Bazin se tourne alors vers la salle d'audience :
Cher public,
Je n'ai qu'une chose à déclarer :
Oui. C'est moi !
J'avoue : c'est bien moi qui ai manipulé toute cette affaire depuis le début (ou presque).
Et en voilà le récit :
Chapitre 1 Contexte à la Bourguignone
Chapitre 2 Bazinistes contre médiocrates : 30'000 écus qui n'existent pas
Chapitre 3 Un piège peut en cacher un autre
Chapitre 4 Opération Dodu Dindon
Chapitre 5 Fait comme un rat
Chapitre 6 A l'orée du bois
Chapitre 1 Contexte à la Bourguignone
La Bourgogne a usé contre moi de tous les coups même - et surtout - les plus bas.
Ils m'ont démis de ma mairie de Cosne par la force illégalement, truqué le procès qui suivit, condamné à l'inéligibilité dès ma candidature aux ducales. Ils usèrent du courrier des mairies pour nous diffamer. Procès politiques, lois sur mesure, avis de recherche bidons, faux et usage de faux, rumeurs, mensonges, intimidations et menaces sur nos partisans fut aussi dans leur arsenal.
Ils renversèrent le gouvernement pour nous éjecter et placer un Conseil selon leurs petits accomodements, votèrent des lois électorales pour assurer leur main-mise, mirent en procès les bazinistes et assassinèrent nos sympathisants qui commettaient l'erreur de se déplacer.
Voilà donc mes adversaires : des gens prêts à tous les mensonges, tous les trucages, toutes les magouilles. Et le procureur Antonio est l'un des plus fanatiques mais qu'un exécutant.
Bazin sort de sa manche une petite fiole qu'il débouche. Il en prend une lampée. Le fumet d'un cognac des caves d'Anjou s'en échappe.
Chapitre 2 Bazinistes contre médiocrates : 30'000 écus qui n'existent pas
Un jour, deux mois avant mon élection, mon grand ami Mazarin se présenta aux élections de Dijon. Ce que messire Antonio et consort prirent mal : la mairie est entre leurs mains depuis des lustres.
Or, ces idiots faisaient les paons en publiant les bilans de la mairie. Tout ce que l'on y voyait était que la mairie vivait sous perfusion de dons. Le bénéfice net mensuel était d'environ 280 écus : des cacahuètes. Bref, des incapables. des incompétents. Ce que nous nous sommes pas privé de leur dire.
Bazin sort alors d'un dossier des feuilles qu'il fait circuler.
Voici une retranscription issue de mes notes personnelles d'un débat qui eu lieu à ce moment là. Ces notes sont partielles mais on y apprend suffisamment.
Jouons avec les chiffres.
Selon cette note, on apprend que :
- Messire Mogi aurait repris la mairie à la limite de la ruine 9 mois auparavant
- Que les actifs s'élèvent à 15'000 écus
- Que sur les derniers mois, la mairie gagne environ 280 écus net par mois
Un peu de math : considérant une mairie à la limite de la ruine à qui soyons généreux nous donnons 4'000 écus d'actif de départ. Considérant que 9 mois après les actifs sont de 15'000 écus. Considérant le bénéfice de 840 écus pour les 3 derniers mois. De combien doit s'élever le bénéfice mensuel moyen sur ces 6 mois restant ?
Réponse : (15'000 4'000 840)/6 = 1'750 écus. On est loin de leur moyenne lamentable de 280 écus.
.
Cette petite histoire montre deux choses :
- le chiffre de 15'000 écus est mensongé. Ces sont des incapables finis. Leurs bilans le disent. Ils n'ont pas pu amasser cette somme. Et j'en ai eu la preuve une fois élu.
- ensuite, même si ces 15'000 écus étaient réels, deux mois après, j'aurais été en mesure d'en piller 30'000 ? En deux mandats ils auraient doublé les actifs ?
AH AH AH !
s'esclaffe alors Bazin.
Les chiffres avancés lors du procès par le procureur et pluri-ancien-nouveau-maire Antonio sont de toute évidence mensongés.
Mais voilà que vient l'heure du piège : votre bon Berger du Peuple se présente à l'élection municipale de Dijon
Bazin fait une rapide pause, ajuste son pourpoint, mire le brillant de ses bottes et se sent satisfait de lui.
Chapitre 3 Un piège peut en cacher un autre
Je suis élu un dimanche matin. Or, la veille au soir, le collège de la noblesse publie une note: ils invalident ma candidature
J'ai toujours pris soin d'entretenir un bon réseau d'informateurs. Il se trouve que j'en avais un ayant accès au Conseil. J'étais au courant de la manuvre : le but est de me mettre en procès et de me charger un maximum pour m'évincer définitivement (décidément c'est une lubie). L'accusation de pillage était prévue et même sans ça je m'en serais douté : ils n'ont que ce mot à la bouche et lorsque je suis entré dans la mairie j'ai vite vu l'état du désastre :
Le pillage c'est eux, c'est leur mauvaise gestion ! Les citoyens donnaient des centaines d'écus chaque mois, étaient ponctionnés par l'impôt, la mairie avait le monopole sur certaines denrées.
Où est donc passé tout cet argent !?! Ces Antonio, Asclépiade, Mogi, qu'ont-ils fait mis à part organisé le pique-nique au village et les Dijon d'Or ? Avec quel argent ont-ils construit leurs luxueux hôtels particuliers ? Les frais électoraux ducaux auxquels ils participent à chaque mandat ? Pourquoi les accès du forum de la mairie ont été verrouillés à mon arrivée ? Pourquoi ont-ils dit - dans une note qu'ils ont oublié de déplacer - à ma prédécesseur Ange42 : "ne lui montre rien" ?
Pour différente raison, ça ne servait à rien que je tente de me disculper : jugé coupable quoiqu'il arrive. Sans compter que la parole d'un agent assermenté (et ils le sont tous) fait force de preuve (art. 212-2) et que la Bourgogne a déjà usé de fausses preuves contre moi.
Le procès l'a prouvé : ils se fichent pas mal du droit, des lois et procédures. Le procès est une arme politique et ils s'en servent.
Or je suis joueur et j'aime la performance. Je leur ai moi-aussi tendu un piège dont le dernier acte ce joue en ce moment.
Bazin refait une rapide pause, ré-ajuste son pourpoint, re-mire le brillant de ses bottes et se sent encore plus satisfait de lui.
Chapitre 4 Opération Dodu Dindon
Ils veulent donc me présenter comme un pilleur auprès du peuple. Que je clame mon innonence ou que j'accepte le rôle, ça ne change pas grand chose : ils auraient fait un procès qui aurait fini en appel.
Pour retourner la situation à mon avantage - surtout vis à vis du peuple qu'ils ont trop l'habitude de sous-estimer - , j'ai accepté le rôle et j'ai inventé cette histoire d'ultimatum : les richesses de la ville contre la punition des assassins de janvier (assassinats des sympathisants) et le retrait des lois scélérates (privant le peuple du libre choix électoral et l'écartant du pouvoir).
Exigences qu'ils refusèrent, sachant bien qu'il n'y avait pas de richesses à rendre. Or ils passèrent ainsi aux yeux de la population comme ceux qui préfèrent perdre les richesses d'une ville plutôt que rendre justice et rendre les droits qui appartiennent au peuple.
Je suis dorénavant celui qui se sacrifie pour tenter d'obliger le pouvoir a rendre justice à ses victimes et supprimer ses lois odieuses. Robin des bois a encore tout à apprendre.
C'était l'opération Dodu dindon. Mes ultimatums étaient des manifestes pleins d'envolées lyriques, grandiloquents, touchants, forts et mystiques tout à la fois. Peut-être certains se souviennent des articles Aap.
Ah ah ah que ce fut drôle !
Dans la foulée je prends la route de l'exil et rejoint Genève, ma Saint Hélène. J'y mène une vie d'exilé, fréquente les notables locaux, fait le mécène auprès des pauvres et en profite pour commercer un peu et m'enrichir beaucoup.
Ce n'est qu'au onzième jour après mon départ que la mairie est reprise par messire Asclépiade, pluri-ancien-maire de Dijon.
Partout ailleurs une mairie pillée est reprise dans la nuit ou le lendemain ne serait-ce pour pouvoir faire un relevé des historiques et des dégats. Mais curieusement pas à Dijon
Peut-être qu'ils voulaient laisser la situation pourrir suffisamment ? S'assurer qu'ils n'auraient pas trop à tricher pour le futur dossier contre moi ?
Bazin se sert un grand verre d'eau qu'il boit : glou glou glou. Et il reprend :
Chapitre 5 Fait comme un rat
Pendant ce temps, l'illustre Boniface Ryllas est Comte du Languedoc et, forcément, l'élite locale qu'il a détrôné lui fait des misères. Il sait qu'il n'en a plus pour très longtemps sur le trône. Parmis les réformes, il veut supprimer les traités de coopération judiciaire.
Toujours très au fait des lois, je tiens enfin le bon moment : je peux manipuler le procès.
Car voici mes certitudes :
- ce procès aura lieu un jour ou l'autre. Je ne veux pas rester éternellement à Genève.
- je suis persuadé qu'ils ont monté un dossier solide quite à faire des faux (ce qu'ils ont déjà fait) et qu'ils feront bien attention à respecter la procédure à la lettre.
- coupable sera la condamnation. Condamné, ma carrière politique est finie.
- seule la Cour d'Appel peut me laver de cette machination.
- si je peux contrôler le moment du procès et m'assurer qu'ils feront une erreur fatale sur la forme alors
. hé hé hé
J'ai le moment : en Languedoc à la chute de Ryllas. Et j'ai l'erreur fatale : l'inexistence du traité de 1453 en Bourgogne.
Gardez toujours en tête que j'étais loin de me douter que le dossier sera vide. Je pensais que je devrais me battre bec et ongles. Que seul un vicieux vice de forme me sauvera.
Si en Bourgogne le traité bilatéral de 1453 a été révoqué et remplacé par le traité multilateral Maathis ; en Languedoc, tout le monde ou presque pense qu'il en est de même chez eux. Or ce n'est pas le cas.
Ryllas a donc révoqué le traité Maathis et sa nouvelle version mais oublit - uh uh uh ! de révoquer celui de 1453. Sur ce, je rejoins le Languedoc. La duchesse de Bourgogne y vient secrètement ce qui conforte mes prévisions.
Ryllas est renversé par le Général Président Mazarin. Le Général Président Mazarin est renversé par les insurgés. Je suis mis en procès le jour même et condamné rapidement. Pour le Languedoc, il s'agissait de me rendre inéligible comme l'ensemble des loyalistes qui ont eu droit à des procès exprès : les élections n'attendent pas.
Fait comme un rat.
Rapide lampée à la fiole. Dépoussièrage des manches.
Chapitre 6 A l'orée du bois
Ah ah ah ! Bien sûr que non !
En révoquant le traité Maathis sans trop se préoccuper des formes il y avait deux cas possibles : soit ils utilisaient le non-respect de l'article 9 (sur les modalités de révocation) du traité Maathis. Soit ils utilisaient le traité de 1453.
Dans le premier cas, le serpent se mort la queue : s'ils arguent que l'article 9 doit être respecté alors ils auraient dû respecter le 6 (sur l'obligation d'un procès en gargote). Mais s'ils considèrent que l'article 6 est inapplicable dans les faits alors l'article 9 l'est aussi et donc la révocation valable. Sans compter que l'article 9 est illégal car il viole le droit supérieur et souverain du Comte comme nous l'avons vu dans les débats.
Dès lors, il suffisait de leur donner une porte de sortie en s'arrangeant pour que, un peu avant la révision du procès, messire Bentich apprenne que le traité de 1453 existe toujours en Languedoc.
Pensant me prendre au piège, il tombe dans le mien : les deux procureurs témoignent qu'ils ont en fait utilisé le traité de 1453 alors que celui-ci n'est plus valable en Bourgogne. Grave erreur
oh oh oh !
Dans le second cas, si par chance le procureur Bentich connaissait le traité de 1453 lors du prime procès, alors c'était le vice de procédure fatal : le traité n'est plus valable en Bourgogne.
Comme ils ont dû jubiler lors de ma mise en accusation. Comme ils ont dû attendre avec impatience le réquisitoire pour me renvoyer à la figure la non-révocation du traité Maathis. Comme Bentich a dû hurler de joie en pensant me tenir avec le traité de 1453.
Bazin se tourne alors vers messire Bentich et messire Antonio :
Mes bons amis, je vous avais dit que je vous attendais à l'orée du bois.
Vous avez cru pouvoir jouer avec la justice. Faire un procès fantoche et me condamner si facilement ? On ne bat pas les deux plus grands juristes du Royaume.
Bazin reprend alors à l'attention du public :
Cher public,
Voilà toute l'histoire. Mon seul regret fut ce procès bâclé et ce dossier vide. Echaffauder un si beau plan pour se voir confronté à ce misérable dossier : c'est trop facile, c'est trop insultant.
Une fois de plus, leur fanatisme et leur aveuglement m'ont mâché le travail. Ils ont tellement l'habitude de mentir qu'ils finissent par croire à leurs mensonges, de n'avoir aucuns opposants qui oublient d'être rigoureux, de jouer avec la justice qu'ils ne respectent plus les lois, de magouiller entre eux en toute impunité qu'ils croient que tout est permis et que personne ne s'y opposera.
Sans scrupules, pour eux la fin justifie les moyens. Ce sont ces gens-là qui vous dirigent !
Chers amis, ma carrière politique s'arrête aujourd'hui. Je prends une retraite définitive et me retire de toute vie publique.
Après la disparition récente de Boniface Ryllas et de Mazarin, avec mon départ, je ne crois pas qu'il reste en France ou ailleurs des hommes avec suffisamment de génie pour s'opposer à cette pourriture qui gangrène et ronge les Royaumes.
Comme mes illustres associés, comme tous ceux qui ont rejoins un jour la Fine Equipe, je finis par tirer ma révérence de dépit face à une lutte si inégale et sans espoir.
Bazin fait alors une large révérence à l'assemblée, les plumes de son chapeau caressant le sol : frout frout frout. Puis en se redressant il ajouta tout en dégainant d'on ne sait où une canne qui pose sur son épaule :
Quelqu'un pour une partie de croquet ?
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Berger du peuple