Plongé dans le noir, nul ne discerne distinctement le petit théâtre quand soudain, un jet de lumière brute en illumine le centre, révélant un chur sur scène, composé de neuf marionnettes drapées de blanc, portant un masque sans expression sur leurs visages de bois.
La lumière est uniquement concentrée sur eux. Le chant sélève :
Le Chur :
- « Cest en ce jour de grâce que la sainte bataille
De légarée brebis retrouvant Dogme et Foi,
Trouve une juste fin à sa bien triste histoire. »
La lumière se diffuse lentement, découvrant le décor : L'intérieur d'une cathédrale. Seul lautel, richement décoré, est irradié dun cercle de lumière vive, découvrant un vieillard agenouillé
Le Baron Tout En Noir fait son apparition à gauche.
Le Chur:
- « Regardez le rentrer
Son épée le tiraille,
Battant sur son flanc droit,
Celui que lon appelle, « le Baron Tout En Noir » ! »
Le Chur se scinde en trois, un groupe de chaque côté et un restant au centre
Le coté droit, entonnant dune voix aigüe :
- « Il est méchant ! Il est méchant ! »
Le côté gauche, rétorquant dune voix basse :
- « Il est puissant ! Il est puissant ! »
Le centre, reprenant dune voix claire :
- « Il est repe
eeeeeentaa
aaaaaaaaaaaaant ! »
Le Chur se recule lentement jusqu'à épouser le fond du décors.
Le Baron Tout En Noir avance jusquà lautel, sarrêtant à quelques centimètres du vieux qui prie.
Le Baron Tout en Noir, envoyant un coup de pied dans les cotes de lancêtre :
- « Dis donc laïeul, on ta pas signalé que cétait une cérémonie privée ?»
Puis, sinquiétant brièvement , examinant le vieux en le poussant de bout de sa botte :
- « Rassure moi, tes pas de la maison au moins ? »
Le vieux gémit quelque chose qui satisfait visiblement le Baron
Le Baron Tout En Noir, le dégageant dun second coup de pied :
- « Alors bouge, putain ! Je rencontre Aristote moi, aujourdhui ! »
Dans un mouvement de cape, il sagenouille à son tour devant lautel et se recueille dun air inspiré, les mains jointes.
Sen suit un moment de quiétude troublé par les trilles légers des oiseaux, les cris joyeux des enfants au dehors et les râles plus ou moins discrets du vieux, quand soudain, lombre noire de Guignol se découpe sur le vitrail peint du décor :
Guignol, étonné :
- « Baron ? Quest ce que vous foutez là ? »
Tout En Noir, concentré, dans une attitude pieuse :
- « Pas maintenant Guignol, je me fais baptiser dans 5 mns.
Guignol, perplexe :
- « Mmmm
»
Bref silence.
Guignol :
- « Non mais sérieux, vous faites quoi ? »
Tout En Noir, toujours les mains jointes:
- « Je prie, tête de nud, ça se voit pas peut être ?
Guignol, curieux :
- « Mais pourquoi ? »
Tout En Noir, relevant la tête, auréolé par la lumière :
- « Pour le salut de mon âme
»
Silence, ponctué dun gros éclat de rire de Guignol et de Tout En Noir.
Tout En Noir, écrasant une larme :
- « Ah putain, depuis le temps que javais envie de la sortir celle là
»
Tout En Noir se relève, époussette se genoux et sappuie à lautel en se curant le nez.
Lombre chinoise de Guignol descend et sassoit sur lautel à coté du Baron.
Guignol :
- « Vous vous faites baptiser alors ? »
Tout En Noir, avec un brin de nostalgie dans la voix :
- « Ouais
Tu sais, y a pas grand-chose que jai pas fait, hein, on est daccord ? »
Guignol, montrant de lombre de son doigt la carcasse du vieux qui gémit encore vaguement:
- « Vous tabassez même les vieux dans les églises. »
Tout En Noir, haussant les épaules en se justifiant :
- « Bah, les vieux, jai jamais aimé ça, ça pue. »
Guignol, hochant la tête :
- « Très aristotélicien comme pensée ça
»
Tout En Noir, sincère :
- « Si Aristote a des narines et des couilles, il sera daccord avec moi. »
Guignol, ne relevant pas les propos sur les couilles dAristote :
- « Cest vrai que maintenant que vous avez légalisé vos mercenaires, que vous avez la plus totale immunité due à vos fonctions, que vous avez formé tous les avocats du Barreau, que vous ligotez le Comte à peine assis sur le trône,
Tout vous est permis, dans la légalité comme dans les coulisses
vous ne craignez même plus lexcommunication, vous auriez tort de vous priver de ce coup déclat puisque vous ne risquez plus de le ternir. »
Tout En Noir, modeste :
- « Si deux doigts de flotte et quinze ans dexpérience dans le métier suffisent, que veux tu que je te dise ? »
Guignol, hasardant la réponse qui lui semble la plus proche de la réalité :
- « Bien fait pour leur gueule ? »
Tout En Noir hoche la tête, pensif.
Tout En Noir, sur le ton de la confidence :
- « Tu sais, je suis un homme simple Guignol. Mon cheval noir, une blonde à gros seins, du sang sur les mains
»
Guignol, linterrompant :
- « Vous avez arrêté les chèvres ? »
Tout En Noir, après avoir jeté un regard froid sur lombre :
- « Soyons sérieux Guignol, ne confonds pas le fond et la forme.
Guignol, continuant :
- Quallez-vous dire à ceux qui pensent que vous visez le trône comtal ?
Tout En Noir, larrêtant dun geste de la main.
- Je ne parle pas aux cons Guignol, je les marave, point. »
Un jeune prêtre longiligne, vêtu de carmin, de lourdes bagues à chaque doigt, entre sur scène.
Le prêtre :
- « Baron, vous avez fini de vous recueillir? »
Tout En Noir :
- « Ouais, ouais cest bon, je suis recueilli. Vous pouvez ouvrir les portes. »
Le prêtre disparait tandis que le Baron se tourne vers Guignol.
Guignol :
- « Alors ça y est ? »
Tout en Noir :
- « Ouais, tout neuf jte dis. Tiens, regarde ! Un vrai homme pénitent en quête de repentir! »
Tout En Noir, se penchant sur le vieux qui agonise toujours et le relevant par la tignasse
- « Hé, le vieux qui pue, désolé hein ?! »
Tout En Noir, se désintéressant du vieux et sadressant à Guignol, radieux:
- « Désolé, putain, jai dit désolé ! Cest pas toi qui y aura eu droit, hein ?... Bon allez, vire moi cette merd
e dici en partant. Je veux bien être pieu et bon, mais faut pas déconner, jai lodorat sensible
»
Guignol, admettant, tandis que Tout En Noir quitte la scène :
- « Jen sais quelque chose »
Le chur se recentre autour de Guignol, concentrant les trois raies de lumières sur eux, faisant disparaitre lombre Guignol petit à petit. Le Chur savance de nouveau tandis que la lumière se réduit pour ne se concentrer que sur ceux qui le composent :
Le coté droit, entonnant dune voix aigüe :
- « Il est méchant ! Il est méchant ! »
Le côté gauche rétorquant dune voix basse :
- « Il est puissant ! Il est puissant ! »
Le centre, reprenant dune voix claire :
- « Il est repe
eeeeeentaa
aaaaaaaaaaaaant ! »
Le rideau tombe.
Et sous les applaudissements nourris du public, une pluie d'allumettes embrasées fut jetée sur le petit théâtre de Guignol par les spectateurs, enflammant aussi sec les tentures. et la marionnette du vieux.
Il était hors de question de rompre à la tradition. Les amateurs n'auraient jamais laissé faire une chose pareille._________________
Troubadour à la Confrérie