Saens
Chambre mitée. Bien trop tard.
Brusquement il ouvrit les soucoupes claires qui lui faisaient office de quinquets. Demeura un moment immobile et s'étira méthodiquement ; à chaque réveil il retrouvait son corps dans une position impossible, quoique très esthétique, celle du juvénile patricien qui se serait assoupi dans un coin après un an de saturnales, goûtant par le rêve, nouvellement aguerri, à la chute de son innocence. C'était dramatiquement inconfortable. Sous le soleil plombé qui grevait la petite pièce, Saens se leva, attrapa le drap de tiretaine et s'en fit un pagne, par décence pour la rue passante. Jugeant que cela n'était pas suffisant, il ramassa le bout du drap qui trainait au sol et se construisit une toge de fortune, qu'il rabattit sur son épaule droite dans un geste théâtral. A présent il regardait les passants, crachait de sa gorge noire et de ses poumons secs la fumée âcre de feuilles bien mortes, depuis le temps, et chassait d'un geste rapide et sporadique le rideau de fumée qui lui brouillait la vue.
Revenons-en à son instant d'immobilité premier, avant cette débâcle latine et cette fumerie végétale, juste après qu'il eut ouvert ses yeux gris. Il avait noté avant le reste, que la brune était partie. Bon. Elle partait souvent. Il pouvait distinguer sans bouger, la forme froide de la trace qu'elle avait creusée dans le drap. En second lieu, il se sentit curieusement dispos, bien reposé, et remarqua la pièce était claire, comme en plein jour. Il avala sa salive : était-il bien naturel, ma foi, ce réveil diurne ? Hé quoi, les hommes se lèvent-ils à la lune maintenant ? Et depuis quand ? Ne pouvant que se ranger à cet argument imparable, il s'étira enfin, une impression bizarre, pellucide, calquée dans le cervelet. Gamineries avec un drap, pipe calée au bec, regard vers la rue.
C'est en apercevant un gaillard passer que le déclic - tardif - se fit. C'était une assez grande bête au nez camus et à la face acide et égrillarde, qui marchait normalement, qui tenait sa tête sous un chapeau normal, et qui, sûrement, allait aux champs. Aux champs. Au chant. Ô, champ... Ô ch'an ? Eau... cham. Chant d'eau, non, eau cham, eau grise, comme l'Indre, l'Indre aux champs, l'Indre, Indre, Berry, aux champs, Berry. Il blémit. Ô, Chambéry. Mâchonna un juron,
"Et merdre..."
Car la brune était à Chambéry et que lui, l'oublieux, le ronflant, qui avait voulu voyager seul, lui, le fainéant notoire, le fourbu des champs, le faux romain à la mine amorphe, ne s'était pas réveillé pour la suivre. Il releva un sourcil hautement contrarié. T'as l'air malin dans ta toge. Tout seul, tout con, devant ta fenêtre ensoleillée. Il abaissa la main et ramassa ses braies, pour en tirer ce qui lui restait de biens. Deux écus, un caillou et quelques deniers bien clinquants. Soupir.
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Brusquement il ouvrit les soucoupes claires qui lui faisaient office de quinquets. Demeura un moment immobile et s'étira méthodiquement ; à chaque réveil il retrouvait son corps dans une position impossible, quoique très esthétique, celle du juvénile patricien qui se serait assoupi dans un coin après un an de saturnales, goûtant par le rêve, nouvellement aguerri, à la chute de son innocence. C'était dramatiquement inconfortable. Sous le soleil plombé qui grevait la petite pièce, Saens se leva, attrapa le drap de tiretaine et s'en fit un pagne, par décence pour la rue passante. Jugeant que cela n'était pas suffisant, il ramassa le bout du drap qui trainait au sol et se construisit une toge de fortune, qu'il rabattit sur son épaule droite dans un geste théâtral. A présent il regardait les passants, crachait de sa gorge noire et de ses poumons secs la fumée âcre de feuilles bien mortes, depuis le temps, et chassait d'un geste rapide et sporadique le rideau de fumée qui lui brouillait la vue.
Revenons-en à son instant d'immobilité premier, avant cette débâcle latine et cette fumerie végétale, juste après qu'il eut ouvert ses yeux gris. Il avait noté avant le reste, que la brune était partie. Bon. Elle partait souvent. Il pouvait distinguer sans bouger, la forme froide de la trace qu'elle avait creusée dans le drap. En second lieu, il se sentit curieusement dispos, bien reposé, et remarqua la pièce était claire, comme en plein jour. Il avala sa salive : était-il bien naturel, ma foi, ce réveil diurne ? Hé quoi, les hommes se lèvent-ils à la lune maintenant ? Et depuis quand ? Ne pouvant que se ranger à cet argument imparable, il s'étira enfin, une impression bizarre, pellucide, calquée dans le cervelet. Gamineries avec un drap, pipe calée au bec, regard vers la rue.
C'est en apercevant un gaillard passer que le déclic - tardif - se fit. C'était une assez grande bête au nez camus et à la face acide et égrillarde, qui marchait normalement, qui tenait sa tête sous un chapeau normal, et qui, sûrement, allait aux champs. Aux champs. Au chant. Ô, champ... Ô ch'an ? Eau... cham. Chant d'eau, non, eau cham, eau grise, comme l'Indre, l'Indre aux champs, l'Indre, Indre, Berry, aux champs, Berry. Il blémit. Ô, Chambéry. Mâchonna un juron,
"Et merdre..."
Car la brune était à Chambéry et que lui, l'oublieux, le ronflant, qui avait voulu voyager seul, lui, le fainéant notoire, le fourbu des champs, le faux romain à la mine amorphe, ne s'était pas réveillé pour la suivre. Il releva un sourcil hautement contrarié. T'as l'air malin dans ta toge. Tout seul, tout con, devant ta fenêtre ensoleillée. Il abaissa la main et ramassa ses braies, pour en tirer ce qui lui restait de biens. Deux écus, un caillou et quelques deniers bien clinquants. Soupir.
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