Sémur, ville splendide, lente, pleine d'effroi.
Sémur une ville pleine d'inconnus, de l'Inconnu.
Sémur, un arrêt vers le début d'une autre vie.
Mais que représentent donc ces murs pour la plupart de la populasse bourgogne? Une ville si différente de son petit village cosnois, si différente de Dijon, encore plus de Macôn ( ville soit dit en passant bien lugubre...). Et pourtant..
A cette heure actuelle où elle n'avait rien à faire puisque personne ne voulait l'embaucher, elle, pauvre vagabonde qui avait tout perdu, jusqu'à son titre pour repartir de zéro. Notre Jade-Valentine de Chambertin avait perdu jusqu'à son sourire, celui qui remettait du baume au cur de tous ceux qu'elle croisait.
L'armée, ou comment faire changer une personnalité du tout au tout. De fille si rayonnante qu'elle était, elle devenait, petit à petit, de plus en plus froide. Mais pourtant quelque chose, quelqu'un encore lui permettait de ne pas sombrer de l'autre côté, parmi ces mercenaires, des voleurs.
Elle n'était pas une personne errante, et même si elle avait tout perdu, toujours elle retombait sur ses pieds pour mieux pouvoir regrimper et plus haut encore.
Aussi, bien que de triste humeur, le soleil lui mettait le sourire aux lèvres. Elle était en congé. L'armée n'étant pas encore aux portes de la ville, la visite se voulait des plus plaisante.
Mais voilà qu'à l'opposé de sa destination, un son retenti. Les cloches de l'église se mirent à rebondir pour former une lamentation.
La triste affaire, une personne venait de rejoindre le Très-Haut. Comme il y en a partout, comme il y en a souvent, des gens meurent. Des bons, des mauvais. Entre truands et curs d'or, qui seraient sauvés de la balance? Dieu seul est Juge.
Rien à faire, la Chambertin prit le pas pour rejoindre la populasse à cet affreux dénouement. Comme pour se contenter d'une meilleure vie, de vivre simplement, elle alla.
Rien d'inquiétant pourtant à l'atmosphère que dégageait la ville à cette heure.
Mais voilà que plus elle avançait dans les rues, moins de monde se présentaient, quelques personnes rentrant chez elles le cur las de leur dur labeur, affaires quelconques..
Arrivant près de l'église, calèches, coches, chevaux, charrettes et autre moyens de transports les plus incertains y étaient arrêté, laissant pour seuls inconnus les cocher et écuyers divers faisant leur dur métier.
Pas un son ne sortait de l' église hors mis les chevaux qui soufflaient et les cloches qui terminaient leurs lents rebonds sonores.
Pas un son... des lamentations, des pleures à tout va. Quelle idée lui était venue en tête de venir à un enterrement d'une personne qu'elle ne connaissait même pas et où elle n'y était même pas la bienvenue puisque pas invitée?
Tant pis. C'était fait, les portes n'étaient pas encore fermées... alors elle s'engouffra dans la grande bâtisse froide et sombre. Des frissons montèrent. Un soubresaut.
Tous écoutaient le discours d'un certainement grand personnage. Tous écoutaient, les larmes aux yeux, l'effroi dans le cur. Tous certainement se rappelaient les derniers moments passés en compagnie de la défunte personne.
Des bribes de discours lui vinrent à l'esprit lorsqu'elle entendit le prénom de Maeve. Elle avait connu une Maeve, autrement lorsqu'elle faisait ses cours à la guilde des Herboristes, là-bas qu'elle était descendue, là-bas qu'elle l'avait rencontrée, là-bas qu'elle avait appris son lien d'amitié avec les Chambertin...
Notre brune se souvient alors de son rire si frais, cette joie qu'elle avait au cur. Qu'était-elle devenue? Où était-elle en ce moment?
Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait plus eu de nouvelles. Ni d'elle, ni de sa sur, ni de sa famille et tous ses êtres si chers aimés. Que faisait-elle de sa vie, elle qui autrement riait pour un rien, itoujours à la vue d'un môme des rues?
Elle dérivait... vaquait.. non à ses occupations mais se laissait vivre, là où le vent l'emportait, là où les ordres Ostiens la menaient.
Des remises en questions lui venaient à l'esprit alors que le cercueil faisait chemin vers les portes de l'église qu'elle venait de franchir quelques instants plus tôt. Elle n'écoutait pas le discours... D'ailleurs, pourquoi l'écouterait-elle? Le défunt lui était inconnu.
Observant le cercueil encore non recouvert, elle soupira..
Elle suivit ce bloc de bois transporté. Comme si il flottait dans les airs, comme si il venait à lui..
Elle observait puis chercha à voir le visage du dit cadavre.
S'infiltrer pour observer.
S'infiltrer. Pour pleurer?
Un frisson. Un soubresaut. Un élan de stupeur.
Cette fille dont les souvenirs lui étaient parvenus, étaient là, à quelques pas d'elle. Non en chair et os comme elle l'aurait espéré. Elle était là. Allongée, vêtue de blanc, bien coiffée pour l'occasion, à l'intérieur des ces quatre planches de chêne qui flottaient devant elle tel un fantôme venant hanter une dernière fois les esprits.
Lui revint alors en mémoire ce prénom. Maeve. Les derniers instants qu'elle avait vécu en sa charmante compagnie. Que lui était-il arrivé?
Elle retourna sa tête pour fuir ce visage blafard, comme pour fuir ses responsabilités.
Et comme si tout devint clair, comme si le Très-Haut l'avait mené jusqu'ici, elle écouta le discours.
Nous allons maintenant accompagner Maeve jusqu'à son dernier lieu, la ou sa sépulture tant attendu se fera enfin !
Le cercueil s'était refermé. Le commis de paroles suivit les quatre hommes portant le socle en direction du cimetière.
C'est alors que la Chamberin redevint une petite fille observant les costumes, les visages...
tout l'entourage de Maeve n'était que noblesse. Et, elle, elle n'en avait jamais rien su. Pauvre ou riche, de toute façon, rien n'aurait changé. Elle était noble. Non dans sa façon d'agir un peu frivole, mais dans son cur.
Jade observait cet entourage qui se levait pour suivre la procession. Elle restait là et observait. Tantôt les visages, tantôt les costumes. Certains visages lui parut familiers.. d'autres avait-elle déjà croisé.
Tous étaient vêtu de leur grands habits. Non de fête, non de mariage. Simplement du noir et du blanc. Des costumes des plus banal, représentant le deuil.
Tout était triste dans une église. Tous l'étaient. Même elle, inconnue de tous, vêtus de sa robe légère de ses jours de congés. On aurait limite dit une pucelle cherchant à se marier. Et cette pucelle était là, vêtue de couleur, au beau milieu d'une bourgeoisie hors du commun.
Tous sortaient, suivant le cortège. Un laps de temps incertain défila avant qu'elle prenne la marche, elle aussi derrière tous qu'elle ne connaissait point. Elle avait envie, là, d'échanger avec eux, de parler.. de savoir qui ils étaient.
Les grilles du cimetières avaient été franchies, la petite côte paraissant infranchissable était apparue. Tel un sommet d'une montagne qu'on se doit d'y mettre les pieds, Jade-Valentine avança, du pas lent, cérémonieux et célestin.
Puis le cortège s'arrêta, les quatre hommes posèrent le cercueil à terre. A terre, en terre... dans le sol. Sous nos pieds.
Elle resterait là pour toujours la petite Maeve. Elle resterait là parmi nous, par l'esprit. Elle sera là toujours pour nous observer.
Un petit discours encore. Tel fut la cérémonie, comme le veut l'habitude ancestrale.
Un petit mot. Chacun pouvait, s'il le souhaitait, maintenant exprimer ses sentiments.
Une hésitation venant de la part de la petite femme soldat. Elle prit une bouffée d'air pour se donner du courage, puis sorti du groupe que formait tout l'entourage de la défunte, puis alla prendre la parole.
Pour quoi dire? Rien de spécial. Une pensée comme tous.
« Je ne sais pas pourquoi je suis là. Je ne sais pas non plus si j'ai bien fait de venir. Mais quelque chose m'y a poussé. Le Très-Saint peut-être? Qui sait? Toujours est-il qu'il y a dix minutes, en franchissant les portes de cette église je ne savais même pas qui était la défunte. Et voilà qu'en observant son visage, et en entendant son nom, les larmes me viennent, le chagrin m'envahit.
Je l'ai peu connu certes, mais ce que j'ai connu d'elle était un rayon de soleil. La joie qui émanait de cette petit fleur arrivait à faire oublier les plus grandes douleurs du monde.
Je sais maintenant, grâce à cet instant qu'il ne faut pas que j'oublie ce pourquoi je l'ai connu. Elle prenait des cours d'herboristes et nous révisions ensemble. Nous riions ensemble et nous étions heureuses, alors pour bien faire, je suivrai ses engagements, cherchant toujours pour paraître meilleure. Cherchant à vivifier le cur des gens et à redonner le sourire. J'espère que ma tenue n'est pas trop provocatrice, mais je le disais, je ne savais même pas pourquoi j'étais là.."
Elle baissa la tête, pour reprendre, son souffle, pour effacer les larmes qui montaient, et repris :
"nous a quitté, mais elle a tant laissé, certainement plus à vous qu'à moi. Alors ne l'oubliez pas. Car elle, de là-haut elle veillera sur nous, toujours. Là parmi nous, par l'esprit. »
Un fin sourire aux lèvres comme pour se dire qu'elle avait bien fait de parler puis reprit son emplacement parmi les nobles. Là où sa place n'y était pas. Enfin.. c'était une Chambertin tout de même!
Un regard encore vers la sépulture... Afin de se rappeler ce pourquoi elle doit vivre.