Lhyra

Tout. Tout toucher. Tout compter. Sinon tout s'écroule. Tout. Tout contrôler.
1...2...3...4...5...5. Cinq souffles pour calmer son coeur. Cinq battements de veines. Cinq. Comme les doigts d'une main. Tout compter. Tout contrôler. Autours d'elle tout est beaucoup trop en bordel. Le vent qui siffle et fouette les branches de pins, faisant s'envoler les dernières feuilles mortes de l'hiver, la pluie qui tombe et trempe le sol, la neige qui gèle et se fissure sous ses pas. Le bruit des roues des charrettes sur la caillasse, les cloches qui tintent et envahissent l'espace, les hurlements qui reviennent et la font frissonner. Lhyra compte pour ne pas se tromper.
1...2...3...4...5...5. Cinq rayons de lune, cinq plumes, cinq orteils. Elle compte et observe en douce les barbus, les chevelus, les sans poils, les cheveux noir, roux, blonds, auburn, châtains. Elle reluque en douce les frimousses et les graves dans sa mémoire. Lhyra note tout. Tout tout tout. Pour tout contrôler.
Assise dans sa bicoque délabrée, elle compte les courants d'air, les échardes sur la table, les plis sur les draps. Un éclair de lucidité traverse quelques secondes ses yeux azurs. L'air hagard, le regard bizarre, elle tremble, et se perd à nouveau.

Les secondes courent, le temps passe. Lhyra fredonne et frissonne. Elle compte les cicatrices qui lèchent son visage sans qu'elle ne sache pourquoi. Elle n'ose pas y toucher et se met à gémir, se balancer et fredonner, avant de se remettre à compter.
1...2....3...4...5...5. Cinq nuages dans le ciel, cinq cerises sur le gâteau, cinq verres en tavernes. Tout. Doit. Être. Contrôler. Parfois Lhyra marche sans but, l'oeil hagard. Le temps perdu. Parfois. Parfois elle ne compte plus. Et marche toujours.
Mais parfois seulement. Pas tout le temps. Car en général, Lhyra sait. Sait qu'elle doit compter. Et ne pas se tromper pour ne pas avoir à recommencer. Lhyra sait qu'un oiseau n'a pas de sein, qu'un oiseau n'est pas un homme. Elle sait que le soleil se lève toujours avant que la lune ne se couche. Qu'après la pluie, vient le beau temps. Lhyra sait beaucoup de chose, seulement, elle n'arrive pas toujours à le formuler.
Parler est difficile. Elle le sait. Parler est plus difficile que crier. Parler c'est donner. Donner... Donner...
1...2...3..4...5...5. Cinq rires hystériques. Cinq morceaux de pain. Cinq hochements de tête. Parler. Elle a du mal. Lhyra n'y arrive pas toujours. Alors elle compte. Compte et compte et compte. Pour tout contrôler. Lhyra a cinq doigts. Lhyra a cinq orteils. Lhyra fait cinq cauchemars par semaine.

Lhyra...
Lhyra. 25 ans. Toutes ses dents. Toutes ses cases. Tous ses doigts. Tous ses orteils.
Lhyra vient d'ici. De là. D'ailleurs. De nul part. De sa tête. De sa planète. Elle ne sait pas d'où exactement. Elle connaît beaucoup de chose pourtant. Mais ne sait pas pourquoi...
Lhyra a tout. Tout. Tout. Sauf sa mémoire. Sauf ses souvenirs. Lhyra a tout. Même des cauchemars.



Plus belle déclaration d'amour: embrasse moi espèce d'énigme sur pattes