Arielle_de_siorac
Elle avoit été presque muette depuys environ un mois. La traversée de la Bourgogne.
Estoit-ce parce qu'elle avoit refusé d'honorer cette terre où le duc en place l'avoit autrefoys diffamée de la façon la plus grossière qui soit? Ou peut-estre, par la male heur, avoit-elle fini par sombrer dans un mutisme final qui signeroit la fin de sa maladie et - le Très-Haut nous en préserve - de son passage ci-bas? La folie avoit-elle gagné sur cet esprit jà désespérément spongieux?
C'estoit en tout cas ce que se mandoient tout bas les quelques domestiques attachés au service de la comtesse de Nijmegen. En effet, peu après avoir retrouvé son époux égaré dans quelque promenade éthylique, en Rouergue, Arielle estoit entrée dans un silence de plus en plus épais, laissant la vie tourbillonner autour d'elle sans paraistre avoir conscience d'y participer. Cela désoloit ses proches qui redoubloient de cajoleries pour la retenir parmi eux, alors que justement, son corps mutilé sembloit enfin retrouver une santé comparable à... avant. Un peu moins fresle, un peu moins voustée, la comtesse estoit d'âge mûr, certes, mais à nouveau vigoureuse.
Un oeil averti auroit pourtant pu noter un changement encourageant dans les prunelles noisette. Certes, alors mesme que les mots se mettoient à se refouler derrière les lèvres vieillissantes, une lueur s'estoit progressivement allumée au fond de ce regard usé. De jour en jour, et mesme d'heure en heure, le temps avoit été restitué à la dame d'abord par à-coups étonnants, puys avec de plus en plus de substance. Éventuellement, Arielle s'estoit rétablie, l'amnésie évaporée par quelque phénomène inexplicable.
Mais parallèlement, la lourdeur insupportable d'un présent trop vieux avoit retiré à la comtesse l'envie de parler. Missives froissées, notes abondantes et chuchotements par en arrière avoient permis à la Dénéré de comprendre bien des choses, trop de choses. Saisir toute l'horreur de sa fin abrupte de mandat comtal en Béarn, du reniement de son fils aisné, du départ précipité vers un horizon incertain, et surtout, surtout, apprendre pour de bon la mort du fils honni, Mathieu, cet ange déchu, cet échec.
Coite dans son carrosse cahotant, la comtesse avoit faict son deuil en silence, quelque peu dépassée par ces vérités qui luy tomboient dessus en torrents amers.
À présent, on estoit en Champagne, terre ancienne et fière qu'Arielle avoit depuys longtemps voulu fouler. Quelque bourg non identifié se dessinoit dans la lumière dorée du couchant. Bientost, on alloit faire halte pour la nuit dans une auberge anonyme.
Détournant son regard des murs embrasés de soleil, la comtesse sourit à sa fille, perdue devant elle dans une longue resverie morose.
Ma chérie, chuchota-t-elle de sa voix assassinée, je vais enfin pouvoir te présenter à ta future marraine: nous voilà en Champagne. Il nous faut trouver le chemin jusque chez mes chères Pisan et Beeky.
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Estoit-ce parce qu'elle avoit refusé d'honorer cette terre où le duc en place l'avoit autrefoys diffamée de la façon la plus grossière qui soit? Ou peut-estre, par la male heur, avoit-elle fini par sombrer dans un mutisme final qui signeroit la fin de sa maladie et - le Très-Haut nous en préserve - de son passage ci-bas? La folie avoit-elle gagné sur cet esprit jà désespérément spongieux?
C'estoit en tout cas ce que se mandoient tout bas les quelques domestiques attachés au service de la comtesse de Nijmegen. En effet, peu après avoir retrouvé son époux égaré dans quelque promenade éthylique, en Rouergue, Arielle estoit entrée dans un silence de plus en plus épais, laissant la vie tourbillonner autour d'elle sans paraistre avoir conscience d'y participer. Cela désoloit ses proches qui redoubloient de cajoleries pour la retenir parmi eux, alors que justement, son corps mutilé sembloit enfin retrouver une santé comparable à... avant. Un peu moins fresle, un peu moins voustée, la comtesse estoit d'âge mûr, certes, mais à nouveau vigoureuse.
Un oeil averti auroit pourtant pu noter un changement encourageant dans les prunelles noisette. Certes, alors mesme que les mots se mettoient à se refouler derrière les lèvres vieillissantes, une lueur s'estoit progressivement allumée au fond de ce regard usé. De jour en jour, et mesme d'heure en heure, le temps avoit été restitué à la dame d'abord par à-coups étonnants, puys avec de plus en plus de substance. Éventuellement, Arielle s'estoit rétablie, l'amnésie évaporée par quelque phénomène inexplicable.
Mais parallèlement, la lourdeur insupportable d'un présent trop vieux avoit retiré à la comtesse l'envie de parler. Missives froissées, notes abondantes et chuchotements par en arrière avoient permis à la Dénéré de comprendre bien des choses, trop de choses. Saisir toute l'horreur de sa fin abrupte de mandat comtal en Béarn, du reniement de son fils aisné, du départ précipité vers un horizon incertain, et surtout, surtout, apprendre pour de bon la mort du fils honni, Mathieu, cet ange déchu, cet échec.
Coite dans son carrosse cahotant, la comtesse avoit faict son deuil en silence, quelque peu dépassée par ces vérités qui luy tomboient dessus en torrents amers.
À présent, on estoit en Champagne, terre ancienne et fière qu'Arielle avoit depuys longtemps voulu fouler. Quelque bourg non identifié se dessinoit dans la lumière dorée du couchant. Bientost, on alloit faire halte pour la nuit dans une auberge anonyme.
Détournant son regard des murs embrasés de soleil, la comtesse sourit à sa fille, perdue devant elle dans une longue resverie morose.
Ma chérie, chuchota-t-elle de sa voix assassinée, je vais enfin pouvoir te présenter à ta future marraine: nous voilà en Champagne. Il nous faut trouver le chemin jusque chez mes chères Pisan et Beeky.
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