Fauve hésita longuement mais retira finalement son voile pour
apparaitre dans la lumière. Quelque chose de différent en elle attira
l'oeil. Elle était toujours la même et cependant quelque
chose dans son port de tête et dans ses manières, un changement subtile
s'était opéré.
Messire, depuis mon arrivée au
sein de la communauté de Vendôme, je suis une personne légèrement
différente de ce que Dieu a fait de moi. Je me suis présentée dans la
ville en usant de subterfuge pour me protéger. Tout cela peut sembler
surprenant mais c'est la seule voie que j'ai pu trouvé pour accomplir un
destin sombre qui a emporté ma vie il y a quelques années.
Je ne
sais trop par quel bout commencer. Le plus simple serait peut être de
me présenter. Je me nomme Camille d'Anclair, surnommée Fauve par ma
nourrice en raison de mon regard si étrange. J'ai vécu toute mon enfance
sur le petit domaine de mes parents dans le village d'Anclair.
La
forêt, mon village, les rires insouciants, ma famille et mes amis.
L’innocence d’une enfance parmi les miens sont tout ce qui me revient,
avant le drame et l’horreur… Ils sont venus, tout un contingent de
brigands et ont décidé de piller notre domaine pour installer leur
planque. Le feu incendiaire a ravagé tout sur son passage. Les habitants
du hameau courraient en tous sens pour protéger leurs biens et leurs
enfants. Mais les flammes étaient partout encerclant le village,
ravageant les maisons, emportant dans des cris atroces leurs occupants.
Fauve frissonna à ce souvenir et son regard se chargea de larmes difficilement refoulées.
Je
les ai vu tous périr et je n'ai du mon salut qu’à deux choses. Ma chute
dans le fleuve en contrebas et les cours rébarbatifs du vieux sage du
village voisin qui m'avait toujours poussé à apprendre les rudiments de
la nage, malgré les protestations de ma nourrice qui ne trouvait pas
convenable que j'aille barbotter avec les gens du village. J'ai fini par
atteindre l’autre rive et j'ai vu la mort de ma famille, de notre
domaine, de mes amis.
Au matin les pillards sont revenu et ont
déblayé, achevant les mourants jusque dans le domaine de mes parents et
dans l'église. Horrifiée, j'ai fui durant de longs mois. J'ai changé de
nom pour ne pas éveiller les soupçons, prenant mon sobriquet et
dissimulant ma particule pour me fondre dans la masse. J'ai cherché en
vain depuis le seul membre de ma famille dont j'avais encore un vague
souvenir, le sieur Gillas. Mais allez retrouver une noble personne par
l'énoncé de son seul prénom. Je ne l'ai vu qu'une fois avec son épouse,
et j'étais encore fort jeune. Depuis, je le cherche tout comme je
cherche à mettre un nom sur le visage de ces brigands sans vergogne pour
que justice soit enfin faite. Mais le temps passe sur la fraicheur de
mes souvenirs et surement aussi sur leur physionomie et mes espoirs
s'amenuisent de réclamer réparation pour ma famille et les habitants de
nos quelques terres.
Je suis lasse de chercher et m'habitue
doucement à cette nouvelle vie, ce nouveau nom. Cependant, je ne peux me
résigner à intégrer l'ordre sous un nom qui n'est pas le mien sans vous
en parler par avance, car ce serait offenser le très haut. J'ai besoin
de vos sages conseils pour savoir comment agir sur ce difficile chemin.
En Touraine, les gens connaissent et aiment Fauve, juste Fauve, pour ce
que je suis et non pour ma lignée. Et de toute façon, tant que je ne
trouverai trace de mon oncle, je ne suis plus rien, ne pouvant
revendiquer mon nom.
Je souhaite sincèrement être appréciée pour
ce que je suis au fond de moi et non pour un nom ou un titre mais agir
ainsi n'est il pas également trahir la confiance des autres? Je ne sais
réellement plus à quel saint me vouer...
Fauve
leva un regard perdu, à la fois soulagée de dévoiler ce lourd secret et
terrorisée des conséquences de se mettre ainsi en danger.