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Les guerriers divins ou la Terrible histoire de la meute

Anseis
[Murat : L’accueil d’une fleur]



Une goutte de rosée se détacha, la quittant pour rejoindre le sol. Reprenant contenance, la chrysanthème ramena ses pétales légèrement pour que telle chose ne se produisit de nouveau. Elle avait su se montrer patiente jusque là et n’avait l’intention de gâcher le tout par quelconque folie. Toute la nuit durant s’était-elle tenue droite et renfermée afin de récolter les fines particules dispensées par la brume nocturne, et avait attendu le matin pour s’ouvrir enfin et les distribuer harmonieusement sur sa robe rosée.

La patience était son maitre-mot. Elle avait observé sans broncher les rieuses fleurs de printemps : frêles jacinthes aux couleurs pastel, contrastant avec les resplendissants iris ou encore les prétentieuses narcisses venues du sud. Et son bourgeon réchauffé par le puissant phaéton n’avait cédé aux tentations des lis durant l’été. Elle savait que son temps viendrait et que lorsque toutes ses fleurs ne seraient plus que souvenirs, alors pourrait-elle s’ouvrir au monde et caresser les yeux des curieux.

Les grains glissèrent lentement dans le sablier du temps jusqu’au moment, il y a quelques matins de cela, où elle osa timidement dévoiler quelques un de ses atours. Depuis chaque aurore avait assisté à ce rituel alors que, bravant la fraicheur matinale, elle se montrait plus resplendissante.

Une nouvelle goutte quitta sa corolle et, eût-elle pu pousser soupir sans risquer d’en faire tomber plus, elle l’aurait fait en ce moment. Ce matin là, elle le savait, était différent. La saveur de la sève qui montait le long de sa tige avait changé : le sucre et le miel prenaient un léger ton âcre et aigre. Jamais elle ne pourrait être aussi resplendissante, et s’effrayait déjà en imaginant les cernes violacées qui commenceraient à apparaitre. Qu’importait donc de vivre longtemps si c’était pour dépérir et se recroqueviller, si c’était pour recevoir regards indifférents ou – pire – de dégoût. Elle était fleur et n’avait désir de sagesse. Elle était fleur et voulait tout simplement offrir un peu de son teint sur une joue, un peu de son parfum dans des yeux, un peu de son bonheur dans un cœur. Ainsi avait-il été pour ces aïeules depuis la nuit des temps et ainsi, l’espérait-elle, le serait-il pour elle.

Délaissant doute et mélancolie, elle redressa de nouveau ses pétales, repositionnant avec lenteur quelques gouttes, tournant son attention vers un couple de cavaliers qui s’approchait.


Regardez-moi, cueillez-moi ! Je suis là pour vous susurrait-elle. Toute chrysanthème qu’elle était, la gente damoiselle n’était dénuée de bon sens : Bien peu parmi les humains pouvaient maintenant entendre le chant des fleurs. Pourtant, pouvait-elle laisser passer telle chance ? Reprenant de plus belle la rose princesse du jardin reprit


Le printemps durant, j’ai cultivé beauté.
Les parfums de l’été je les ai capturés.
Et lors que l’Homme Hiver s’apprête à vous couvrir
Je suis venu ce jour multiples rêves offrir


L’espoir naquit alors lorsqu’elle vit les deux regards se tourner vers elle, les deux personnes arrêter leurs montures pour en descendre.


Entendez vous mes mots, miracle a-t-il eu lieu ?
Aurez vous donc pitié exauçant mon vœu pieu ?
M’offrir éternité en l’asile de vos cœurs
Plutôt que dépérir, le mien empli de pleurs ?


Lui de noir vêtu, elle couverte de blanc, le démon et l’ange lui offrirent sourire. Passant dans un premier temps la main sur sa corolle pour en chasser rosée, l’homme descendit ensuite le long de la longue tige. Et d’un geste sec il la détacha de sa mère nourricière.

L’aigreur disparut remplacée par le vide. Bien sûr elle le savait, ses heures étaient comptées, mais combien les savourerait-elle. L’insidieux poison ne se distillerait dans son corps et paisible et heureuse elle s’éteindrait. Peut-être était-ce là péché d’orgueil et peut-être fut ce la raison pour laquelle le démon fut celui qui la choisit. La douceur du moment ne diminuait pourtant l’emplissant de joie.

C’est alors que l’homme, après avoir humé partie de ses délicats aromes, amena son autre main au niveau des cheveux de l’ange pour les caresser et révéler sa blanche et délicate oreille. Alors, avec une lenteur guidée par l’émotion, il y déposa la Chrysanthème, puis approcha son visage pour effleurer ses lèvres celles de sa compagne. La chrysanthème sentit le flux et la chaleur prodiguée par l’ange qui venait de l’accueillir et s’empourpra légèrement.

S’il existait un paradis pour les fleurs, elle venait de le trouver.

Elais
[Aurillac]

Le poitrail fumant, sous l’humidité et le froid vif de la saison, la jument baie s’ébroua lorsque la cavalière encapuchonnée mit pieds à terre devant les remparts d’Aurillac. Ôtant l’un de ses gants, la jeune femme porta la main au museau de l’animal et le caressa lentement en signe d’apaisement avant de poser un œil attentionné sur l’homme à ses côtés. Un sourire confiant gravé sur ses lèvres, elle vit ce dernier lui tendre les rênes de son cheval et s’éloigner vers les gardes s’affairant à ouvrir les grandes portes de l’entrée qui accueillait vagabonds et marchands venus de Murat. Une brève discussion avec celui ou celle qui devait probablement faire partie de la douane, puis son compagnon se tourna vers elle, faisant signe de le rejoindre. Bien aisée de comprendre que bientôt ils pourraient s’installer et se réchauffer devant un bon feu de cheminée, la jeune femme esquissa un léger sourire entendu et incita prestement les deux montures à se mettre au pas.

Et pour cause, la veille au soir, ils étaient partis de Murat alors que la fraicheur nocturne et la brume recouvraient chemins et forêts. L’obscurité mêlée à un brouillard cotonneux les avait accompagnés tout au long de la nuit, ne ménageant la peine des deux jeune gens qui s’étaient vus obligés de cesser leur chevauchée pour avancer prudemment sur les sentiers guère illuminés par les clartés diffuses d'un quart de lune suspendue dans un ciel nuageux. Un vent soufflant avec force et secouant violemment les arbres, avait provoqué un continuel son aigu et perçant, les empêchant de communiquer verbalement ; juste quelques regards dont répondaient quelques sourires, qui signifiaient que la fatigue ou le froid n’avait encore affaibli l’un ou l’autre, avaient été échangés entre les deux cavaliers. Ce n’est qu’avant l’aube, lorsque progressivement les rafales s’étaient apaisées et que la brume s’était dissipée, que le couple avait enfin osé pousser les chevaux dans un galop effréné afin d’arriver au plus vite dans la prochaine ville de leur voyage.

De nouveau en selle à parcourir les rues de la ville d'Aurillac, la jeune femme eut un léger frisson en songeant à cette nuit passée. Voyager de nuit, en cette période, devenait de plus en plus difficile. La luminosité peu existante et la froideur acérée de la saison n’accordaient guère de répit aux vagabonds qui en plus des brigands, devaient se prémunir des affres du temps. Elle songea qu’il était peut-être préférable de partir en matinée, et que d’en parler avec son compagnon, au plus tôt, serait approprié.

Son visage pivota vers le vagabond qui chevauchait à ses côtés depuis près de deux semaines. Un sourire naquit sur ses lèvres, comme à chaque fois qu’elle se prenait le contempler. Mais les traits fatigués de ce dernier n’échappèrent au regard de la tisserande qui, à cette constatation, préféra reporter la discussion à plus tard. Pour le moment, tous deux avaient besoin de se restaurer et de se reposer, trouver une auberge qui les accueillerait était avant tout la priorité. Eventuellement, lui ferait-elle part de son idée, après un bon diner...

Son attention fut soudainement attirée par des éclats de rires venant d'une petite ruelle sur sa droite. Un groupe de plusieurs enfants jouaient et échangeaient quelques paroles plus ou moins animées devant un bâtiment qu’elle reconnut comme la maison du Très-haut. Dimanche, trop occupée à effrayer les poissons de Montbrisson, elle ne s’était rendue à la messe dominicale, mais avait gardé l’espoir de s’y rendre le dimanche suivant. Aujourd’hui était l’occasion.

Elle se tourna à nouveau vers l’homme pour lui signifier d’une voix douce et à peine perceptible des oreilles indiscrètes :


Anseis ? ...Je sais que la route fut longue, mais, si cela ne vous dérange, je souhaiterais faire un léger détour avant que nous partions à la recherche d'une auberge. Nous n'en aurons que pour peu de temps.

Sur ces mots, elle attendit que l'homme acquiesce d'un signe de tête avant de tirer sur les rênes de sa monture pour la guider calmement vers les portes de l'église.

***
Anseis
Baissant légèrement la tête, le vagabond concentra son regard sur les pas de sa monture, essayant de la manœuvrer parmi les carrioles laissées à même la rue.

S’il avait eu la possibilité, au lieu de fixer le passage bourbeux, ses yeux se seraient posés sur la fine silhouette de sa compagne et l’admirer mouvoir en harmonie avec sa jument. Cependant l’invisible martel qui s’était réveillé à l’approche du soleil et qui depuis lui tapait continuellement les tempes l’avait jusqu’alors réfréné. S’il y a bien une chose qu’il voulait éviter, c’était de se retrouvé désarçonné par la fatigue…ou quoi que ce soit d’autre qu’il ressentait à ce moment là.

Il essaya de nouveau de n’apporter attention qu’à leur tâche actuelle - trouver une auberge confortable et abordable – refoulant les illusions d’une chaude soupe leur réchauffant mains et corps, face à un bon feu crépitant.


Anseis ? ... Je sais que la route fut longue, mais, si cela ne vous dérange, je souhaiterais faire un léger détour avant que nous partions à la recherche d'une auberge. Nous n'en aurons que pour peu de temps.

Arrêtant sa monture, Anseis releva la tête. Lorsqu’il croisa les deux perles de jais, une vague de douceur et chaleur l’envahit, au point de relever ses lèvres en un sourire. Il chassa la petite voix qui lui susurrait que d’avoir eut l’impression d’entendre Elais crier plus que chuchoter était mauvais signe, avant de lui répondre par un hochement de tête.

C’est une très bonne idée ma douce amie qui nous montrera un peu la ville : J’ai bien peur de ne vouloir m’éloigner de plus de cinq pas du feu lorsque nous aurons enfin trouvé auberge.

Sans pouvoir chasser son sourire, il observa sa bien-aimée prendre les devants pour les guider à travers les rues. Il ne fallu que quelques minutes avant qu’il ne réalisât leur destination et se repente en un soupir

Aristote, nous voici de nouveau dimanche et je l’avais oublié …
Elais
Non loin de l’entrée, Elais et Anseis attachèrent leur monture respective près d’un abreuvoir avant que la jeune femme ne héla les enfants qui stoppèrent leur activité pour venir s’aligner devant elle. Elle compta cinq gamins âgés probablement de quatre à six ans. Fouillant dans sa besace, elle en sortit une petite bourse de cuir dont elle en tira cinq piécettes.

Bonjour les enfants... Dites, si je vous donne une pièce à chacun, accepteriez-vous de surveiller nos chevaux le temps que nous revenions ?

Un large sourire éclaira le visage de la jeune femme lorsqu’ils répondirent en chœur un « oui » plein d’entrain.
Elle confia donc les écus aux enfants avant de se tourner et de rejoindre Anseis qui l’attendait devant l’entrée de l’édifice de pierres. A ses côtés, elle glissa inconsciemment sa main dans la sienne alors qu’il poussait la porte du lieu saint et s’écartait, laissant la jeune tisserande le précéder.

Ignorant la beauté des lieux, elle fit un arrêt près du bénitier, y trempa deux doigts de sa main libre, se signa puis attendit que son compagnon en fasse de même avant qu’ils ne se dirigent vers le premier banc du fond pour s’y asseoir. L’église semblait déserte, seule une jeune femme, perdue dans ses pensées, était installée non loin de l’autel. A cet instant, elle eut un léger doute qu’elle s’empressa de partager avec son compagnon lorsqu’elle se pencha pour lui chuchoter :


Croyez-vous que l’office soit terminé, ou bien, qu’il n’ait pas encore commencé ?

Ses deux perles interrogatives, posés sur son compagnon, ne tardèrent à rencontrer un regard tout aussi ignorant. Lui adressant un sourire de compréhension, elle se concentra sur la raison de sa venue et quitta la main masculine qui entourait chaleureusement la sienne pour joindre ses deux paumes et entremêler ses doigts. Les paupières closes, elle se laissa aller à une prière muette avant de tourner ses pensées vers ce qui la préoccupait.

Depuis quelques temps, un terrible pressentiment s’était insidieusement immiscé en elle et ne voulait la quitter. Et dieu seul savait combien ils s’étaient toujours avérés vrais, obligeant la jeune femme à s’inquiéter plus qu’il ne le faudrait. Comment, pourquoi, où… Elle n’en avait aucune idée, pourtant elle le sentait : Une mauvaise nouvelle n’allait tarder à lui arriver et cela concernait celui à qui elle devait son bonheur d’aujourd’hui. Elle avait maintes fois essayé de prendre à nouveau la plume pour lui envoyer missive afin d’apaiser les craintes qui augmentaient au fil des jours, mais cette satané réserve l’en empêchait depuis qu’il lui avait écrit que sa jeune compagne avait rejoint les cieux dans une mort des plus tragiques. Maintenant, elle avait cette angoissante appréhension qu’il ne décide de retrouver celle qu’il avait tant aimée, par un quelconque acte qui le guiderait aussitôt vers les griffes acérées du sans nom...

Cependant, combien elle comprenait ce geste qui pouvait dépasser l’entendement…
Que serait sa propre vie, aujourd’hui, sans celui qui demeurait à ses côtés ? ...Elle-même ne pouvait y songer.

Une faible douleur venue de ses entrailles amena une discrète larme solitaire dans les prunelles sombres, qui se détacha lentement de ses cils pour couler le long de sa joue et finir par se perdre dans la commissure de ses lèvres. La gorge serrée, elle refusa de se laisser dominer par le chagrin une nouvelle fois, et s’obligea à ouvrir les yeux pour chasser l’image d’un vieil homme à la caboche hirsute et à la pipe usée, pendu à un tremble. Elle se signa promptement, accompagnant le mouvement par un léger murmure implorant :


Protégez-le.

Relevant le visage, elle retrouva un semblant de sourire à la vue de son bien-aimé qui s’abimait dans la contemplation de ce qui les entourait. Ses mains se séparant, l'une d'elles retrouva celle de son compagnon avant que la jeune femme ne fut attirée par le son des cloches annonçant le début de la messe et l’arrivée du Diacre. Attentive, elle porta son attention sur ce dernier.

...
Anseis
Voici le pain de l’amitié, de la réconciliation, symbole de l’unité et de l’amour unissant les aristotéliciens du monde, prenez et mangez-en tous !

Ramenant la main vers celle de son aimée, Anseis se releva. L’église semblait bien vide en ce dimanche et, bien qu’ayant pris place au dernier rang, les deux jeunes gens avaient pu assister à l’office sans difficulté. Un sermon des plus intéressant ou, pour la première fois, il entendait une nouvelle interprétation de ce « juste milieu » prôné par Aristote.

La fatigue du voyage pourtant l’amena à ne parler au prêtre aussi se contenta-t-il d’incliner buste et tête en sa direction. Accompagnant Elais vers la grande porte de l’église, il ne put empêcher de lui lancer un regard.

La fine trace que la larme avait eu le temps de sécher maintenant. Tout le long du prêche, le jeune homme s’était forcé à ne pas tourner son regard vers Elais, de peur qu’elle ne le remarquât et s’en sentit gênée. A cette pensée, l’homme ramena son attention vers la porte qu’ils franchissaient, clignant des yeux à la vision du soleil. Le mal de tête reprit alors, chassant les dernières pensées. S’il y avait une chose que le vagabond voulait éviter c’était bien d’attrister son aimée par des questions ou des doutes…. Et s’il y avait une autre chose qu’il désirait en ce moment même, c’était un bon feu bien chaud et un lit douillet.


Merci Elais. Il aurait été fort malheureux de manquer la messe.

D’un geste de la main, il attira l’attention des enfants qui étaient restés près de leurs chevaux. Un sourire amusé se dessina lorsqu’il constata que le plus ancien avait pris commandement de la petite troupe, donnant ordre aux autres enfants. Glissant main dans sa veste, Anseis ressortit quelques pièces qu’il distribua.

Merci braves soldats, voilà une troupe qui rendrait fier bien plus d’une garnison. Mais comme tous nobles chevaliers, je suppose que vous avez devoir de servir princesse. baissant la voix, il ajouta et reconnaissez avec moi que cette jeune demoiselle par sa grâce et sa beauté, ne pourrait être autre qu’une princesse. Or cette princesse recherche chambre pour prendre repos. Sauriez-vous la guider vers l’auberge qui lui servira de palais pour la nuit ?

Le hochement de tête des enfants l’emplit de joie et c’est en conservant son sourire qu’il se retourna vers sa compagne.

Ma douce amie, votre escorte nous conduira à notre demeure pour les prochains jours
Anseis
[Clermont: Douceur de novembre ]


Un ciel pur, qu’aucun nuage n’osait n’entacher, laissait le soleil caresser de ses rayons les grises murailles qui gardaient jalousement la capitale. Chassant la mèche rebelle d’un geste insouciant, Anseis quitta des yeux les remparts pour les poser sur son aimée. De nouveau, il admira ses longues boucles brunes qui frémissaient au contact de la légère brise.

Etait-ce lié à leur passé ou simplement leur caractères ? Toujours est-il que leurs marches fréquentes étaient souvent silencieuses. Un sourire se forma lorsqu’il repensa à leur ballade de la veille. Ils n’avaient que peu parlé, mais pour une toute autre raison : le jeune Gandelin Duchesne semblait une source intarissable de commentaires et d’histoires. Parcourant les mêmes remparts, ils avaient pu admirer les différents monuments qui faisaient la fierté de la capitale et de tout le duché tout en apprenant plus qu’ils ne l’auraient souhaité sur les aventures du boucher avec la tisserande de la rue du Chêne, ou encore sur le nombre de chats qu’avaient la femme âgée qu’ils croisèrent durant leur visite.

L’enfant les avait laissés aux portes sud de la ville pour prendre le chemin qui conduisait à Murat. Les deux jeunes gens avaient alors échangé sourires complices et amusés avant de se diriger, main dans la main, vers l’auberge qui les accueillait pour laisser prendre à leur corps – et leurs oreilles – quelque repos.


La promenade de cette journée était bien différente, et ils parcouraient les chemins de ronde sans but particulier, s’arrêtant ici et là pour observer un arbre, une demeure, ou tout simplement humer l’air et écouter le chant des quelques moineaux.

La jeune femme présenta son profil au vagabond, ayant probablement senti le regard qu’il posait sur elle. Un sourire releva ses lèvres lorsqu’elle eut confirmation, se contentant de tourner la tête de nouveau et de continuer à avancer.

Sans pouvoir détacher son attention de la gracieuse silhouette d’Elais, Anseis conclut que toute parole aurait été inutile. Les gestes de la jeune femme, ses expressions, ses sourires reflétaient la beauté de son cœur bien plus que n’auraient pu le faire quelconque mot. Et son regard ….

Aurait-il écrit un roman complet sur le sujet, n’aurait-il pu lui rendre justice. Lorsque les deux perles sombres de ses yeux tournaient leur attention sur vous, alors parlaient-elle directement à votre cœur, dans un langage de douceur et de musique. Et dès lors votre vie se trouvait à jamais bouleversée.

Le vagabond chassa de la main la jalouse pensée née dans le moment qui lui soufflait de garder cet ange pour lui seul. Car il savait bien que c’est dans la liberté qu’elle puisait sa force et sa vie. Ne pouvait-il donc se contenter d’être doublement chanceux ? Car non seulement pouvait-il l’aimer et être aimé en retour mais encore la connaissait-il depuis si longtemps.

D’aussi loin qu’il pouvait se souvenir, ce regard avait guidé sa vie.

Reprenant sa marche pour rejoindre sa douce amie, l’homme laissa le sourire toujours présent sur ses lèvres l’accompagner.
Anseis
[Montluçon : Funambule]



Outrageuse et puissante curiosité.

Ils attendaient tous deux au niveau du marché, leur charrette emplie de bois confié par la bourgmestre de Montpensier. Main dans la main ils profitaient de l’absence de clients pour observer les vies qui s’entremêlaient sous leurs yeux. Peut-être auraient-ils dû, eux aussi, faire comme cet habile marchand qui vantait les qualités de ses fruits attirant troupe de badauds autour de lui, certains portant même main à leur bourse pendant au niveau de la ceinture. Assurément cela aurait été plus profitable pour la mairie.

Mais combien difficile il était d’aller à l’encontre de sa nature. Alors qu’il était si agréable de simplement ouvrir son esprit pour le laisser vagabonder d’une histoire à l’autre, tout en gardant près de soi la réconfortante présence de l’être aimé pour ne point se perdre et s’envoler.

Leurs regards complices suivaient maintenant depuis quelques minutes un chaton tout aussi discret et curieux qui silencieusement se faufilait par-dessous les étals. Si petit, si insignifiant que tous, à part eux, semblaient n’y porter attention. Juste une nouvelle progéniture de cette race qui pullulait dans le quartier pauvre, et que l’on se gardait bien de chasser, les modestes chapardages dont ils se rendaient coupables étant largement compensés par l’impitoyable chasse qu’ils livraient aux rats et autres rongeurs.

Le félin qui semblait plus avide de découverte que de nourriture n’insista pas lorsqu’il fut chassé d’un coup de pied négligeant par un boucher qui ne semblait trop apprécier ce genre d’animal proche de ses morceaux de viande fraichement coupés. Sans plus prêter attention, il commença à s’éloigner, chassant une mouche ou quelconque autre insecte.

Anseis poussa un léger soupir en voyant l’objet de leur attention s’éloigner d’eux puis tourna son regard vers Elais. La jeune femme en avait fait de même et l’observait de ses deux perles sombres, brillant encore de curiosité et d’une joie enfantine. Le vagabond ne put s’empêcher de lui sourire. Il approcha son visage pour effleurer de ses lèvres celles de sa compagne afin d’y déposer un baiser. Fermant les yeux un instant il se laissa bercer par la mélodie de son cœur. Le doux son de la voix de son aimée les faisant lentement s’ouvrir.


Je peux rester ici pour vendre ce bois. Que diriez vous de le suivre afin de satisfaire notre curiosité et me ramener l’histoire de ses errances ?

Princesse de mes pensées, c’est avec joie que je comblerai tel désir.


Et c’est ainsi que la main voyageur délaissa avec une pointe de regret celle de sa bien-aimée pour le laisser partir à la suite de l’animal. Leur caractère et humeur du moment en symbiose, il ne fut pas surpris de voir le chaton quitter rapidement la rue des Lombards pour rejoindre les abords de la ville et grimper en silence une série de marches de pierre qui permettaient de rejoindre l’enceinte de la ville. Sûr de sa rapidité et son agilité, il ne semblait se soucier qu’un humain s’amuse à le copier, s’offrant même le luxe de s’allonger sur la pierre en le regardant.

A peine Anseis atteignit-il le haut des remparts que son prédécesseur bondit sur la corniche pour commencer un numéro d’équilibriste, sa tête observant de gauche à droite avec insouciance et nonchalance. Sourire toujours figé sur ses lèvres, le vagabond accepta le jeu, grimpant sur un des merlons plus large pour ses pieds puis sautant de merlon en merlon afin de réduire la distance qui les séparait, mains écartées du corps pour assurer un certain équilibre.

Laissant le soin au vent encore frais de chasser sa mèche rebelle, il continua donc de se laisser guider, son esprit vagabondant déjà. Au fond sa vie d’aujourd’hui ressemblait un peu à cette folle course. Sortie des sentiers tous tracés, il se laissait emporter librement par l’amour, grisé par la légèreté de son bonheur. A sa droite se trouvait le chemin de ronde de la morosité et de la banalité que tant de gens empruntaient. Celui qui tant de fois fut responsable de la disparition de la flamme qui brulait dans un couple comme si, une fois la comptine chantée et le mariage accompli, la vie à deux n’avait plus aucune saveur. Ce chemin qui avait brisé tant de cœur se concluant par une séparation. A sa gauche se trouvait le néant. Celui emprunté par ceux qui fermaient à jamais leur âme, refusant de croire aux sentiments ou même de les écouter. Un chemin que certains prenaient déçus et meurtris.

Et entre les deux résidait l’étroit passage de l’amour. Comme celui décrit dans le chemin des vertus, il n’était forcément le plus stable et à chaque moment l’on risquait de pencher un peu trop à droite ou à gauche. Bien entendu l’on doutait parfois, l’on croyait que notre cœur s’arrêtait en des instants, l’on se pensait finir en un enfer des plus sombres et pourtant … ce chemin d’amour tout comme celui de la vie était le seul qui valait la peine d’être suivi. Que serait donc un amour si l’on n’était prêt de tout tenter de tout risquer à chaque instant en sachant pertinemment les conséquences de ses choix ? Et combien il était facile pour lui de le suivre ce chemin, guidé par la brillante lumière que cet ange lui dispensait.

Un bruissement derrière lui ramena l’homme au présent, le faisant se retourner. Surpris, il le fut deux fois plus lorsqu’il reconnut le doux visage en parti caché par une cascade de boucles brunes de la silhouette qui l’avait rejoint sur les merlons. Le fixant de ses deux iris sombres encore plus brillants que lorsqu’il les avait quittés et arborant un large sourire, Elais se contenta en guise d’explication d’un espiègle


miaou
Elais


Au retour d'un voyage, à nouveau sur les remparts de Montpensier
Elais
Promenade

Le regard posé sur l'horizon, la promeneuse franchit la dernière marche qui menait au chemin de ronde et entama une lente progression vers la tour Ouest. Elle n'avait eu aucun mal à accéder à la montée égoïstement gardée par deux cerbères humains. Même si elle n'avait aucune raison fonctionnelle d'être là, ces derniers, qu'elle s'amusait à nommer gentiment '' les gargouilles'' , avaient pris l'habitude de la voir errer sur les hauteurs et n'y prêtait plus attention, comme si au demeurant, elle eut été devenue un composant naturel de cette muraille, tout comme eux. Ce qui plaisait grandement à celle qui n'aspirait qu'à rester discrète et retrouver ses remparts, en toute quiétude.

Entre l'invitation à un mariage, les employés de ses champs, son échoppe trop longtemps désertée, la caserne -sa nouvelle lubie- et les aller-retour au château, elle n'avait eu l'opportunité de venir s'attarder sur les remparts qui l'accueillaient à cet instant. La douane aux bonnes mains de sa collègue et préférant depuis quelques temps la culture ou la mine aux rondes nocturnes des sentinelles, elle avait délaissé ces lieux qu'elle considérait comme son havre de paix. Pourtant combien de fois avait-elle songé retrouver cette indéfectible ceinture de vieilles pierres pour y puiser un peu de sa sagesse, de sa force mêlée à la douceur qui l''aurait aidée à continuer à se lever chaque matin et affronter les « tribulations » plus ou moins incertaines de son existence ?

De retour chez elle depuis quelques jours, le quotidien -ou presque- s'était à nouveau installé dans la vie de la jeune femme. Montpensier, animée par les activités et amusements que le tribun mettait en place avec énergie, continuait à accueillir nouveaux et vagabonds qui, par leur présence, égayaient parfois les tavernes ou la halle. Le Duché, lui, se préparait à de nouvelles élections ; les estrades en gargote commençaient à s'élever pendant que les premiers badauds se regroupaient et devisaient sur la nouvelle lois sur les salaires, sur la fréquentation des mines et autres sujets qui préoccupaient et sortaient de la monotonie les moins aguerris...

Dans l'ensemble, l'on pouvait juger que tout était normal et calme pour elle, même lorsqu'elle songeait à sa brève participation à un sujet qui avait éveillé sa curiosité à la prévôté, et qu'elle avait fini par laisser de côté en constatant que les avis n'étaient pas aussi partagés qu'elle le croyait et se répétaient.

En définitive, le refrain s'enchainait inexorablement sur une vieille et éternelle musique dont elle avait appris à écouter, sans y être indifférente, mais sans y apporter de jugement également.

Cependant, il y avait un « presque » dans ce quotidien qui faisait sa vie.

Alors qu'elle se trouvait en voyage, les maréchaux de Montpensier avaient méticuleusement relevé le liste des villageois et rapporté cela au château, lui permettant de faire ses rapports journaliers et vérifier les entrées et sorties. Un matin, surgit de son passé, le nom d'un vagabond avait sensiblement attiré son attention évoquant des souvenirs qu'elle tentait d'ignorer depuis qu'elle avait trouvé un certain équilibre dans cette nouvelle existence. Elle avait tout d'abord songé à une coïncidence comme elle l'avait fait avec celui qui portait le nom de son père, puis les jours défilants, ses pensées n'avaient cessé de la ramener vers ce nom qui la troublait.
Elle avait attendu d'être à nouveau à Montpensier -que l'homme ne se décidait à quitter, pour chercher de plus amples informations sur ce vagabond. Mais elle n'avait rien vu ou entendu le concernant... Ne fréquentant ni les tavernes, ni le marché, l'inconnu semblait s'être évanoui dans la nature, ne laissant subsister que ce nom qui restait un mystère pour la douanière. Malgré tout cela, elle espérait que leurs routes se croiseraient un jour...

Voilà où en était sa vie aujourd'hui. Du moins, en partie...

Les sourcils légèrement levés, le regard perdu au loin, elle resserra un bras autour d'elle alors qu'une de ses mains encerclait la petite médaille nichée au creux de son cou et qu'un doux sourire glissait sur ses lèvres lorsque ses pensées dessinèrent le visage réconfortant de son défunt père. Il avait toujours été de bon conseil pour elle, elle aurait aimé lui parler de cette autre partie si fragile, où se mêlaient de nombreux sentiments et questions, qui semblait amener joie, exubérance et satisfaction chez les autres, mais qui s'évertuait à être une énigme douloureuse pour elle. Tout cela la dépassait et elle ne voulait y songer... Se préserver était la seule chose à laquelle elle devait se soucier.

Le dernier sujet vite oublié pour éviter de réveiller les angoisses qui sommeillaient en elle, son attention se porta sur la douce compagne de ses nuits. Le jour n'était encore couché que le disque lunaire faisait son apparition, apaisant les pensées de la jeune femme. Un sourire illumina son visage. La nuit allait enfin tomber et le ballet nocturne allait commencer...


***
--Atheus
[Halo parfumé ]


Athéus avait quitté l'Orléanais depuis plusieurs jours déjà, avec l'intention de gagner les terres méridionales dont il avait gardé le souvenir d'hivers particulièrement doux. Cependant, il avait surestimé ses forces. Un vieil homme comme lui ne peut parcourir allègrement des dizaines de lieues chaque jour, tout particulièrement seul, et à pieds, avec un vent glacé fouettant les visages jusqu'au sang... Ainsi, il s'était résolu à passer quelques jours dans la cité de Montpensier, le temps de reprendre des forces, espérant la clémence de quelques douces journées de fin d'automne pour repartir sur les chemins.


Ce soir-là le vieux empoigna le fidèle bâton qui lui servait de canne et quitta la masure dans laquelle il avait trouvé refuge en échange de quelques écus. C'était la première fois depuis son arrivée qu'il s'aventurait dans les rues de Montpensier. Il aimait cette sensation étrange d'être perdu, de tout découvrir à chaque angle de rue.
Loin d'être un mystique, il se surprenait à rester parfois immobile, en pleine contemplation ici d'une fontaine, là d'une devanture d'échoppe...

Puis, passant dans une étroite ruelle, il fut subjugué par une rose tardive qu'un bras pâle du halo lunaire caressait en ondulant délicatement.
Sans réfléchir, il sortit une dague de sa besace usée pour prélever le cadeau qui venait de lui être désigné.
Cette rose pourpre qui semblait atteindre aujourd'hui même le paroxysme de sa beauté suave embaumait les narines d'Athéus d'une odeur douce et subtile. Une odeur à en perdre la raison...



Tandis que derrière un carreau sale quelqu'un venait de souffler la dernière bougie, signe qu'il était temps de rejoindre Morphée, Athéus sourit. Cette rose à elle seule suffisait à faire de cette promenade un moment de grâce. Il poursuivit sa marche lente dans le dédale de ruelles. Cependant, alors que son intention première était de conserver cette rose avec lui, l'image d'une rose fanée entre ses mains le fit grimacer... Il n'avait dans ses affaires aucun récipient à même de conserver ce cadeau du ciel. Pouvait-il égoïstement garder cette fleur contre lui au risque que cela ne la tue ? Il se décida donc à trouver un endroit frais et humide qui permettrait à la rose de resplendir encore et encore.
C'est ainsi que lentement, les pavés usés entendirent le claquement régulier de la canne s'écarter du cœur de la ville.

Arrivé au niveau de l'enceinte de la cité, infranchissable à cette heure-ci, Athéus porta son choix sur un bloc de pierre au pied des remparts qui présentait en son milieu une partie creuse constituant une sorte de vasque. Athéus huma une dernière fois ce parfum qu'il se jura de ne jamais oublier, et offrit ainsi à la rose un écrin qui lui siérait.

Était-ce le froid ? Athéus, les yeux vitreux, s'effaça dans la sombre masse indéfinie des murs endormis pour trouver un chemin jusqu'à sa modeste paillasse.
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