la cape dont il l’avait couverte quelques temps auparavant. Une lueur d’inquiétude naquit en son regard tandis que la douanière, lui tournant le dos, enfilait avec grâce et délicatesse sa houppelande.

Chaque nouvelle seconde devenait torture, alimentée par la crainte de la voir simplement s’éloigner et disparaitre dans la brume nocturne, tel un esprit. Et il en était venu à se mordre la lèvre inférieure pour tenter – en vain – de refouler la sourde douleur spirituelle par une plus physique, lorsqu’elle se retourna. Leurs yeux ne mirent longtemps à se trouver les liant de nouveau sans que le geste qu’elle fit pour se recoiffer, ni ses premiers pas en direction de l’homme ne puisse l’empêcher. Relâchant l’étreinte sur sa lèvre, Anseis sentit son corps se tétaniser : La gorgone elle-même l’aurait-elle en cet instant changé en pierre, il n’aurait été plus pétrifié.


Depuis que vous vous êtes présenté à ma porte, au Mans, j’ai espéré que jamais vous ne repartiriez …

Elle franchit le dernier pas qui les séparait encore, baissant son regard. Ses fines mains aux doigts si graciles déplièrent la cape qu’elle avait conservée avec elle puis la glissèrent au niveau des épaules du vagabond. Lui restait immobile, écoutant les paroles de la jeune femme, les joues chauffée autant par la honte de l’avoir fait ainsi douter que par le bonheur d’être cette nuit si proche d’elle. Combien maudissait-il en cet instant cette timidité maladive et cette éducation monastique qui l’avaient retenu de lui avouer ses sentiments, qui avaient fait souffrir celle pour qui il donnerait son âme.

J’ai cru ne jamais vous revoir et que vous en seriez plus heureux ainsi…
Mais j’ai eu tort.


Il baissa légèrement son regard au moment où elle releva la tête, un sourire sur les lèvres. Le visage d’Elais s’approcha un peu plus du sien jusqu’à ce que leurs lèvres se frôlassent.

Vous quitter fut la plus douloureuse décision que j’aie eue à prendre.


Ses mains quittèrent le cocon formé par la cape pour doucement glisser le long des hanches puis du dos d’Elais.

Avec quels mots aurait-il pu lui avouer que toutes les souffrances et les doutes de cette époque s’étaient en ce moment même évanouis ? En quelle langue aurait-il pu expliquer la douce chaleur qui maintenant envahissait son cœur et son âme?

Ses lèvres frémirent avant de finalement franchir l’infime distance qui les séparaient de celles de son aimée.
Anseis



Quelques jours plus tard, durant un voyage en Bourbonnais
Elais
[Dans le jardin]

La nuit s’annonçait et la claire journée d’automne faisait place à la douce quiétude du soir. Lentement les ombres se mettaient en place laissant à la lune le plaisir de jouer à cache-cache entre les arbres. Le crépuscule avait fait son chemin amenant un silence fragile qui se mariait peu à peu au hululement du vent frais qui s’engouffrait furtivement dans les rameaux cassants des arbres du jardin de Thiers.

Un bruit de pas, feutrés par un tapis de feuilles mortes, se mêla au bourdonnement nocturne. La fine silhouette, éclairée par la lumière des torches, venait d’apparaitre au détour d’un petit sentier. S’arrêtant pour scruter les environs, elle reprit sa marche jusqu’à un petit pont qu’elle traversa avant de se retrouver dans une petite clairière où elle s’installa prudemment.

Assise à même la terre, le dos calé contre un vieil arbre, besace posée à ses côtés, la jeune femme inspira longuement avant de rejeter vivement l’air de ses poumons et de lever les yeux vers l’univers vaste et étincelant des cieux. Malgré la fraicheur nocturne, elle était heureuse d’être sortie de cette taverne à l’atmosphère sensiblement étouffante. Elle n’avait croisé que peu de personnes, mais les rares qu’elle avait côtoyés semblaient frappés par un certain mutisme ou par une étrange toux qui prédisait qu’ils ne faisaient que passer. Certes, elle avait échangé quelques mots, mais ce n’était que pour palier à leur curiosité et les informer qu’elle n’était que de passage et que son départ se ferait le lendemain.

En y songeant, un sourire naquit sur le visage de la jeune Tisserande. Son voyage commençait sombrement alors qu’elle présageait de profiter de cette occasion pour sortir un peu de sa timidité et aller à la rencontre des gens. Mais y arriverait-elle un jour à s’accommoder à cette foule oppressante, peuplée aussi de badauds impudents et agressifs ? Elle en doutait. Elle avait toujours préféré la compagnie des plantes et des bêtes à celle des êtres humains, et cela depuis qu’elle était partie du monastère où elle avait grandi.

Elle arrêta le cours de ses pensées un instant et se redressa pour fouiller dans sa besace et en sortir un morceau de pain emballé soigneusement dans un carré de tissus. Rompant la miche en deux, elle enveloppa une moitié dans le petit linge qu’elle rangea à nouveau, et reprit place contre le tronc tout en coupant, de ses doigts, un petit morceau de l’autre moitié avant de le porter à sa bouche, et de replonger dans ses réflexions.

C’était pour ainsi dire maladif, chez elle, la solitude. Cependant depuis quelques temps cette solitude avait été doucement fissurée par le plus improbable de ces êtres : Un homme. Un vagabond surgit de son passé, au regard étincelant d’où émanaient la quiétude et la bonté. Lui, elle l’avait laissé entrer dans sa vie. Pourquoi ? Ça ne s’expliquait pas. Probablement était-ce à cause de cette chose mystérieuse qui pouvait tout autant vous apporter un immense bonheur comme une déchirante souffrance. Cette chose avec un grand « A » et ses aléas. Elle se serait bien contentée du premier, mais ce n’était pas ce qui lui était destiné.

Le désir de ne plus y penser, ramena l’attention de la jeune femme sur le jardin. Le temps s’était considérablement rafraichit. Considérant qu’il était bien mieux pour elle de ne pas s’attarder afin de ne pas se retrouver gelée, elle frotta ses mains l’une contre l’autre pour en faire tomber les miettes du pain qu’elle venait de finir, récupéra sa besace, l’épaula, puis se leva avant de porter ses mains à son jupon pour y chasser les quelques brindilles venues s’accrocher à son fessier. Lorsqu’elle fut à peu près satisfaite, elle jeta un œil aux alentours pour se situer. Par où était-elle donc passée ? Avisant une petite ouverture entre deux bosquets, elle se dirigea vers ce dernier avec l’espoir de ne pas s’être trompée.

...
Anseis
une journée en forêt, une soirée dans un jardin

C’est au petit matin qu’ils étaient arrivés en vue de Thiers, première destination de leur voyage. Le calme de la ville les avait surpris au premier abord, et ils avaient échangé regard un peu inquiet se demandant si quelconque épidémie s’était déclarée dans la ville. C’est en laissant leurs montures dans les écuries hors de la ville qu’ils apprirent la raison auprès du lad. Simple et plus rassurante pour eux, mais non moins sinistre : de nouveau une conséquence de la guerre.

D’un air rassurant il avait indiqué la petite cabane de rondin, où un employé rendu impassible par la fatigue proposait prêt de hache contre une partie de la coupe. Plus habitués à la vie nocturne, les deux voyageurs ne ressentaient encore la fatigue et avaient décidé de gagner leur pitance quotidienne dès le matin pour profiter de l’après-midi et la soirée.

De bon cœur, le vagabond avait récupéré une hache, se choisissant un chêne assez imposant avec la ferme intention de le réduire le plus rapidement en un joli tas de rondins.




Il n’avait coupé de bois depuis les années monastiques qui commençaient à maintenant s’éloigner. Et c’est avec un certain plaisir qu’il retrouva cette activité, fatigante certes, mais permettant à son esprit de s’évader de nouveau.

Avec curiosité il remarqua que, bien qu’ayant passé la nuit proche d’Elais, il s’était trouvé bien trop attentif à leur chemin, aux bruits et mouvements de la nature. Et maintenant que la tension était retombée, suite au soulagement d’être arrivé sans encombre, ses pensées revenaient près d’elle. Ils avaient chevauché tous deux en silence, laissant les sens les guider. Ils n’avaient eu besoin de parler pour savoir ou chacun se trouvait ni ce que l’autre ressentait, liée par une empathie bien plus forte que celle forgée par leur passé.

Tout en fendant une longue branche, Anseis se prit à sourire. S’essuyant le front, il nota avec satisfaction le fruit de son travail. Enfilant de nouveau sa sombre chemise il s’assit sur un tapis de mousse attenant à un arbre, fermant les yeux pour apprécier la douce chaleur dispensée par le soleil. La fin de l’automne s’annonçait clémente. Et il se retrouvait maintenant avec le reste de la journée libre, libre de l’admirer et de lui parler, libre de ….

…le vent frais le surprit, lui faisant ouvrir les yeux. Le soleil s’approchait maintenant de l’horizon et le jeune homme frissonna en se relevant. Seigneur …comment avait-il donc pu se relâcher ainsi au point de s’endormir aussi facilement ? Il pouvait entendre encore quelques coups de haches des bûcherons tardifs aussi se pressa-t-il de ramener le stère ainsi que la hache à l’employé municipal, puis de rejoindre les grandes portes de la ville.


La nuit était tombée lorsqu’il franchit l’antique portail qui menait aux jardins de la ville. Il ne doutait point qu’il retrouverait la jeune tisserande dans cet endroit intemporel, teinté d’une touche de douce mélancolie. Evidemment, le fait que trois enfants jouant encore dans les rues lui aient indiqué qu’une femme vêtue d’une blanche houppelande s’y était rendu quelques instants plus tôt le confortait dans son idée.

Il emprunta donc les chemins au grès du hasard, s’arrêtant parfois pour écouter et observer. A la seule lueur sélénite il ne put empêcher un mouvement de surprise, se courbant légèrement lorsqu’il manqua de percuter une ombre. Telle un miroir la forme avait pris la même posture et ce n’est que lorsque la décharge d’adrénaline se diffusa qu’il la reconnu enfin, souriant pour dissimuler la chaleur qui venait de nouveau d’envahir ses joues.

Tendant la main vers sa bien-aimée, Anseis murmura:


Bonsoir douce Elais…
Que diriez-vous d’un bon feu accompagnée d’une tisane dans une taverne non loin d’ici ? J’ai pu y trouver deux chambres pour la nuit.


Mais alors que de sa bouche sortaient ces simples et banales phrases qui auraient pu être prononcées par multitudes de voyageurs, ses yeux lui contaient combien elle lui avait manqué durant la journée et avec quel plaisir il la retrouvait de nouveau.
Elais
[Le lendemain, dans une taverne non loin]

La jeune femme ouvrit un instant les yeux puis les referma tout en se blottissant plus amplement sous la couverture dans l’espoir de s’accorder un peu plus de sommeil. La pluie abondante de cette nuit l’avait empêchée de dormir ; seul, à l’aube, lorsque les nuages menaçants avaient été chassés et que le ruissellement de l’eau sur les vitres se fut estompé, elle s’était apaisée et avait enfin retrouvé les bras de Morphée. Mais, comme pour insister, un timide rayon de soleil traversa la chambre et vint illuminer son visage indiquant une douce journée et le temps de se lever.



D’abord impassible, elle profita un instant de la bienveillante chaleur, l’ouïe à l’affut du moindre bruit. Puis ses paupières, clignant plusieurs fois pour s’habituer à l’intense lumière blanche, s'ouvrirent doucement et dévoilèrent deux perles sombres qui se posèrent sur le plafond défraichit de la chambre. Contrastant passablement avec le silence immuable de la journée précédente, en bas, quelques voix étouffées et le bruit des chopes que l’on choquait montaient déjà de la salle commune à ses oreilles.

Ses lèvres s'étirèrent dans une esquisse de sourire quand elle songea à la veille tandis que ses yeux, pensifs, quittaient le plafond pour se poser sur la fenêtre.

Dans l’obscurité des jardins, après une petite excursion empreinte de curiosité, elle avait cherché son chemin à la lumière vacillante des torches, jusqu’à ce que ses pas la guide, par hasard, vers la silhouette bien découplée de son compagnon. Après de confuses puis douces retrouvailles, l' homme avait invité la jeune femme à rentrer se réchauffer. Acquiesçant, elle s'était laissée entrainer vers la sortie où le couple avait salué poliment une jeune mère en compagnie de son bébé. S’en était suivie une invitation à partager un breuvage chaud ainsi qu'à quelques bavardages anodins auprès d’un bon feu de cheminée en taverne. Et ce n’était que tard que les deux jeunes gens s’étaient séparés pour rejoindre leur chambre respective, avec la promesse de se retrouver le lendemain.

Les pensées à présent tournées vers son bien-aimé, Elais repoussa prestement sa couverture et se leva. Avisant une petite cuvette et un broc de terre cuite déposés sur une petite table de bois dans un coin de la pièce, elle s’y dirigea pour y faire un brin de toilette rafraichissante avant de revêtir sa robe blanche. Cela fait, elle récupéra sa houppelande et son épée dont elle boucla la ceinture du fourreau autour de sa taille puis glissa la lanière de sa besace sur son épaule et quitta les lieux.

Quelques marches et la jeune femme se retrouva dans la salle. Plusieurs paysans et voyageurs tenaient des conversations animés tout en sirotant leur bière pendant que d’autres, assis dans un coin, dégustaient pensivement leur déjeuner. Parmi eux, aucune trace de son compagnon. Elle savait que l’homme avait pour habitude de se lever très tôt et elle songea que probablement il avait dû quitter la taverne aux aurores afin de se rendre dans le village et y faire quelques emplettes ou pour profiter de cette dernière journée à Thiers.

Décidée à l’attendre, elle se dirigea vers le comptoir pour passer commande d’une tisane que l’aubergiste lui prépara aussitôt, puis s’installa à une table libre, retirée des autres. Posant sa besace près d’elle, elle glissa sa main à l’intérieur pour en sortir une petite fiole d’encre, une plume légèrement usée et un vélin qu’elle déposa devant elle.

La mine songeuse, elle attrapa sa tasse pour souffler sur le liquide encore fumant tout en se demandant ce qu’elle allait pouvoir raconter de son périple. Des nouvelles de sa santé ? Certes, elle pouvait en donner. Mais sur ses activités, là ce n’était pas gagné. Deux jours qu’elle était partie et elle n’avait rien à raconter. Elle poussa un silencieux soupir. Peut-être pourrait-elle parler des merveilleux couteaux que l’on fabriquait ici... ou bien du charmant jardin de Thiers ? Oui, cette idée lui plaisait et donnerait déjà un peu de lecture...

Sans y avoir gouté, elle reposa sa boisson et déboucha le petit encrier avant d'attraper sa plume dont elle porta l'extrémité à ses lèvres en signe de réflexion. Par quoi allait-elle commencer ?


***
Anseis
[Un trajet au goût de ballade]

Le soleil semblait avoir peine à se lever ce matin là, toute sa force diffusée dans l’épaisse couche nuageuse qui s’était installée depuis la veille dans les cieux. Mais cette faible luminosité caressait la surface du lac renvoyant aux yeux des deux voyageurs des reflets argentés. Anseis ferma les yeux pour respirer lentement, espérant retrouver pour un instant l’air iodé qui l’avait si souvent accompagné lors de ses rondes nocturnes à Honfleur. Soupirant il tourna son visage vers Elais pour murmurer.

ce n’est pas l’océan

Chassant la mèche rebelle qui semblait s’être assagie et restée en place tout le long de leur chevauchée, il caressa le flanc de sa monture, les événements de la veille lui revenant en mémoire.






Anseis poussa la porte de cette taverne où ils avaient trouvé refuge à Thiers, laissant entrer avec lui un peu de l’air frais de novembre. Après s’être empressé de refermer derrière lui, il parcouru du regard la pièce avant de s’arrêter sur un coin isolé qui n’était cependant assez sombre pour dissimuler entièrement la personne qu’il recherchait.

Il s’avança vers Elais, l’observant caresser ses lèvres avec la plume qu’elle tenait en main, son regard pensif tourné vers le vélin déroulé sur la table.

Se positionnant de l’autre coté de la table, poings appuyés sur la planche de bois, il ne put s’empêcher un sourire lorsqu’il prononça :

J’ai obtenu l’autorisation de visiter les remparts de la ville

Dans les yeux d’Elais naquit une lueur joyeuse qui le ravit. Il laissa la douanière prendre le temps de replier soigneusement son nécessaire à écrire et en profita pour glisser quelques mots à la jeune fille en charge de la taverne agrémentés de quelques écus. Il se retourna pour constater que son aimée l’attendait près de la porte que tous deux franchirent pour prendre la direction des lieux qu’ils appréciaient tant.

L’air rafraichi par la pluie associée aux multiples nuages faisait oublier la surprenante douceur qui avait perduré jusqu’au jour précédent. Pourtant, main dans la main, ils ne semblaient s’en soucier, s’arrêtant parfois pour admirer le paysage ou tenter de reconnaitre le chemin par lequel ils étaient arrivés le jour précédent.

Arrivé aux pieds de la porte nord, le vagabond pointa du doigt les écuries. Le jeune garçon qui avait été le premier à les accueillir attendait près de leurs montures. Approchant ses lèvres de l’oreille de la tisserande, Anseis murmura.


j’ai demandé à ce que nos montures soient prêtes pour parcourir un peu la forêt

Un instant flotta comme un regret dans le regard de la jeune femme et elle laissa sa main libre glisser sur la pierre grise d’un des merlons avant qu’elle ne chassât la mélancolique pensée d’un geste en même temps qu’une mèche brune qui s’était échappée de sa longue chevelure.

Le soleil qui avait atteint son zénith déclina lentement vers l’horizon, veillant sur leur randonnée. Les parfums relevés par la récente pluie accompagnaient le bruissement des myriades de feuilles multicolores jonchant les chemins. Pour leur plus grand bonheur, l’automne continuait de dispenser ses charmes tout autour d’eux.

Anseis s’arrêtait parfois pour humer l’air et se repérer, au grand amusement d’Elais qui finit par lui demander :


Mon doux ami, pourquoi tant de détours alors que nous pourrions profiter du chemin qui mène vers Montbrisson dès maintenant ?

La surprise du vagabond dut se lire aussi bien dans ses yeux agrandis que sa bouche, un instant pendante.

vous … vous en doutiez donc ?

Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Approchant sa jument elle lui souffla.

Pensiez vous donc, cher ami que je n’avais noté nos affaires attachées à nos montures, ni le discret signe fait à la jeune fille en taverne ?

Le sourire élargi, elle lança sa monture dans le chemin, suivie de près par un Anseis rougissant de sa naïveté mais non moins souriant.



les souvenirs avaient ramené chaleur au niveau des joues du vagabond. Il décida de cacher sa gêne en demandant à sa compagne

Avez-vous déjà eu le plaisir de pêcher, ma douce amie ?


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[Le lendemain: une nuit d’automne]



Enfant de la nuit, la brume s’était lentement soulevée, et recouvrait maintenant la forêt jusqu’à la cime des arbres.

Lugubre ? Peut-être l’était-elle pour les cœurs libres pensa le vagabond. Mais ayant donné son cœur, il ne ressentait plus que le parfum de mystère qui se dégageait de cette immense couverture fantomatique. Délaissant la joyeuse taverne, les deux jeunes gens avaient rejoint les remparts pour observer la nature avant de prendre route. Leurs chevaux, ferrés à neuf et frais, les attendaient à l’écurie. Une main appuyée sur le rempart, l’autre enserrée dans l’une de celles de sa compagne, le vagabond humait l’air. La nuit il se savait, s’annoncerait curieuse et emplie de surprises. Se déplacer le long des chemins boueux en ces conditions pouvait s’avérer périlleux. Et la plus grande traitrise n’était armée de couteau ou épée, mais prenait souvent l’aspect d’un simple trou de moins d’un pied, grand pourfendeur de chevilles humaines ou chevalines.

Repensant à la lettre que lui avait écrite son aimée, il sentit ses joues se contracter à la naissance d’un sourire. Oui les eaux de ce lac avaient été effleurées par une fée. Mais l’espiègle pan l’emmènerait ce soir loin de cette petite mer et de ses poissons magiques. Se rapprochant d’Elais il murmura.


Douce Elais, ce vieux livret sur les légendes des vagabonds a insisté pour nous accompagner durant notre chevauchée nocturne … qui risque bien de se transformer en marche si brume émet désir de nous suivre jusqu’à notre prochaine étape. Si petit et pourtant si bavard… que pensez vous qu’il nous racontera durant la nuit ? commençant à feuilleter l’ensemble de parchemins, le jeune homme ajouta l’histoire des vagabonds, leur pacte avec le Seigneur … ou encore l’aventure de ce voyageur qui rencontra une fée en chemin ?

Tout en parlant, Anseis conduisait Elais vers les escaliers pour quitter les remparts et se diriger vers les écuries


Dernière édition par Anseis le 02 Avr 2011 16:31; édité 1 fois
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