Bloodwen est une jeune fille d'une douzaine d'année, mais elle pourrait être plus âgée. Elle est albinos : ses cheveux longs sont blancs, et ses yeux trop grands tirent sur le rouge et le violacé. Les pupilles sont en perpétuel mouvement, ce qui rend son regard étrange et lui occasionne une très mauvaise vue. Elle les dissimule parfois sous une capuche profonde alors il est possible de capter son regard, la couleur de ses yeux reste impossible à deviner. Le reste du temps, ses particularité physiques sont visible de tous.
Elle est petite et visiblement famélique sous ses guenilles sales : les jambes et les pieds emmaillotée de bandes boueuses, le reste d'une longue chemise élimée de couleur indéterminable, le tout recouvert d'une cape brune trouée trop grande pour elle.
Son regard craintif et fuyant, son allure fébrile et farouche, sont les témoins d'une enfance difficile. Et comment pourrait-il en être autrement avec une tare comme la sienne ?
Son histoire :
Mes premiers souvenirs sont ceux d’une grange, celle dans laquelle j’ai grandie. Mon père m’avait construit une chambre, dissimulée derrière des ballots de foin, dans laquelle il m’enfermait une fois mes tâches quotidiennes accomplies. J’avais peur ainsi confinée dans le noir, mais tout allait mieux lorsque ma mère venait pour mon repas journalier. Mes journées étaient immuables : au chant du coq, mon père m’ouvrait et me jetait un morceau de pain que je m’empressais d’avaler avant d’aller traitre les bêtes et ramasser les œufs, d’abord pour qu’il puisse faire faire son petit déjeuner, puis pour la vente. J’étais devenue très rapide pour m’acquitter de ces tâches, sachant que le bâton m’attendait si je n’avais pas fini avant son retour. Ensuite je nettoyais la grange, et m’affairait selon les besoins jusqu’au soir, puis il me reconduisait dans ma chambre, où ma mère m’apportait les reliefs de leur repas et me lavait. Je ne vivais que pour ce moment avec elle, bien trop court, avant de retrouver les ténèbres de la nuit.
Ma routine était parfois troublée par la présence de visiteurs. Lorsque cela se produisait, mon père s’empressait de me saisir et de m’enfermer, en me menaçant des pires tourments si par malheur je faisais le moindre bruit qui trahirait ma présence. Parfois, j’entendais des conversations. Plusieurs fois, je l’ai entendu se plaindre de ne pas avoir d’enfant, que le travail était bien pénible sans aide, et qu’il n’avait pas les moyens d’entretenir un valet de ferme. Cela ne me choquait pas, l’homme qui était mon père n’aurait jamais toléré que je l’appelle ainsi. Pour lui j’étais « le monstre » et je devais l’appelais Monsieur.
Ma mère m’avait expliqué que s’était un saint homme et qu’il avait été bon de m’avoir gardé et de prendre soin de moi, que je devais le remercier en lui montrant de la déférence et en travaillant dur. J’en étais donc venue à le considérer comme mon protecteur, même lorsque, ivre et rouge de colère, il faisait irruption la nuit et me fouettait au sang en me criant des injures que je ne comprenais pas. Au matin, il ne semblait pas s’en souvenir et ne prêtait pas attention à mes blessures, me faisant travailler comme chaque jour, et je m’en voulais de lui causer tant de soucis.
Ma vie aurait pu se poursuivre ainsi indéfiniment. Mais un jour pluvieux d’automne, ma destinée bascula. Alors que je changeais les litières des vaches, un hurlement retenti à l’extérieur de la grange. J’avais reconnu la voix de ma mère, et j’eu si peur que je risquais un regard au-dehors. Je la vis courir dans la cour, se tordant manifestement de douleur, puis tomber à genoux les bras levés au ciel pleurant et riant en même temps. Des spasmes agitèrent son corps, le tordant de façon hideuse sur le sol boueux, puis soudain, elle cessa de bouger et un silence mortel s’abattit sur la ferme.
Conditionnée efficacement, je n’eue même pas l’idée de mettre un pied hors de mon univers, et contemplait, abasourdie, ce que j’ignorais encore être la mort. Une éternité passa avant que mon père ne revienne des champs pour trouver sa femme gisant dans la boue depuis des heures. Je n’avais pas bougée, et son regard fini par me trouver. Son visage rougeaux était transfiguré de telle façon qu’une peur mortelle me saisit et que je reculais, pour chercher un refuge à sa colère dans la bâtisse. Tremblante, cachée dans un recoin sombre, j’attendis ce que je savais être inévitable, piégée que j’étais, le regard fixé sur la porte de la grange grande ouverte. Le temps passa, le jour aussi, la nuit vint, sans que la pluie ne cesse. Et pour la première fois, ma mère ne vint pas. Je me demandais ce qu’il lui avait pris et si elle allait mieux. Peut-être que mon père m’avait oublié. Le sommeil m’emporta, calmant ma peur et ma faim.
Le réveil fut brutal, plus qu’il ne l’avait jamais été, une large main m’avait saisie par les cheveux et me traînait vers l’extérieur, m’entrainant vers le cadavre qui s’y trouvait toujours et qui semblait de cire dans le pâle mâtin ensoleillé. Je fus jeté sans ménagement dans la fange et rouée de coup de pied et de fouet au rythme des hurlements de mon père « démon ! Regarde ce que tu as fait ! C’est sa punition pour t’avoir engendré sale monstre ! J’aurais dû me débarrasser à la naissance créature du sans-nom ! »
Pratiquement muette, ayant peu l’occasion de parler, au point que mon père ne s’était jamais rendu compte que ma mère m’avait appris cet art, je poussais des cris inarticulés qui semblaient l’exciter davantage, jusqu’à ce que je parvienne à prononcer le mot « pitié ». Cela le fit cesser immédiatement, mais ne me sauva pas pour autant, puisqu’il me cracha dessus et vociféra en me soulevant la tête du bout de sa botte « de la pitié hein, je vais t’en donner moi de la pitié » puis il s’éloigna en grandes enjambées en direction de la maison. Plus morte que vive, je tentais de me redresser et secouait ma mère, qui ne réagit pas. Désespérée, je regardais de mon œil valide, l’autre étant occulté par un douloureux hématome, en direction de la maison dans laquelle je n’étais jamais entrée. La vision de mon père en sortant en titubant, une hache à la main, me donna miraculeusement la force de m’enfuir en rampant d’abord, puis en me relevant, mû par un instinct de survie insoupçonné sans jeter un regard en arrière.
Je ne m’explique pas d’être encore en vie. Peut-être mon père, trop ivre, avait chu avec sa hache, je ne le saurais sans doute jamais. Comme je ne saurais jamais que ma mère n’avait pas succombé au mal des ardents à cause de moi, mais à cause de la cruauté de son mari, qui avait perdu ce jour-là moins qu’une femme, une servante, et moins qu’une fille une esclave.
C’est ainsi que je me suis retrouvée à errer sur les routes, effrayer par un monde inconnu, consciente de l’abomination que je suis et dissimulant mes cheveux blancs et mes yeux rouges qui font de moi un démon sous une capuche trouvée sur un cadavre au bord d’une route que j’ai suivie, en évitant les rencontres, me nourrissant de pommes et de châtaignes dans les campagnes, et disputant aux chiens les déchets des villes.
J’ignore tout du monde qui m’entoure, sinon qu’il est trop ouvert et trop hostile pour moi, au point que dans les heures les plus sombres de la nuit, j’en viens à regretter ma grange.