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[RP] Celui qui s'humilie, Dieu l'élève.

Sancte
[Every breath you take.]

Rien n'y remédiait. Ni le temps, ni les attentions délicates. Quelque chose s'était réellement brisé durant ces dernières semaines. Mais ne le savait-il pas ? Ne l'avait-il pas toujours su ? Hélas, le temps ne lui accordait aucun réconfort. La fragilité de sa position, à laquelle il n'avait jamais été habitué, lui mettait martel en tête. Serait-il possible qu'ailleurs, les cimes de l'angoisse soient plus cruelles encore ? A chaque fois, lorsqu'ils devaient se réunir, se glissaient entre eux une brume étrangère qui altérait le naturel de leurs échanges. Ainsi, le soir venu, il allait la retrouver à l'auberge du Porche, dans la chambre remise en état par le bon soin des domestiques.

Il faut que nous parlions Sophie. De ce que nous allons faire maintenant.
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"Aux hommes la droiture et le devoir, et à Dieu seul la gloire !"
S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Asophie
["... every smile you fake..."]

Elle regarda la jument s'éloigner vers Terrides, en compagnie du coursier, un pincement au cœur. Mais c'était mieux ainsi, non? S'en retournant à l'auberge, elle prit soin d'elle, avec une attention méticuleuse comme si elle s'adonnait à un rituel. Enfin lavée, délassée, la tête vidée, ayant comme fait peau neuve, elle quitta la salle d'eau pour retrouver son compagnon, celui qui mieux que personne incarnait le "pour le meilleur ou pour le pire..."

"Il faut que nous parlions Sophie. De ce que nous allons faire maintenant."

Parler... Encore? N'est-ce pas ce qu'ils avaient fait, déjà, presque toute une nuit? Allait-on remettre en jeu à chaque fois cette décision? Car s'il y avait bien une chose dont elle n'avait pas besoin pour l'heure, c'était de devoir refaire un choix aussi douloureux que le dernier tous les trois jours. A moins que ce ne soit juste discuter du futur départ de Blaye... Fronçant les sourcils, elle hocha la tête, masquant l'angoisse qui été revenu la tenailler par un sourire.


"Bien... En ce cas, parlons, Iohannes."
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"Connais-toi toi -même et tu connaitras l'Univers et le Divin."
Sancte
[I'll be watching you.]


aSophie a écrit:
"Bien... En ce cas, parlons, Iohannes."



Je ne suis pas certain de vouloir rentrer immédiatement à Montauban.

C'était dit. Car non, maintenant qu'ils en étaient arrivés à un accord concret, un consensus palpable, Iohannes n'allait pas lâcher la proie pour l'ombre en remettant en question les conditions qui avaient été douloureusement posées il y a quelques jours de cela. Aussi, examina-t-il avec une froide attention la moindre des réactions de sa compagne. Lorsqu'il vit ses sourcils se défroncer, il reprit une certaine assurance et s'effeuilla, avant de regagner son plumard, profitant du simple plaisir de se trouver à poil sous les draps. Là il lui expliqua longuement ses motivations, qui découlaient de plusieurs facteurs assez différents: ses difficultés à revenir à Montauban avec une image écornée, la teneur de ses soucis judiciaires persistants, ses nouvelles résolutions quant à son style de vie, et quelques autres projets en cours dont l'exécution était de toute façon inévitable sur le moyen terme. Il parla beaucoup, mais moins qu'il ne l'aurait pensé. Il fut assez surpris de constater qu'elle lisait en lui comme dans un livre ouvert, et en fut souvent réduit à remuer la tête d'avant en arrière pour toute réponse. Une discussion capitale qui mit en lumière leurs actions à venir. Surtout les siennes en fait. Car même pendant la béatitude des retrouvailles et l'effacement progressif des tourments directement responsables de leur torture morale, il fallait continuer à vivre. Dans la citadelle de Blaye, leur existence avait été placée entre parenthèses, mais désormais, il leur fallait rebondir. Quant à Iohannes, conformément aux conseils que lui avait fourni un ami, il lui fallait se mettre au vert pour quelques temps, en se lançant dans une cavale dont la seule idée lui arracha un souris.

Celui d'une aventure nouvelle ...

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"Aux hommes la droiture et le devoir, et à Dieu seul la gloire !"
S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Asophie
[« Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire. »]
A. Gide



Le jeune cavalier profita de l’aube et de son flot de marchands et de voyageurs pour se faufiler dans les murs de Blaye. La posture avachie par la fatigue de la route sans doute, le visage harassé, dissimulé sous les bords d’un large chapeau, Florimond de Campsas s’enregistra comme entrant alors même que la veille, au crépuscule, un fringant Iohannes de Bressols avait quitté la ville. N’ayant rien à déclarer aux douaniers peu soucieux d’ennuyer un noble, sans doute arrogant et désagréable, et d’avantage préoccupés par les marchandises des charrettes, le jeune homme à la silhouette gracile regagna l’Auberge du Porche où il avait une chambre et se fit monter un bain.
Là, avec un sourire en coin, le cavalier arracha son couvre-chef qui laissa se déverser dans son dos une longue chevelure d’ébène. Les bottes et le pourpoint de cuir furent ôtés avec ravissement, les braies de cuir dégagées avec désinvolture, la chemise délacée avec soin et posée sur une chaise. Enfin, les bandes qui comprimaient sa poitrine furent retirées avec un soupir d’aise. Et en attendant que le personnel de l’auberge ne monte le baquet d’eau chaude dans lequel elle se prélasserait avec bonheur, la vicomtesse de Terrides enfila à nouveau la chemise trop longue et se laissa tomber comme une bûche sur le plumard dont le léger craquement fit écho à un gémissement de bien-être.

Les yeux perdus au plafond, elle souriait à la touche romanesque qu’ils avaient ajouté à leurs retrouvailles. Tandis que son homme s’offrait quelques jours de bivouac en laissant filer le temps, attendant un message qui serait signal à un départ prochain, Sophie demeurait la journée à Blaye, faisant des emplettes, remplissant ses obligations. A la nuit tombée, elle le retrouvait. Plus question de se séparer désormais plus que quelques heures. Leur histoire, encore fragilisée par la dernière épreuve, avait trop à y perdre. Ainsi, ils avaient retrouvé un petit goût du secret qui avait très longtemps été le cadre de leur liaison. Travestie, comme autrefois, quand le soir, elle abandonnait ses riches vêtements aux couleurs clairs et voyantes pour s’enrouler dans une sombre mante afin de rejoindre le manoir Albar… « Comme avant ». Depuis qu’ils s’étaient retrouvés, c’était devenu pour eux une nécessité que de se replonger dans leur passé, se remémorer les beaux moments de leur histoire. Ainsi, ils avaient évoqué dans un sourire complice le soir où ils étaient devenus amants, devant lutter contre les amis et les curieux qui semblaient s’être donnés le mots pour leur disputer une intimité tant recherchée sans se l’être avoué. Ils redonnaient vie aux anecdotes les plus amusantes ou les plus tendres : les bains nocturnes dans « leur » crique sur le Tarn, les rendez-vous sur le promontoire qui dominait la ville, les soins attentionnés qu’elle avait prodigué à ses blessures, prétextes pour veiller sur lui chaque nuit… L’évocation de leur passé leur permettait de se reconstruire en puisant dans leur mémoire comment d’amants ils étaient devenus conjoints, l’attirance se faisant complicité, tendresse et finalement, amour, celui-là même qu’ils avaient cru inébranlable et indéfectible et qui s’était pris un fameux coup de vent dans les voiles.

Alors ils plaisantaient, chassaient les nuages qui ne manquaient pas sans cesse de revenir à la charge de leur ciel de lit. Évidemment, certaines de leurs anciennes blagues n’avaient plus l’impact désiré… Comme par exemple, sa remarque pleine de tact lancée sur un ton badin lorsqu’il avait constaté qu’elle portait sa chemise :

« Et c'est une amulette puissante pour éloigner vos éventuels amants fort mal intentionnés. Ou qui ne le sont que trop bien ! »
Ca forcément, ça faisait moins rire aujourd’hui… Ça crispait les mâchoires, installait une gêne palpable, faisait détourner les yeux vers un ailleurs auquel on avait tourné le dos, remuait le couteau dans deux plaies béantes…

Peut-être le bain... Peut-être une goutte de prune… Elle se laissa glisser au bas du lit, effleura du bout des doigts un parchemin aux mots qu’elle se refusa à relire…

Machinalement, elle porta la main au bijou d’argent qui ornait son cou désormais, la croix à l’ichtus reposant sur sa poitrine à nouveau oppressée par un silence glacial. Se laissant glisser contre le montant du lit, elle se recroquevilla sur elle-même comme si le métal ainsi lové au creux de ses seins pouvait se réchauffer, irradier suffisamment pour chasser le froid et le vide qui venait de saisir son âme, aussi soudain qu’un simple mot, un simple souvenir, un coup de poignard…
Entre deux larmes sèches, entre deux gémissements silencieux, un murmure rauque qui s’échappe d’une gorge nouée…


« Miserere mei, Deus : secundum magnam misericordiam tuam. »

Une prière qu'elle n'avait pas fini de répéter à l'infini, le jour, la nuit, à jamais... **


*André Gide : Les Nourritures terrestres (1897).
** « Pitié pour moi, mon Dieu, dans Ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché. »

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"Connais-toi toi -même et tu connaitras l'Univers et le Divin."
Sancte, incarné par Asophie
[«L'amour c'est comme l'alcool, plus on est impuissant et saoûl et plus on se croit fort et malin, et sûr de ses droits.»] *
Céline









L'amour est enfant de Bohême,
Il n'a jamais, jamais connu de loi,
Si tu ne m'aimes pas, je t'aime,
Mais si je t'aime ...prends garde à toi.



Méfiance, Iohannes. Méfiance. A force de lâcher du leste dans les cales de ta fierté et de baisser la garde de ton cœur fragile, tu tomberas dans l'écueil fatal du vulgaire. Tu raconteras des salades. Et pire que tout: tu finiras par y croire. L'amour, quoi de plus qu'une lance, qui a cela de magique qu'elle invite le cavalier à donner de l'éperon pour venir allègrement s'y planter ? Il n'est jamais bon de renoncer à sa nature, mon garçon. Elle finit toujours par prendre le dessus. La sincérité du cœur ne te sied guère. Elle offre ton flanc à un adversaire sur qui tu n'as pas de prise. Elle est le défaut de ta volonté invaincue, forgée dans un alliage savamment affiné au fil des ans : un peu d'humour, des excuses spirituelles et imagées, beaucoup de sincérité dans le seul but de camoufler l'inavouable, le tout vernissé d'un ton convaincant ou exalté. Un roc. Mais cette nuit, ce plastron avait volé en éclats. A l'instar du type auquel il était justement en train de mettre la gueule en travaux à coups de phalanges cloutées.

Paf.
Paf.
Paf.
Crââac.

Terminus. On y est.


- Ton fric, chiche-face.

La menace n'eût pas l'effet escompté sur le grossier personnage qu'il tenait par le col. Forcément. Le nez brisé, il était en train de s'étouffer dans son propre sang. Iohannes le secoua un peu. Il rota rouge. Moche. Et quelques morceaux d'émail lui atterrirent sur la spalière dans une série de crachats et de gémissements inhumains.

- Ça va, ça va. Laisse pisser. Respire avec la bouche. D'ici deux jours tu seras beau comme un Prince. "... Roergat, tout au plus."

Le gars reprenait peu à peu une respiration normale et tendit sa bourse. Le pasteur fouilla dedans avec méfiance. Ses craintes se concrétisèrent très vite. Quelques pièces ridicules. Un butin infinitésimal. Bref. De la merde.

- Tu te fous de ma gueule ?

Cette fois le type répondit. Il bavait. Pleurait. Se contorsionnait comme limace sur sa salade au bout de son bras, avec le renfort de quelque instinct désespéré. Une horreur. Le pire dans tout ça, c'est que le pasteur ne savait même plus quoi en foutre. Il avait les plus grandes difficultés à entraver son baragouin.

- Yé caminho dépoui l'andalusia visitar ma tata Hortensia à lou Rochel, ahh, tu madre la cabrona, maricon de mi corazon, yé né plou oune sol panito à comer ! **

"Commère, commère ... Commère toi-même, le margoulin. C'est quand même pas moi qui vais aller envoyer un pigeon à Tata Hortensia au premier hospice venu pour lui conter mes malheurs." Iohannes avait plus pitié de ce jeune type -contre lequel il ne nourrissait aucun grief sérieux et qui, il faut bien en convenir, ne lui avait rien fait et encore moins demandé- que tout autre sentiment qu'il pouvait bien lui vouer. Mais les piécettes ridicules qu'il tenait dans sa main firent rugir en lui une rage sourde. Dans le regard éteint de sa victime, il crut déceler un éclat moqueur. Il se sentit horriblement déprécié. On le méprisait. Encore. Lui. Cet avorton, qu'il tenait à bout de bras, était en train de se payer sa fiole !

Alors il le frappa. Avec une force telle qu'il faillit lui enfoncer le quillon de son arme dans le crâne, et l'abandonna sur le sol.


- Ton impudence, téméraire coquart, a eu sa récompense. ***

Un grand moment de solitude pesa sur les épaules du Réformé. La vie était décidément un combat à livrer avec la certitude d'être vaincu. Qui voyage avec beaucoup de liquidités, flatte le cœur des margoulins de la route, mais engendre souvent le mépris de soi-même qui suit l'inévitable humiliation. En revanche, voyagez les poches vides, et vous attirerez la haine de ceux qui auront eu l'amabilité de s'y intéresser. En ce monde, seule la force règne, commande, et ordonne. La force pure, c'est la sécurité suprême face aux chimères et aux illusions. Un élixir de vérité, épuré de tout substrat de servilité. En conséquence, Iohannes estima que le Sans-Nom avait encore de beaux jours devant lui. L'Homme était taillé à sa mesure, pour le servir toujours quand bien même il chercherait à s'en défendre. Vous savez de quoi je parle. Certaines femmes dispensent même effet.


Rentré au campement, il effaça les traces de son forfait, se mit à l'aise, ne se refusa rien, et s'arma d'une des rares plumes qui lui était encore restée fidèle.


Citation:
Ma belle et inoubliable épouse à crédit,

    Si comme je l'espère ce mot vous parvient avant que vous n'investissiez l'apparence d'un autre en vue de me rejoindre, sachez que notre amie commune, craignant pour la sécurité de son marmouset, a pris l'âpre décision de rejoindre l'Anjou où elle espère qu'il y sera en sécurité. Elle vous prie, par mon truchement, de bien vouloir l'excuser de ne point vous avoir avertie plus tôt, tant sa confusion est grande. Ceux-là ne nous rejoindrons donc avant longtemps.

    Pour ce qui est de notre voyage prochain, il se pourrait que nous recevions le renfort de quelques personnalités Toulousaines ayant soif de grand air et d'aventures. Espérons qu'ils en soient servis. Pour ce qui est du jeune intrigant de Blaye, celui-là même dont on dit qu'il a de fort mauvaises manières, je me suis octroyé -comme je vous le disais tantôt- la libéralité de vous le recommander afin que vous ne le laissiez pas seul en la cité des lierres où il souffre là-bas d'une singularité qui ne lui attire que l'animosité du populaire, quand en Montauban, ce même trait de caractère lui accorderait sans doute un nom et la fortune pour peu qu'il apprenne quelques règles élémentaires de savoir-vire afin qu'il ne devienne pas la caricature de ce qu'il a toujours rêvé d'être.

    Puissiez-vous passer au plus tôt.
    Notre petit coin de paradis souffre déjà de votre absence, cruel poison de ma joie de vivre.


Vale e me ama.






P.S. : Ne vous séparez jamais de votre meilleure épée, et achetez le plus rapidement qu'il vous sera possible, avec l'argent que je vous ai baillé, deux lames mouchetées et deux masques d'entraînement. Il me faudra vous dispenser mes leçons à la première heure. Si vous saviez le nombre de sabrieux et de larrons déclassés que je croise sur les routes ... Tant de crasse inélégance me soulève le coeur.







*Extrait du "Voyage au bout de la nuit"
** NDLR: Les propos sont plus ou moins tels que Iohannes les a perçus et non forcément tels qu'ils ont été prononcés par un cousin lointain d'Alessandro de Nespresso.
*** Référence au Cid de Corneille.



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S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.
Asophie
[« Mon bel amour, mon cher amour, ma déchirure, ]
Je te porte dans moi comme un oiseau blessé
Et ceux-là sans savoir nous regardent passer
Répétant après moi les mots que j'ai tressés
Et qui pour tes grands yeux tout aussitôt moururent
Il n’y a pas d’amour heureux.»

L. Aragon



Le départ n’en finissait pas d’être retardé. Quand une personne se désistait, il fallait en attendre une autre, puis une autre… Et le temps n’en finissait pas de s’écouler inexorablement lent, long, lassant. Ses allers-retours vers l’oratoire ne la fatiguaient pas. Ils l’occupaient. Mais pas assez. Elle se retrouvait simplement en proie à une mélancolique lassitude dès qu’elle le quittait. Rien à faire, loin de ses proches, c’est son moral qui s’effritait en sapant sournoisement les bases de sa résolution. A Blaye, elle était une étrangère. Cyrinea et Rafm semblaient s’être enfermés dans l’attente, profitant de leur cocon loin du monde pour s’inventer leur histoire. De fait, elle se retrouvait véritablement seule. Ici, Iohannes était son unique repère, sa balise, son lien et, n’étaient ses obligations qui la ramenaient invariablement en ville, elle se serait bien laissée aller à une langueur crasse au cœur de la cambrousse, à ses côtés. Se coller la tête dans le sable, en somme ; se laisser faire et surtout, oublier, par paresse et lâcheté. « Sois sage, Ô ma douleur et tiens-toi plus tranquille… »*. Nourris-toi donc de cet amour enfin offert, de cet abandon tant souhaité, de toutes ces attentions réclamées. Ne l’as-tu pas assez attendu? Ne l’as-tu pas assez réclamé ? Certes, soit. Facile à dire… Ainsi, quand elle était près de lui, elle se faisait joie, se forçait à vivre, autant que possible. Revenue à Blaye, elle s’éteignait, enfermée dans rien, parcourant des lieux de landes, travaillant tête baissée à la sénéchaussée, ramassant des brassées de fleurs dont elle ne pourrait guère faire grand chose, sombrant dans le gâchis avec une amertume de gorge qu’elle faisait passer à grande gorgées de prune. Parfois trop.

Jusqu’à ce retour, ce vendredi, où l’attendait un coursier, porteur d’un pli dont elle reconnu aussitôt l’écriture. Comme une voleuse, elle s’enfuit vers la plage solitaire avec son précieux trésor. L’amour en parchemin…
L’écriture était torturée. Les mots plus encore. La sourde plainte d’un Desdichado.

Alors il vint. Des profondeurs de ses entrailles, brisant les digues, rompant son être, transperçant ses chairs pour se frayer un passage sourd et douloureux dans sa gorge et sortir enfin, terrible et primal. Le cri. Celui qui délivre de la souffrance muette, celui qui libère de la rage étouffée, celui qui déchaîne les sanglots et qui se répète en écho, faisant frémir ceux qui l’entendent. Un séisme de l’être et ses répliques qui se déversent en torrents incontrôlés, qui secoue son corps qui se tord et qui se tend, qui la retrouve à genoux, répandant ses entrailles sur le sable avant de la laisser, épuisée, abattue, libérée… pour quelques heures.

Lorsque les vagues de la marée remontante vinrent l’effleurer, elle finit par se lever et se traîner jusqu’à Soara. La brave bête la ramena en silence jusqu’à l’Auberge du Porche et à ce lit froid et vide. Ce soir, elle n’irait pas à l’oratoire. Elle ne saurait pas lui mentir ses sourire. Elle ne saurait pas lui cacher qu’elle souffrait pour un autre. Elle ne saurait pas l’aimer. Elle le détesterait peut-être.
Et voilà bien une chose qui n’était pas prévue dans le pacte d’amour qu’ils avaient passé et qu'elle se refusait à lui infliger.

Ce vendredi, c’était jour de prières. Mais aucune ne lui vint au lèvres : rien n’apaiserait son âme. Dieu est partout. Mais on est toujours seul avec sa solitude. Et ses remords.





*Baudelaire : Recueillement in Les Fleurs du Mal (1857)

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Sancte, incarné par Asophie



[Vous les voulez traiter d'un semblable langage]
Et rendre même honneur au masque qu'au visage.
Égaler l'artifice à la sincérité,
Confondre l'apparence avec la vérité.
Estimer le fantôme autant que la personne ...
... et la fausse monnaie autant que la bonne."*



"Deux choses plus que toutes les autres, nous incitent à aimer: la beauté et l'honnêteté. Et ces deux choses se trouvent au suprême degré chez ma dame, car aucune femme ne l'égale en beauté, et bien peu quant à l'honnêteté pourraient rivaliser avec elle."** Mais l'invitation à l'amour n'est qu'une maigre consolation lorsqu'il menace chaque jour de se dérober pour laisser place au plus humiliant des abandons, de ceux qui vous laissent les pleurs à vif sous le masque intransigeant de l'homme de guerre.

Il était revenu plus tôt que prévu de ses rapines avec un léger pécule. Le dîner fut frugal. Ses réserves s'amenuisaient. Et puisqu'il fallait s'occuper jusqu'à la nuit tombée, il s'établit sur un billot pour traiter ses correspondances toulousaines, religieuses, ou simplement amicales, puis travailler ses petites figurines dans le bois, de façon à surveiller l'horizon.

En vain.
Car ce soir là, elle ne vint pas.




*Molière
**Cervantes - Don Quichote de la Manche


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Asophie
[« Qui masque ses fautes se voit, en fin de compte, démasqué par sa conscience. »]
W. Shakespeare. Le Roi Lear.



Le cours de la nuit fut à l’image de son astre blafard : long, solitaire, mélancolique. La journée, pâle et brumeuse…
C’est au crépuscule que se dessina enfin au bout du chemin une silhouette familière bien que moins fringante qu’à l’accoutumée. Une fois de plus, les retrouvailles furent empruntées, lourde de gêne et de non-dits.


« Vous n'êtes pas venue hier. Je me suis fait du souci. »
« Je suis navrée... Je... J'étais occupée. Tenez, j'ai ramené des victuailles et des draps propres... »


Et de vite passer à des considérations très pragmatiques pour écarter le sujet tabou qui rumine :
« Qu’est-ce que vous avez foutu ?! »
« J’ai chialé pour un autre… »


Non. Impossible de crever l’abcès sans brutaliser la pudeur de ces deux écorchés vifs. Alors on sombre dans les habitudes domestiques, on parle de tout, de rien et surtout de tout autre chose comme des ptites figurines en bois de monsieur ou des ptites fleurs de madame… Consternant d’ordinaire. Une banalité méprisable comme refuge. Un faux jeu de dupe avec port de masque obligatoire. On y revient toujours…

Jusqu’à ce que le vernis du masque se craquelle sous des larmes silencieuses et inattendues. Qu’il ne tombe, écarté par un geste tendre.

L’abcès se vide, le cœur avec. Ou comment faire de l’époux trompé le confident de ses remords et de ses peines… Un vaudeville d’un nouveau genre où celui qu’on attendait pas dans ce rôle se découvre une fois de plus l’incarnant à merveille avec un tact et une douceur qui n’en finissent pas de la surprendre. C’est qu’on attrape pas les mouches avec du vinaigre et le Sancte manie désormais à merveille l’art d’apprêter le miel pour adoucir l’amertume qui ne cesse d’envahir sa bouche.
Mais au fond, les baisers qui suivent n’en sont que mieux parfumés.

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Sancte, incarné par Asophie



[Mais je tarde un peu trop. Allons trouver Iohannes, et par son entretien, soulager notre peine.]
Corneille, ou le Cid revisité.



On y croit, n'est-ce pas ?

La Vicomtesse de Terrides était probablement la plus merveilleuse épouse pour un mari qui aimait casser la croûte. Mais elle était sans doute la plus maladroite du monde dès lors qu'il s'agissait de briser la glace. En s'efforçant de toujours maintenir son humeur au dessus de la ligne de flottaison de son désespoir, elle ne trompait son monde qu'à première vue. C'est à dire, en somme, uniquement le monde qui ne la connaissait pas. Or Iohannes la connaissait, l'amie Terrides. Il l'avait vue. Souvent. Et de près.

Très près.


Mais cette crise là, il n'avait pas su la prévenir. On est talentueux, certes. Mais on ne peut pas être bon tout le temps. S'il avait effectivement senti son malaise -parce qu'après tout, il n'était pas si rustre- il en avait clairement sous-estimé l'ampleur, conformément à l'adage qui veut qu'on ne voit que ce que l'on veut bien voir. Alors qu'il la baisotait de la façon la plus anodine qui soit, il la vit se décomposer sous ses yeux, pour se traîner à terre en cherchant désespérément la sortie, du vin, de l'air, un secours quelconque. Qu'importe. Une échappatoire à sa détresse. Il avait beau faire, notre grand con, y mettre du cœur, suivre à la lettre les recommandations du pacte formel qu'ils s'étaient imposés, il ne pouvait que constater que sa vie affective sombrait vers ce qu'il y avait de pire. A ce rythme, autant écoper une embarcation avec un dé à coudre pour lutter contre une perforation de coque de la taille d'un cul de pastèque. L'atmosphère devenait vraiment puante et charriait avec ses reflux méphitiques de doucereux relents d'abattement. Combien de temps encore devrait-il endurer cela ? Il avait endossé ses erreurs avec un certain courage en ce qu'il avait examiné sa situation avec franchise. Devrait-il en sus supporter les turpitudes d'un autre pour ce qu'il n'était pas capable de les affronter lui-même ? Quelle pitié.

Il dut une nouvelle fois ordonner froidement ses idées et faire part de son analyse sur une situation plus simple qu'il n'y paraissait. Au fond, les torts de chacun étaient partagés. A parts que l'on pouvait considérer comme égales. Dès lors : à chacun sa croix. Inutile de vouloir porter celle des autres lorsqu'on peine déjà à traîner la sienne sur les pernicieux chemins d'une vie qui pardonne tout ... hormis la faiblesse. A ce titre, le pasteur réformé refusa catégoriquement de les endosser toutes, ces putains de croix ; et accepta moins encore que sa compagne ne s'accable et ne se flagelle au delà de ses propres erreurs, somme toute compréhensibles et pour le moins communes. Mais si pour se protéger Iohannes avait depuis longtemps appris à mettre de côté l'affectif pour mieux passer au crible les options qui s'offraient à lui dans la résolution d'un dilemme donné, il n'en était pas de même pour Sophie, qui s'empêtrait comme d'habitude dans les limbes d'une culpabilité bien trop prodigue pour les frêles épaules d'une seule femme.

Il lui fit part de sa vision des choses. Il lui sembla qu'elle en apprécia la pertinence. A la bonne heure. Une explication de texte ne transformera jamais à elle seule une femme émotive, irrémédiablement portée sur la compassion d'un genre humain qu'il avait depuis longtemps appris à dédaigner pour la faiblesse de sa nature. Néanmoins, soyons honnêtes jusqu'au bout. Si toute mise à plat ne porte pas de fruits immédiats, ceux-là murissent dans le temps, dans le cadre d'une réflexion solitaire, et d'une remise en question progressive.



"Il n'y a là aucune injustice.
Uniquement des dettes à honorer envers l'amour, l'honneur, et la morale."



A quoi bon s'indigner ?
A quoi bon se décourager ?
A quoi bon s'évader ?

La démonstration de sa faiblesse n'était rien d'autre qu'une marque de confiance. Contrainte par le manque d'interlocuteurs, certes. Tant qu'à faire, ne soyons pas dupes. Mais une marque de confiance tout de même. Il l'apprécia à sa juste valeur et mit fin à cette douloureuse parenthèse. Il y en aurait d'autres. Sans nul doute. Peut-être plus violentes et douloureuses encore. Mais sans doute pour la première fois depuis longtemps, il se sentait réellement capitaine de son propre navire. Il tenait la barre et qu'importe la houle. Il ne la lâcherait pas. Il ne la lâcherait plus.


Il ne la lâcherait plus ...


Ivre de baisers longuement échangés à la lueur des chandelles d'un oratoire abandonné, il la maintenait plus que jamais entre ses bras, lovée dans le confort de ses épaules carrées, comme une promesse d'éternité, une pierre monolithique sur laquelle on s'appuie, on se repose.

Et qui au fil des ans, tantôt se moquant de la pluie, tantôt se moquant du vent, ne tremble pas.
Et ne tremblera plus.


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