Norah.
Ouvert, ouvert, ouvert, ouvert... Enfin, si ça intéresse quelqu'un (Ben vi, je connais personne )
NB : L'alexandrin du titre est de moi, alors j'aimerais autant qu'il le reste
NB : L'alexandrin du titre est de moi, alors j'aimerais autant qu'il le reste
Les mots restaient coincés quelque part entre son esprit et ses lèvres, peut être dans sa gorge puisque c'était là que semblait concentré l'essentiel de sa douleur. Serrée comme si on eût posé son cou entre un étau menaçant comme une épée de Damoclès.
-Cours. Cours, Norah. Cours !
Pourquoi fallait-il que ces mots-là auxquels elle n'avait jamais su répondre fussent les derniers mots de sa mère ? Peut être les derniers qu'elle avait jamais prononcés. Ultimes et funestes. Ils la torturaient, parfois encore dans ses cauchemars, trempaient sa peau d'une sueur glacée, la faisaient trembler comme l'enfant apeurée qu'elle était restée. Les chiens. Les immondes bêtes, les pourritures et les crevards. Quand elle pensait à eux, la colère prenait le pas sur la douleur, la fureur le disputait à la tristesse. De faible et abattue, elle devenait agressive et fière, ornée d'une condescendance toute naturelle qui jaillissait dans ses yeux rouges, lui conférait cette même aura qui avait causé la mort de sa mère. Une aura dérangeante et sublime, sauvage et flamboyante qui lui avait valu le nom de sorcière. Sorcière, sorcière, sorcière. Comme sa mère, comme la mère de sa mère avant elle. Comme toutes ces femmes qu'on montrait du doigt dès que les événements réclamaient un bouc émissaire, quand il fallait une victime à sacrifier sur l'autel de la Religion, ou du mécontentement publique, des croyances populaires, des superstitions locales, des hasards malheureux.
Elle avait fini par y croire. Tout ces maux qu'on lui mettait sur le dos, la malchance, la misère et la mort, tout ce dont on l'accusait, elle l'avait accepté comme son propre fardeau et le portait avec une peine et une fureur égale. On lui avait donné une vie de putain, on lui avait pris sa mère pour la brûler en place publique. Oh, comme elle avait fuit... Fuit, fuit, encore et toujours, à la recherche d'un lendemain qui peinait à se présenter, comme si elle ne le méritait pas, et qu'il n'y avait plus rien pour elle au delà de cette horizon rougeâtre. Qu'il valait mieux que son cur explosât sous la douleur et qu'elle mourût de la mort que les femmes comme elle devait recevoir. Mais la douleur armait son cur plus durement qu'un poison, le fortifiait mieux qu'une armure de plate, l'endurcissait à la limite du raisonnable. Au point qu'elle n'hésitait plus à cracher devant les crucifix, quitte à devoir fuir à nouveau pour échapper à la colère qui déferlait sur ses épaules : c'était tout ce qu'elle était devenue, une fuyarde, une vagabonde, une créature sans nom, avec une mère condamnée, un père inconnu, aucun nom, aucune famille, aucun passé, aucun avenir autre que les routes et la poussière. Elle n'avait plus qu'à s'envoler.
-Cours, Norah. Cours !
S'était-elle sacrifiée pour qu'elle ait le temps de s'enfuir, de se mettre à l'abri de leur colère avide, de leur dévotion sinistre, de leur soif de sang et de punition divine à l'égard de celles qu'eux-même avaient appelé sorcière ? Elle ne se rappelait pas d'époque où elle eût jamais vécu normalement. Où sa mère eût jamais vécu normalement. C'avait toujours été une vie de fuite, de marche, de corruption, de malchance, de débauche pour combattre la misère, de faim... A leurs silhouettes seules, les paysans semblaient savoir ce qu'elles étaient. A la pâleur de leurs peaux, à l'éclat rouge dans leurs regards, ils criaient au Démon. Et tout recommençait.
Norah vivait en solitaire, désormais; en diseuse de bonne aventure, voyageant au hasard, au gré des chemins et des rencontres qu'elle y faisait. Tombait-elle sur quelqu'un d'hostile, ou qui la soupçonnât de quoi que ce soit, elle s'empressait d'acheter son silence; que ce fût avec le peu d'argent qu'elle avait, ou à travers des moyens tout aussi convaincants bien que moins avouables. Lorsqu'il s'agissait d'une âme charitable, elle cherchait des nouvelles, à savoir en quel lieu elle se trouvait désormais; mais à la vérité, elle oubliait tout ce qu'elle lui disait. Elle aurait été bien en peine de dire dans quelle partie du Royaume de France elle se trouvait. Pour peu qu'elle s'y trouvât vraiment.
Le ciel au dessus d'elle était grisonnant, peuplés de nuages à l'air menaçant; mais sur les routes, de hauts arbres au feuillages peinturés de marrons et de vert sombres formaient une haie d'honneur sur son trajet, protecteurs, et sa longue cape élimée et trouée touchait le sol et les feuilles au moindre de ses pas. Elle semblait fatiguée, plus encore qu'à l'ordinaire. Mais que pouvait-elle y faire ? Il y avait dans la besace de toile qui pendait à son épaule de quoi manger un peu, lorsque les gémissements de son ventre se feraient trop importants. Mais pour l'heure, il fallait avancer. Loin, encore, toujours, loin de l'horreur, du cauchemar et de la mort, loin de ces terres où elle avait vu le jour et qui l'avaient trahie, qu'hantait encore l'effroyable spectre de sa mère dévorée par les flammes.
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You can trust me. I'm a psychopath.
I'm a damsel, I'm in distress. I can handle it.
Have a nice day !