Jusoor
[Dijon, premiers frimas de février]
Autour d'elle, les murs de Dijon s'étaient dressés. En laissant son regard dériver, Ju reconnut la ville, telle qu'elle l'avait laissée : Dijon la belle, Dijon la Respectée, Dijon l'Inestimable. Et ce jour, dans Dijon vibrait une euphorie particulière, née d'une joie toute populaire. Juchée sur le cheval qui avait su gagné sa confiance limitée en la portant à l'assaut des murs d'une Annecy pillée, la Moineaute voyait sans vraiment les regarder les bras qui s'agitaient et acclamaient le retour des soldats Bourguignons. Un regard en arrière, porté au loin vers la Savoie, et une nostalgie, un sentiment de solitude, d'injustice peut-être s'immiscèrent en elle. La sensation d'être déplacée la faisait sentir comme presque étrangère, incapable de prendre conscience de son retour sur sa terre, néanmoins, elle donnerait le change ce jour, comme elle sait si bien le faire, mais elle n'en restera pas moins que spectatrice de la liesse.
[Le surlendemain, à Digoine]
Ju s'était réadaptée, la compagnie de ceux qu'elle aimait faisait sa maison. Les retrouvailles d'avec son père, son frère, son fils... Digoine était son repaire. Elle re-apprenait les gestes quotidiens, perdait l'habitude de tendre l'oreille ou de regarder derrière elle. Elle avait parlé à son frère, des combats, de ses hommes qui n'étaient que vaillance, des blessures infligées, des coups portés. Dieu soit loué, la petite avait été épargnée. Jusque là tout n'avait été que forfanterie à l'oreille de l'impressionnable Cassian.
Mais c'est le déballage de son paquetage de militaire qui avait desserré les dents de Ju. Tout en avait été presque sorti, et ce "tout" jonchait maintenant le parquet de sa chambre. Mais sous le couvert d'une carte froissée de la région savoyarde, la houpelande apparut et son coeur rata un battement. Elle la déplia lentement, et ne put que se rappeler cette fameuse soirée, quelques jours avant qu'elle ne fasse prendre le départ à son armée. Sur le tissu pâle, la boue séchée à hauteur de genoux témoignait de la violence des propos échangés, de la violence des idées, de la violence de ce qui la vrillait depuis. Une violence rare, qui l'avait si bien bouleversée qu'elle n'avait pu que s'effondrer, incapable de garder plus longtemps ce qu'elle avait ingéré quelques heures plus tôt .
Alors à son père, elle raconta les meurtrissures de l'âme, les bleus que personne ne saurait voir... à qui d'autre pouvait-elle se confier ? Mais c'était insuffisant. Elle ne trouvait pas le repos, elle n'était pas comme Dijon... ni belle, ni respectée.
L'artisan de ce qui la minait serait le seul capable de lui apporter réponse, et bien qu'un sentiment se fit jour, mêlant étrangement répugnance de ce qu'elle allait faire, curiosité, crainte et respect de lui, Ju s'assit à sa table de travail. Nécessaire d'écriture fut exposé à la lumière hivernale qui inondait sa chambre et malgré un début incertain, les crissements de la plume sur le velin se firent insistants.
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"Je ne parviens pas à savoir quelle partie de moi trompe l'autre" - Georg Büchner
Autour d'elle, les murs de Dijon s'étaient dressés. En laissant son regard dériver, Ju reconnut la ville, telle qu'elle l'avait laissée : Dijon la belle, Dijon la Respectée, Dijon l'Inestimable. Et ce jour, dans Dijon vibrait une euphorie particulière, née d'une joie toute populaire. Juchée sur le cheval qui avait su gagné sa confiance limitée en la portant à l'assaut des murs d'une Annecy pillée, la Moineaute voyait sans vraiment les regarder les bras qui s'agitaient et acclamaient le retour des soldats Bourguignons. Un regard en arrière, porté au loin vers la Savoie, et une nostalgie, un sentiment de solitude, d'injustice peut-être s'immiscèrent en elle. La sensation d'être déplacée la faisait sentir comme presque étrangère, incapable de prendre conscience de son retour sur sa terre, néanmoins, elle donnerait le change ce jour, comme elle sait si bien le faire, mais elle n'en restera pas moins que spectatrice de la liesse.
[Le surlendemain, à Digoine]
Ju s'était réadaptée, la compagnie de ceux qu'elle aimait faisait sa maison. Les retrouvailles d'avec son père, son frère, son fils... Digoine était son repaire. Elle re-apprenait les gestes quotidiens, perdait l'habitude de tendre l'oreille ou de regarder derrière elle. Elle avait parlé à son frère, des combats, de ses hommes qui n'étaient que vaillance, des blessures infligées, des coups portés. Dieu soit loué, la petite avait été épargnée. Jusque là tout n'avait été que forfanterie à l'oreille de l'impressionnable Cassian.
Mais c'est le déballage de son paquetage de militaire qui avait desserré les dents de Ju. Tout en avait été presque sorti, et ce "tout" jonchait maintenant le parquet de sa chambre. Mais sous le couvert d'une carte froissée de la région savoyarde, la houpelande apparut et son coeur rata un battement. Elle la déplia lentement, et ne put que se rappeler cette fameuse soirée, quelques jours avant qu'elle ne fasse prendre le départ à son armée. Sur le tissu pâle, la boue séchée à hauteur de genoux témoignait de la violence des propos échangés, de la violence des idées, de la violence de ce qui la vrillait depuis. Une violence rare, qui l'avait si bien bouleversée qu'elle n'avait pu que s'effondrer, incapable de garder plus longtemps ce qu'elle avait ingéré quelques heures plus tôt .
Alors à son père, elle raconta les meurtrissures de l'âme, les bleus que personne ne saurait voir... à qui d'autre pouvait-elle se confier ? Mais c'était insuffisant. Elle ne trouvait pas le repos, elle n'était pas comme Dijon... ni belle, ni respectée.
L'artisan de ce qui la minait serait le seul capable de lui apporter réponse, et bien qu'un sentiment se fit jour, mêlant étrangement répugnance de ce qu'elle allait faire, curiosité, crainte et respect de lui, Ju s'assit à sa table de travail. Nécessaire d'écriture fut exposé à la lumière hivernale qui inondait sa chambre et malgré un début incertain, les crissements de la plume sur le velin se firent insistants.
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"Je ne parviens pas à savoir quelle partie de moi trompe l'autre" - Georg Büchner