C'en était peut-être fini pour cette boutique de macarons et pour ses propriétaires, mais il n'était pas question pour Gaspard Coulomb d'abandonner son échoppe à ces sacrées flammes ! Son échoppe, c'était sa vie, c'était son monde ; il l'avait payée à la sueur de son front et l'exploitait depuis vingt ans de la même manière. Lui, il était forgeron : ni la chaleur ni le feu ne l'apeuraient. Par ailleurs, il avait ces gros bras bruns et ces mains puissantes de l'illettré qui ne chôme pas à l'ouvrage, qui serviraient pour ce jour à porter des sauts d'eau, puisqu'il le fallait.
Gaspard arriva donc en face du feu - car ce n'était déjà plus une boutique -, armé de quatre sauts d'eau, qu'il déposa aux pieds d'un homme, qu'il n'était d'ailleurs pas le seul à approvisionner. Cet homme-là lançait le contenu des sauts sur l'extérieur des murs, imitant d'autres boutiquiers et paysans, et espérant comme eux que ces flammes menaçantes n'avalent point sa maison, deux portes plus loin.
Après une heure, le Coulomb transportait encore quatre à quatre ses sauts d'eau, les poumons gonflés par l'effort et la fumée, le front marqué de plis inquiets et couvert de sueur, les muscles bandés d'avoir autant couru, porté, rempli et lancé. De nature discrète, il écoutait les commandes de ceux qui se permettaient de commander, et s'activait sans relâche, encouragé par la centaine de ses voisins, clients et congénères qui se soumettaient eux aussi à cette lutte collective.
Une autre heure passa. Notre père de famille ne courait plus, à bout de souffle. Voyant que certains se trouvaient là depuis le début et s'entêtaient, hébétés, à zieuter le spectacle, il cria :
-Hé, mais ça vous dirait-y pas d'venir nous aider, sacrebleu !
Hommes, femmes et enfants du quartier s'en mêlaient désormais. Des fillettes couraient les rues pour chercher de l'aide dans le peu de maisons qui ne s'étaient pas encore vidées de leur famille. Les garçons, comme le fils Coulomb, transportaient les sauts un à un, participant comme ils le pouvaient. Les femmes, habituées aux tâches exigeantes de la ferme, des champs et du ménager, se joignaient à leur mari, forçant beaucoup, paniquant énormément. La femme Coulomb aidait aussi à ramener les blessés : les enfants qui toussaient trop, les hommes qui s'étaient brûlés, et ceux qui, de trop près, avaient reçu au visage des éclats de bois ou des tisons.
-La mère, r'emmène c'ui-là ! disait Gaspard lorsqu'il apercevait quelqu'un en détresse.
Et cela dura longtemps, trop longtemps, et les flammes causèrent autant de dommages aux hommes qu'aux bâtiments. Cet événement était un cauchemar, ouais ; c'était un drame pour tous, même si pas pour les mêmes raisons...