Paina no itami

Kumamoto, Fuyu, Shiwasu 1458

Il faisait froid ce jour, un froid qui glaçait. La neige avait étendu son blanc manteau sur la campagne de Kumamoto. Ashitaka se promenait souvent depuis son arrivée en Otomo, des questions toujours sans réponses, des doutes, surtout un omniprésent. Que serait son avenir? Qu'allait-il devenir?

Se remémorant son passé, il tentait de faire le point sur sa vie. 
Il était de retour sur Kyushu, l'Ile où cette dernière avait pris le grand tournant, le menant à ce qu'il était devenu. Il avait bien changé en un an. Il n'était plus le même et pour cause.

Kokura, Fuyu, Nigatsu 1458

Cette ville où pendant quelques temps il avait élu domicile, Kokura. Les Tokugawa s'étaient rendu en Uchi pour honorer la mémoire du Père de Takezo, ce chef de Clan mort au combat avec honneur.

L'honneur, Ashitaka l'avait encore le sien à cette époque. Mais en ce mois de février, il l'avait perdu.

A l'époque, les Tokugawa faisaient trembler les autres clans. Le simple fait d'évoquer leur nom donnait des sueurs. C'était la belle époque...

...Mais la belle époque était révolue. Aujourd'hui, il n'était plus et pour cause...

L'hiver froid... Il représentait bien ce qu'avait pu être Ashitaka en février. Il incarnait dans ses moindres gestes une famille fière, un ordre, un esprit différent. Celui de la caste des samouraïs que le peuple semblait oublier peu à peu. 
Kokura était la ville où il avait appris le plus, autant sur les charges administratives que des facteurs plus personnels. 
Sa charge de Surintendant aux affaires Étrangères lui avait valu le titre d'Excellence. A priori, cela n'était guère important dans une vie de fonctionnaire bien menée. Mais ce titre avait signifié bien plus que la simple fonction de diplomate et ça pendant une bonne partie de sa vie. 
En effet, il s'était avéré être l'excellence d'une demoiselle, le seul amour de sa vie. 

Malheureusement la vie d'un membre de clan est liée à celle de ses pairs et l'expérience de Kokura fût bien courte. Mais bien qu'elle ne dura que peu de temps, elle laissa une marque profonde dans le cœur d'Ashitaka qui avait pour cette ville un attachement tout particulier. 

Oda, Haru - Natsu - Aki 1458

L'amour avait élu domicile dans le cœur d'Ashitaka, son retour sur la Terre de ses ancêtres et sa Terre natale s'annonçait bien. L'élue de son cœur avait pris la difficile décision de le suivre, abandonnant derrière elle la belle vie qu'elle avait à Kokura.

Takezo avait succédé à son père, mais trop jeune, immature et dissipé, le pouvoir lui monta à la tête. 

Ce fût à ce moment qu'Ashitaka commença à se rendre compte de son erreur. Et jusqu'à ce qu'il ne reprenne sa vie en main, il ne cessa de payer. Il n'aurait jamais dû quitter Kokura...

La folie poussa Takezo à accuser Ashitaka des pires trahisons faisant de ce dernier l'un des responsables de la chute progressive des Tokugawa. Ashitaka accablé décida de s'exiler renié par les siens. Le futur montra que Yawa et Takezo avaient peu à peu étouffé le Clan de l'intérieur. 

Le seppuku plus que raté de Takezo marqua la mort des Tokugawa. Des fous attachés au passé crurent que le clan pouvait renaitre. Or le phénix est une légende, la renaissance l'était tout autant.

Se cherchant Ashitaka ne sut se trouver et finit par piller Oda avec son cousin. Il espérait beaucoup des liens familiaux qui l'unissaient à Razan, mais ce fût une nouvelle erreur. Razan obsédé par la richesse finit par se perdre dans son avarice. 

Et Ashitaka se retrouva perdu, à nouveau sur Kyushu pas plus avancé qu'au début de l'année 1458.

Kumamoto, Fuyu, Shiwasu 1458

Une chose était sûre, il n'avait qu'une direction qu'il connaissait. Un nouveau départ vers l'avenir. Il ne savait pas du tout ou cela allait le mener. Au moins, il n'était pas seul. Sa belle était à ses cotés, fidèle et aimante, Painappuru n'en avait pas moins un caractère difficile, mais c'était là qu'en partie résidait son charme. 
Tous deux souffraient d'un mal, celui de Kokura. Il fallait qu'ils y retournent afin de constater les dégâts qu'avait pu causer la guerre sur leur ville chérie. Connu dès lors sous le nom de Katsura, ils s'apprêtaient à répartir de zéro avec un seul objectif: être heureux.

Or la vie est vicieuse et ne laisse pas toujours la possibilité de faire ce que l'on veut. 

Le couple Katsura allait souffrir d'un imprévu qui porterait un coup fatal à leur union...

Chapitre Premier: Kyabetsu no kigen

Il est une condition dans la société qui nous fait être inférieur à d'autres. Non par choix, mais par hasard les individus qui en font partie la subisse toute leur vie. 

L'histoire que je vais vous conter prend vie comme beaucoup d'autres par une naissance. Tout commença il y a vingt et un printemps, lorsque que dans la campagne de l'Ile de Kyushu, dans les Terres sacrées de la province d'Otomo, une humble paysanne donna naissance à son enfant. 
Né un 7 mars, alors qu'il n'était attendu que pour la mi-printemps, l'enfant prématuré était tout petit. On le compara même à un Kampara-Kyabetsu, ce qui lui valut le nom de Kyabetsu ¹.

Ses parents ayant peur qu'il ne passe la fin du rude hiver demandèrent aux Kamis de bien vouloir protéger leur enfant. Ils lui donnèrent alors Haru ² comme second nom.

Bien que le début de sa vie fut difficile, Kyabetsu surpris son entourage en rattrapant bien vite son retard physique. Il se développa et devint alors un jeune homme fort et grand, apte à la dure vie de paysan. Le travail n'était pas aisé, mais que pouvait il y faire? Les Kamisama ³ ne l'avaient certes pas gâté en richesse, il n'en était pas moins heureux. Et les louaient chaque jour de son existence. Il passait ses journées à repiquer les plants à la rizière, à couper du bois en forêt ou encore s'occuper de la volaille, seule réelle possession de sa famille. Son village honorait deux kamis. Le premier etait Chocobo, esprit de la volaille, de la fertilité, de la vie et de la mort. Le second, Kumaneko était l'esprit de l'entente et des relations. Autant d'un point de vue religieux qu'économique, le Shôen où vivait Kyabetsu était paisible et même l'on pouvait dire qu'il prospérait. 

Malheureusement, la politique menée en son sein ou plutôt la politique extérieur du maître des lieux engendra une série de catastrophes. À un moment donné d'une histoire, il y a toujours un événement qui trouble la paix et la quiétude, sans cela le récit serait vide de sens. Dans le cas qui nous concerne, le Seigneur du Shôen ⁴ transforma par ses seuls actes toutes les vies de ses sujets. En cette occasion, Kyabetsu n'échappa donc pas à la règle.

Tout commença un beau jour, où le Seigneur des terres où vivait Kyabetsu, assoiffé de richesse et obsédé par le pouvoir vint à provoquer une fois de trop le Daimyo. Il n'était en rien exceptionnel qu'un Seigneur veuille être Daimyo à la place du Daimyo en cette époque si troublée. Mais la situation était ici toute particulière. Le petit seigneur se prenait pour un être invincible, ayant de son coté les Kamis et ses ancêtres. Si l'affaire s'était arrêtée à une ou deux provocations, le Daimyo n'aurait pas sévit. Mais l'homme facilement aveuglé par un pouvoir illusoire pousse souvent à bout pour tester les limites de son adversaire. 
Une attaque de shinobi sur un château apparenté au Daimyo fut la raison du début des hostilités. Ce que l'on pourrait aussi nommer la goutte qui fait déborder le bol de saké.

"Le débordement du bol de saké"

Otomo no Daimyo avait réuni ses troupes et n'attendait plus que le moment propice pour donner l'assaut. Au fond de lui, il espérait tout de même pouvoir éviter de verser le plus de sang possible. Il aurait souhaité que le pétulant seigneur vienne seul face à lui et que cette opposition finisse rapidement par le seppuku ⁵ de ce dernier.
Or, espérer c'est souvent rêver, et le petit seigneur n'avait nul intention de se rendre, il préférait continuer de défendre sa cause perdue d'avance et par là peut être sauver sa vie.

La guerre est basée sur le principe d'un affrontement de plusieurs armées. Et ces armées sont le plus souvent composées d'hommes subissant le conflit qui oppose une minorité. 
Respectant les mœurs, l'armée du seigneur était composée de samouraïs, mais aussi d'ashigarus ⁶. Ces soldats issues du peuple avaient le merveilleux rôle de servir de première ligne, afin de protéger les puissants à l'arrière. La campagne de recrutement avait été très étendue et tout homme ou jeune homme en âge de porter une arme s'était vu enrôlé de force par l'armée.
Kyabetsu et ses frères en firent partie et participèrent à cette boucherie. 

Le résultat ne fut pas une surprise et l'armée du seigneur en déroute fut défaite. A défaut d'avoir pu trancher la gorge de son ennemi, Otomo no Daimyo confisqua ses biens et le condamna à l'exil. Le calme pût alors enfin revenir... Mais ceci n'était que pure illusion. Le seigneur vaincu et sujet à la démence envoya ses cavaliers aux quatre coins de son ancien fief, pour massacrer les paysans, qui d'après lui étaient la raison de son échec...

"La fin des haricots... Rouges"

En l'attente d'un nouveau seigneur, la vie devait reprendre et le domaine devait continuer de prospérer. Les dégâts matériels avaient été minimes, le Daimyo ayant eu la vivacité d'esprit d'épargner la population en dehors du conflit.
Mais la crainte des représailles de leur ancien maître et le doute sur leur sécurité, faisaient que la population était méfiante. Cette crainte était justifiée car chaque jour où entendait parler de massacres ou incendies criminels dans les alentours. 

Kyabetsu, comme tous les soirs rentrait au village. 
De taille moyenne, c'était un paysan bien musclé. Idéal comme garde du corps, on aurait pu le comparer à une armoire à glace. Coiffé en chignon sous sa suggegasa, Kyabetsu portait peu de vêtements. Un kimono n'étant pas dans ses moyens, il restait donc torse nu. Et même s'il avait s'en procurer, il n'aurait pu le porter ou su par habitude de sa condition quotidienne. Son unique parure était donc son hakama noir qu'il avait assorti d'un obi rouge, seule fantaisie financière qu'il s'était permise et qu'il payerait encore pendant quelques semaines.

Ce soir-là, le paysan portait sur ses épaules son manche en bois auquel il avait accroché de chaque coté, des seaux remplis de riz... Il portait sur ses épaules le repas de quelques familles du village.

Quand soudain au loin se fit entendre le bruit de sabots. Une troupe de cavaliers arrivait au galop et se dirigeait droit vers Kyabetsu. Ce dernier affolé et se remémorant les actes criminels des cavaliers fous sillonnant la région avec pour seul but de faire couler du sang de paysan, abandonna bien vite ses seaux dans un ravin et se mit à courir aussi vite qu'il pût. 

Mais il était trop tard, la troupe le rattraperait bientôt...

Kyabetsu ne savait que faire face à la troupe venant très certainement le tuer. Ne pouvant courir le risque de mettre en péril tout son petit village il décida de mener les cavaliers sur une fausse piste. Peut-être arriverait-il à les semer dans la campagne... Il en doutait tout de même fortement.
A pied et ne sachant où aller, il était à la merci de ses poursuivants. Il lui fallait un but pour "espérer" leur faire faux bond.
C'est alors qu'il se souvint du jour où son père lui avait parlé d'une branche de sa famille qui avait élu domicile à Kumamoto. Il ne les connaissait pas, il ne savait pas où ils pouvaient être, mais sur le coup le paysan ne réfléchit pas et sans perdre un instant il se mît à courir en direction du village où était censée se trouver la branche cousine de sa famille.

Il espérait de tout coeur échapper au triste sort que lui réservaient ces chasseurs de paysans. Kyabetsu avait entendu parler de leurs pratiques de tortures en attendant la mort lente et douloureuse de leurs victimes. Peut-être que ce fut une image d'horreur qui vint visiter son esprit ou bien le fait qu'il ne soit plus très loin de Kumamoto qui lui donna la force d'accélérer l'allure.

Après avoir parcouru la campagne aux alentours de Kumamoto, pendant un temps qu'il ne saurait définir, Kyabetsu s'engouffra dans la forêt qui bordait le village de Kumamoto. La neige épaisse laisserait très certainement des marques qui alerteraient les cavaliers de son passage... Même s'il trouvait un arbre dans lequel monter... Ils finiraient par le retrouver.

Foutu pour foutu, Kyabetsu décida de mourir... En même temps, il n'avait pas trop le choix, mais plutôt que d'être traqué, il attendrait ses poursuivants afin d'en finir en ces lieux.
Certes il était motivé, mais son simple bâton ne lui serait pas d'une grande utilité face aux fers de ces samouraïs de malheur... La seule chose peut-être en cette heure dramatique pour lui était de préparer son arrivée auprès des Kamis et de ses ancêtres en récitant une prière au Kamisama Kumaneko. L'offrande de saké manquait, mais Kyabetsu espérait tout de même que cet esprit l'accompagnerait dans sa mort et au-delà.

Il prit donc son bâton à deux mains et ferma les yeux pour une dernière prière.