Ma vie? Et bien, jusqu'ici, il n'y a guère de romantisme à y trouver.
Simple fils de paysans du canton, j'ai vécu une enfance sans histoire.
J'ai appris le peu de choses que je sais auprès du curé de Versoix, le
père Jean, un saint-homme selon certains. Malgré toute ma
reconnaissance pour qu'il m'ait pris un temps sous son aile, je ne puis
dire que je l'ai toujours vu comme un saint. Curieux de tout et surtout
de la vie de ses fidèles, il n'eut de cesse de s'immiscer entre moi et
Anne, la petite dernière de nos voisins. Malgré que rien ne se soit
jamais passé entre cette jolie blonde et moi, ce bon vieux curé a tenté
de m'arracher toutes sortes de lubricités durant mes confessions. Si je
m'étais mis à penser que ses insinuations étaient vraies, je me serai
retrouvé un fieffé jeune lubrique.
A vrai dire, malgré ces petites anecdotes futiles, il fut davantage un
père pour moi que le mien, trop occupé par la rentabilité de ses champs
pour voir que je grandissais. Lorsque l'âge de l'homme se mit à devenir
imminent, le vieux Jean m'a fait appelé. M'attendant à une énième
investigation sur mes intentions lubriques et païennes envers la pauvre
pécheresse Anne, j'hésitai à m'y rendre. Grand bien me fit que de ne
pas céder à mes craintes car c'est là qu'il dut prouver qu'il me
portait de l'affection. Le vieil homme me confia une petite bourse
d'écu. Je refusai d'abord mais il insista pour me les donner, arguant
qu'il n'appartenait pas aux ainés de se montrer égoïstes en laissant
les jeunes se contenter de leurs miettes jusqu'à trépas. Il me demanda
d'avoir le courage de me servir de ses enseignements à Genève. Je finis
par accepté, non sans fierté de m'être vu accordé pareille conscience
de la part de ce vieil inquisiteur de père Jean...
Ce vieux bougre... Il nous quitta pour rejoindre le seigneur trois mois
plus tard. Je ne pleurai pas à son enterrement, conscient que pour lui,
ceci n'était pas une fin mais bien le début de son vrai voyage. Je me
contentai de prier pour lui, espérant que le seigneur n'oublie pas la
générosité dont il avait fait preuve.
Qui sait, peut-être que si il ne m'avait rencontré, j'aurai repris ma
ferme et aurait fondé une famille avec l'Anne? Peut-être que j'aurai
moins bien que ce destin, peut-être que finalement, je reviendrai
l'épouser et renouer avec mon destin précédent.
Néanmoins, c'est ici, à Genève que je dois tenter de faire ma vie, de
m'assurer que mon nom étrange, Guidrion Daleiden, ne soit pas qu'un
simple nom de paysan.
Etait-ce le bon choix? La vie me le dira et je n'ai pas encore d'os suffisamment vieux que pour regarder en arrière.