Des jours et des jours que la Bertille languissait son mari, accoudée au balcon de bois quand il faisait beau, ou derrière la fenêtre, embusquée sur un tabouret, à filer quelques mèches de laine sur son fuseau de bois.
D'ailleurs, une centaine de petites balles de laine jonchaient le sol, jetées au hasard, et roulant sans bruit quand les jupes lourdes de l'éplorée les bousculaient.
Outre l'absence de son légitime, la réputation de l'auberge la tracassait un rien. On la disait tenue par des fauves de Judée, ou quelque chose comme ça, elle n'avait pas bien compris. En tout cas, il semblait que l'affiche clouée à la porte interdise d'en avoir dans sa chambre. Bah déjà les chats, elle aimait pas ça, voleur et fripon!!! Ca vous fauchait le poisson et le lait!
Elle avait regardé en douce dans les autres chambres, et n'avait pas vu un chat, ni même un chaton! Alors rien de plus gros non plus. Déjà, elle voyait pas bien comment c'était gros, un
li-hon. Plus gros qu'une marmotte? Y'en avait peut-être gravés sur la façade de la cathédrale? Elle irait voir, pour se faire une idée...
Elle soliloquait:
Ah, mon tendr' Louis, si tu savions les dangers qu'j'endurions pour toué! Des li-hons qu'étions prêts à m'croquer dans eul croupion dès qu'j'sortions pour aller aux lieux d'aisance! Oui, m'sieur l'fourbe, "Au feu!!!" vot' zépouse l'étions seule en danger, pendant qu'vous faisions le héros à la guerre! "Au feu!"Et moi, j'pleurions pendant qu'y s'tapions les greluches eud Genève! J'allions quand même point aller t'chercher eud 'd'sus les champs eud bataille, non? Ou eud'dans les bouges eud'Ann'cy? "AU FEU!" Et en plus y'avions l'aut'andouille qui gueulions au feu d'puis tout à l'heure!!!! Noundidiou! y'avions eul feu??? Oh mon Louis, j'allions mourir sans toué!!
Elle enfourna dans ses vastes poches tous ses accessoires, et faisant tomber son tabouret, ramassa en vrac toutes ses pelotes de laines, qui retombaient mollement pour la plupart sur le sol, en un rebond faiblard. Ne voulant rien perdre elle s'agitait pour ne rien oublier, et fuir dans la minute vers le bord du lac. Elle envoya des coups de pied, ce faisant, dans plusieurs balles de laine filée qui s'éparpillèrent dans la chambre.. l'une d'elle frôla les tisons de la cheminée, commença à grésiller.
Une flammèche s'éleva, sauta sur une autre balle qui roulait vers l'âtre... Quand la Bertille affolée se retourna, un petit feu dansait sur les pelotes, dégageant une forte odeur de cheveux brûlé!
Hiiiiii, au feu!!!!
Elle s'enfuit dans le couloir, laissant le feu prendre sur le tapis de laine, dévala les escaliers en hurlant au feu, passa devant l'accorte avoyer en hurlant toujours, et s'enfuit vers le lac, s'époumonant en semant des balles de laine écrue derrière elle.......