Kaelig
A la rue Saint-Nicolaïde, une blondinette s'apprête à faire sa toilette et ainsi se dévêtir. Sa couche l'attend, lui fait de l'oeil depuis l'endroit où elle se trouve. La soirée n'est point à son paroxysme mais elle a du sommeil à rattraper. Une fois n'est pas coutume, la paysanne désire aller dormir avec les poulets. Mais point de chance, Le Très-Haut a d'autres projets pour elle.
Un bruit de grincement se fait entendre. Kaelig se frotte les yeux. La fatigue doit être plus prononcée que prévu. Un autre grincement, plus bruyant cette fois. La légumière lève les yeux à Dame Lune. Soit elle perd ses carottes, soit... Soit, rien du tout! La tignasse d'or secoue ses mèches raisonnables alors que deux mains fines viennent entourer un récipient rempli d'un liquide cristallin. Dans l'après-midi, la jeune femme avait été chercher de l'eau au puits de la place du marché. L'avantage est qu'elle n'est point loin.
La substance naturelle doit être chauffée. La blonde se dirige donc avec le réceptacle vers les braises du feu crépitant. Un coup ferme et décidé retentit sur sa porte d'entrée. Cela doit sûrement être l'oeuvre d'une branche de conifère qui gratte le bois. Deuxième coup. Froncement de sourcils. Le troisième suit. Ce n'est plus le légume du hasard. Surtout que la tocade possède une voix grave. Posant la jatte dans un coin de la pièce chaleureuse, Kaelig décide d'aller ouvrir, non sans pousser un soupir d'agacement.
Oui, oui, j'arriiiive !
Sa voix avait forcé sur la fin de sa phrase et c'était voulu. La porte ouverte, la donzelle se retrouve face à un messager encapuchonné. Impossible que cela soit une femme, ma foi bien grande alors! Sans un mot de plus, un vélin plié en huit lui est tendu. La tribun fait entrer l'inconnu d'un geste élégant de la main, se dégageant ainsi du parvis, empoignant le parchemin mystérieux. Quel froid mordant! Un frisson indécent la chatouille sous son affublement. La porte claque aidé d'un coup de vent.
Entrez donc Messager! Je ne voudrais point acquérir une statue de glace comme décoration extérieure. Prenez donc place près du feu de cheminée!
Le champ de blé lui adresse à peine un regard. Continuant l'oeuvre commencée, la missive se déplie sous ses doigts fins. Kaelig reconnait l'écriture familière entre mille. Car depuis qu'ils se connaissent, ils ne cessent de correspondre activement. Cette façon incertaine de poser la plume sur le vélin, la parlure particulière, sa manière de commencer ses lettres. Alors que l'hôte commence sa lecture, ses lèvres s'étirent en un sourire gourmand. Son regard s'embrase d'une lueur étoilée. Ses doigts et ses yeux parcourent avidement la missive. Parfois même, ses mirettes relisent certains passages. Son enchantement facial ne cesse de s'agrandir. Les lignes sinueuses ne cessent de l'étonner, jusqu'à ce que...
Citation:Cessez-donc de poser ces yeux sur ce vélin et v'nez donc les poser sur un endroit ben plus adéquat car moi, j'puis vous l'avouer, d'puis qu'vous avez commencer à lire c'te vélin, j'n'ai pas cessé d'vous déguster des pieds à la teste.
Lentement, les épis de blé relèvent la caboche. L'inconnu ne se trouve plus devant le feu crépitant. Il se trouve devant elle, à la toiser du regard depuis de nombreuses minutes maintenant. Son âme coeur n'avait cessé de l'observer durant tout ce temps. Riant du bonheur surpris, la blondinette écarte les pans de la cape pour se lover dans sa chaleur. Ses hanches, ce dos, ce torse. Oh oui, c'est bien Bradwen! En un geste tendre, une capuche glisse. Un sourire amoureux apparaît pour mourir, recouvert avidement par un baiser fémininement rosé._________________
Kaelig
Devant l'ordre donné, l'hôte s'installe devant le feu. Le popotin à terre, les jambes repliées vers le tronc et ces dernières entourées de ses bras. Une petite couverture de laine traîne toujours devant l'âtre. C'est sa bicoque et elle se fait installer. Incroyable! Bradwen sort à plusieurs reprises, laissant le froid mordant les narguer. Deux énormes caisses viennent ensuite prendre place au milieu de la pièce dans un raffut à vous réveiller un ours. Sa bicoque voisine n'est point habitée, encore heureux! Ce n'est point une période de guerre. Des livres de quoi vous tenir chaud une saison hivernale entière ainsi que des victuailles à la pelletée. Et il parlait, il parlait, il parlait. Moins incroyable!
Bradwen a écrit:Un beau défi pour vous n'est-ce pas ? Pourrez-vous l'relever ? Pourrez-vous transformer c'te paysan sachant
peine lire et écrire... en véritable écrivain ?
Les deux acolytes en avaient vaguement parlé quelques jours auparavant. Maintenant que la décision se présente, la donzelle adopte un air perplexe. Kaelig ne doute point de ses capacités propres mais bien de sa manière d'enseigner. Elle n'a jamais tenté la chose. Ne faut-il point commencer par le début? La légumière serait très certainement amenée à le faire dans le futur. Autant être précoce. Bradwen lui donne confiance. Il est si avide d'apprendre. Et il souhaite que ce soit Elle. Soyons fol dingo, nous verrons où cela nous mène! Ce n'est point tous les jours qu'on a un diacre amoureux comme élève!
La vie est un défi à relever, un bonheur à mériter, une aventure à tenter. Je le relève ce défi! Mais d'abord...
Une idée germe à l'instant dans son esprit.
Enlevez votre cape et mettez-vous à l'aise devant ce feu de cheminée. Installez-vous à votre tour et laissons ces livres et ces vivres de côté un instant.
La paysanne se lève, une lueur d'audace dans le regard. Il veut un enseignement, il va l'avoir. Originalité est son maître mot. La chevelure d'or glisse jusqu'à un coin de la pièce chauffée pour empoigner un objet allongé, emballé précautionneusement par une toile de lin. Une cordelette se défait agilement, laissant apparaître une guitare latine. La donzelle l'empoigne avec soin pour se poster devant le clerc. Elle s'assied en croisant ses jambes en un cercle, ajustant son affublement correctement. Son éternelle compagne vient se lover contre son buste, prenant en partie appui sur sa jambe gauche. Fermement, Kaelig prépare ses doigts gauches à pincer des cordes. Sa main droite prend possession du manche et de ses cases.
Accordez tout son sens aux paroles que je vais vous chanter ainsi qu'à la manière de faire. Prêt?
Un regard intense de sérieux dans sa direction en attendant son affirmation et la voilà qu'elle commence à jouer en chantonnant avec gaieté. Le paysan commence à la connaître à présent. Il sait qu'elle s'exprime très souvent par énigme. Une note plus haute que l'autre, la musicienne sourit de voir l'air surpris et fronceur de sourcils du bel homme. Certains mots sont accentués selon leur sens, selon la volonté qu'elle a de les mettre en évidence. La mélodie épouse parfaitement les mots. Les mots sont son amant. La chansonnette à l'allure joviale finie, la paysanne reprend la parole. Sa guitare reste contre elle.
Les mots... Que pouvez-vous m'en dire? Pouvez-vous m'en donner une définition précise ou littéraire?
Bradwen va répondre haut la main, elle le sait._________________
Bradwen
Après le discours du paysan, Kaelig avait donc décidé dajouter une note supplémentaire dagréable à lutile en optant pour déguster le souper. En moins de temps quil ne faut pour dire « Vos yeux, ma mie, damour me font frémir », le repas était prest et la table dressée.
Pour pouvoir assister à sa leçon, le paysan avait du faire limpasse sur le repas du soir. Il avait eu à peine le temps de rassembler ses affaires après la journée de travail, avant de prendre la route du 3, rue st-Nicolaïde. La journée avait été fort occupée pour lui, et une fois encore, il avait du renoncer à aller se rincer le gosier aux jardins de Montmirail. Avant que son estomac ne se mette à gargouiller de manière sévère, rompant ainsi le charme de la soirée, le paysan sétait dépesché de combler les creux dans son estomac, creux qui avait pour origine les sillons quil avait laissé dans le champ de blé labouré ce jour là ! Les morceaux de soles séchées défilaient de lassiette à sa bouche, souvent arrosés dun mince soupçon de vin. Il faut dire quil avait la gorge sèche le sieur ! Bien sèche après le discours quil venait de prononcer. Presque aussi sèche que le poisson lui-mesme, poisson qui au goust, navait rien à envier à de la seiche !
Et Kaelig sétait mise à parler, à parler. Vaille que vaille, Bradwen essayait de suivre la leçon quelle lui donnait. Mais il avait du mal le paysan ! Oui beaucoup de mal ! Assis devant elle, son regard se perdait dans la moindre mèche blonde rebelle, se fondait dans ses yeux de la couleur du blé qui nétait pas point encore mature. Oui, il était distrait par ses lèvres qui lappelaient à chaque syllabe quelle prononçait. Oui, il narrivait pas à détacher ses yeux de ses doigts qui parfois tapotaient sur la table une mélodie inconnue, parfois pointaient dun air décidé tel ou tel objet de la pièce. Oui, il se perdait en conjectures à chaque fois que ses yeux croisaient son cou dénudé, se rappelant alors que le 31 Décembre était finalement fort proche et quil avait encore beaucoup dheures de travail devant lui pour atteindre son objectif. Cétait indéniable, il était distrait. Mais doù venez donc ce soir cette source de distraction ? Lui qui attendait cette première leçon avec une impatience non feinte, il narrivait à quattendre une phrase sur deux du cours de Kaelig.
Bradwen fit un retour en arrière dans ses pensées, cherchant désespérément une raison à la situation actuelle. Et il la trouva ! Oui, il en était certain ! Comme dans un songe, il la revit alors sapprocher de la cheminée, prendre les deux godets, y verser une vinasse de couleur sombre et
et y plonger avec suavité ses lèvres ! Oui, cétait à partir de là quil avait perdu le fil de la soirée, avait dévié de lobjectif initial. Il était tellement distrait par son hostess quil avait cru entendre dans sa leçon
Citation: ...comme j'ai terriblement envie de poser mes lèvres sur les vôtres
Le paysan passa subrepticement la main sur le visage, pour dans les cheveux. Essayant de mieux suivre le discours de son professeur, il vida dun trait son godet de vin et se concentra sur les paroles quelle lui prodiguait, essayant déviter le spectacle de ses lèvres
mais laffaire de la pomme finit de lachever. Le bruit de la chair qui craque sous lassaut des dents
les lèvres rouges arrondies qui finalement emportent le morceau. Bradwen se leva pour retrouver ses esprits. Faire quelque pas lui fit le plus grand bien !
Oui, oui, ctexercice ma mie, jvais lfaire ! Promis. Tnez
Il sapprocha de la caisse de livre et en sortit un.
La dame sans terre
Voici mon choix !
La soif la tenaillant, Kaelig se servit un peu de lait. Leau qui frémissait dans le chaudron attira lattention du paysan. Bradwen prit quelques épis de mais et le jeta dans leau bouillante. Ne se retournant pour voir ce que faisait Kaelig, il lui dit, sur un air qui masqué mal son trouble actuel.
Voilà ! Tout lsecret maintenant est dans la cuisson ! Trop peu et ctimmangeable ! Trop et ça dvient pasteux
donc tout aussi immageable !
Pfff
Fais ben chaud chez vous ! Il vous reste un peu dvinasse pour mdésaltérer ?_________________