Afficher le menu
Information and comments (14)
<<   <   1, 2, 3, 4   >   >>

[RP] Kiss kiss bang bang

Blanche_
    "- Chaque minute, 4 personnes meurent de la Tuberculose.
    - Euh, la vache et vous arrivez à dormir la nuit ?!
    - Ces personnes meurent en Afrique d’une maladie que nous savons soigner depuis...
    - Ah oui je sais, j’ai vu le concert. Nan mais sérieusement, si on compte 6h de sommeil toutes les nuits vous tuez euh... 1440 personnes. ’Faut bien que vous dormiez un peu mais bon en restant debout encore 10 minutes vous en sauveriez 40. Vous envoyer des lettres aux familles le matin ? Ça doit bien vous prendre 10 minutes ça fait encore 40 morts et 40 lettres... Pourquoi n’iriez vous pas ruminer tous ça dans votre chambre ?"

House, MD.

- Oh mon Dieuuuu ! se mit-elle à pleurer, en enfouissant son visage dans un coussin. Serais-je à ce point misérââble ?
Le bébé, loin de comprendre la situation, avait pris son gros orteils, qu'il léchait d'un air avide.
Le fait qu'il était extraordinairement souple ne parut pas surprendre sa mère, qui gardait une main protectrice et négligente sur le ventre rond.
On avait brodé les armes de Pannecé dessus ; un peu comme un hommage, surtout comme un souvenir.
N'avait-il pas failli y naître ?


- Dieu, miséricordieux, aide moi.
Elle avait, instinctivement, commencé à supplier en breton.
Comme un retour aux origines. Elle était à nouveau la petite fille de Roc'han, qui à ses ducaux de parents était la préférée, la douce, la gentille. Elle était aussi fragile qu'en ce temps, et le regard rétrospectif qu'elle avait sur elle faisait qu'elle se trouvait méprisable.

Comme si Chlodwig, de concert avec Aimbaud, avait participé à l'anéantissement de l'ancienne princesse. De son trône, l'un l'avait tirée, frappée, et déshonorée, mais il restait quelque chose, qu'il n'avait pas pu, ni par ruse, ni par amour, ni par la force et le sang, lui enlever.
C'était cette chose qui l'avait aidé à survivre. A affronter la paisible obtempérance de Riwan Nathan de Brocéliande au viol silencieux de l'une de ses égales.
A soutenir le regard quand dans la société, les yeux indiscrets lorgnaient vers ses plaies restantes.
A prétendre rire, quand le coeur se serrait.
Cette chose, au final, la chose la plus importante au monde ! Il n'avait pas pu lui arracher.
Bien sûr, il avait tiré. Essayé, comme tous les autres. Il est une évidence, quand on obtient ce que l'on veut par la force, c'est de se rendre compte de la bassesse des cadeaux que l'on gagne.
Que vaut un baiser, si l'on a dû mordre les lèvres pour qu'elles vous l'offrent ?
A quoi bon serrer un corps chaud contre le sien, si le visage en haut, larmoie de s'y trouver ? A quoi bon que les cuisses s'écartent, si c'est sous la pression violente et résignée de deux mains barbares ?
Alors oui, il avait essayé.
Et il avait échoué.


Il lui avait ôté son orgueil, sa prestance, sa beauté et sa jeunesse.
La délicatesse de sa peau, l'éclat de son regard, la naïveté de son esprit, et la pureté de son corps.
Mais il restait une chose, encore ! Une chose, qui valait plus que tout au monde, et qu'elle défendait bec et ongles, griffes sorties, dents prêtes à lui mordre les muscles, elle la défendait, la protégeait, pour qu'en son être elle réside, parce que finalement, cette chose, valait plus que son honneur, son élégance, sa réputation, ou même... sa vie.
Il l'embrassait, souillait ses lèvres de bave et de sang. Elle lui crachait au visage.
Il avait ouvert les bras, pétri les formes, écrasé ses hanches contre les siennes. Mais aucun geste, quel qu'il soit, même lorsqu'il retombait fourbu, au milieu d'un désastre de chair et de sueur, aucun n'avait conduit à ce qu'elle ressentît pour lui autre chose que du dégoût.


C'était pitié de voir que ce qu'elle avait gardé hors de portée du plus grand sadique du siècle, elle venait de se le faire voler par un enfant.
_________________
Aimbaud
M... meeerde. M'erde m'erde m'erde. Ça va pas, c'est pas bon. Je le sens pas ce coup-là...!

Le parquet grince sous le poids de cent pas qui dessinent parterre des cercles concentriques. La démarche est nerveuse, les yeux-arbalète, la mâchoires crispées. Brusquement, le métisse braque un index dans le vide, coupant l'air d'un geste franc et bref :

D'un ! Elle est BRETONNE ! Bretonne. Pas plus BRETONNE qu'elle. Bouh, vilain ! Hérétique ! Folle-dingue druidiste qui sacrifie des licornes en dansant à poil dans la forêt sur des dolmens ! Anti-royaliiiiiste. Traître à la couronne ! Duché assassin de françoys !

Il braillait tout seul, car oui Aimbaud de Josselinière avait pour habitude d'énoncer ses idées à haute-voix. Et pour appuyer ses dires cette-fois, il ponctuait ses fins de phrase en balançant ses vieilles figurines de collection "Chevalier-du-Chaos" en travers de la pièce. Vieilles certes, mais toujours de collection, peintes à la main par les prisonniers des geôles du Château d'Anjou, il y en avait pour une somme faramineuse d'écus ! Mais enfin il avait passé l'âge de jouer à ces trucs abrutissants... Il n'était plus un môme, fait chier ! Les cartes "Pouvoirs des Templiers" volèrent aussi dans la pièce. Et une édition des bandes-enluminées du "Petit Féodal" fut violemment catapulté contre un chandelier.

De deux ! Elle est dame de condition... De condition, Sang d'Ari ! POURQUOI j'ai pas envie d'une PUTAIN de ribaude comme TOUT LE MONDE.

Et un coup de pied qui fauche le porte-tisonnier au pied de sa cheminée, qui se renverse dans un tintamarre de ferraille. Il se met alors à marcher plus calmement, non moins tendu mais défoulé, au beau milieu du désordre qu'il a commis. Quelques minutes passent tandis qu'il déambule, paumé et pensif, avant qu'il ne reprenne, à demie-voix :

Eh puis diable... La différence d'âge, de culture !... C'est une amie. Une simple entente cordiale... D'esprit. Uniquement... d'esprit...! Amie.

Enfin bon, des amies comme elle, il en avait pas des masses...
_________________
Blanche_
BOUM !
Les talons claquèrent contre le mur. Allongée, jambes en l'air, sur le lit tout défait, Blanche avait enlevé ses bas, et regardait avec un intérêt spécial ses orteils qui scandaient un couplet inconnu.
Son fils à son coté, dans la même position, avait fini de pleurer pour la regarder, de ses grands yeux qui voyaient enfin, et partageait avec sa mère l'un de leurs derniers moments. Il toussa, lorsque la mèche de cheveux blonds, qu'il lui avait volée, se trouva à descendre trop loin dans sa gorge.
Blanche rit, replaça derrière son oreille des cheveux chauds et humides, et retourna son regard face à elle, sur le mur de bois peint, où ses pieds blancs contrastaient avec audace.
Le premier orteil bougea. Elle le fixait avec intensité ; persuadée qu'elle n'avait pas induit le mouvement par sa simple pensée.
C'était la gravité, les astres, les Dieux peut être -quoique ce mouvement n'avait en lui même, pas de grande répercutions sur le déroulement de la vie- qui avaient fait bouger les muscles de son petit orteil.
Un autre bougea. Puis un autre. Le rythme venait.
Po-poum. Po-poump. Po-poum. Po-poum...

Words...
Elle entendait l'air dans sa tête. Elle sourit.
C'était une belle chanson.
Don't come easy, to me...
Po-poum. Po-poump. Po-poum. Po-poum... Et ses pieds, sans se taire, continuaient à taper contre le mur. De plus en plus vite, de plus en plus fort.
Les larmes avaient séché, le sourire était revenu. Po-poum. Po-poump. Po-poum. Po-poum... How could I find a way, to make you see...?

Oh !
Le silence se fit.
Elle passa une main sèche sur sa joue, et pressa un doigt sur l'autre pour tâter de l'indécise humidité, salée un peu, qui avait fichu le camp. Thibaut Chlodwig, tout près d'elle, se mit à sucer son pouce, reprenant plus lentement, une litanie de battements qui semblait, en écho ralenti, semblable à celui de sa mère.
...To make you see...
L'enfant ouvrit brutalement les yeux.
...I love you ?
Il sourit.

Faisant volte-face, sa mère -mais pouvait-on réellement dire de cette gamine en chemise, qui riait aussi vite qu'elle pleurait, qu'elle avait quelque chose de maternel ?-, donc, sa mère, sa créatrice, sa désirée blonde et bretonne, se laissa glisser hors du lit, pour revêtir en grande hâte peignoir et se brosser les cheveux.
It's a little bit funny...

Elle partit dans un grand éclat de rire. Redressant le nez, fière et droite, elle ajustait dans un chignon très imparfait, la masse imposante de ses cheveux longs. Funny, oui, funny, a little bit !
This feeling inside...
Tu sens quoi Blanche ?
Si elle avait l'audace de répondre à cet accès de conscience, elle dirait : rien. La plénitude, le néant, la totale disparition de tristesse, le courage à nouveau, l'illusion...

But my words are calling out longer !
...de pouvoir se mentir à elle-même.

_________________
Aimbaud
Il s'est laissé tomber dans un fauteuil, avachit comme une loque, et contemple un détail sans intérêt d'une tapisserie, l'endroit exact où un chevreuil sautillant lève une patte au dessus d'un buisson bien ordonné, tressé d'un fil de laine usé par les générations corbignyesques. Il ne voit ni le chevreuil, ni le crin de la tapisserie, ni la trace de ses aïeux que tout cela incarne, car en vérité il pointe les yeux vers une image plus lointaine : là, dans le vague.

Il devient décidément un homme ce petit. Il est là à méditer stoïquement, dans une posture exactement pareille à celle de son père dans les moments de souci. Ne manque en somme qu'un étoffement des épaules, et une barbe noire cérémonieusement taillée à ses bajoues. Mais quand le Duc de Corbigny se noie dans des idées profondes sur le sens de la vie y-ci bas, son diable de fils lui, vautre sa jeunesse dans la pensée d'une femme.

Rien de bien honorable, et c'est justement la conclusion à laquelle il parvient... Pas - honorable - du - tout.

Être Grand Écuyer Tranchant, ça c'est honorable. Être la "Voix" du duc en lui portant-parole auprès du peuple, ça c'est TRÈS honorable. Jouter, combattre, tailler du brigand, étudier, prier, servir : honorable, honorable, honorable ! Fricoter avec Blanche de Walsh-Serrant ? PAS HONORABLE. Se la remémorer légèrement vêtue... TUT ! TSSss ! Pchut ! Pas honorable. Juste une épaule... RAH. Un tétin. AH ! Une cuisse....! HUMPFhgzuigrmbl... Mais qu'est-ce qui lui arrive, au nom d'Aristote et de sa tripotée de Saints ?

D'un coup, il saute de son siège et empoigne sa cape. Rien à fout'... Il faut qu'il la voie. Nerveux comme jamais, surexcité, courant plus qu'il ne marche, sautant plus qu'il ne court, il s'élance hors de sa chambre comme une tempête.

À bat la raison. Au diable ce qui est sage. Il a soif d'elle. La voir ! S'en rassasier. Il compte tout saccager, tout abattre sur son chemin. L'attraper, l'aduler. Lui dire. S'en repaître. Délourdir ce qui lui tient à coeur. Cracher le morceau. La broyer de ses bras. Elle a touché dans le mille. Énervé, attisé, un peu fou. Rien n'arrête un Corbigny qui charge. Il court, il dévale, il enfourche, il galope.

Les remparts cèdent. Gagné ! Il va faire preuve de tendresse.

_________________
Blanche_
    Fragment III


- Je ne suis pas très religion, murmure t'elle piteusement, en redressant un nez tâché de roux vers sa condescendante domestique.
C'était dit de la même façon que "Je n'aime pas tellement les légumes verts", et la phrase logique qui aurait pu suivre, sur le même ton, aurait été "Donnez-moi plutôt un morceau de cet auteur parisien, là, celui au goût si épicé...".
Mais Camille claqua les ouvrages adultes, et apposa une main douce -quoiqu'autoritaire- sur le missel à la reliure noire.


- C'est de là que vient le salut.
Dépitée, et de ses doigts froids, l'enfante ouvrit. Il crissa, et dégagea une telle odeur de vieillesse et d'ennui, qu'elle faillit tousser.
La première page disait l'exact contraire.
Credo in unum Deum.
Peuh ! aurait-elle voulu répondre. Un seul Dieu, la belle affaire ! Moi aussi. L'ennui, c'est que ce n'est pas le même...
Heum.
Elle entreprit de déchiffrer la première enluminure.
On y voyait un moine occupé à son pupitre, mais l'artiste avait voulu présenter l'homme, son crâne tondu, une auréole haut-perchée, et tous ses petits outils de calligraphie sur la table de bois noir. Si bien que le pauvre bonze, tiraillé dans une position d'équilibriste, faisait peine à voir.

- Fort bien, Camille. Je lirai un chapitre de votre Évangile, si vous acceptez que je m'exerce avec celui-ci, dit-elle en tendant le doigt vers un paquet plus simple, aux coins cornés, qui venait de chez elle. Il dégageait une odeur surnaturelle, due sans doute, à l'excitation qui avait passé ses yeux une fois l'ouvrage supplié.
La "chambre des dames" n'avait pas toutes les qualités exigées à sa présence dans un appartement de jeune fille ; moins encore, si elle était de prude, et bien élevée.


Voyant que Camille lui interdisait l'accès au précieux roman, elle en prit un autre, posé plus loin, et l'ouvrit en son centre, citant à haute voix, bien fort, ce qui semblait comme la parfaite écriture de ses pensées impies.
- Pendant que j'oeuvrais pieusement à mes devoirs, les démons de l'enfer hurlaient en moi !
- Par tous les Saints ! Madame ! Ne hurlez pas ce genre de propos ! Si quelqu'un vous entendait ?!


La porte s'ouvrit, sur un valet au visage fermé, qui annonça un invité ; ne précisant pas, du reste, qui il était.
Et, alors que Blanche voulu continuer à lire, sachant qu'un passage fort intéressant se trouvait plus loin, narrant, par exemple, la découverte de l'anatomie, Camille lui arracha proprement sa source de science, qu'elle cacha sans trembler dans les poches de son tablier.
Le missel, éternellement ouvert, traînait sur les genoux de Blanche ; et il y devrait, au regard lancé par la suivante, y rester plus longtemps. Il ne serait pas question de Florie, ou de Guillaume, de meurtres d'enfants, d'adultère ou de mère amoureuse avant la nuit*.
Ruminant sa trahison, Blanche gardait les yeux fixés sur le saint écrit, alors que l'invité entra : elle avait les yeux plissés à déchiffrer le latin, qu'elle trouvait détestable, et surtout cette absence de talent pour narrer les histoires... Quoique, l'Ancien Testament contait des découpages d'enfants, et des adultères tout aussi charmants.


- Aimbaud de Josselinière !

Elle avait pourtant posé un masque d'indifférence.
Avec grand effort, même, une capacité à rester stoïque à l'énonciation de son nom. Orgueil en avant, préjugés de surcroît, elle était si fière qu'il était plus impossible de l'aimer.
Mais quand il entra, le bruit de lui, de sa respiration et de ses pas achevèrent de tout faire basculer.
La fierté, les préjugés, les efforts et l'orgueil. Tout chavira.

Missel en premier.


[J. Bourin, Très sage Héloïse ; * Personnages de La chambre des dames]
_________________
Aimbaud
Premier commandement : Tu feras preuve d'initiative.

Il passe le pas de la porte et pénètre — tel le loup — dans la vaste chambre — bergerie — qui renferme la Blanche — agnelle. L'arrivée est brusque, il balaye un coup de vent qui charrie la poussière rapportée de la route. D'ailleurs à chaque pas, il se défarine un peu plus sur les tapis, et le sillon qu'il trace se dirige sans détour jusqu'au prie-Dieu breton. Et là, hardi, sans façons, rude de timidité, maladroit d'empressement, roide comme le fer, bête somme toute... Il fait fit des convenances et prend brusquement la pieuse Blanche de Walsh-Serrant dans ses bras.

Second commandement : Tu ne resteras point muet face aux situations inextricables.

Ne nous voilons pas la face, si Aimbaud de Josselinière agit aussi mécaniquement, c'est qu'il se fait violence pour aller à l'encontre d'un sentiment tout naturel quand on se jette tête la première dans l'inconnu : la frousse. Il pétoche sévère, il a un trac à se décomposer sur place, le coeur lui frappe à grands coups dans le plastron et la gorge, l'ensemble de ses muscles est tant crispés qu'il peine même à desserrer les dents pour prononcer les civilités d'usage :


BONJOUR !

Troisième commandement : Tu ne diras point de mot foireux.

Pourtant, il va bien falloir finir par desserrer ses bras autour du corps breton. C'est fragile ces choses-là, ça se brise d'un rien ! Mais le pauvre Métisse n'y connaît goutte, lui. Il l'étouffe sûrement sous l'effet de l'angoisse... C'est ça, de vouloir brûler les étapes, quant on a un quotient émotionnel à ménager !

En vérité, il s'accroche à elle comme un noyé à une branche salvatrice. Il vient de sauter à l'eau, et elle est vachement froide...! Aaaallez, faut apprendre à nager maintenant...

Se dé-ten-dre.
Être léger.
À l'aise dans ce nouvel environnement... Tout est naturel, tout est au poil. C'est pas si grave de franchir les convenances, de passer outre la ligne limite de la bienséance... C'est comme de mettre les pieds sur la table à une réception mondaine, sauf que là c'est avec une... FEÛME. Calme, calme... On desserre doucement les bras. À l'aise, Blaise. Il la relâche très progressivement tout en activant tant bien que mal sa pomme d'Adam pour déglutir. Oh diable, il ne s'était plus senti aussi stressé depuis le soir de sa première chute de dent-de-lait, où son cousin lui avait conté l'histoire de la Sorcière Qui-Bouffe-Le-Foie.

Malgré tout, il joue de tous les subterfuges pour sembler maître-de-lui, et paraître... immensément zen. Coule. Tranquille la vie, si si gros. Enfin, il espère faire illusion quoi...


... Ça VA ?

Elle opine faiblement.
Il y a un truc qui cloche. Là c'est sûr, elle n'est pas heureuse de le voir. Il s'est complètement monté le chou. Il vient de faire la plus grosse bourde de sa courte vie. C'est la risée, la débâcle, la honte. Il faut qu'il aille tout de suite se terrer dans un endroit reculé, un petit cabanon de vagabond dans une région reculée du Royaume, il s'y nourrira de baies, il ramassera les lapins au collet, et il priera avec ferveur pour oublier cet abominable moment de solitude, le plus cuisant de gêne qui soit ! Enfin ça c'est ce qui lui passe par la tête, le temps d'un éclair.

Au même moment, il recule d'un pas. Très rouge.

_________________
Blanche_
Le truc qui cloche, c'est la cage thoracique de Blanche, coincée contre cet amas langui de muscles et de poumons masculins.
Blanche avait, à l'évidence, sous-estimé les performances physiques d'Aimbaud. Ce qu'elle regrettait, à peine, souffle coupé à humer le délicat parfum de son cou.

Pensait-elle encore, qu'elle méritait un courroux céleste affreux, si Dieu arrivait à savoir, qu'elle nourrissait à l'égard d'un enfant des sentiments mêlés d'amitié, et d'autre chose ?
Elle n'y pensait plus.
Et aux Enfers ? Aux rumeurs ? Aux incompatibilités culturelles, politiques ? Au scandale ?
A rien. Elle ne pensait à rien d'autre que lui, cet instant, cette incroyable bulle où on univers entier s'écroulait, et où, de part ses bras autour d'elle, il reconstruisait tout.
Que le ciel lui tombe sur la tête ? Les rumeurs, les horreurs, la mort ?
Il n'aurait plus qu'à lui ouvrir ses bras, et elle serait sauvée.

Elle soupira.
Hum...
Attendez.
Blanche, dans les bras d'Aimbaud ? C'était... Elle essaya de se dégager.
Mayday, Mayday ! Aimbaud, j'ai mal, fais gaffe, c'est... Outch ! C'était une épaule.
Et ça, cette chose ronde et fort agréable au toucher, c'est pour mon fiiii. Ah. Non, tant que tu touches pas, ça me... PUTAIN ! Lâche moi, je me sens toute bizarre ! T'es qu'un gamin, je-devrais-pas-ressentir-ça...

Elle donna un deuxième coup de coude.
Aucune réponse.
Le soupir se perdit alors dans les cheveux bruns. Et elle s'étonna, à passer de l'agacement à l'envie, de la froideur au désir.
Elle aurait pu léguer sa fortune pour laisser courir ses doigts au duvet sombre de sa nuque...

Mais il la lâcha. Et, soudain très en colère, mais pour une autre raison, elle aurait voulu, été capable même ! Que de se jeter sur lui, mettre à mal ses vêtements, arracher la chemise, ligoter les bras en lui ôtant les manches, pour, enfin, laisser glisser sa peau sur sa peau, ses lèvres sur ses lèvres, et tout ce qui en elle à l'instant, criait de le rejoindre.
Et, s'il ne l'avait pas regardé avec cet air à ce point triste, et déconfis, elle l'aurait mordu jusqu'au sang.
Qu'il souffre, comme elle elle souffrait.


Extrêmement bien, souffla-t'elle.
Elle avait les joues rouges, le souffle court. L'ivresse de son parfum autour d'elle, l'empêchait d'avoir les pensées bien agencées.
Elle trembla. C'était l'expiration, dans sa gorge, qui alors qu'elle avait peur la faisait tressaillir...

Dieu, supplia t'elle. Je veux mourir !

_________________
Aimbaud
Les yeux breton en amande sont braqués sur lui, dans une mimique de biche effrayée, tandis que l'ivoire de ses joues passe au rouge vif. Oh le con ! Il a du la choquer, il l'a presque violée, elle est humiliée sans nul doute. C'est allé beaucoup, beaucoup trop loin. Enfin quoi ! Qu'est-ce qui lui est passé par la tête...! Saisir une femme à bras-le-corps, brusquement de la sorte, mais... mais meeerde ! C'est dans les enluminures de super-héraults ça !... Meeerde ! Le taré, le boulet...! La honte.

Je suis désolé, j...! je...

Tu ne te déroberas point par quelque habile pirouette.

Jeee...

Il...? Il recule d'un pas vers la sortie, cette porte salvatrice qui l'appelle de toute la force de ses linteaux. Elle est là derrière elle, ouverte, aérée, elle dit "Viens mon ami, cours vers moi ! Sens ce vent de liberté... Prends-moi !". Mais... Non inutile de chercher une excuse bidon. Les portes ne parlent pas.
Il reste donc planté en terre, bien que c'est loin d'être de la terre qu'il sent sous ses bottes... Ça serait plutôt des sables-mouvants que ça ne l'étonnerait pas. Y'a de la houle, ça vrombit au rythme de son palpitant qui remonte jusqu'à sa glotte. Froid. Vomir. Faiblesse.


Je venais...

Il venait en conquérant, il se retrouve malade de gêne. Allez trêve d'atermoiements ! Il venait pour elle, LA femme, l'Hermine Bretonne, la Terrible, la BB Blonde, la Môme Walsh, le canon de beauté du siècle. Elle est là, et elle attend qu'il ouvre le bec pour en sortir quelque chose qui véhicule du sens, disons par exemple : des mots. Il prend donc son courage à deux mains, deux mains qui lui saisissent la tête, tête qu'il tente de garder froide, froide comme les gouttes qui perlent entre ses omoplates, plate qu'est sa verve (vous l'aurez compris). Bon Dieu qu'il lui est malaisé de déballer ce qui lui pèse au fond des entrailles...!

... V... vous dire qu... euh...

Conter fleurette à une femme est vraisemblablement, le combat le plus ardu qu'il lui a été donné de mener jusqu'alors. Pourtant il a quand même vu du sang couler, ce petit, entre la Guerre Sainte d'Anjou et ses mois de service dans l'armée de Bourgogne. Mais c'est mille fois plus désarçonnant d'être là face à ce bout de femme qui l'observe visiblement pendue à ses lèvres dans l'attente d'une explication valable qui l'aurait conduit à l'enlacer. Elle. Là. Toute ornementée de ses rubanteries et brodailles qui mettent l'encart de sa poitrine en valeur, toute munie de ces chapelets de perles qui se soulèvent à chacune de ses inspirations affolées, toute en peau de pèche fleurée d'eau de parfum, toute elle, toute mieux, toute là...!

.. je...

Elle. Mordre. Belle. Tiède. Cajoler.

... vous... vous euh... t... Trouve sublime. J'ai... Je suis parti hier en fait, donc, euh, parce qu'il se trouve que, à dire vrai, voilà, vous... Vous... êtes belle. Non, pire. C'est que... Non mais, vous me rendez fou Blanche. V... vous êtes TRÈS belle. À un point... que... j'ai pas la manière hein, pour ces choses-là, moi. C'est... Bon. On se doute bien qu... Je euh, mérite pas de... Enfin ! J'ai aucun droit de... De vous parler d... de la sorte, quoi ! Euh, dans ma tête c'était... mieux... Mieux tourné, je veux dire. J'ai pas... C'est tout ça, tout ça...! Là. Tout ça... Hem, ça me... Ça me... hem !

Le reste est coupé bref alors qu'il expire et cesse brusquement de s'agiter en la fuyant du regard. Au fil du discours, il s'est déplacé avec d'infimes pas jusqu'au palier de la chambre, sur lequel il se tient à présent, paré au départ pour une course effrénée. Il ne manque que l'impulsion subite, la petite décharge du grand fuyard, le point ultime de non-retour, et il va mettre les bouts avant qu'on ai pu dire "pouêt". Partiiiiir un jouuuur, sans retouuur... Décidément cette porte et lui, entretiennent des rapports louches...
_________________
Blanche_
Ovales. Ronds. Écarquillés.
Pâle. Blême. Blafarde. Livide. Puis rouge pivoine. Et, si chaude, que son col la serre atrocement.
Les yeux et les joues bretonnes s'amusent à un Carnaval étonnant.
C'est peu ordinaire.
Surtout, pour une femme, qui, l'hiver dernier, avait convoqué au froid de Pannecé des hommes d'Eglise si dévots, qu'elle leur avait ordonné de rester pour apprendre par coeur leurs boniments.
Elle avait appris d'eux leurs louanges au Seigneur, la beauté de ne parler pour rien dire, et les façons qu'il y avait de camoufler sous de savants langages, et savantes expressions, les démons d'un coeur obscur.
Surtout pour une princesse, qui avait vécu des années au sein d'une cour de barbares et de sangs chauds, de qui l'on attendait qu'une seule chose : se taire.
Elle avait appris de ce silence à écouter les conversations, et les conversions d'opinion. A déceler les fratries, les unions, les adultères, les trahisons, les fusains de soie et de sang, les pieds sous les tables, les baisers sous les porches, les coeurs sous les corsets.
C'était une poupée savante ; mais de savoir elle n'avait plus besoin, lorsqu'elle écoutait le discours si pur d'Aimbaud de Josselinère.


- Je...
Des décennies de servitude et d'obéissance, avaient fait d'elle une caricature grossière des filles de bonne famille.
M'est-il honnête ? criait une voix intérieure. Puis-je croire à ce qu'il me dit ?
Ce ne sont que de viles paroles ! hurlait une autre. Châtie.
Mais les décennies, si fortes et présentes soient-elles, ne pouvaient plus rien contre ce qui était apparu, à intervalle soudain, en brutal éclair dans son esprit.

- Je...
Il est honnête.
Qui aime bien, châtie... Je châtie. J'aime. Je châtie. J'aime trop ! Je ne châtie plus assez...
Elle mourrait d'envie de le serrer contre elle.


- Aimbaud, restez, je vous en prie.
Elle dodelina de la tête, souffrant de la vision de cette porte prête à s'ouvrir. Du reste, elle souffrait réellement, mais aurait bien été incapable de dire d'où elle venait, cette douleur.
La localisation, inexpliquée, tendait à rendre cela fabuleux.
C'était comme si elle se trouvait au bord d'un gouffre, prête à s'envoler. D'aucuns auraient cru qu'elle pouvait y rebondir, ne pas se laisser choir, mais l'apesanteur était si attirante, qu'elle y aurait sauté pieds joints.
La tête, enfin, reprenant ses petits mouvements incertains, finit par s'arrêter. Les yeux fixant ses bouts de pied.
Dans sa tête, les mots se mélangeaient, perdaient leur sens. La prophétie devint nouvelle.
Qui aime bien, châtie bien.
Qui aime, châtie.
Qui aime se châtie.


- Aimbaud...
Ô, deux syllabes !
Oh...
Un, Oh... Aim-baud... Dans mes bras, contre moi, viens-ici, mon enfant, mon fils, mon frère, mon père !
Son coeur s'ouvrait si grand, que les bras lui en tombèrent. Il était là, le gouffre. Entre deux cotes, à se vider de son sang, à battre, à presque s'arrêter... Oh !
Mon ami. Aimbaud. Viens, comme je te veux ! Ne le sens tu pas, comme je te veux ? A ma gorge sèche, mes cheveux défaits, ma taille serrée, mon être entier t'ordonne, et tu ne vois pas ?
Mon ami.
Mon frère.
Mon amant.
Le gouffre lui faisait atrocement mal ; elle chavira. Perdit son regard, en une fraction de seconde, pour se laisser retomber dans le grand fauteuil derrière elle.

Elle voulut balbutier quelque chose, sans doute une juste réponse à sa si délicate et maladroite annonce, mais elle n'avait pas assez de vocabulaire pour que les mots sonnent justes.
Et, la seule chose alors qu'elle trouvât à dire, c'était en langue celte, un mot qu'autrefois elle avait utilisé pour le railler et médire, un mot hautain et vulgaire, d'un peuple qui haïssait l'autre.
D'un murmure à peine audible, il s'échappa.
C'était une trêve amoureuse de la Bretagne à son assaillant.


- Muo Sassenach...!
_________________
Aimbaud
Blanche est la bretonne. Mais à l'annonce que le jeune Josselinière lui fait, force est de constater qu'elle vire à des teintes qui feraient paraître le lait foncé. Puis soudainement le sang afflue comme une nuée de poudre à ses joues, la voilà maquillée d'émotion, parée pour incarner Colombine au Carnaval des rues.
Pantelant, l'autre observe la métamorphose et la chute qui s'en suit. Il voit ses escarpins échapper au plancher, et tout son corps vaciller sans lui laisser le temps de se précipiter pour amortir sa dégringolade. Un fauteuil s'en charge, heureusement.

Elle ne s'est pas rompu le cou, et lui, il a amorcé un faux-départ bien inutile.

Qui eut cru qu'un jour, Aimbaud de Josselinière ferait s'évanouir une femme ? Pas lui du moins : lui auriez-vous émit cette hypothèse qu'il vous aurait sans doute tendu un croche-patte en fulminant "AH .. AH .. AH. Mort de rire : l'eaule. Dégage avant que j'appelle la garde.". Comme quoi ! À croire que le destin, ce petit farceur, a fait l'école du rire.

Mais l'heure n'était pas à se fendre la poire, là. La pauvre Blanche gisait sans force sur le velours côtelé, s'agitant mollement au fil de ses souffles trop brefs, laissant s'échapper un murmure semblable à une plainte, loin d'être en bonne grammaire françoyse...
Le Josselinière fut frappé du souvenir d'un quart d'heure de chasse sur son domaine, où il avait percé le flanc d'une biche d'un carreau d'arbalète. La panne claire — faisons fi du sang qui s'en jetait — tressaillait dans les tâches du sous-bois. Ses yeux aboyaient de frayeur, mais tout de même ils priaient, attentifs et résignés, presque tendres, pour s'ouvrir au coup de grâce. Et c'est le genou en terre qu'il le lui avait donné, fouissant l'épée dans sa poitrine.

Il faudrait être une bête pour laisser souffrir d'aussi belles créatures.

Ébranlé de façon peu commune, le Métisse voudrait bien se taper la tête contre un mur, tant il culpabilise : d'une, d'avoir provoqué une dangereuse chute de tension chez Blanche de Walsh-Serrant ; de deux, d'avoir fatalement trucidé une amitié franco-bretonne qui lui tenait à coeur ; de trois, de n'être pas capable de rembobiner la bande magnétique du temps jusqu'à son entrée fatidique dans la chambre, ou mieux : jusqu'au jour où il a eu la mauvaise idée de visiter la Bretagne, non encore mieux : jusqu'à la nuit où la semence paternelle a fait la bourde de féconder le maternel abdomen, pour mettre au monde la Tâche qu'il est. Tout effacer ! Tout raturer. Tout ré-écrire, re-enluminurer, re-ficeler, re-distribuer aux collectivités locales. AAAarg.


AAAarg.

Il a pensé trop fort.
Et voilà qu'il se précipite jusqu'à ses pieds, la rotule sur le tapis, pour tenter d'abréger ses souffrances. Calmer l'émoi qu'il a provoqué, ralentir ce coeur qui va exploser. Non pas d'un coup d'épée, mais de quelques mots qu'il tente de bien tourner, malgré son ton piteux.


Excusez-moi !... J'ai... Oubliez tout ! Y'a pas de quoi en faire un drame, ça n'est qu'un simple... Pfff ! Une broutille, hein ? Hé, je suis après tout dans l'âge où le sang se fouette assez vite. Le désir, ça va, ça vient... Ça passera.
_________________
Blanche_
Aimbaud est le Bourguignon.
Bruns sont ses cheveux, ses traits, ses braies. Son regard ? Blanche ne sait pas. Elle n'a jamais osé le regarder assez longtemps pour savoir.
Mais brun, ça c'est sûr, brun il l'est. Et même si la brusque chaleur dans les joues bretonnes, lui en font voir des vertes et des pas mûres, pour ce qui est de la teinte des cheveux d'Aimbaud, aucun doute n'est permis.
Concernant sa diplomatie... C'est plus difficile de trancher. Il ne maîtrise peut être pas encore les rouages d'un langage politiquement correct. Ou la délicatesse des amants multiples.

"Revenir en arrière."
Ôter la broutille, ouais, on est d'accord ! Ce qu'il vient de dire, le petit monstre, c'est pis qu'une banale et maladroite déclaration : c'est l'abstinence de déclaration, la non-volonté de continuer, l'envie de partir. C'est une tra-hi-son.
Revenir en arrière.
Effacer. Tirer un trait. Un c.onnard de trait, un s.alop de trait sur sa garce de petite tête, tiens ! Lui en faire baver, éructer des sortilèges sur lui, le maudire, maudire son engeance, le faire crever, lui arracher les yeux, le brûler VIF !
Revenir en arrière...
Ses jambes l'ont fait.
Paf ! Contre le fauteuil.
Sa tête l'a fait.
Pouf ! Contre l'épaule.
Ses yeux l'ont fait.
Ploc ! Contre la joue.


Une... une broutille.

Broutille. Petite chose insignifiante.
Blanche, petit coeur insignifiant.


Ca, ça s'en va...

Partie comme elle l'est, elle va tout répéter.
Revenir en arrière... Les mots sont bloqués, l'esprit aussi. L'esprit ne veut pas comprendre. C'est une bête tête. C'est une tête d'enfant.
Alors tu vois, comme tout se mêle,
Et du coeur a tes levres, je deviens un casse-tête...

ASSEZ !
Assez, ça suffit, pitié, laissez-la ! Elle n'en peut plus, de ces mots, ces tortures, ces trahisons, ces gerbes qui la fouettent, chaque syllabe l'atteint et la perce.
Assez, pitié...!
Elle les a répété, les mots. Pour essayer de se les approprier, de se faire une raison. C'est ce qu'on dit, toujours, dans les cercles de femmes du monde, de se "faire une raison". Fais-toi une raison, Blanche... Le désir, il va, il vient. Il vient, il vient, il part, il revient, fais attention, chérie, il revient encore !
Elle inspire doucement, balance la tête en arrière. Les larmes ne tombent plus si on enlève la gravité.
Fais-toi une raison...

Pas de quoi en faire un drame ! Pas de quoi, pas de quoi, pas de drame, drame, dra-dra-dra-drame !
Elle se mord la lèvre, fort, très fort, impoliment fort. Dans sa tête, qui revient en arrière, qui retourne en arrière de force, elle effectue un effort de pensée unique et obligée presque malsain.
C'est diabolique ; elle y arrive.
Pas de quoi faire un draaame...


Vous avez sans doute raison.

Sans rire, c'est plus facile de rêver...
...Qu'elle l'aime plus.


[Coeur de Pirate]
_________________
Aimbaud
Un sourire soulagé, assez benoît, retrousse les fossettes du Roméo de service quand il constate qu'il est parvenu à endiguer la brèche qu'il vient de commettre dans sa pacifique relation avec la Bretagne. Le flot de l'énervement est drainé, la tempête se calme, il peut enfin faire ralentir la turbine de son palpitant, souffler un coup, se dé-roidir un peu.

On a évité le pire !
Au final ce ne fut rien qu'un petit moment de honte passager. Il s'est prit un râteau... Eh bien quoi, ça chatouille un peu, ça fout les glandes. Mais il suffit de garder tête haute, faire bonne figure en toutes circonstances : comme quand on se paye un gadin au premier tour d'un tournoi de joutes. Ne pas prêter l'oreille aux ricanements, ni aux "Aïe j'ai mal pour lui ! Ce pauvre petit bout !". Bref, on se remboîte l'épaule et on sourit à la foule, avant d'aller pleurer à l'infirmerie... Là, c'est pareil. Allez au boulot... Elle est où l'infirmerie ?


Que vouliez-vous, à venir ici ?

Question.
Ah ? Derechef, il braque le regard sur la pâle figure de sa voisine qui apparaît sérieuse, fâchée presque. Évidement... Quand elle avait besoin d'un ami, il a cru bon de la courtiser... Tu m'étonnes qu'il mérite une volée... Tout de même, il doit bien répondre franchement à sa question : il s'y colle avec prudence en surveillant ses réactions.


Je voulaaais... Enfin j'avais envie de... je ne sais pas. Vous...

Il constate qu'elle entre-ouvre légèrement la bouche, attentive à ce qu'il prononce. Ce seuil rose et frémissant, très finement velouteux au bord des ourlets, là où la peau est claire et tant bien façonnée qu'on la croirait peinte par un maître italien. Deux dents jolies affleurent. Et le drôle d'oublier ses yeux là-dessus en prononçant bêtement...

... embrasser...

Cette bouche... C'e... Il a dit embrasser ? Il...? Non mais bien sûr, vas-y Bibi, roule lui une pelle : elle vient presque de tomber dans les pommes tant tu l'as secouée. Profite, gougnafier ! Abruti congénital. Rattraper le coup, bordel !... Il toussote dans son poing assez brusquement avant de préciser :

S... sur la joue !

...

Vous voulez ?
Le voulez vous ?
Cela se peut, si vous voulez, vous.


Rapide.
Les réponses fusent du tac-au-tac. Le fer se croise. Deux parades, une botte. Le métal crisse. Un souffle. Une joue s'incline au soleil. Lui respire la nervosité. Une épée s'envole. Il se penche et pose sa bouche. Duel clos. Ils ferment les yeux. Une seconde.

C'était un bécot.

Aïe... Dieu...! C'est bon mais... Ça cogne fort dans ses veines...

_________________
Blanche_
Comme nous l'avions dit avant, Blanche n'écoute plus tellement ce que raconte Aimbaud. S'il bafouille, se ridiculise, cherche ses mots, et se perd dans de lamentables excuses, elle n'en saisit rien. Leur échange rapide, même, du "Embrasse moi si tu l'oses !" elle y a répondu sans trop savoir ce qu'elle disait, réalisant, après coup, l'intense pédanterie et la moquerie qu'il aurait à présenter, plus tard s'il voulait raconter qu'Elle, une bretonne, lui avait offert cette autorisation.
Bien que des deux, celui qui s'exposait à le plus d'erreurs, et d'indécence était le petit Josselinière, Blanche était la plus à blâmer ; n'avait-elle pas, d'ordinaire, une tenue plus simple à porter ? Pourquoi avoir, ce jour plus qu'un autre, passé le temps à laver et brosser ses cheveux ? Pourquoi avoir tiré les traits de son front, pincé les joues, mordu les lèvres ?
Oui, elle était celle qui avait le couperet de culpabilité au dessus du crâne ; parce que plus âgée, plus coupable, plus cruelle. Mademoiselle, dans sa grande pureté, avait cherché à séduire un enfant.

Brusquement, réalisant ce que son inconscient lui avait caché aux préparatifs du matin, elle se trouva bien superficielle. Non pas que cette évidence lui ait échappé, bien sûr, elle se savait dépourvue de cette intelligence qu'ont parfois les vieilles femmes, ou les bigotes, mais elle se connaissait attirée par la beauté, et satisfaite de l'impact qu'avaient ses efforts sur la gente masculine.
Quand les hommes de son âges agrippaient les perdrix, et troussaient les sangliers, Blanche, elle, embrochait à son arc un petit héritier de Bourgogne.
Et cela la faisait se sentir désespérément vile.

Elle aurait voulu quitter la pièce, après avoir prononcé ces derniers mots ; elle l'aurait voulu, mais elle ne le pouvait pas ; ses pieds, bloqués dans leurs bas lourds, avaient décidé de ne pas répondre à l'incessant message de son esprit. Bougez, bougez, bougez !
Aimbaud, lui, bougeait.
Et ces pas sourds, qui résonnaient sur les lattes du parquet, la faisaient trembler, faisaient tressaillir ses jambes l'une contre l'autre, bas contre l'autre, satin contre satin. Elle se remémorait, comme à chaque fois que son esprit lâche cherchait à fuir, une idiote idée fugace, et ne trouva comme subterfuge, que le souvenir d'avoir enfilé, le matin, une paire délicate de nouveaux enlacements à jambes, qui montait jusqu'à la cuisse où elle se nouait l'une à l'autre. Et cela, elle le comprenait en voyant Aimbaud fondre sur elle, cela oui, elle l'avait fait dans le but unique d'être parfaite, et belle, et d'avoir jusqu'à la plus proche couverture à sa peau, la sainteté de toute la lingerie du monde.
Cela ne l'aidait pas.
Elle se sentait sale et impure, ne méritant pas, c'était clair, l'attirance véritable d'un garçonnet pour une Madone. Si sale, si peu méritante, qu'elle s'en fuit encore, des yeux cette fois-ci, son esprit sadique martelant des "Sal.ope ! Catin ! Souillon ! Communiste !" à chacun des pas qu'il faisait.
Il arriva devant elle. Son coeur se serra. Dans une minute, songea-t'elle une seconde, une respiration de lui, il découvrira qui je suis vraiment, cette machiavélique dinde, qui a couru après un enfant, et s'il le découvre il me haïra.

Il l'embrassa.

Elle fut si surprise, que sa tête en retomba, vide d'idée, au fond du fauteuil.
Les yeux lançaient des éclairs ; mais lorsqu'elle se redressa, si confuse qu'elle en avait l'air ivre, le visage dodelina un peu, et elle dû porter à son cou un trépied de doigts salvateurs.

Il m'a embrassée, il m'a embrassée, il m'a embrassée.


Je...

Le mieux aurait été de se taire ; des paroles, quelles qu'elles soient, à cet instant futile, avait de quoi donner envie de la gifler.
Tais-toi !
Tais-toi, surtout si ce que tu veux dire, ça n'est pas que ta joue te brûle, et ton être aussi, que tu sens un feu te consumer si fort, que tu ne sais plus quoi te sauvera : l'abandonner à son désir, ou le contraindre à l’assouvir, pour embraser le tien.


Je... Heu...

Il m'a embrassée ! Moi ! Moi ! Embrassée !
Alors, comme un enfant gâté et qui voudrait plus, sentant, après cette brusque révélation, à savoir que oui, Aimbaud avait posé, un instant, ses lèvres sur sa joue, comme une enfant elle mit de coté les idées de culpabilité et d'indécence.
Elle ne se trouvait plus si vieille. Ni si coupable. En voyant le missel par terre, elle avait compris : c'était Dieu, Dieu lui-même qui avait guidé les pas du garçon à sa chambre. Pas ce jour-ci, non, bien avant. A leur rencontre, bien qu'elle ne se rappelât alors plus où elle avait eu lieu.
L'important, c'est que Dieu, d'une façon ou d'une autre, avait conduit Aimbaud de Josselinière à embrasser Blanche de Walsh-Serrant.
Alors, comme une gamine précieuse, elle tendit les bras, ces bras qui auparavant refusaient de lui obéir, elle sentit que son corps entier se libérait de la chape de règles et de bienséance qui l'entourait ; elle sentit, qu'en acceptant l'énonciation divine, ses muscles et sa chair, tout son être voudrait Aimbaud à nouveau.
La môme tendit les bras, en supplication silencieuse. Et, jugeant le moment opportun, elle fondit sur lui, et atterrit, délicieuse, contre son épaule et son cou.

Il m'a embrassée, souffla t'elle.
Ce n'était pas sûr qu'elle eût parlé assez fort pour qu'il l'entende.

Mais Dieu, lui, n'en perdit pas une miette.

_________________
Aimbaud
Le choc.

Une détonation presque, un coup de canon. Il manque d'être renversé, d'ailleurs.

Elle a bondit hors du fauteuil, s'est élancée à son cou pour s'y pendre dans un grand froissement de tissu. Oiselle de proie. Elle le happe, elle le choisit. Elle boucle autour de lui un l'étau tiède et confiant qui se resserre, qui le presse infiniment contre le balcon de sa poitrine, ouvert à tous les paradis. Ça palpite, contre sa nuque et ses vêtements. C'est étonnant, ça sent une peau nouvelle, mêlée à des essences. Et le relief de ce visage qui caresse son cou de toute la tendresse de son modelé... Surtout ce bout de nez plus froid qui furète au bord de son col, qui...


Hh !...

... s'invite dans ledit col, lequel est fort chatouilleux, pour inspirer une bouffée de lui. Ces mains enfin, qui se déploient en éventail, s'enfonçant du bout des doigts, câlines, dans le crin noir, rasé de près, qui borde les oreilles...

Sur le passage de cette division tendre s'effacent toutes les tensions. La respiration qui était retenue, s'échappe avant l'apoplexie. Se relâchent les nerfs, se décrispe la chair, s'amollit d'aise... le garçon. Le voilà tout apprivoisé. Mu d'une confiance sans faille. Maladroit mais sincère, il ferme enfin les yeux pour répondre à l'étreinte, avançant prudemment ses paumes sur le terrain breton, et venant loger le bout de ses doigts, bien ordonnés, dans l'ornière cambrée du dos... Cela semble si fin et si précieux, qu'il en est tout ému. Il n'ose plus bouger d'un poil.

Le menton logé parmi ses cheveux, soufflant et inspirant dans les blés, il partage avec elle une bonne tranche d'éternité. Ils se la dévorent, immobiles comme des statues de sel, bêtas mais contents, ivres, irresponsables. C'est silencieux, c'est personnel... C'est un de ces moments, où l'on se repaît de l'air qu'on respire...

Infime, elle bouge les lèvres contre sa peau. Il se hérisse, assailli par un frisson.

_________________
Blanche_
A quatre ans, Blanche avait embrassé son premier mâle. Précoce, oui.
Mais la faute incombait d'avantage à sa nourrice, qui lui avait conté l'histoire du prince-transformé-en-crapaud.
A six ans, Blanche savait si bien manipuler les hommes, qu'elle se faisait offrir des poneys par tous ses cousins ; et c'est bien connu, que la famille Montfort compte un nombre incroyable de cousins. Blanche, donc, avait entamé un amusant élevage de petits poneys.
A dix ans, elle découvrait le mystère des enfants.
A douze, elle draguait son premier chevalier. Mais, fort dégoûtée des baisers et de leur moiteur, elle décidait de ne plus jamais se laisser tentée.
A treize ans, elle était fiancée.
A seize, enceinte.
A dix-sept, mariée.
A dix-huit, à nouveau fiancée.
Dix-neuf, fiancée, encore, à deux hommes différents.
Vingt ?
Dans les bras d'un homme.
D'un petit-homme de quatorze ans à peine.


Hh !...

Une Blanche-maternelle aurait cessé immédiatement de le serrer contre elle ; il souffrait, le pauvre amour, il avait mal partout, surtout à sa gorge, à son cou, qui bouillonnait, elle le sentait bien.
Mais Blanche avait totalement cessé d'être maternelle avec le petit brun. Il n'y avait rien d'enfant dans ce corps adulte serré contre elle, et, si elle s'était senti le courage, elle aurait cherché une preuve solide de son émoi. Rien de candide, rien de maternel.
Elle était aussi femme avec lui, qu'elle avait été garce avec Attila. Quel paradoxe !


Chht, tais-toi, murmura t'elle.
Sans noter qu'elle venait de le tutoyer.
Elle lui murmura, contre l'oreille, et son souffle tiède vint à s'engouffrer dans les méandres chauds de son lobe. Il trembla. Mais elle n'en était pas sûre : était-ce possible, qu'une femme provoqua à l'oreille d'un jeune homme pur, une ivresse si intense, qu'il ne retenait plus les pulsations de sa peau ?

Oui, ta gueule, Aimbaud ! répétèrent les bras en le serrant plus fort ; la pression, cette fois, perdait tout sens affectueux. Il était passionné, possessif, indompté. C'était un étau de bras autour de son torse, qu'elle voulait garder jusqu'à l'aube. Reste, reste, je te l'ordonne, reste !
Et si tu ne veux pas, traître... Au moins tu souffriras que je serre aussi fort !


Chut, répéta t'elle, sur un ton calme et bien différent.
Chut. Et elle faillit ajouter une appellation affectueuse, qui lui arrachait les lèvres. Mais elle la garda serrée, enfermée, capturée, consciente du trouble qu'elle créerait chez lui, si elle osait.

Chut. Je suis bien contente de vous serrer, et de vous montrer l'intensité de mon respect.
Respect, voila, respect, c'était bien.
Très, très loin de son idée précédente. Mais "respect" s'inscrivait dans le vocabulaire acceptable par l'oreille d'un garçon effrayé.

Elle soupira. Prête à se détacher de lui, quoique le geste d'écarter la joue lui semblât difficile, il n'y avait que quelques mots pour lui signifier, si elle l'osait, l'intensité de son effort.
Elle baisa sa joue, en la quittant brusquement. Puis, posant son front contre le sien, elle cherchait à trouver l'énergie suffisante pour le laisser et s'en retourner à sa vie morbide, et désespérément vide.

Toi!... tu n'as pas le cœur d'une bretonne chrétienne,
Tu ne sais pas aimer comme aime une Serrant.
Mais je t'ai embrassé la première et suis tranquille. -va!
Baise-moi si tu veux!


- Madame ?

Blanche poussa un cri. Elle avait, en entendant la voix qui provenait de l’entrebâillement de la porte, écarté son front de celui d'Aimbaud. Mais persistait à la naissance des cheveux, une tâche rosée alimentée aussi par sa peur, et sa brusque timidité.

Je, heu... C'est... Camille, voici Aimbaud. Et heu... Nous...
Ce n'est pas ce que vous croyez !


Ceci dit, elle avait toujours ses mains dans les siennes.

[Hernani, V. Hugo]
_________________
See the RP information <<   <   1, 2, 3, 4   >   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)