[Valence, LD - Jour 3]
En ce matin de Mars où le Soleil baignait sa ferme d'une douce clarté, le Père Louis se leva avec peu d'entrain... Il avait du se résoudre la veille à tenter de vendre son plus beau palefroi, une bête de quatre ans née en Camargue et dont le poil blanc perlé de gris illuminait les prés... L'hiver avait été plutôt long et les économies du foyer avait durant ces quelques mois fondu pareil à la neige d'aujourd'hui. La Mère Martine avait mis près de deux semaines pour le convaincre mais c'était inéluctable, le pain venait à manquer et il fallait nourrir toute la fratrie.
Ainsi, le Père Louis se dirigea ce matin là vers l'étable. Il n'était point du genre à s'apitoyer et menait une vie simple et heureuse, rythmée par son pas, qu'il avait lent et nonchalant. Il cherchait toujours à trouver du positif en chaque chose et en chaque personne. D'un naturel gai et enjoué, Louis s'occupait avec une particulière attention pour chacun de ses bêtes. Équidés, bovins et ovins étaient son lot quotidien. Il avait d'ailleurs tenté de convaincre la Mère Martine s'abattre une un bovin pour renflouer leurs économies mais elle avait répondu que le marché de Valence débordait de trop de viande pour qu'on prenne le temps d'attendre. Le pas nonchalant se faisait plus lent encore alors que sa main poussait la porte. Il n'avait guère l'habitude de vendre ses chevaux de selle si vieux et il avait espéré pouvoir garder celui là pour apprendre à ses fils à monter. Les bourgeois et nobles de la ville les prenaient souvent plus jeune... Enfin... Il se dirigea vers le brave Arteis et lui tapota doucement l'encolure.
Et bien mon bonhomme, c'est la fin cette fois... La Martine veut rien entendre... Mais ne t'inquiète pas mon gaillard, je vais te trouver quelqu'un de bien...
Lui passant une simple corde autour du cou, Louis tira doucement la direction l'équidé vers l'extérieur et prit la route de la ville. A mesure que le Soleil montait dans le ciel, le Louis retrouvait le sourire. Il en avait acquis la conviction, il trouverait là-bas quelqu'un qui s'occuperait aussi bien que lui d'Arteis... Son naturel joyeux reprenait doucement mais sûrement le dessus tandis que le palefroi le suivait d'un pas marqué sur la voie pavée. Le Père Louis, sans doute rassuré par ce rythme, entonna même une petite chanson d'un auteur Artésien* qu'il appréciait tout particulièrement :
Qui belles amours a,
Souvent sy les remue,
L'autrier quant chevauchoye
A Paris la grant rue,
Sur mon cheval moreau
Qui souvent sault et rue,
Qui belles amours a,
Souvent sy les remue.
Les quatre fers qu'il a
Font la pouldre menue,
La dame du chasteau
Est auz creneaux venue:
"Qui est ce garson la,
Qui point ne me salue?"
Qui belles amours a,
Souvent sy les remue.
"tel garson que je suis
Ailleurs vous ay tenue,
Et dessus vostre lit
Ay laissé ma saincture,
Et a vostre chevet
Mon espée esmoulue."
Qui belles amours a,
Souvent sy les remue.
Sur ce dernier couplet, Louis entra dans Valence et se dirigea vers la place du marché en criant à qui voulait l'entendre :
Approchez Messires et Dames !!! C'est une merveille que je vous apporte, Approchez !! Un palefroi de quatre ans, jeune et vigoureux !!
Regardez moi ce poil Mademoiselle, n'est-il pas remarquable ce poil ? dit-il à une jeune fille qui passait là.
Chanson : "Qui belles amours a" de Josquin Desprez (1440-1521)