Kartouche
Mercredi 16 mars, dans l'après-midi
Trois coups frappés. Le juge sait déjà qu'un des gardes de son couloir attend derrière la porte. Le commis-greffier-porte-encrier est timide et frappe donc tout doucement, juste un coup. Le comte entre sans frapper. Et le procureur n'entre jamais. Les autres conseillers, on n'en parle même pas ; le magnifique Kartouche, en moins de deux (semaines) a déjà fait valoir sa réputation de prétentieux arrogant, ou d'arrogant prétentieux. Par conséquent, se farcir le Genevois à la table du conseil semble suffire à ses collègues.
«Entrez !»
Bien vu ! La porte qui s'entrouvre laisse apparaître un garde. En général, il passe le matin pour apporter un biscuit au juge, lorsqu'il prend la relève du garde de nuit, Kartouche ayant pris l'habitude de lui donner un écu pour se payer une prune à l'Astaroth ou chez les Bocans.
«Ah, Fernand, qu'est-ce qui t'amène ?
--M'sieur l'juge, c'est pour l'audience V'leureuh.
--L'audience quoi ?
--L'audience Veul'reuh, M'sieur l'juge
--...
--Mais oui, M'sieur l'juge. Vous s'vez, c'brigand qu'a dit que la procureur, la meugnonne qu'on'vait avant, elle fais...
(Sèchement)
--Dona Seleina de Neuville ! L'affaire Va-leu-reux... Et bien ?
--Ben, j'croyons que c'est l'jour du verdict, M'sieur l'juge.
(Temps de réflexion)
--Hmm, tu dois avoir raison, mon brave Fernand. Mais comment sais-tu cela, toi ?
(Air penaud)
--Euh... M'sieur l'juge, j'mexcusions, mais le graffieur cognait pas assez fort.
--Et il est là, le graff... le greffier ?
--Pt'êt ben...
(Précipitamment)
--M'sieur l'juge
(Semblant sortir de sa torpeur)
--Monsieur Kartouche, Mônsieur Kartouche... je devrais te le dire combien de fois, Fernand ? Qu'il entre...
--M'sieur l'juge, si j'pouvions m'permettre, moi, j'estions Jacquot.
(Soupir dépité)
--Forcément, ton frère parle mieux que toi... À se demander ce qu'a fichu de vous votre vieille. Mais quand même, qu'est-ce qu'il lui a pris, au chef, de me coller deux jumeaux ?»
Le juste Kartouche se saisit d'un parchemin sur lequel il griffonne quelques mots, pendant que le greffier entre sur la pointe des pieds. C'est un petit homme, voûté, au teint blanchâtre et aux yeux plissés, d'un âge indéfinissable. Il agite le papier sous les nez crochu du vieux fonctionnaire.
«Portez-moi ça en salle d'audience. J'ai décidé de reporter la lecture du verdict, j'ai un traité à terminer.
--Mais, votre Honneur, ils vont me tuer. Me découper en petits morceaux, me faire bouillir à petit feu, m'écorcher vif, me...
--Jacquot, escorte-moi ce pleutre jusqu'à l'escalier est et botte-le en-bas ! Et n'oublie pas de fermer la porte en sortant. Je ne veux plus être dérangé avant la réunion de ce soir...»
Le garde attrape le greffier par une manche et sort rapidement en refermant la porte. Lui aussi a appris qu'il ne fait pas bon ennuyer le juge. Même si ce dernier aime bien ses deux plantons, autrement moins crétins que son gratte-papier attitré.
Debout derrière sa table de travail, le songeur Kartouche inspecte son bureau, si l'on peut qualifier de bureau ce qui ressemblerait presqu'à un respectable salon parisien. Large et long d'environ trois toises, il est percé d'une porte massive en bois de chêne d'un côté, de deux larges fenêtres de l'autre. Elles donnent sur l'esplanade publique devant le palais comtal, lieu de prédilection pour les agitateurs politique ou les marchands d'onguents miracle. la porte est flanquée de deux grandes étagères qui montent jusqu'au plafond, remplies de codex et de vieux dossiers. À gauchet en entrant, une large cheminée consume à pleine flamme. Sur la tablette repose une petite statuette en or, représentant un lion ailé, d'à peine 10 centimètres de long.
Contre l'autre mur -à gauche en sortant, donc, le fantasque juge a fait installé un grand coffre : une toise et un pied de long pour une demi-toise de large. Fermé par deux volumineux cadenas, il contient la clé du secret de l'ingénieux Kartouche, toujours éveillé et toujours au travail. Lorsqu'il est fatigué, il l'ouvre et s'allonge sur la moelleuse paillasse qu'il renferme. Au-dessus, il aimerait bien accrocher un joli portrait de lui-même, par exemple sur le pied de guerre ou bien assis sous un chêne. Le problème, c'est qu'il faudrait trouver un vieil artiste qui peigne encore dans le style Philippe le Bel ou Saint Louis, histoire que son successeur croie à la véracité du témoignage historique fourni par l'oeuvre d'art et qu'elle soit laissée en place pour quelques années. Ça risque de ne pas être facile, dans ce Limousin à la pointe de la mode...
Pour finir, il va s'asseoir sur un des deux fauteuils disposés à quelques pieds de la cheminée, et entre lesquels se trouve une petite table sur laquelle sont posés quelques volumes, en vrac. Deux versions du coutumier, une copie sans enluminures du livre des vertus -copie un peu particulière offerte par son ami Sancte-, un exemplaire de la vita de Fra Dolcino, les 52 Articles de Genèves, la biographie de CMdT par Mephistophele, et d'autres encore. Il se saisit d'un nouvel arrivé dans sa pile de livres de chevet : Sur l'origine de la foi aristotélicienne, par un certain Lockarius d'Ambre.
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Une lettre écrite par Kartouche est utilisable dans vos narrations ou par votre marionnette, si elle a pu se la procurer. A priori, la réciproque est vraie aussi.
Juge, double bourgeois, journaliste, reître...
Trois coups frappés. Le juge sait déjà qu'un des gardes de son couloir attend derrière la porte. Le commis-greffier-porte-encrier est timide et frappe donc tout doucement, juste un coup. Le comte entre sans frapper. Et le procureur n'entre jamais. Les autres conseillers, on n'en parle même pas ; le magnifique Kartouche, en moins de deux (semaines) a déjà fait valoir sa réputation de prétentieux arrogant, ou d'arrogant prétentieux. Par conséquent, se farcir le Genevois à la table du conseil semble suffire à ses collègues.
«Entrez !»
Bien vu ! La porte qui s'entrouvre laisse apparaître un garde. En général, il passe le matin pour apporter un biscuit au juge, lorsqu'il prend la relève du garde de nuit, Kartouche ayant pris l'habitude de lui donner un écu pour se payer une prune à l'Astaroth ou chez les Bocans.
«Ah, Fernand, qu'est-ce qui t'amène ?
--M'sieur l'juge, c'est pour l'audience V'leureuh.
--L'audience quoi ?
--L'audience Veul'reuh, M'sieur l'juge
--...
--Mais oui, M'sieur l'juge. Vous s'vez, c'brigand qu'a dit que la procureur, la meugnonne qu'on'vait avant, elle fais...
(Sèchement)
--Dona Seleina de Neuville ! L'affaire Va-leu-reux... Et bien ?
--Ben, j'croyons que c'est l'jour du verdict, M'sieur l'juge.
(Temps de réflexion)
--Hmm, tu dois avoir raison, mon brave Fernand. Mais comment sais-tu cela, toi ?
(Air penaud)
--Euh... M'sieur l'juge, j'mexcusions, mais le graffieur cognait pas assez fort.
--Et il est là, le graff... le greffier ?
--Pt'êt ben...
(Précipitamment)
--M'sieur l'juge
(Semblant sortir de sa torpeur)
--Monsieur Kartouche, Mônsieur Kartouche... je devrais te le dire combien de fois, Fernand ? Qu'il entre...
--M'sieur l'juge, si j'pouvions m'permettre, moi, j'estions Jacquot.
(Soupir dépité)
--Forcément, ton frère parle mieux que toi... À se demander ce qu'a fichu de vous votre vieille. Mais quand même, qu'est-ce qu'il lui a pris, au chef, de me coller deux jumeaux ?»
Le juste Kartouche se saisit d'un parchemin sur lequel il griffonne quelques mots, pendant que le greffier entre sur la pointe des pieds. C'est un petit homme, voûté, au teint blanchâtre et aux yeux plissés, d'un âge indéfinissable. Il agite le papier sous les nez crochu du vieux fonctionnaire.
«Portez-moi ça en salle d'audience. J'ai décidé de reporter la lecture du verdict, j'ai un traité à terminer.
--Mais, votre Honneur, ils vont me tuer. Me découper en petits morceaux, me faire bouillir à petit feu, m'écorcher vif, me...
--Jacquot, escorte-moi ce pleutre jusqu'à l'escalier est et botte-le en-bas ! Et n'oublie pas de fermer la porte en sortant. Je ne veux plus être dérangé avant la réunion de ce soir...»
Le garde attrape le greffier par une manche et sort rapidement en refermant la porte. Lui aussi a appris qu'il ne fait pas bon ennuyer le juge. Même si ce dernier aime bien ses deux plantons, autrement moins crétins que son gratte-papier attitré.
Debout derrière sa table de travail, le songeur Kartouche inspecte son bureau, si l'on peut qualifier de bureau ce qui ressemblerait presqu'à un respectable salon parisien. Large et long d'environ trois toises, il est percé d'une porte massive en bois de chêne d'un côté, de deux larges fenêtres de l'autre. Elles donnent sur l'esplanade publique devant le palais comtal, lieu de prédilection pour les agitateurs politique ou les marchands d'onguents miracle. la porte est flanquée de deux grandes étagères qui montent jusqu'au plafond, remplies de codex et de vieux dossiers. À gauchet en entrant, une large cheminée consume à pleine flamme. Sur la tablette repose une petite statuette en or, représentant un lion ailé, d'à peine 10 centimètres de long.
Contre l'autre mur -à gauche en sortant, donc, le fantasque juge a fait installé un grand coffre : une toise et un pied de long pour une demi-toise de large. Fermé par deux volumineux cadenas, il contient la clé du secret de l'ingénieux Kartouche, toujours éveillé et toujours au travail. Lorsqu'il est fatigué, il l'ouvre et s'allonge sur la moelleuse paillasse qu'il renferme. Au-dessus, il aimerait bien accrocher un joli portrait de lui-même, par exemple sur le pied de guerre ou bien assis sous un chêne. Le problème, c'est qu'il faudrait trouver un vieil artiste qui peigne encore dans le style Philippe le Bel ou Saint Louis, histoire que son successeur croie à la véracité du témoignage historique fourni par l'oeuvre d'art et qu'elle soit laissée en place pour quelques années. Ça risque de ne pas être facile, dans ce Limousin à la pointe de la mode...
Pour finir, il va s'asseoir sur un des deux fauteuils disposés à quelques pieds de la cheminée, et entre lesquels se trouve une petite table sur laquelle sont posés quelques volumes, en vrac. Deux versions du coutumier, une copie sans enluminures du livre des vertus -copie un peu particulière offerte par son ami Sancte-, un exemplaire de la vita de Fra Dolcino, les 52 Articles de Genèves, la biographie de CMdT par Mephistophele, et d'autres encore. Il se saisit d'un nouvel arrivé dans sa pile de livres de chevet : Sur l'origine de la foi aristotélicienne, par un certain Lockarius d'Ambre.
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Une lettre écrite par Kartouche est utilisable dans vos narrations ou par votre marionnette, si elle a pu se la procurer. A priori, la réciproque est vraie aussi.
Juge, double bourgeois, journaliste, reître...