Sa tête heurte une bouteille vide dans un bruit mat. Ses paupières s'ouvrent sur un regard brumeux qui sonde l'espace-temps. Qu'est-ce qu'il fout là ? Un soleil au zénith illumine de son éclat une chambre digne d'une porcherie. Une brune en travers du paddock à moitié recouverte de draps poisseux et souillés d'huile et de ... mieux vaut ne pas savoir, le traversin tâché de vin et enfoncé, des vêtements épars autour d'un fauteuil capitonné donnent à l'endroit un air de décadence affirmé. Ses paumes frottent ses yeux qui observent finalement la belle endormie, aux cheveux en vrac et aux lèvres entrouvertes. Vérification faite, c'est bien sa compagne qui dort comme une enclume d'un genre nouveau.
Et lui ... Ce mal de crâne ... Qu'est-ce qui avait bien pu se passer cette nuit ? Sans répondre à la question indiscrète, le réformé se masse le cortex et se lève pour enfiler son mantel carmin. Sa main passe dans sa poche et vérifie qu'il dispose de quelques pièces non rognées. Une cinquantaine d'écus. Bien. Il enfile ses bottes et s'éclipse pour se taper les courses du matin.
Il revient une demie heure plus tard avec un panier qu'il dépose à l'entrée et se dirige vers le cabinet de toilette qui sert de boudoir, intime réceptacle à la mélancolie féminine. Il asperge sa face de taulard d'une eau fraîche qui semble le ramener à la vie, puis se lave sommairement à l'éponge, se rase, se parfume en quelques touches avec l'air pénétré de ceux qui ont fini par assimiler l'élégance et un certain respect de sa personne comme un devoir. Un devoir ... malgré une belle gueule cassée de marlou passé à tabac. Une fois la mise soignée, il rejoint la chambre dans son beau pourpoint noir de pasteur. Jetant un oeil sur le lit, son regard s'arrête sur elle. Il ne peut pas décemment la laisser finir sa "nuit" ainsi. Il l'attire lentement à lui, sans la réveiller, passe un bras sous ses genoux, l'autre sous ses épaules, la porte, et l'emmène sur le divan bleu où subsiste encore une odeur de propre. Il se relève, passe dans le cabinet, s'arme d'une éponge humide, revient, puis la passe délicatement sur son visage qui porte les stigmates de la nuit. Ses yeux s'entrouvrent. Elle gémit. Il n'y prête pas attention. Patiemment, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien, jusqu'à ce que ce visage ne reflète plus que la grâce d'un ange pâle, au feu éteint, il la débarbouille. Il démêle ses cheveux, sans lui faire mal, ôte ses bas, et lui fait passer en l'articulant un peu l'immense chemise qu'il a porté la veille. Il la rallonge, la tête bien au milieu d'un coussin, et la recouvre jusqu'au menton d'une couverture que le peu d'usure n'a pas encore rendue trop rêche.
Il se relève en une profonde inspiration et attrape le panier, disposant ce qu'il contient sur la table. Pain, fraises, bouteille de lait, oeufs, lard, miel, confiture de myrtilles. Ainsi qu'un mot, griffonné à la hâte et déposé sous les fruits:
Citation:
Mangez en priorité les fraises, autrement elles seront gâtées.
Ne vous en rendez pas malade.
Je vous embrasse. A ce soir.
S.I.
Il ferme les volets de bois des grandes fenêtres à meneaux et passe dans le couloir, où il alerte les chambrières en déployant tout son sens de la prévenance.
La Vicomtesse est indisposée.
Attendez qu'elle se lève pour faire les poussières.
Dommage que la valetaille n'ait pas le même goût que lui pour les euphémismes.
[Hors les Murs. Dimanche. L'Église carillonne en la vieille ville. La Réforme anime la spiritualité en pleine campagne.]
De la Charité Aristotélicienne.
Installé sur une chaire de fortune, le bon pasteur Iohannes apporte la bonne parole aux rares réformés de Blaye, ainsi qu'à quelques égarés un brin curieux de savoir qui est réellement ce religieux braillard apportant la bonne parole avec une gueule de repris de justice.
Que Dieu vous bénisse en ce dimanche matin, mes frères et amis, vous qui vous êtes déplacés hors des murs pour assister au discours du Pasteur Sancte Iohannes, le sagace obstiné, venu en votre ville vous adresser son sermon. Sancte Iohannes, le pacificateur, qui fera émerger de ce Royaume déchiré par les luttes intestines les prémices d'une nation phare, donnant à tous les religionnaires réformés une place honnête, en tous les cas unique dans notre vaste Europe, et qui va faire d'eux les thuriféraires du Salut par la foi seule et les pionniers de la critique cléricale.
Loin d'admonester la conduite de ses pairs, son sermon est le vecteur principal de l'édification des âmes en ce qu'il révèle la conscience spirituelle des Hommes qui ne sont pas encore totalement perchés. D'ordinaire, le pasteur délivre son message dans un temple. Faute de mieux, nous délivrerons le sens des Écritures issu de la religion réformée au sein même de cette modeste clairière.
Il s'éclaircit la voix, puis écartant les bras dans un geste rassembleur:
Venez donc, fils et filles de haute morale et de bonne famille, assister au prêche du Pasteur Montalbanais qui contredira l'opinion moralisatrice et ennuyeuse que vous vous faites de la spiritualité. Car le prêcheur prêchant la réforme Aristotélicienne vous épargne volontiers son prêchi-prêcha bigot et monotone, dont la seule vocation est d'empêcher l'homme de pécher, quand bien même la moralisation du discours produit souvent l'effet inverse.
A l'instar du pêcheur qui trop préoccupé par ce qui se trouve dans ses filets ne voit pas sa barque couler, l'athée en jouissant des nombreux bienfaits d'une vie matérielle ne se rend pas compte du danger qui plane sur son âme vouée à l'éternelle damnation. Ma présence en ces lieux est une perche qui vous est tendue: celle de renouer avec la foi des origines, celle qui berça nos prophètes bien avant l'instauration de l'Église par l'Empereur Constantin qui décida d'en faire un organe de pouvoir en asservissant les âmes de ses sujets.
Il se recueillit quelques secondes, tant pour réorganiser ses pensées que pour laisser le temps à l'auditoire de bien enregistrer ses paroles.
En ces heures de tristesse et de pauvreté, nous avons choisi une thématique fort à propos: celle de la charité, la place qu'elle doit avoir dans la vie d'un Aristotélicien et surtout comment la mettre en pratique de façon raisonnée et efficace. Mais pour cela, il convient avant toute chose, de poser la bonne question:
Qu'est-ce que c'est la charité ?
Et son visage aux traits agressifs s'arma d'un sourire féroce.
La charité est la traduction, dans notre vie quotidienne, de notre engagement envers les autres, de notre amour des autres. Elle se définit comme l'acte de donner à autrui ce dont il a besoin et vise l'équité entre tous au sein de la communauté. C'est ce que nous indique le chapitre deux de l'ouvrage "De l'éducation de François de Gêne et de la découverte d'Aristote" que nous citons ici:
Citation:"Séloigner de Dieu était séloigner de la vertu. Séloigner de la vertu était séloigner des fondements de la société des hommes et de ses lois.
Ainsi il reconnaissait la grandeur dâme de certains, et, en demandant laumône , en conséquence il faisait appel à la communauté Aristotélicienne dans son ensemble, à la charité universelle. Sa survie ne dépendait que de la communauté, il remit ainsi toute sa confiance, sa vie même entre les mains des Hommes, entre les mains de Dieu."
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"Aux hommes la droiture et le devoir, et à Dieu seul la gloire !"
S.I. - Chevalier Errant de la Réforme Aristotélicienne.