Lady n'avait pas besoin de voir l'océan déborder pour en sentir les embruns.
Leur sel lui pique le cur malgré tout à vif.
Les amarres étaient dénouées, prête à être larguées, la marée imminente. Trop tard pour ne serait-ce qu'envisager débarquer. Bien trop longtemps qu'elle avait mis le pied sur le pont. Elle avait déjà, à son âge, eu beaucoup de chance de rester sur le front aussi longtemps, surtout les armes à la main taillant dans le vif des troupes attaquant le Poitou. Elle avait tenté le diable, disons-le, et elle avait involontairement gagné.
Déjà tournée vers le large, un chemin dansant scintille jusqu'au Soleil. Nulle crainte à avoir: Lanterne levée, Aristote guide l'âme voyageuse.
Tout départ a son coût, et même pour le plus merveilleux des voyages, laisser en arrière les personnes les plus chères reste fort onéreux.
La plainte d'Oane berce la Mère d'un triste roulis...
Les rubis avaient remplacé les cerises aussi sûrement que l'enfance avait pris son envol. Qu'il avait été difficile d'accepter qu'elle grandisse. Quelle belle jeune femme elle était devenue... Lady n'avait jamais eu envie de lui lâcher la main. Mais il fallait bien.
"Si vous partez ...
...Pour que lastre radieux se remettre à luire ?"
... l'astre radieux ne cesse jamais de luire ma Fille. C'est là où je serai.
J'ai déjà ouvert mes bras il y a des années pour te laisser marcher dans la vie. Tu savais que je n'étais jamais loin pour t'aider si tu trébuchais.
J'ai déjà confié les rênes de ta vie quand tu as pris ton envol et choisi toi même ta voie. Tu l'arpentes brillamment et tu savais que mon oreille n'étais jamais loin.
J'ai déjà ouvert ma mémoire et ces souvenirs s'alignent en rangs de perles dans l'écrin de ton coeur: pare-t-en souvent pour qu'elles gardes l'éclat des miens.
J'ai déjà lâché ta main ma Chérie. Nul besoin de contact pour guider. Quand je ne serai plus à côté de toi, tourne ton visage dans un rayon de soleil, laisse sa chaleur réchauffer ton cur et songe. Songe à mon souvenir et ce que j'aurai fait ou pu dire pour toi, cela devrait suffire: je serai là.
Ma mort n'est qu'une étape de plus dans ta vie. L'ultime de la mienne. Nous savions toutes deux que chaque jour nous en rapprochait.
Il est temps maintenant. Tenter vainement de retarder l'inévitable ne ferait que rendre plus douloureux la séparation.
Et puis, songe que je vais sûrement retrouver nombre de personnes aimées: tu es bien placée pour savoir que l'on ne compte plus nos deuils. Le temps n'a plus cours là-bas, je n'aurai pas l'impression de t'attendre. Je sais que nous nous y retrouverons un jour, le plus tard possible, quand tu auras des cheveux plus argentés que les miens, des rangs de perles de souvenirs plus nombreux, une vie remplie, accomplie. Je suis si fière de toi. Je t'aime tant.
Va mon enfant, continue ton envol. Je ne serais jamais loin de ton coeur.
Je n'ai besoin que de me laisser voguer et dériver vers le Soleil.
J'y suis attendue. Je t'aime.
Se demande si, au final, le deuil ne se porte-il pas à vie? ...